Chapitre 4

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Sandre se demandait si le trajet allait être plus pénible quand ils seraient sortis des montagnes, ou s'ils avaient déjà atteint le maximum. La marche en soit n'était pas un problème, ils prenaient les pistes les plus confortables possibles, et les conditions étaient très clémentes : ni trop chaud ni trop froid, pas de pluie, peu de vent, pas de risque de mauvaise rencontre. Bref, une promenade de santé pour les Laurussis. Mais il y avait ce troupeau d'elfes à balader. Bien que d'une condition physique correcte leur permettant d'avancer toute une journée sans trop râler, ils se traînaient quand même un peu. Ils ne semblaient pas non plus avoir avoir exagérément froid pour l'instant. Après c'était difficile à dire. Ils avaient tous à peu près la même tête, et leurs visages semblaient figés dans la même expression à mi-chemin entre une condescendance blasée et un agacement lié à la fatigue. Leur attitude était terriblement hautaine vis-à-vis des Laurussis. Sandre devait reconnaître que son propre peuple, avec sa fierté démesurée, n'était pas particulièrement chaleureux envers les étrangers en général. Mais là, combiné avec le snobisme à peine dissimulé des elfes, l'ambiance était tendue. C'était mal parti pour le grand symbole d'unité entre les peuples alliés.

Du coup, chacun restait de son côté le plus possible. Les elfes parlaient probablement de comment les Laurussis étaient arriérés et puants, et ces derniers se moquaient au coin du feu des manières guindées et de l'absence de pied montagnard des elfes. Le palanquin était une blague récurrente. Son occupant aussi d'ailleurs, les Laurussis riaient beaucoup en essayant d'imaginer quel genre de personne cela pouvait être. Sandre n'avait rien dit de ce qu'elle avait vu. Elle ne voulait pas créer de problème dans une situation déjà tendue. Et puis les idées de ses compagnons étaient bien plus drôles que la réalité.

Seuls les parleurs elfes échangeaient avec le parleur laurussi. Ils passaient un temps disproportionné à discuter pour organiser les aspects pratiques du voyage. Ça pouvait être dit en 5 minutes. Ils y passaient au moins une heure tous les soirs.

Il y avait aussi cette grande elfe, celle avec les armes, qui avait rentré la tête du prêtre dans le palanquin le premier jour. Parfois elle se joignait un moment aux Laurussis au coin du feu le soir. Au début il y avait eu un long silence gêné. Elle avait tenté de faire un peu connaissance, et avait réussi à échanger quelques anecdotes de chasse et de combats avec certains. Tout le monde s'était ensuite un peu détendu. Elle avait une attitude respectueuse contrairement à tous les autres elfes, et ne parlait pas pour ne rien dire. Elle avait des choses à raconter, ça se sentait, même si elle semblait surtout s'intéresser aux gens et les encourageait petit à petit à s'ouvrir sur leur peuple. Elle était très forte à ce petit jeu. Après, elle n'abordait que des sujets généraux et ne se montrait pas intrusive. Sandre aimait bien quand elle venait les voir.

Et tous les soirs il y avait le grand rituel de l'aération du prêtre. Ils le sortaient de sa boîte, lui mettait un drap sur la tête et l'emmenaient à l'écart pendant environ une heure. Probablement pour lui faire faire ses besoins... Si les elfes font ce genre de choses... Et c'était à chaque fois le branle-bas de combat. Il fallait que tous les Laurussis tournent le dos au palanquin, pour que personne ne puisse, ne fusse-ce que fugacement, apercevoir la silhouette au milieu de la nuit. En réalité, tout le monde avait fini par réussir à jeter un coup d'oeil discrètement. Les Laurussis n'aimant pas recevoir d'ordres, ils n'appréciaient pas trop ce petit manège, et compensaient en se moquant et ricanant sous cape. Sandre trouvait ça très amusant et n'était pas la dernière à relancer avec des bêtises. Elle se sentait tout de même un peu désolée pour le jeune elfe enfermé dans sa boîte. La métaphore de l'oiseau en cage lui revenait à chaque fois qu'elle se rappelait ses yeux vifs et son air curieux, probablement avide de tout ce qu'il y avait hors de ce palanquin, à commencer par l'air frais. Mais peut-être qu'elle s'imaginait des choses. Ce n'était pas vraiment important.

