Chapitre XIX

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« L’ordre des éprouvés a été créé en l’an 41 du calendrier impérial, sous l’impulsion du pontife Maltun. Il souhaitait déposséder l’armée, et en particulier les Rachnirs, du monopole des armes que leur attachement au Saint Empire leur avait conféré. Ce contingent de la foi fut cependant dénaturé par les ordonnances de son successeur, le pontife Balmun, qui en fit un ordre religieux d’élite aux effectifs limités, abandonnant de ce fait le pouvoir militaire au corps des officiers Rachnirs. »

Histoire du Monde.

L’opération « moineau » avait débuté il y a plus de deux mois et déjà les résultats se faisaient sentir. Après avoir capturé un rebelle et l’avoir laissé s’échapper en ayant porté à sa connaissance de faux noms de traîtres la province s’embrasa. Il n’y avait plus besoin de troupes impériales pour que des massacres ne soient commis. Il arrivait qu’une patrouille débarque dans un village où pendaient les corps de dizaines de personnes tandis que des individus se présentant comme d’anciens rebelles se rendaient d’eux-mêmes de peur que la folie qui avait gagné leurs rangs ne se déchainent contre eux. Les récits de dénonciations, de tortures et de meurtres se multipliaient à tel point que la rébellion tua en quelques semaines presque autant de ses membres que l’armée durant une année pleine. Cette dernière se gardait d’ailleurs bien d’intervenir laissant ainsi prospérer ces sanglants règlements de compte.

Les séparatistes d’hier fuyaient et devenaient les alliés d’aujourd’hui ce qui, selon les rapports d’Alina, engendrait un cercle vicieux qui renforçait la fureur de Ludovic qui ordonnait toujours plus de traques, d’exécutions et de massacres. L’Amadine ne cessait pour sa part jamais d’entretenir sa paranoïa ce qui renforçait la confiance qu’il lui portait et accentuait les plus sombres facettes de sa personnalité. Celui qui avait auparavant voulu se venger de l’Empire qui avait tué deux de ses fils et fait bien pire au troisième était devenu, malgré lui, son agent le plus efficace. Les informations qu’il fallait jadis extorquer par la force étaient désormais spontanément révélées par ceux qui fuyaient le carnage opéré par leur chef. Les Amadins bien placés dans le mouvement et qui le désertaient se révélèrent de véritables puits à renseignements tante t si bien qu’après bientôt sept ans de conflit l’on pensa enfin en voir le bout. Bormo s’échinait pour sa part à remonter la trace des fournisseurs d’armes. Il parvint à arrêter une dizaine de passeurs et à faire exécuter pas moins de huit officiers impériaux corrompus qui gardaient leurs paupières closes contre de l’or.

Ces contrebandiers étaient forts ingénieux, il fallait le reconnaître. L’un d’entre eux transportait de simples lingots de fer que des forgerons transformaient en arme une fois la frontière passée. Un autre faisait mine de livrer aux autorités des armes saisies, sachant que ces dernières seraient conservées dans une cave auxquelles les Amadins avaient accès. Il les armait donc tout en étant payé par l’Empire pour cela. Enfin, un troisième enterrait dagues et lances dans un bois puis traçait un symbole discret mais reconnaissable pour que les rebelles les trouvent.

Tous ces contrebandiers étaient naturellement mandatés, directement ou indirectement, par le royaume d’Amadre. Lettres, sceaux ou aveux le prouvaient systématiquement. Il n’y eut qu’une seule exception. Il s’agissait d’un certain Alberic Chauneau, capitaine Amadin d’une trentaine d’années débarquant par bateau des caisses entières du meilleur armement existant. Il avait fallu réquisitionner pas moins de trois galères impériales pour attraper ce navire dont l’arrivée avait été révélé par un transfuge. Nulle armoirie n’ornait ses voiles ou sa coque mais le passeur n’avait pas reçu le moindre coup et à peine une ou deux menaces avant d’avouer travailler pour le duc Alphonse Marignet. Cette spontanéité avait surpris Bormo. La plupart des passeurs étaient motivés et œuvraient autant par intérêt que par désir sincère de lutter contre l’Empire. Il s’agissait souvent d’individus ayant quitté la province d’Orme suite à la défaite de leur pays et qui tenaient à participer à la reconquête. Ce qui était vrai pour de vulgaires paysans ou artisans devait l’être encore davantage pour un capitaine de nef à qui on n’aurait pas confié la direction d’un navire s’il n’était pas extrêmement fiable. Pourtant il avait été le plus coopératif de tous. Il répondait à toutes les questions sans opposer de résistance et ne manifestait aucun attachement pour son pays d’origine.

