Chapitre VIII

9 minutes de lecture

« Les prêtres de la salvation assurent que c’est la création de l’Empire qui mit fin au dernier assombrissement. Pourtant force est de constater qu’entre le soulèvement de Madélion duquel il naquit et le regain de luminosité du Soleil, trois décennies s’écoulèrent, trois décennies durant laquelle cette nation nouvelle guerroya sans cesse et durant laquelle l’astre solaire semblait chaque jour un peu plus s’éteindre. »

Histoire du Monde.

Hango avait naturellement envoyé l’ensemble de ses découvertes à son maître Fanish qui lui avait conseillé de continuer à enquêter sur tout ceci tout en prenant soin de conserver le secret autant que possible. Davantage d’éprouvés seraient envoyés sur place tant la situation était grave mais il fallait, du moins pour l’instant, éviter que tout cela ne s’ébruite.

Hango pour sa part commença à arpenter la région. Dans ces plaines fertilisées par les cendres venant du pays du même nom tout semblait dénaturé. Au milieu des champs et des prairies caressées par les vents de l’est et couvées par la chaleur de l’été se répandaient quelque chose qu’il n’aurait pas su décrire autrement que comme maléfique. Le premier village qu’il atteignit avait été ravagé et l’on pouvait conclure, à en juger par les horribles mutilations que portaient les cadavres, que les rumeurs du retour des monstres n’étaient pas infondées. Une femme au ventre arrachée et au visage tordu de douleur gisait sur un mur tandis que quelque pas plus loin un soldat à la lance brisée reposait à genoux dépourvu de tête.

Il y avait toutefois moins de cadavres que le nombre d’habitations ne l’aurait laissé supposer, signe que certains villageois avaient réussi à fuir. Le massacre devait dater d’une semaine au grand maximum. Hango dégaina son arme et s’introduisit dans les bâtiments. Ces derniers étaient davantage sales que détruites mais une sombre atmosphère régnait dans ce hameau qui avait pourtant tout d’idyllique. L’éprouvé entra dans une, puis deux puis trois maisons sans trouver quoi que ce soit qui eut pu l’informer sur les évènements s’y étant déroulé ou sur la situation en générale. Il n’eut cependant qu’à franchir le pas de la quatrième pour savoir ce qui l’attendait. L’odeur nauséabonde de la chair en putréfaction et du sang séché s’entremêlait autour d’une troisième encore plus répugnante. On la lui avait enseignée mais c’était la première fois qu’il la sentait et cette dernière était à même de faire naître la peur jusque dans les cœurs les plus braves ; il s’agissait de l’odeur de mort que portent avec eux les monstres arpentant ce monde.

Il progressa à pas de loup, prenant soin d’ouvrir chaque volet afin que les ténèbres ne jouent pas en faveur de la bête qui se tapissait ici. Son arme était dégainée et ses sens à l’affut. Il progressa, pièce après pièce dans ce qui avait dû être la demeure du maire du bourg tant cette bâtisse était plus grande que les autres, preuve que même les horreurs de ce monde peuvent avoir des gouts de luxe. Lorsqu’il entra dans la cuisine le bruit se mélangea à l’odeur et il put distinctement entendre des grognements semblant venir du tréfond des enfers. Des sons que non seulement l’oreille n’est pas censée pouvoir entendre mais que nulle gorge n’est même supposée pouvoir émettre. Toujours aux aguets il se dirigea vers la fenêtre la plus proche afin de l’ouvrir. Cruelles, démoniaques, répugnantes mais non dépourvue d’instinct était la bête qu’il s’apprêtait à combattre. Il le savait. Lorsqu’il ne fut plus qu’à un pas de son objectif, la chose se jeta alors sur lui comme surgit des ombres. Une créature informe dont la peau elle-même paraissait se liquéfier en permanence laissait ainsi dégouliner sa propre substance noirâtre sur le prêtre-guerrier. Ce dernier, dans un réflexe que seules les deux décennies d’entrainement qu’il avait reçu lui avaient permis d’acquérir, réussi à parer la charge mais se retrouva néanmoins plaqué au sol par la créature. Elle était indescriptible et pas même symétrique. Ses sept pattes, toute de taille différente, et son corps faisaient penser à une araignée sans tête sur laquelle on aurait greffé des corps eux-mêmes atrophiés, sans qu’on ne sache s’ils étaient des victimes ou des parts de cette bête. Chacune des faces arpentant cette sinistre silhouette gémissait et hurlait dans une cacophonie assourdissante. Soudain, le ventre de la créature s’ouvrit pour laisser apparaître des dizaines de dents jaunis réparties de façon totalement chaotiques au sein de cette gueule béante. Les deux langues qui en sortirent, dont l’une semblait être une protubérance de la plus grosse, commencèrent à lécher le corps du guerrier tout en salivant sur lui tandis qu’une odeur à faire s’évanouir n’importe quel être se répandit. Hango, pris de panique mais entrainé concentra ses forces et, dans un brusque mouvement de bascule, roula sur le côté, déséquilibra l’horreur, lui asséna un coup qui le fit reculer et se dégagea.

