Le fantôme de Côme

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Trois. Trois longues années passées à l’aimer, terrée dans le silence, la peur. Peur de quoi ? Que ça ne soit pas réciproque, bien sûr.

« Et alors ? »

Et je me tus. C’est ainsi que tous nos débats avec Marilyn se terminaient. Mais que répondre à cela ? Deviendrais-je une autre personne ? Je ne pense pas. Ma fierté en prendrait-elle un coup ? Très certainement, mais le problème n’était pas celui-ci. Ma fierté était déjà au plus bas pour être atteinte par la non réciprocité des sentiments de Côme. Non, j'aurais le cœur brisé voilà tout. Quand tout ton corps semble comme attiré par ce seul être sur Terre, ignorant probablement ton existence, quand son moindre regard te fait dévier le tien, quand l’odeur de son parfum semble crier « Je suis à côté de toi, qu’attends-tu ? », tu ne veux pas perdre cela.

« Mais si tu ne lui avoues pas, la situation ne risque pas d’évoluer ! » s’agaça Marilyn à court d’arguments.

Que la situation évolue… Tout ce que je veux éviter, les choses sont parfaites comme elles sont ! C’est vrai, nous nous aimons passionnément, nous menons une vie heureuse à deux : dans mes pensées. Pourquoi risquer la désillusion ? A quoi bon être certaine qu’il ne m’aime pas, alors que c’est justement l’incertitude qui me motive chaque jour que je vis. Pour qui allais-je bien m’habiller chaque matin dans l’espoir de le croiser et qu’il tombe sous mon charme, si j’étais certaine ? A qui seraient dédiés la plupart de mes rêves ? A qui reviendrait cette place d’exception dans mon cœur, pourtant si difficile à pénétrer dont seul lui a les clefs, s'il ne m'aimait pas ? Pour sûr, il en était mieux ainsi, tant pis pour Marilyn, elle écoutera encore longtemps les récits de mes fantasmes avec Côme.

Je terminai pour la sixième fois la lecture de Appelle moi par ton nom, en espérant trouver un bonheur pareil à celui d’Elio et d’Oliver au moins une fois dans ma vie, lorsque Marilyn revint vers moi, le visage semblant annoncer un argument de taille à me convaincre.

« D’accord, tu ne le lui diras jamais. Tu vivras avec un Côme imaginaire, un fantôme toute ta vie et mourra sans jamais savoir si tu aurais pu la passer avec le véritable Côme, celui dont tu es amoureuse, déclara Marilyn.

— Mais son fantôme me convient parfaitement, lui, il m’aime pour sûr.

— Et quand déclareras-tu ta flamme au véritable Côme ?

— Un jour…, marmonnai-je.

— D’une vie secondaire oui, enfin encore faut-il que tu en aies une ! Prête plus d’attention à la fin du roman que tu tiens dans les mains, si le père d’Elio se tenait face à toi, il te dirait que tu fais partie de ceux qui ne peuvent s’empêcher de vivre comme s’ils avaient au moins deux vies à vivre, l’une étant le brouillon, l’autre la version définitive. Tu comptes garder ton secret à jamais ? » s’exclama Marilyn.

Elle avait gagné. J’allais lui annoncer. Et puis après tout, peut-être cela serait-il réciproque ? J’en doute. Tant pis. Non, je ne peux pas. C’est plus fort que moi, elle ne peut pas comprendre le dilemme auquel je suis confrontée.

Trop tard, elle m’amenait devant la maison de Côme, je ne pouvais plus faire marche arrière.

« Et si je lui laissais plutôt un mot ? demandai-je tentant d’y échapper à la confrontation une dernière fois.

— Non, tu vas lui dire en face, tu n’as plus huit ans, et je te connais, tu ne seras pas convaincue de sa réponse tant qu’il ne te l’aura pas dit de lui-même.

— Je te préviens, c’est de ta faute si tout échoue.

