Papillon

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Il faut beaucoup de courage pour aller à la piscine en plein mois de décembre alors qu'un vent glacial souffle dehors. Ce soir-là, la motivation d'Ugo était quelque peu émoussée et il faillit faire demi-tour sur le parking du centre aquatique. Il se raisonna cependant, convaincu qu'une bonne séance de natation lui ferait le plus grand bien. Après tout, la température dans une piscine était la même toute l'année et s'il y avait bien un sport qui s'affranchissait des conditions climatiques, depuis l'invention des piscines couvertes, c'était bien la natation.

Le portable d'Ugo vibra.

  • T à la piscine ? lui demanda Lowan par SMS.
  • Oui, tkt, chuis là. Toi ?
  • Oui, déjà en maillot. T où ?
  • Sur le parking. A+.

Il entra dans la piscine, son gros sac de natation sur le dos, rempli de palmes, plaquettes de différentes tailles, lunettes d'endurance ou de compétition, élastiques, tuba, bouteille d'eau... Il se dirigea vers les cabines pour se déshabiller et revêtir son plus beau jammer. Il enleva ses vêtements qu'il plia soigneusement et plaça sur ses chaussures. Une fois nu, il prit son jammer dans le fond de son sac. Il était froid après une journée entière passée dans la voiture sur le parking de sa résidence. Comme à son habitude, il mit le pied droit sur le banc de la cabine et enfila la jambe droite de son jammer qu'il remonta très haut sur sa cuisse. Il passa ensuite la jambe gauche et la remonta à la même hauteur. Il le remonta jusqu'à la taille en le tirant par la ceinture, mit en place son paquet et noua le cordon. Pour finir, il ajusta le bas du jammer juste au-dessus du genou. Il mit ses lunettes et les pressa fortement contre ses yeux en s'aidant de la paume de ses mains. Il cacha ses cheveux blonds sous un bonnet de bain. Ses affaires trouvèrent place dans un casier et il se dirigea vers les douches, puis la piscine.

Ugo sauta dans l'eau et salua Lowan de la traditionnelle double-tape-dans-la-paume. L'eau lui sembla froide. Elle était pourtant à vingt-huit degrés comme d'habitude. Ugo s'élança pour ses mille-cinq-cents mètres de nages variées pour s'échauffer. Vingt-cinq minutes de nage en douceur pour réveiller ses muscles et éviter les claquages. Ce jour-là, Ugo et Lowan devaient peaufiner leur papillon. Ugo ne le nageait que depuis quelques semaines mais avait déjà acquis un beau mouvement d'ondulation. La nage était de loin la plus belle et spectaculaire, mais également la plus difficile car elle demandait force, souplesse et synchronisation. En quelques semaines, Ugo avait appris à détendre son papillon, au départ trop saccadé, trop raide, trop précipité, trop en force, trop trop trop en tout. Il ondulait à présent en souplesse dans un beau mouvement du bassin qui se prolongeait en une sinusoïde parfaite jusqu'à l'extrémité de ses pieds.

Ugo remarqua un homme dans la ligne d'eau des nageurs semi-rapides. Ses gestes étaient lents mais cependant il avançait à bonne vitesse, grâce à ses longs membres et à sa technique efficace. Il aurait sûrement pu nager plus vite mais il semblait ne pas vouloir forcer davantage.

Ugo et Lowan s'élancèrent pour un dernier sprint de vingt-cinq mètres que Lowan gagna. Arrivé au bout de la ligne, Lowan indiqua qu'il allait terminer par deux-cents mètres de crawl histoire de bien se fatiguer. Ugo resta en bout de ligne pour récupérer en regardant les autres jeunes nageurs, leurs pectoraux gonflés par l'effort, leurs dos élargis par des heures d'entraînement ainsi que la finesse de leurs bassins ondulant sous l'eau dans un vigoureux mouvement de dauphin lors des coulées. Lowan fit un virage culbute en prenant soin de frôler Ugo puis de l'éclabousser au passage. Ugo détourna la tête pour éviter les gouttes et revit cet homme rapide dans la ligne voisine. Il reconnut Philippe Schwall au moment où celui-ci sortit la tête de l'eau.