Déjà épuisé mais néanmoins déterminé il brandit son épée contre la créature désormais sonnée. Il s’apprêta à lancer son assaut lorsque, soudainement, ce qui lui sembla être un fil lui enlaça la gorge. Il voulut s’en débarrasser d’un geste mais ce fut alors son bras gauche, puis son droit qui se retrouvèrent piégés. Ne saisissant pas tout de suite la gravité de sa situation il regarda alors en haut et découvrit une boule du même noir infecte que le monstre qu’il combattait précédemment et de laquelle semblait tomber des filets de liquide visqueux qui pourtant ne se dissociaient pas de leur origine mais formaient petit à petit de fins tentacules extraordinairement résistants. La chose informe, convulsant et se contorsionnant sans cesse, suintait littéralement de l’étage supérieure. Alors que de plus en plus de ses filaments entravaient Hango, le deuxième monstre laissa pousser sur son corps de plus en plus trois gueules béantes tout en soulevant le malheureux à lui.

La panique, la détresse et la peur prirent totalement le pas sur le reste. Ce furent les dernières choses que l’éprouvé ressentit avant que la créature ne le mène de vie à trépas dans une cacophonie de cris, de craquement d’os et de giclées de sang.

Son cadavre demeura ici trois semaines, à moitié déchiqueté, jusqu’à ce qu’un de ses confrères, ne le retrouve enfin. Ce dernier avait été mis au courant des trouvailles du défunt prêtre par son ordre et savait donc que la prudence la plus extrême était de mise. Sushara était l’un des rares éprouvé à avoir combattu ces créatures des ténèbres et à en être ressorti vivant. Il savait donc tous les dangers que cela comportait. Il en avait perdu deux doigts et la moitié de la peau de son dos ce qui, mis aux côtés d’un visage disgracieux, de son nez long et crochu, de ses yeux globuleux et de ses cheveux crépus en faisait sans doute l’un des Ganashs les plus laids du monde, tout standard confondu. Pourtant, s’il n’était pas beau, il n’en était pas moins fort et expérimenté car du haut de sa petite quarantaine d’années il avait affronté et vaincu bien plus de choses que n’importe qui dans son ordre.

C’est d’ailleurs pour cela qu’on l’avait envoyé ici. Il avait remonté la piste de son frère à partir du village de Sultaste et avait pu voir de ses propres yeux ce qu’on lui avait décrit dans sa lettre de mission à savoir le retour des créatures des ténèbres. Devant la dépouille d’Hango il n’eut que peu de mal à déterminer la cause de son décès mais, depuis, les monstres s’en étaient visiblement allés. Il brûla donc le corps de son prédécesseur en ce lieu ainsi que de tous les cadavres selon les rites de la salvation, se sauvant de ce fait lui-même car il n’était pas toléré de laisser gésir les cadavres des hommes. Lorsque cela fut fait il continua sa route vers le nord afin de découvrir d’autres villages où monstres, maladie ou hommes étranges auraient pu passer. La situation avait en effet bien évolué depuis la dernière missive de son camarade. La présence de ces êtres à la peau grise s’était multipliée créant d’innombrable heurts avec les locaux à tel point que l’armée elle-même avait été envoyée. Il ne s’agissait plus d’individus esseulés qui arrivaient mais des caravanes entières peuplées de gens potentiellement porteurs de la maladie, que l’on appelait désormais le grismal.

