1.3

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Des bruits de pas précipités, accompagnés de cris d’appel, retentirent à l’extérieur de la tente. Le vieil homme, penché sur sa feuille, redressa la tête d’un coup et lâcha son stylo. Le bic retomba sur la table et glissa sur le plateau avant de chuter à ses pieds sur le sol sablonneux.  

— Y a-t-il un problème ? interrogea-t-il, les sourcils relevés, dans l’attente d’une réponse.  

La voix, qui s’était éteinte, lui semblait familière, comme si elle appartenait à un des ouvriers. Intrigué et soucieux, il se retourna sur son siège en plastique, la main appuyée contre le dossier, de manière à englober l’entrée de la tente. Il s’attendit à ce que la porte en toile se soulève sur le passage d’un de ses hommes, qui aurait besoin de lui pour porter une charge lourde, déblayer un couloir, ou lui annoncer une récente catastrophe…  

— Il y a quelqu’un ? insista-t-il d’un ton plus fort.  

Seul le silence lui répondit. Ses doigts se crispèrent sur le montant de sa chaise tandis que de sombres pensées s’imprégnaient en lui. Un nouvel incident avec des blessés, voire des morts, se serait-il produit ? Oui, mais dans ce cas-là, ne serait-on pas venu le chercher en courant ?  

Il ôta ses lunettes, les déposa sur la table et se redressa les yeux fixés sur la porte en toile. Personne. Les lieux restaient calmes.  

Perplexe, il retira son chapeau – assortie à sa veste et à son pantalon beige en coton – et se gratta la tête avant de le remettre en place. Le mieux pour effacer cette incertitude, c’était de retrouver ses ouvriers.  

Il gagna l’entrée et se glissa à l’extérieur, las de tous ses problèmes. À son âge – soixante-cinq ans – il se serait passé de toutes ses tristes histoires.  

À sa sortie, la chaleur – infernale entre midi et deux – le frappa de plein fouet. Ce soleil de plomb l’obligea à rester immobile et à cligner des paupières pour les accoutumer à la forte luminosité.  

Sur sa gauche se situait l’entrée du temple en pierre ocre, protégé par deux paires d’immenses statues d’homme à tête animale, réplique exacte du dieu Seth assis sur un trône. Des voix étouffées, des coups de pioches, des raclements de pelles en ressortaient. Aucun de ses ouvriers, occupés comme ils l’étaient, ne l’aurait appelé.  

Sur sa droite, s’établissait le campement dans la cuvette formée durant les travaux de déblaiement du monument. Il se composait d’une dizaine de tentes beiges rectangulaires alignées à la sienne, d’une large allée de caillou et de roches ensablées et de deux grandes tonnelles blanches en face – indispensable pour l’ombre qu’elles procuraient. Tout autour, des falaises rocheuses surplombaient le camp avec tout au fond une pente douce pour accéder aux hauts plateaux et à ses véhicules.  

Le site paraissait calme. Pierre jeta un coup d’œil autour de lui avant de traverser le chemin pour pénétrer dans la tonnelle qui se dressait en face de lui.  

L’abri servait de lieu de stockage pour les œuvres égyptiennes recueillies et contenait les matériaux nécessaires aux travaux. Elle comportait une trentaine de caisses en bois prêtes à être expédiées en France, dans la demeure familiale, malgré l’interdiction d’exporter ses ouvrages anciens.  

Vu le nombre d’années perdues à rechercher ce temple, au péril de sa vie, Pierre ne s’était pas résolu à laisser tous ses biens. De connaissance en connaissance, il avait trouvé un homme pour leur faire passer la frontière en toute discrétion et son fils avait déjà réceptionné une centaine de colis dans leur domaine.  

L’intérieur lui apparut vide et il en ressortit, dépité. Il avait dû rêver et finirait comme ces vieux gâteux assis dans un fauteuil d’une maison de retraite à parler tout seul ou à déambuler dans les couloirs en criant. Cette pensée amena un sourire sur ses lèvres tandis qu’il saisissait la toile de la porte de sa tente.  

— Mrrr Pierreeee !  

L’archéologue se figea sur place avant de se tourner vers le temple. Au final, il ne s’était pas imaginé ses appels ! Un souci – qu'il n'espéra pas trop grave – se présentait bien à lui.  

Sohan, un homme âgé d’une vingtaine d’années au teint café au lait, descendit les marches à toute allure, tout affolé.  

— Mr Pierre ! Mr Pierre ! s’égosilla-t-il.  

Il s’arrêta devant lui, essoufflé par sa course. Son visage et son tee-shirt étaient trempés de sueur, comme s’il avait passé un long moment à parcourir l’intérieur du monument. Quoi qu’il ait eut cherché, il ne l’avait pas trouvé, au vu de la lueur de panique qui se reflétait dans ses yeux noirs.  

— Du calme ! Que t’arrive-t-il ?  

Sohan pris une longue sa respiration avant de s’écrier d’une voix bouleversée.  

— C’est mon frère ! Nahel !  

L’anxiété gagna à son tour Pierre. Un nouvel incident se serait-il produit ? Son cœur s’accéléra. Une légère douleur survint dans sa poitrine, suivie de fourmillements dans son bras gauche.  

— Qu'y a-t-il ? s'inquiéta-t-il en ouvrant et en refermant la main pour atténuer cette sensation d’engourdissement.  

— Il a disparu !  

Les yeux de Sohan s’agrandirent de peur à l’idée de perdre son petit frère de dix-huit ans.  

— Disparu ? (Un homme ne se volatilisait pas ainsi.) Tu l’as cherché partout ? Dans le campement et dans le temple ? 

— Oui. Il n’est nulle part, affirma Sohan tout regardant autour de lui, dans l’espoir de découvrir Nahel au détour d’une tente. J’ai fouillé de tout les côtés. Personne ne l'a vu.

Le visage de l'archéologue devint grave. Cette absence inexpliquée ne laissait présager rien de bon.  

— Où a-t-il été vu pour la dernière fois ?  

— Il déchargeait un sac de gravats dans l’endroit habituel, aux abords du temple. Après plus personne n’a eu de nouvelles. (Il agrippa le bras du vieil homme et s’écria d’une voix bouleversée.)  Il faut le retrouver !  

— Ne te tracasse pas. Je vais le chercher et découvrirais où il se cache, dit-il d’un ton calme en posant sa main sur son épaule.   

Une lueur d’espoir éclaira le regard de Sohan. Il crispa ses doigts autour de l’avant-bras de son patron, accentuant sa douleur et ses fourmillements.  

— Vraiment ? 

— Oui, promit-il d’une voix rassurante (il détacha la main qui comprimait sa chair.) Tu peux travailler l’esprit tranquille.  

— Merci, Mr Pierre, répondit-il avec gratitude.  

Il le salua de la tête et repartit en courant vers le temple.  

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