Sandre passait beaucoup de temps à l'écart du groupe. Un léger manque de sociabilité qui se combinait bien avec ses talents de chasseuse et de voyageuse. Elle partait souvent en éclaireuse pour reconnaître les chemins, repérer de la nourriture et anticiper les dangers. Le milieu était particulièrement hostile à cause des conditions naturelles. Il n'y avait pas beaucoup de prédateurs pour les humains mais, selon Sandre, on était jamais trop de vigilant dans ce genre de voyage. Le soir, quand les campements étaient installés, elle avait l'habitude de faire un tour des environs, et de bivouaquer légèrement à l'écart, si possible à un point d'observation stratégique. Elle avait le sommeil très léger, ce qui pouvait lui permettre de donner l'alerte ou d'intervenir en cas de menace. Lors de ses rondes de nuit il lui arrivait de passer à proximité du groupe d'elfes qui laissaient leur prêtre s'ébrouer à l'air libre. En général elle ne s'approchait pas, pour leur laisser un peu d'intimité et éviter de créer des problèmes.

Un soir que l'un des siens s'était montré particulièrement agaçant, elle était partie se coucher plus tôt. Après une reconnaissance nocturne des alentours, elle trouva un coin idéal pour passer la nuit. Le temps était encore clément et elle pouvait dormir à la belle étoile, moyennement un équipement adapté. Sandre aimait plus que tout être couchée dans le noir, en tête-à-tête avec le ciel, faisant face aux étoiles. Alors qu'elle commençait à s'endormir, les elfes sont arrivés avec leur prêtre pour sa sortie nocturne. Ils avaient choisi le même coin qu'elle. Elle les surplombait un peu, dissimulée par le relief et la végétation. Si elle ne bougeait pas, ils ne devraient pas la repérer, à moins qu'ils n'aient un odorat surdéveloppé ou une autre surprise de ce type.

Sandre les écouta un moment parler de leurs préoccupations d'elfes : principalement la pénibilité du voyage, et les humains sales et arriérés. Le prêtre les suppliait presque de le laisser marcher à leurs côtés. Au bout de quelques minutes, elle décida que ça l'intéressait moins de les écouter que de s'endormir en contemplant les étoiles. Elle glissa lentement dans un délicieux sommeil, bercée par le gazouillis de ces elfes qui, il fallait bien admettre, avaient de belles voix...

Un bruit la réveilla en sursaut. Un choc, des pierres qui tombent, des branches qui se fracassent, des exclamations. Puis ce silence inimitable du moment de tension avant la violence. Quelque chose se passait. Elle se saisit de l'une de ses armes, se redressa un peu puis rampa en direction du bruit pour voir ce qui se passait, en écartant quelques herbes hautes. Trois elfes lui tournaient le dos, regardant dans un talus qui plongeait abruptement : deux gardes et la grande elfe avec les armes. Cette dernière semblait remonter le prêtre, qui avait dû tomber dans le talus... Sandre, rassurée qu'il n'y ait pas de problème, ne put s'empêcher de regarder un moment la scène, amusée. Le prêtre semblait très gêné et se confondait en excuses, les gardes avaient l'air blasés, et la guerrière paraissait se moquer gentiment. Avec le ciel clair et la lune presque pleine, Sandre profita de l'occasion pour regarder en détail le fameux prêtre. Il était en effet plutôt jeune, bien que tout de même adulte. Son visage présentait des lignes nettes et anguleuses, adouci par des yeux immenses toujours brillants, et des lèvres généreuses et sensuelles, clairement dessinées pour être embrassées. Son regard et son corps étaient agités. Il était grand, mince, plutôt baraqué et, de l'avis de Sandre, beaucoup trop habillé. Oui il faisait froid, mais Sandre était curieuse de voir ce qui se cachait sous toutes ces couches d'habits. Sa façon de bouger captait définitivement son attention. Souple et ferme, il émanait de lui une énergie physique intense : clairement il ne passait pas sa vie allongé sur des coussins. Il y avait aussi dans ses mouvements une certaine forme de grâce et de sensualité. Pas comme un danseur avec des fioritures, non, plutôt comme un grand félin dont la beauté vient des mouvements épurés à l'infini pour être les plus efficaces pour tuer. Elle commençait à deviner le rapport avec son statut de prêtre du meurtre...

Elle fut tirée de sa contemplation appréciative lorsque leurs regards se croisèrent. Il l'avait repérée ! Alors que tous les autres lui tournaient le dos, le prêtre, lui, la regardait avec stupeur et intérêt. Elle soutint son regard avec beaucoup d'aplomb, un sourire en coin, et porta son indexe à ses lèvres. Il comprit le message et regarda ailleurs pour ne pas attirer l'attention des autres. Sandre se retira dans sa cachette et se rendormit rapidement pendant que les elfes quittaient la zone.

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