Chapitre 18 : Un marché dans les ténèbres

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La sorcière, toujours disimulée dans les ténèbres, gronda de sa voix tortueuse :

  • Tu as du culot de venir me voir alors que j'ai maudit ta famille. Visiblement, tu ne sais pas pourquoi j'ai jeté mon sort sur Franck Lavallière, sinon tu ne serais sûrement pas venue aussi aveuglément dans mon domaine. J'ai bien envie de te dévorer vivante juste pour ta témérité.

Lucie déglutit. La dévorer vivante ? Elle ne savait pas s'il s'agissait d'une éxagération mais le ton de la sorcière lui laissait croire que non. Celle-ci poursuivit :

  • D'un autre côté, tu as détruit l'un des golems de mon jardin. Petite sotte ! Pour ça aussi je devrais te dévorer vivante ! Mais les golems son très coûteux à produire et il me faut bien une compensation pour ce que tu m'as fait perdre.

La jeune femme serra son poing sur le drap du lit. Elle redoutait ce que la sorcière allait dire :

  • J'ai bien pensé à prendre le renard de feu pour moi, mais il est dans un sale état. Je ne suis pas spécialisée dans...
  • Qu'avez vous fait à Moz ! s'écria Lucie.

Mélopée resta silencieuse un instant, puis une vague de douleur traversa instantanément la jeune femme ; qui hurla et se retourna sur le lit avant que la sensation ne se calme. Elle n'avait plus le contrôle, même pas un petit peu, sur les sorts de la sorcière.

  • Pour l'instant, je garde le renard en vie quelque part. Mais cela ne te regarde plus, il est à moi maintenant et j'en ferais ce que je voudrais.

A ces paroles, Lucie ressentit une immense sensation d'impuissance et de désespoir. Son compagnon était ce qu'elle avait de plus précieux, le perdre était insurmontable. Comme par un ultime reflèxe de survie, elle hurla toute sa détresse à pleins poumons. Mais très vite, un goût extrêment salé se manifesta dans sa bouche et la fit tousser à plusieurs reprises : elle eut la gorge sèche et ne put bientôt plus parler. En face, la sorcière jubilait de son pouvoir :

  • N'essaye pas de m'énerver encore plus, ça ne t'apportera que des ennuis.

De nouveau, sa voix prit totalement possession de Lucie, si bien que celle-ci se retrouva encore paniquée par les échos de chacun des mots de la sorcière : toutes les créatures les plus viles du monde semblaient sortir de sa bouche à ses paroles.

  • Les golems sont des êtres artificiels magiques très complexes à fabriquer, tu sais.

Mélopée continuait, en ignorant totalement les tentatives de cris de Lucie :

  • Il m'a fallu toute ma vie pour me constituer ma collection. Et la pièce que tu m'as fait perdre vaut largement plus que ta misérable petite vie. Alors j'ai réfléchi au meilleur moyen de tirer parti de tout ça...

Un horrible sourire se dessina dans la sombre silhouette :

  • Puisque tu as l'air d'avoir quelques compétences en matière de magie, j'ai décidé de te faire travailler pour moi jusqu'à ce que ta dette soit remboursée.

Lucie ne répondit rien, restant toute tremblante sur le matelas, ce qui semblait énerver encore davantage la sorcière :

  • Est-ce que tu entends ce que je te dis, esclave ?

La colère montante qui teintait sa voix força la jeune femme à se redresser. Elle hocha la tête à toute allure pour faire comprendre à Mélopée qu'elle saisissait bien où elle voulait en venir. Celle-ci continua donc :

  • Bien. Par contre, ne te méprend pas sur mes intentions. Tu n'as aucune chance de repartir d'ici dans tous les cas : dans un an, tu auras payé ce que tu me dois et alors je te tuerais. D'ailleurs le simple fait de te voir m'insupporte déjà à tel point qu'il m'est difficile de te laisser en vie pour toute une année.

Lucie parvint à se calmer et fronça les sourcils. Ce vieux monstre lui proposait vraiment un tel marché ? Mélopée ricana :

  • Bien sûr, j'ai pensé que tu préfèrerais peut être mourir plutôt que me servir, ou que tu esseyerais de t'enfuir. C'est pour ça que je garde ton renard : dans un an, si tu es une bonne esclave, tu m'auras si bien remboursée que j'aurais les moyens de guérir cet animal et de le relâcher. Mais s'il te venait à l'idée de me jouer un tour, je le tuerais sur le champ ; qu'en penses-tu ?

L'ombre maléfique semblait se délecter de chaque goutte de sueur qui perlait sur le front de Lucie.

La jeune femme était dans l'impasse, condamnée. Le mieux qu'elle pouvait choisir n'était qu'un sursit d'un an. Et elle n'avait aucune garantie pour la vie de Moz. Avait-elle fait tout ça pour rien ? Etait-il temps de regretter d'être venue jusqu'ici ?

Elle jeta un coup d'oeil à sa main écarlate : une cicatrice en barrait le dos, mais pour l'instant, il n'y en avait encore qu'une seule. A la moindre hésitation, une nouvelle plaie naîtrait et la sorcière pourrait admirer avec délice les regrets qu'elle nourrissait. De plus cette cicatrice qu'elle avait déjà n'aurait plus aucun sens si elle abandonnait maintenant. Lucie serra le poing, elle n'avait pas fait tout ça pour rien. Il était temps d'être forte : la vraie épreuve ne faisait que commencer.

Ravalant sa salive, elle leva un regard franc vers l'ombre repoussante qui se dressait au dessus d'elle en attendant sa réponse : elle avait un plan. Cette fois lorsqu'elle parla, ce fut avec une voix claire et distincte qui ne laissait deviner aucune crainte ou incertitude.

  • J'ai une meilleure idée : je vais travailler pour vous dix ans.

Même dans l'obscurité, Mélopée trahit son étonnement. Lucie s'expliqua :

  • Je vous servirais dix ans, le temps de rembourser votre golem et d'acheter la vie de Moz ainsi que la mienne, plus l'annulation de ma malédiction. Pour tout ça je travaillerais sans relâche dix, quinze ou même vingt ans si nécessaire ! Car pour ma liberté je serais bien plus efficace que sous chantage et en tout ce temps, vous seriez beaucoup plus rentable qu'en un an, ça vous le savez très bien.

La sorcière siffla de colère dans le noir. Elle semblait outrée qu'une fois de plus, Lucie ne se montre pas totalement soumise à son empire.

  • Je peux aussi te forcer à travailler pour moi toutes ces années ! Petite idiote, tu n'as rien à négocier avec moi !

Mais Lucie sourit avec malice. Elle leva bien haut sa main écarlate :

  • Je vous croyais plus pragmatique. Cette main c'est à vous que je la dois, vous devriez savoir les contraintes qu'elle m'implique, non ? A chaque regret, une plaie s'y forme et fait baisser mon espérance de vie au passage. Si je travaillais pour vous avec comme seul horizon ma propre mort, je ne pourrais m'empêcher de regretter à chaque seconde passante d'être venue jusqu'ici ; donc ma main se couvrirait de blessures et je ne vivrais que quelques semaines tout au plus.

Mélopée resta stupéfaite dans son ombre, tandis que Lucie affichait un sourire triomphal.

  • Vous ne pouvez pas me contraindre sans me tuer, et le chantage ne marche pas. Alors maintenant je crois qu'on est fixées, pas vrai ? Et si je me mettais au boulot ? J'imagine que j'ai du pain sur la planche.

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