Les marins qui avaient été arrêtés avec lui disaient pour leur part avoir été recrutés à Port-la-Reine et n’avoir jamais vu leur capitaine avant cela. Bormo en était certain, cet individu ne venait pas d’Amadre et travaillait pour d’autres qui, si leur homme était pris, souhaitaient qu’on accuse le royaume ennemi de l’Empire. Suite à ces déductions l’éprouvé revint interroger l’homme à la barbe hirsute. Ce dernier fit mine de ne pas comprendre mais le Bilberin l’interrompit :

« - Ecoute-moi attentivement ! Je sais que tu ne travailles pas pour les Marignet ! Alors maintenant tu as deux options, soit tu me dis la vérité, je saurai la reconnaître, soit je te laisse aux mains expertes des purificateurs qui sauront tordre ton corps tout en préservant ton âme !

- Je ne sais pas de quoi vous parlez mais je vous jure que je vous ai tout dit… »

A ces mots Bormo bâillonna le captif et laissa entrer deux prêtres en toge marron avec les mains et le crâne brulés, un anneau sur le haut du nez et des clous enfoncés dans les bras car : « Celui qui fait souffrir doit avoir subi au centuple ce qu’il inflige s’il veut préserver son âme et démontrer sa répugnance à tourmenter autrui ». A la vue de ces deux bourreaux le capitaine Chauneau se débâtit et hurla sans que quiconque soit en état de comprendre quoi que ce soit. Les deux individus accompagnés de Bormo l’escortèrent sans un bruit jusqu’à un cachot duquel émanait une terrifiante odeur de peau brûlée et de sang séché. Des bruits qu’on aurait cru venus des enfers eux-mêmes émanaient de cette salle à même de faire regretter les plus sombres et plus profondes des oubliettes. Lorsque l’on ouvrit la porte la vision qui s’offrit au prisonnier le terrorisa comme nul ne peut l’imaginer s’il n’a jamais ressenti cette sensation d’abandon, de désespoir et de certitude de la souffrance à venir. Le fouet était ici le plus clément des châtiments. Il était réservé aux enfants. Il serait ardu de dire lequel était le pire. A droite on brulait les mains d’un homme, face à celui-ci on arrachait les ongles d’une femme et il ne s’agissait là que des supplices les moins sophistiqués. Dans ce lieu finissaient la plupart des prisonniers Amadins tombant entre les mains de l’Eglise.

Les deux prêtres attachèrent alors le capitaine à une table tout en lui découpant ses vêtements tandis que ce dernier hurlait à en baver sans que le bâillon ne lui permette de prononcer le moindre mot. Nu, paralysé, terrorisé par ce qui l’entourait, l’homme contractait ses muscles autant que possible dans le vain espoir de rompre les liens qui le retenaient. Le plus petit des deux tortionnaires sortit alors une très fine lame et parcouru du regard le corps du supplicié avant de s’arrêter sur son entrejambe. A cet instant Bormo ôta le bâillon qui retenait les paroles du malheureux :

« - Peut-être as-tu retrouvé la mémoire désormais.

- Je viens d’Angefeu, bafouilla-t-il en pleurant. Je ne sais pas qui est mon employeur, il m’a simplement payé pour mener mon navire dans la baie où vous m’avez trouvé tout en m’ordonnant de déposer mon équipage et de recruter des Amadins sur ma route. Il m’a dit que si j’étais pris je devrai dénoncer la famille Marignet et le royaume d’Amadre.

- Qui t’a ordonné tout cela ?

- Je ne connais qu’un intermédiaire !

- Décris-le moi !

