Chapitre 1 : Celle qui pointe du doigt l'horizon

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Le soleil baignait les montagnes d'une lueur chaude et d’une atmosphère pesante ; même le chant des grillons semblait alourdi par ce climat. Toutefois, un vent frais striait les hautes herbes de reflets étincelants, donnant au paysage un aspect miroitant et rafraichissant.

Sur une de ces collines verdoyantes, les ruines pierreuses d’une moitié d'amphithéâtre témoignaient de la richesse passée du lieu tout en lui conférant une aura mystérieuse. L’arène centrale était recouverte de végétation tandis que les gradins étaient dégradés et fissurés. Une petite fille était pourtant assise parmi ces immenses vestiges. Elle croquait dans une pomme rouge bien juteuse, et faisait face à une vue époustouflante : là où aurait dû se tenir la seconde partie des gradins, il se trouvait une chaîne de montagnes rocailleuses aux pics enneigés qui s’allignait dans le lointain. C’était un monde sauvage qui s’étendait là, des frontières que la civilisation n’avait pas encore franchies.

Derrière l’ancien amphithéâtre, quelques collines plus loin, Capitale-ville se dressait comme un fort où les hommes se repliaient. Entourée de murailles et remplie de bâtiments aux toits pointus, toute en hauteur, la cité réunissait culture et sécurité.

La petite fille ne connaissait ni l’un ni l’autre de ces deux univers si différents. Elle vivait dans les espaces intermédiaires où seules quelques maisonnées de chaûme, quelques champs secs et quelques troupeaux ruminants attestaient de l’activité humaine. Ici la liberté était de mise, mais les périls plus nombreux également. Car ces régions étaient pleines de ruines mystérieuses telles que cet amphithéâtre, où beaucoup d’êtres étranges se dissimulaient entre les pierres.

La petite fille avala la dernière bouchée de sa pomme et se prépara à partir quand quelqu’un entra dans l’arène par la porte principale. Il s’agissait d’une jeune femme aux longs cheveux blonds, qui avançait tout droit, tournant le dos au gradins, ce qui l’empêcha de remarquer la présence de l'enfant. Celle-ci savait qu’il existait des personnes mal intentionnées et se leva donc doucement pour partir furtivement, comme on lui avait dit de faire lorsqu’elle voyait des étrangers arriver. La jeune femme portait de surcroît une épée à l'éclat d'ambre accrochée dans le dos, ce qui lui donnait un air menaçant au premier coup d’œil.

Mais alors qu’elle était sur le point de sortir de l’amphithéâtre, la petite fille revint rapidement sur ses pas : deux hommes arrivaient. Ils portaient une tenue citadine emblématique de Capitale-ville, mais avaient un air sombre. La petite fille n’était pas habituée à voir ce genre d’hommes dans les environs et elle ne put réprimer le sursaut de peur qui lui vint. Elle décida de se réfugier tout en haut des gradins où elle espérait qu’on ne la verrait pas. Le chant des grillons s'affaiblit brusquement.

La jeune femme, au milieu de l’arène, ne sembla pas remarquer les hommes qui se rapprochaient des ruines. Elle pointait de son index droit les montagnes de l’horizon tout en disant des choses qui se perdaient dans le vent. Ses cheveux blonds se balançaient derrière elle, ainsi que la cape bleue qui virevoltait dans son dos. La petite fille remarqua également qu’elle portait un gant de soie blanche à sa main gauche.

Finalement, les gaillards entrèrent dans l’arène. Leur démarche était saccadée, un peu burlesque, mais ils n'émettaient cependant aucun bruit, ni par leur voix, ni par leurs mouvements. Ils ralentirent leur allure et s’écartèrent silencieusement l’un de l’autre tout en se rapprochant de la jeune femme : ils allaient la prendre par surprise.

