Agatha entend la porte grincer en s’ouvrant. Elle se recroqueville contre le mur, voulant s’y enfoncer et disparaître. Quand Christobal voit apparaître sa maîtresse, il émet un bruit pouvant passer pour un ronronnement de dragon. Pétunia, guillerette, s’avance vers sa prisonnière et lui tend une main grasse. Agatha, méfiante, ne réagit pas.

— Tu es libre.

— Vraiment ?

— Oui. Ton père est venu te sauver donc tu peux partir.

Agatha délaissant la main tendue se relève seule.

— Et où est-il ?

— Quelque part. Ça ne te regarde pas.

— Je ne m’en vais pas sans lui !

— Petite sotte ! Tu n’as pas le choix ! Tu débarrasses le plancher ou je te donne à manger à Christobal !

L’enfant se tourne vers le dragon et a la désagréable impression qu’il se pourlèche déjà les babines. Les épaules basses et le dos voûté sous le poids du chagrin, Agatha obéit à Pétunia et quitte le château. La jeune fille emprunte, pour le chemin du retour, des sentiers sinueux à l’orée du village qui sont uniquement éclairés par la lumière douce et apaisante d’une lune ronde. L’adolescente a soif, faim, et surtout, se demande ce que son père a dû accomplir pour la sauver. Lorsqu’elle franchit la porte de chez elle, sa mère cuisine une ratatouille aux couleurs de l’été, tandis que le petit chaperon rouge (Cerise, de son vrai prénom) prépare une galette de maïs.

Installé à la longue table en chêne, Steeve sculpte un cheval de bois. Quelques copeaux sont éparpillés sur des journaux. Angéline regarde tendrement sa fille:

— Tu as passé une bonne journée ma chérie ?

Agatha, un peu perdue, considère sa mère, puis le prince charmant, qui lui fait des signes énigmatiques.

— Euh oui.

L’enfant comprend qu’Angéline ignore tout de son enlèvement.

— Ton père n’est pas rentré. Steeve m’a expliqué qu’il était parti délivrer une pauvre femme, coincée en haut d’une tour à cause d’une méchante magicienne. Je doute qu’il soit à l’heure pour le souper

— Ah.

Agatha blêmit, sachant très bien que son père doit toujours être dans le château des sœurs Sinistrel. Sa mère se méprend sur son inquiétude et tente de la rassurer d’une voix douce.

— Il n’y pas lieu de s’angoisser. Thomas a l’habitude de ce genre de mission. Il est le chasseur. Il ne lui arrivera rien, j’en suis persuadée.

Agatha esquisse un faible sourire et s’installe à table, face au prince charmant. Ce dernier lui adresse un regard furtif puis se lève.

— J’ai l’impression que cette ratatouille va manquer de carottes. Viens Agatha, allons en ramasser un peu plus au potager.

Docile, Agatha le suit. Sa mère hausse les sourcils d’un air surpris.

— Mais je ne mets pas ce légume dans mon plat.

Le prince charmant, qui a été invité pour le repas du soir, marmonne d’un ton bourru.

— J’adore les carottes.

— Bon, si tu y tiens.

Agatha accompagne donc Steve au potager, derrière la maison. La nuit d’un bleu profond parait scintiller délicatement avec ses étoiles d’un jaune presque blanc. Au loin, un hibou entame une longue complainte. Le décor rendu menaçant par l’obscurité, est amplifié par le bruit du vent qui passe en gémissant dans le feuillage des arbres.

— Où est ton père ? demande le prince charmant avec empressement.

— Je ne sais pas. Je crois qu’il est encore au château. Pétunia m’a juste ordonné de partir, et dit qu’elle s’était arrangée avec mon papa.

— Bon, je vais aller le chercher. Surtout, ne raconte rien à ta mère. Je te promets de revenir avec lui.

— J’espère, mais fais attention à toi… elle a un dragon !

Agatha se hausse sur la pointe des pieds et embrasse la joue de celui qui va, elle en est certaine, sauver son père.