- C’est un Akshus qui se fait appeler le luron, je le rencontre dans la taverne des deux phoques, il est gros, bien dégarni et avec de grosses joues. Pitié, laissez-moi, je vous ai tout dit… »

A ces mots Bormo posa son regard sur la pierre qui se tenait à droite du malheureux. Elle s’était mise à briller d’une lueur bleue suite à ses déclarations et n’avait pas changé de teinte ensuite.

« - Je te remercie ! Vois-tu la petite lumière ici ? Il s’agit d’une pierre de vie qu’on a enchanté pour qu’elle devienne bleue si l’on dit la vérité et rouge si l’on ment. Naturellement ces roches étant rares on les utilise le moins possible mais c’était nécessaire dans le cas présent. Mes frères, je le laisse entre vos mains.

- Qu’est-ce que vous faites ? Je vous ai tout dit ! Si vous avez d’autres question posez les moi !

- En effet ! Cependant je puis t’assurer que ce qui va suivre sera pour ton bien, bien que tu ne t’en rendes pas encore compte. Vois-tu si je te demande si tu crois en la damnation et en la salvation et que tu réponds oui, la lumière deviendra rouge. Ces gens sont là pour qu’elle devienne bleue. Qu’importe qu’en ce moment tu nous maudisses, nous sauverons ton âme ! »

Alberic cria de toutes ses forces, redoubla d’effort pour se libérer, beugla , jura, injuria, supplia et pleura sans effet ; ses hurlements de terreurs et de désespoir se perdant au milieu de ceux des autres suppliciés. La dernière chose qu’entendit Bormo avant de quitter ce lieu fut, d’un ton calme et posé :

« Crois-tu en la salvation des âmes pures ? »

L’éprouvé remonta du sous-sol, essuya machinalement la sueur qui perlait sur son front et s’en alla voir le gouverneur. Ce dernier le reçut un verre de vin à la main avec un large sourire :

« - Ah ! Bormo ! Comment allez-vous ? Les résultats de votre Amadine sont tout simplement prodigieux ! Toutes mes félicitations ! Je vous serre un verre ?

- Pourquoi pas ! Vous m’avez l’air de fort bonne humeur, vous avez reçu une promotion ?

- Ah ! Ah ! Comme vous êtes mesquin ! Il n’en est rien pourtant, c’est même plutôt l’inverse. Lorsque la province sera définitivement pacifiée un consul viendra me remplacer. Ceux-là ont vraiment la belle vie. Ils ne se salissent pas les mains, ne sont pour rien dans la prospérité de notre Empire mais en récoltent tous les fruits ! « L’honneur sans esprit mène à l’armée, l’inverse au consulat ! »

- Et que faut-il pour s’engager dans les ordres ?

- Les deux… Ou peut-être aucun j’avoue ne pas trop savoir ! En tout cas même si je ne peux plus vraiment monter en grade peut-être que le connétable pensera à moi pour sa succession ou au moins pour recevoir l’ordre de Granar ! Quel dommage que seul l’Eglise puisse récompenser les prêtres, vous mériteriez bien des éloges.

- Alina aussi, peut-être plus encore que moi.

- Oh ! Ne doutez pas qu’elle en aura ! Il est rare de voir d’autres officiers que des Rachnirs s’illustrer mais lorsque cela arrive je n’ai aucun mal à les récompenser ! Une Amadine capitaine ! L’Eglise sera ravie de ce modèle d’intégration ! Enfin, est-ce vraiment surprenant ? Les Amadins ne forment-ils pas la deuxième race guerrière de ce monde après tout ?

- Je compte sur vous. Je serai également ravi que vous lui transmettiez cette lettre en main propre lorsque vous la reverrez ! Pour ma part je vais devoir partir !

- Vraiment ? Pour aller où ?

- Disons que mes dernières investigations me font penser qu’Amadre n’est pas notre seul ennemi en ce monde. Je dois d’abord en référer à ma hiérarchie mais il se peut qu’ils m’envoient ailleurs, d’autant plus que ma mission est terminée ici. Les purificateurs et les aimants prendront la suite lorsque la calme se sera installé.

- Et bien trinquons à votre départ ! »

Le prêtre bu de bonne grâce avec le général. Lui aussi était de fort bonne humeur après tout et la compagnie de ce benêt aux multiples décorations ne lui était pas complétement désagréable tant qu’elle ne s’éternisait pas trop.

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