Chapitre 3

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« Je n’aimais pas le tour que prenait cette mission. Le comte de Toulouse m’avait tiré de ma retraite. Je ne souhaitais pourtant qu’une seule chose : rester loin du monde, ne plus rien avoir à faire avec les turpitudes de la vie. Enfermé dans mon monastère, je comptais bien y mourir le corps en paix, à défaut de l’esprit. Quand le comte en personne se déplace pour vous supplier de reprendre les armes, qui aurait le courage de refuser ? Certainement pas moi. Les frères qui m’accueillaient me virent partir avec respect et grande peine, sachant ce que j’avais enduré en Terre sainte et se doutant que la mission pour laquelle ma présence était requise serait de la même teneur. Les hurlements de mes nuits déchiraient avec régularité le sommeil de l’abbaye, projetant contre les murs froids de ma chambre les souvenirs des horreurs innommables que j’avais affrontées dans les vieilles cités ensablées, depuis longtemps oubliées des mortels, dans des déserts où l’homme se perdait facilement, corps et âme, sans espoir de revenir un jour à la réalité. J’étais pourtant revenu, avec pour seule compagne la peur, unique survivant de la compagnie de cinquante chevaliers aguerris dont je n’étais qu’un simple rouage protégeant celle dont je tombais amoureux au premier regard. Encore aujourd’hui, loin des lieux abominables qui ont emporté mes frères d’armes, à l’abri dans la terre de mon enfance et de ma jeunesse, je ne me sens pas en sécurité. D’après ce que m’a raconté le comte, quelque chose rôde là, dehors, et ce n’est rien de naturel. Je ne sais pas pourquoi, mais je suis convaincu qu’à l’ombre de ces montagnes angoissantes se tapit un mystère dont la découverte déchirera la réalité, viendra à nouveau, comme là-bas au Levant, corrompre l’œuvre de Dieu… Dieu… Il sait que je n’ai plus foi en lui, pas après ce que j’ai vu, touché, tué…

Le berger a deviné, je suis là pour les Disparitions, à la demande du comte de Bigorre qui a requis, en dernier recours, l’aide du comte de Toulouse qui, à son tour, a demandé de l’aide à la Papauté. Mon nom a alors été évoqué. Me voilà donc sous mandat comtal, avec droit de vie et de mort sur quiconque dans le cadre de cette enquête. Avant toute chose, il me faut des alliés vers qui me tourner. Je ne doute pas que la cour du comte de Bigorre sera remplie de gens bien intentionnés à l’âme bellement pourrie. Je peux déjà faire confiance au berger, c’est un ancien croisé, de la première heure, comme moi. Mais lui n’a pas été au-delà d’Antioche, blessé pendant le siège durant lequel ce fou de Barthélémy découvrit la Lance sacrée. Je m’en souviens très bien, puisque j’avais eu l’honneur de protéger la Sainte Lance, lors de la sortie de la dernière chance, dans la bataille qui finirait en glorieuse victoire pour nous. Après cela, le comte de Toulouse, Raymond IV, avait obtenu que je rejoigne sa maison. Les missions étranges se succédèrent dès lors, me laissant à chaque fois un peu plus au bord de la folie. Le berger serait mon ultime retraite si je venais à échouer. Je vais laisser ici, sous sa discrète mais fidèle garde, l’épée qui me sert d’ordinaire à terrasser les engeances venues des tréfonds des pires cauchemars des Hommes. Je n’ai qu’une hâte : que celle qui me suit comme mon ombre arrive dans la nuit, que je puisse l’enlacer, l’aimer et me perdre dans son parfum oriental qui seul peut me réconforter quand j’erre dans le Monde. Je sais qu’elle est en chemin, car j’ai demandé au comte de Toulouse de la faire venir. Elle est encore loin pourtant, je le sens, et mon corps tout entier se languit de la caresse de ses mains brunes, de ses lèvres mauves, de ses seins lourds et ronds aux pointes carmin qui se dressent quand je les effleure de mes doigts calleux… Sur le souvenir de son souffle je vais m’endormir. »

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