Chapitre 5

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« Le chevalier Martin n’a pas souhaité me livrer son nom. C’est un homme entre deux âges, prématurément abîmé par la vie, rompu au combat, d’après ce que je peux voir de ses gestes et de son corps souple. Il se méfie de moi ou plutôt du comté que je représente, ce qui me laisse supposer qu’il a certainement participé à des raids sur les frontières toulousaines. Il est discret sur sa personne mais particulièrement prolixe sur les évènements qui secouent la région. À tel point que j’ai eu du mal à faire le tri entre les superstitions et les faits, c’est pourquoi je dois absolument en garder une trace écrite pour ne pas me laisser tourner la tête par les croyances des gens ignorants du coin.


Cela a commencé après un petit tremblement de terre, dans la région de Castelloubon. La première disparition fut celle d’un berger en chemin pour une grange, juste au-dessus de Juncalas. La suivante, plus marquante, fut celle de toute une ferme, située non loin de l’ancien château des vicomtes du Lavedan qui y vivent encore de temps en temps, mais qu’ils n’usent plus en tant que résidence principale. Cela portait à onze le nombre de disparus. Le comte de Bigorre avait sommé le vicomte de Lavedan de faire quelque chose mais malgré les efforts de ce-dernier, on ne trouva pas la moindre piste pour expliquer les faits. Le comte avait alors envoyé une petite troupe sous les ordres d’un prêtre particulièrement érudit pour ne voir revenir qu’un écuyer, rendu fou par ce qu’il avait vu, et répétant sans cesse que « les Ténèbres avançaient à l’ombre de la montagne ». Il finit par se donner la mort en se jetant du haut du donjon. Le comte a alors demandé l’aide de Toulouse. Les serfs ne se déplacent plus qu’en formant des troupes armées, ralentissant d’autant le travail aux champs ou dans les ardoisières. Le seigneur ne souhaite pas laisser la vallée dans un tel état de terreur.


Martin est parti depuis une bonne heure que j’ai mise à profit pour aménager sommairement la grotte qui autrefois abritait nos escapades, à mes jeunes camarades et moi, quand nous osions nous aventurer aux portes de la vallée. Le bois des petits meubles avait pourri depuis des lustres, au contraire de la table en chêne massif que nous avions taillé et travaillé de nos propres mains. Je me pris à sourire en chassant la poussière sur le bois poli par les années. Charles était mort lors du siège d’Antioche, Centot avait laissé la jambe et la vie quand nous avions pénétré dans Jérusalem. Louis et Jean qu’étaient-ils devenus, eux qu’on avait obligé à rester sur les terres ancestrales ? Je suis un imbécile de songer à eux, car il n’est nullement question de me faire reconnaître auprès des personnes qui me côtoyaient autrefois et si par un hasard malencontreux quelqu’un venait à mettre un nom sur mon visage, je nierais tout simplement. Au-dehors, le soleil brille. Je vais attendre encore une heure en espérant qu’elle arrivera d’ici là. Je ne peux pas commencer mon enquête sans elle ».

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