La dernière danse

de Image de profil de Anne Cécile BAnne Cécile B

Avec le soutien de  sergent, Laroutourn 
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Image de couverture de La dernière danse

Dans la pénombre des coulisses, la voix du présentateur résonne, annonçant la prochaine partie du spectacle.

Assise sur un banc, elle resserre une dernière fois sur les chevilles les rubans de satin des pointes, puis se précipite à la suite des autres jeunes filles pour faire son entrée sur la scène plongée dans le noir.

Seuls les tintements des clochettes qui pendent des diadèmes fleuris trahissent l'arrivée du groupe. Celui-ci se déploie, dans le silence, en demi-cercle, devant les yeux aveuglés par l'obscurité de l'assistance.

Elle retient sa respiration, le trac n'a pas disparu malgré la longue succession de représentations, ces dernières années.

Enfin, les trompettes de Coppélia donnent le signal de l'illumination, sous le regard ébloui des spectateurs, enchanté par le tableau qui s'offre à eux, dans le chatoiement des costumes chamarrés, brodés de motifs délicats.

Elle est prête, le buste fièrement dressé dans la posture de la tancerz, les poings campés sur les hanches.

Répondant aux assauts répétés des violons, elle s'élance en manège autour de ses sylphides compagnes, glissant gracieusement sur le parquet de bois. Elles sont si légères que pas un moment il ne grince sous les pieds agiles qui semblent ne pas toucher terre.

Ses bras se sont ouverts comme pour embrasser le public, et viennent bientôt s'enlacer autour de ceux d'une autre ballerine.

Pas chassés, cabrioles, sauts de chats s'enchaînent alors que le rythme s'apaise et que la grosse fanfare laisse la place au doux son des flûtes.

Les danseuses se font face, se contournent, s'entremêlent en un ballet aérien mais impitoyablement rythmé.

Le tulle des jupons se ploie et ondoie au battement des timbales, les corsages joliment ajustés soulignent l'orgueilleuse cambrure des reins.

Toute la majesté de la Pologne emplit la salle, à la cadence des échappés, martelée par les talons qui se rejoignent dans un mouvement brutal mais parfaitement coordonné.

Quittant le corps de ballet, elle s'apprête à faire son solo.

Piqués, retirés, sissones, déboulés et entrechats se succèdent avec la facilité donnée par l'habitude.

Se hissant en une arabesque éthérée, elle s'exhibe, mais la gloire de façade ne durera pas.

In petto, elle grimace, l'attitude lui coûte, l'équilibre broie ses pieds déformés par l'exercice, dans l'embout de bois des pointes. Elle lui a coûté des années de dur labeur, d'exercices incessamment répétés à la barre, des journées entières durant, sous la sévère surveillance du professeur.

En pure perte.

Les yeux qui l'admirent n'en perçoivent rien, n'en savent rien, ne comprennent pas que le corps et l'âme sont éprouvés.

Malgré son acharnement à se conformer à toutes les exigences du Conservatoire, le verdict était tombé. Sans appel.

Trop grande pour faire une carrière.

Pourtant, elle ne se voyait pas si grande, mais force était de constater qu'elle dépassait de près d'une tête ses concurrentes.

Quelle disgrâce, un quadrille dépareillé ! Quelle disgrâce si de son partenaire, elle déparait !

La mélodie de la Mazurka commande son corps, mais en elle-même, une mélopée dissonante, plus actuelle, occupe son esprit:

" J'aurais voulu être un artiste"... "dans la vie, on fait ce qu'on peut, pas ce qu'on veut" chante une petite voix, lancinante, qui lui déchire le coeur.

Jamais elle ne s'appellera Odile, Odette, Gisèle... elle restera toujours désespérément elle, loin des projecteurs. Son étoile ne brillera jamais.

Désormais, chaque pas la rapproche inéluctablement de la sortie, puis le rideau se refermera sur elle, elle le sait.

L'assemblée salue sa courte performance, mais la chorégraphie veut qu'elle rejoigne aussitôt la cavalcade pour se figer bientôt dans la pose finale.

Le silence se fait tout à coup. La prochaine fois que la musique classique caressera ses oreilles, ce ne sera pas avant un long moment, peut-être par inadvertance.

Les mains battent maintenant à tout rompre, un public indulgent venu soutenir le gala annuel du Conservatoire. Et déjà, elle doit regagner l'ombre, pour toujours.

Bien des années plus tard, le corps fatigué par les multiples grossesses, elle mène ses élèves dans une farandole endiablée, au spectacle des écoles.

Un court instant, la magie opère à nouveau et elle s'oublie... "Noël Russe" chante-t-elle en choeur avec les enfants parés de kokoshniks et de toques en papier.

" Tu as fait de la danse? " lui demandent gentiment ses collègues.

" Ah ça..." répond-elle seulement.

Un sourire amer déforme alors ses lèvres. " Est-ce que ça se voit ?... C'est déjà ça..."

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1 chapitre de 3 minutes
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Table des matières

En réponse au défi

Pointes, demi-pointes

Lancé par Little Gly

Salut,

Je ne vais pas y aller par quatres chemins, pour ce défi, je vous propose d'écrire un petit oneshot sur le thème de la danse classique, c'est la seule chose que je demande. Cela peut être une histoire d'amour, un souvenir, une histoire de ballet que vous avez vous même imaginé voir une réécriture d'un ballet qui existe déjà (petit plus s'il y a des références), et que sais-je, peu importe. Pas de genre imposé.

Amusez-vous bien !

Commentaires & Discussions

La dernière danseChapitre49 messages | 2 ans

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