De ce qu’on lui avait transmis aucune race n’était épargnée par cette infection et mieux valait demeurer éloigné de ces choses dont on n’était pas encore bien sûr de l’appartenance à l’espèce humaine. La preuve ultime et irréfutable étant la capacité à procréer elle serait difficile à apporter étant donné le danger que cela comporterait pour la malheureuse qui se risquerait à tenter l’expérience. Pourtant, s’ils étaient des hommes, alors l’Eglise devait les protéger. D’autant plus qu’ils ne semblaient pas venir en conquérants. Leur condition trahissait plutôt la pauvreté, la détresse voire même la fuite. Sushara avait essayé de communiquer avec l’enfant de Sultaste bien qu’on essaya de l’en dissuader. Naturellement il est difficile de discuter avec un être enchainé dont on ne parle pas la langue mais, après avoir gagné sa confiance en lui ayant apporté quelques friandises, il parvint à déduire de son attitude, de ses expressions et de ses gestes, qu’il fuyait quelque chose. Lorsque Tanshi, qui devait être son nom d’après ce que Shushara avait cru comprendre, pointait de son petit doigt l’est, il hurlait et semblait indiquer qu’il fallait à tout prix se précipiter à l’ouest.

Le prêtre ne mit que peu de temps à en déduire que les monstres qui avait tué son frère éprouvé ne devait pas être étrangers à cette migration. Toujours est-il que ces réfugiés, tout innocents qu’ils pouvaient être, représentaient une menace. Il avait été informé que des villages entiers avaient été contaminés tandis que des fuyards commençaient à répandre la maladie au sein de l’Empire. A l’inverse quelques villes frontalières avaient, sous l’impulsion de prêtres et de quelques croyants persuadés qu’il s’agissait d’humains, organisés des lieux hors les villes pour qu’ils restent entre eux et qu’ils survivent malgré tout. Cependant, rares étaient ces attitudes et, devant le mal que ces gens portaient en eux, beaucoup leur refusaient purement et simplement leur appartenance à l’humanité. Cela désolait Sushara car ainsi ces personnes, s’ils avaient torts, se condamnaient à la damnation éternelle. Un tel risque ne devait en aucun cas être pris et il fallait mieux présumer de leur humanité jusqu’à preuve du contraire que l’inverse. Hélas cette position était de plus en plus minoritaire. Lorsqu’il était arrivé à Sultatse il avait même appris que l’armée avait, par endroit, préventivement exterminé et brûles des centaines de ces malheureux. Même certains prêtres avaient soutenu ces agissements arguant que leur mort sauverait bien des innocents. Pourtant des exemples existaient et prouvaient qu’en les faisant vivre à l’écart on pouvait sans risque aider ces gens. La peur, la haine et, pire que tout, une certaine forme de raison poussait les gens à faire le Mal.

C’est dans ce contexte que l’éprouvé arriva à Chopaste, une petite ville à côté de laquelle cohabitait un camp de grisâtre, comme on les appelait, ainsi qu’un régiment de l’armée régulière. Il ne mit que peu de temps à découvrir l’état d’extrême de tension dans laquelle était la cité. D’un côté les officier Rachnirs, soutenus par une partie de la population, voulaient exterminer ou au moins renvoyer d’où ils venaient les réfugiés. De l’autre les prêtres protégeaient les malheureux avec l’aide de quelques fidèles pour qui le salut de leur âme valait encore davantage que celui de leur corps. Enfin les grisâtres s’agitaient de plus en plus et semblaient à tout prix vouloir fuir encore plus à l’ouest. L’on pouvait même voir des femmes supplier à genoux et en pleur les soldats qui les tenaient en respect avec leurs lances.

L’arrivée d’un éprouvé rassura quelque peu les gens de la ville car chacun était persuadé qu’il prendrait son parti. Hélas, le poids que Shushnara apporta à ceux qui préféraient la cohabitation à l’extermination fut plus maigre qu’escompté et n’arrangea en rien les tensions ; d’autant plus que, s’il était évident que le nouveau venu voulait qu’on aide ces gens, il était hors de question qu’ils aillent plus à l’ouest de peur de répandre encore davantage le grismal. Pendant ce temps, jour après jour, la nervosité des grisâtres s’accentuait en l’on pouvait sentir que le danger qu’ils fuyaient se rapprochaient. La panique qui les habitait se répandit bien vite dans la ville-même à tel point que certains habitants commencèrent alors, sans même trop savoir pourquoi, à, à leur tour, partir vers l’ouest laissant là maison et biens. Sushara pour sa part, en prenant toutes les précautions possibles, bien qu’aucune n’annulait totalement le risque de contamination, côtoyait chaque jour celui qui semblait être le chef de cette bande afin d’en apprendre plus sur ce qui arrivait de l’est et sur la nature de ces gens.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Antoine Zwicky ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0