Mais tout à coup un animal se précipita à leur suite en glapissant : il s’agissait d’un renard, un renard en feu. Les hommes firent volte-face à son arrivée, et la jeune femme en fit de même. Elle avait des yeux bleus très clairs qui exprimèrent la colère en apercevant ses deux poursuivants.

  • Vous ! Comment avez-vous pu me suivre jusqu’ici ?! s’exclama-t-elle.
  • Allons ma jolie, répondit l’un des hommes qui détourna ses yeux de l'animal. Tu avais l'air perdue en ville, alors on a voulu te suivre pour t'aider un peu, c'est pour ça qu'on est là.

Les deux compères ricanèrent à la suite de ces paroles.

La jeune femme resta silencieuse un moment, tout en jaugeant les deux hommes. Elle semblait sérieuse quand elle prit la parole :

  • Oups… Vous me voyez désolée si vous vous êtes inquiétés à cause de moi.

Les hommes perdirent l'équilibre sous la surprise. La jeune femme ne semblait pas avoir comprise leurs réelles intentions ; peut être était-elle plus bête qu'elle ne semblait l'être.

  • Cependant, reprit-elle. Ne vous en faites pas pour moi, je ne suis pas perdue.

Ils ricanèrent de plus belle.

  • Ce n'est pas grave, viens avec nous quand même. La nature est dangereuse par ici, ce n'est pas recommandé de cheminer seule dans les landes. Retournons à Capitale-ville, on va bien s'amuser tu verras.

La jeune femme fit la moue.

  • Franchement là, vous ne me laissez pas le choix, dit-elle.

Elle leva alors ses deux mains et les tendit vers les hommes paumes dressées. Ceux-ci eurent un mouvement de recul, comme un reflexe craintif devant ce geste ; puis, voyant que rien ne se passait, ils s'échangèrent un regard et commencèrent à s’approcher. Mais soudainement, ils se heurtèrent à un obstacle invisible. Tentant d’avancer, ils semblèrent se cogner contre le vide et ne pouvaient décidément plus faire un pas. La jeune femme marcha vers eux.

  • C’est… bégaya subitement l’un des hommes. C’est une sorcière !
  • Quoi ?! fit l’autre.

Une peur panique marqua son regard.

  • Excusez-nous ! Nous n'aurions pas du !

Mais la jeune femme semblait contrariée et elle ne les laissa pas continuer : elle défourailla son épée d’un geste expert et en frappa les deux hommes, qui tombèrent au sol après qu’elle ait rengainé. Un flot de sang noir gicla dans l'herbe en mouchetant les pierres de l'amphithéâtre.

  • J'en étais sûre.

La jeune femme allait se retourner vers les montagnes baignées de soleil quand un petit cri strident la fit regarder du côté des gradins : le renard en feu grognait contre une enfant apeurée qui se recroquevillait dans l'ombre des marches de pierre. La jeune femme soupira et monta les gradins :

  • Moz ! Ça suffit maintenant, tu vois bien que c’est une petite fille.

Le renard dressa ses oreilles de feu, cessa de grogner et s'assit sans quitter l'enfant des yeux. Sa maîtresse le rejoignit rapidement. La petite fille resta cependant recroquevillée de peur et n’osait toujours pas faire un geste. L’animal était entièrement enflammé mais il ne brûlait pas, il était fait de feu. La jeune femme ôta le gant qui lui couvrait la main gauche : sa peau était d’une couleur vermeil vive qui contrastait avec le reste de son corps, elle semblait aussi sèche et craquelée. Puis elle adressa une caresse au renard Moz de sa main rouge, récompense à l'obéissance.

  • Tu n’as pas à avoir peur, dit-elle finalement à la petite fille. Moz est un gentil renard. Quand à moi je m’appelle Lucie, Lucie Lazulie, enchantée.

La petite fille leva des yeux craintifs et regarda Lucie, puis sa main rouge et craquelée, puis son renard de feu, puis les hommes étendus morts dans l'herbe en contrebas, et s’évanouit sur le sol. C’en était trop pour une seule journée.

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