— Frappe à la porte et arrête tes bêtises. »

Je frappe à la porte. Trente secondes. Personne. Il n’est pas chez lui. Parfait, je m’apprête à repartir et oublier tout ça le plus vite possible, et je me retourne : il est là. Ces yeux… d’un marron qui tire à l’or dès l’instant qu’un rayon les traverse… encore plus beaux qu’en souvenir… Ses bras ; je veux m’y blottir, son torse m’y réfugier, ses cheveux y passer ma main et ses lèvres les embrasser…

« Bonjour, vous vouliez quelque chose ? prononça-t-il d’une voix grave qui me fait toujours autant frissonner.

— En fait c’était Agathe, elle a quelque chose à te dire, lâcha Marilyn alors que je lui faisais les gros yeux.

— Agathe… du club d’écriture ? » demanda-t-il.

Le club d’écriture, ce pourquoi on me connaissait. Mes articles dans le journal du lycée, mes copies dont les notes dépassaient la norme. J’aurais préféré qu’il dise ; « Agathe, la championne de natation ? », ou encore « Agathe, mon amour ! », mais je me contenterais qu’il me remette.

« Oui… c’est moi… on faisait un tour dans le quartier quand elle s’est dit… enfin on s’est dit…qu’on pourrait passer chez toi… m’entendais-je dire.

— Vous êtes au bon endroit, mais pour quoi exactement ?

— Agathe, vas-y, insista Marilyn.

— Bon… je ne vais pas tourner autour du pot… je t’aime, je suis amoureuse de toi, depuis trois ans, déclarai-je.

— Waouh ! Je ne sais pas trop quoi dire… » répond-t-il.

Ne dis rien, dans ce cas, par pitié, partons d’ici en vitesse.

« En fait, je ne te connais pas vraiment, il faudrait qu’on fasse connaissance, mais je dois te dire que mon cœur appartient à quelqu’un d’autre… Restons amis, je suis sûre que tu es très sympa ! dit-il.

— C’est … gentil de ta part, mais je dois y aller, je dois aller chercher mon petit frère à l’école », répondis-je.

Je partis en courant pour qu’il ne me voie pas en larmes.

« Attends », s’écria Côme.

Il me poursuivait dans la rue.

« Ne pleure pas à cause de moi, tu ne me mérites pas, tu es bien trop intelligente pour moi et puis… j’aime les garçons, expliqua-t-il.

— Je ne pleure pas, ce sont des allergies, le pollen tu connais, m’écriai-je en tentant de m’extirper de ses mains qui me tenaient les épaules, et retenaient mon corps tout entier d’ailleurs, je dois vraiment récupérer mon frère !

— Mais il n’y a aucune école dans cette direction, Agathe, s’il-te-plaît, écoute-moi, je serais ravi qu’on soit amis mais je ne peux rien te promettre de plus », dit-il.

Je m’effondrai en larmes dans les bras de Marilyn qui venait de me rattraper, consciente de l’épreuve que je traversais. Côme s’éloignait, faisant signe à Marilyn qu’il nous laissait à deux. Et voilà, je le savais, il ne m’aime pas, je ne peux plus forcer son fantôme à m’aimer non plus… Marilyn me raccompagna chez moi, me soutenant physiquement dans chacun de mes pas, plus éprouvants les uns que les autres. Je l’avais toujours su, je ne voulais pas voir la réalité en face.

« Non, tu ne l’as jamais su, c’était la seule façon de le savoir. Tu sais maintenant qu’il faut passer à autre chose. Ça prendra du temps, et tu le prendras, je serai là, dit Marilyn.

— Et si je ne m’en remettais jamais ? sanglotai-je.

— On finit toujours par s’en remettre, je ne te dis pas que tu l’oublieras, mais tu feras d’autres rencontres qui te feront tout autant vibrer si ce n’est plus. Il n’est qu’une étape dans ta vie, et si pour l’instant tu peux la définir comme avant Côme et après Côme, ce point de rupture changera, crois-moi. Ne t’empêche pas d’être triste, c’est en refoulant tes émotions que tu auras de moins en moins à offrir aux suivants. Alors pleure, je suis là. »

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