Ugo fit un sourire à Philippe qui le lui rendit. Philippe n'avait pas encore reconnu Ugo dont les cheveux étaient cachés par son bonnet. Ugo félicita Philippe pour sa technique de nage, se gardant bien de lui faire remarquer le manque de tonicité, d'explosivité et de souplesse. Il ne savait pas que Philippe avait perdu à jamais la souplesse. Philippe le remercia et il reconnut alors la voix d'Ugo.

  • Ah mais c’est monsieur Ugo, dit Philippe, je ne vous avais pas reconnu sans votre tignasse blonde.
  • Merci pour la tignasse, dit Ugo en riant. Vous nagez souvent ? Vous nagez bien.
  • Merci. Je viens deux ou trois fois par semaine, mais je ne suis pas très rapide. J’ai plus votre âge. Vous êtes venu tout seul ?
  • Non Lowan est dans la ligne, c’est lui qui éclabousse tout le monde à chaque virage. Il est en train de terminer.

Ils parlèrent de leurs techniques de nage et Philippe indiqua à Ugo qu'il avait été impressionné par la maîtrise du papillon. En lui parlant, Philippe cherchait inutilement le regard bleu d'Ugo derrière le verre irisé de ses lunettes. N'y parvenant pas, il ne put s'empêcher de jeter des regards curieux et furtifs en direction des pectoraux d'Ugo et de ses abdominaux gonflés par l'effort. Ugo remarqua que Philippe avait gardé de belles formes de nageurs, malgré son âge. Elles étaient légèrement alourdies par une fine couche de graisse, qui semblait bien implantée sous sa peau. Le travail sédentaire de Philippe ne lui permettait pas de consacrer suffisamment de temps à l'exercice physique pour pouvoir maintenir un corps sec, ni d’ailleurs son amour des desserts. Ils discutèrent jusqu'à ce que Lowan eût fini ses deux cents mètres de crawl. Voyant Ugo et Philippe en pleine conversation, Lowan repartit pour deux-cents mètres de dos crawlé dans un rythme plus lent de récupération. Durant leur conversation, qui s'en tenait à des détails techniques et échanges de points de vue sur la bonne position de la tête vis-à-vis des bras lors des respirations de papillon, Ugo remarqua les regards de Philippe sur son corps. Philippe complimenta Ugo sur sa silhouette de nageur en simulant un avis purement technique de sportif alors que s'exprimait un esthète adorateur d'éphèbes.

La cloche sonna l'évacuation des bassins et les nageurs se dirigèrent vers les vestiaires. Sous la douche, Philippe continua à observer Ugo savonner son corps et ses cheveux blonds enfin libérés d'un bonnet trop serré. Ugo ne le laissait pas indifférent. Lowan était pourtant plus grand et mieux proportionné, plus musclé qu'Ugo avec une belle peau dorée, mais il ne fascinait pas Philippe. Son attirance envers son jeune étudiant n'était pas que physique. Une fois de plus, Ugo sentit le regard de Philippe et feignit maladroitement l'indifférence. Il sembla toutefois rougir, un peu gêné devant Lowan. Ils sortirent de la douche et se dirigèrent vers les cabines, mais au moment où Ugo passa devant les vestiaires collectifs, il y pénétra en jetant un œil dans la direction de Philippe qui le suivait. Le cœur de Philippe sursauta et se mit à battre plus fortement. Il entra lui aussi dans le vestiaire vide. Ugo était là, tourné vers le mur, séchant son corps nu, dans des mouvements animés d'imperceptibles tremblements d'excitation. Philippe se sécha également, les yeux tournés vers le jeune Ugo qui représentait pour lui une tentation presque irrésistible. Habillé, Ugo sortit du vestiaire, lançant à Philippe un regard énigmatique. Il marqua une courte pause en se retournant dans l'embrasure de la porte et lui lança un « au-revoir » insignifiant mais d'une voix étranglée qui trahissait la timidité.

De retour dans sa petite chambre d'étudiant, Ugo se coucha et pensa au regard de Philippe sur son corps, prêtant à son professeur des pensées malsaines qu'il se refusa à interpréter plus profondément.

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