Un jour après l'autre...

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Le noir, le froid, le néant. Il n’y a plus rien à part la douleur, cette douleur qui transperce mon cœur comme jamais, cette douleur qui me coupe le souffle et m’empêche de respirer.

Ouvrir les yeux, se lever, avancer, aller travailler.

Tous ces petits gestes en apparence innocents, me sont de plus en plus difficiles. Ils m’éloignent tous les jours un peu plus de cette vie, celle que je me suis construite avec lui, celle que j’ai si longtemps désirée et qui aujourd’hui, me paraît tellement dérisoire.

Ouvrir les yeux, se lever, avancer, aller travailler.

Tous les jours les mêmes gestes, mais tout ça n’a plus aucun sens et cette douleur qui grandit tous les jours un peu plus, qui prends mon cœur, le sert, l’écrase et le broie. Ce cœur qui a si souvent était malmené, vient de recevoir le coup de grâce, la pire douleur qu’il pouvait connaître, la seule chose qui lui est impossible à surmonter… Je viens de perdre ma sœur. J’ai vu son cercueil, mes neveux et nièces, mes parents, mon frère, tous ont pleuré sa disparition, tous sauf moi. Je n’ai pas versé une seule larme, pas une seule depuis que les mots :

« Ils sont morts tous les deux » sont parvenus à mes oreilles.

J’ai déjà tout donné, tout verser, je n’ai plus rien.

Le tourbillon des condoléances, tous ces gens que je ne connais pas et qui me disent que ça va aller. Comment cela pourrait-il aller ? Comment je pourrais faire face à cette perte immense qui laisse mon cœur vide, ma vie sans couleur et un goût amer dans ma bouche.

Elle n’est plus là.

Je ne verrais plus jamais ses grands yeux qui me regarde avec douceur quand je suis triste, avec sérieux quand elle me sermonne et qui flamboie quand elle est en colère. Je ne verrais plus jamais son sourire rempli d’amour devant ses enfants, son mari et son sourire timide quand elle est gênée. Je n’entendrai plus jamais son rire dans mes oreilles, qui raisonné quand elle était d’humeur joyeuse, ses murmures aux paroles réconfortantes, quand elle se glissait dans mon lit parce que j’avais fait un cauchemar.

Réveille-toi petite sœur.

Je ne sentirais plus jamais ses bras qui me serrent et me tiennent contre son cœur, quand j’ai besoin de réconfort. Je ne sentirais plus jamais sa simple présence à mes côtés, sans un mot, juste elle, simplement elle. Il ne me reste que les souvenirs, je n’ai plus que ça pour penser à elle, c’est la seule chose qu’il me reste de toutes ces années de partage avec ma sœur. Des bons, des mauvais, mais des souvenirs quand même. Ils sont tous présents dans ma tête, tous intacts, parfaitement clairs. C’est la seule chose qui occupe mon esprit, il n’y a plus qu’elle.

Je vis maintenant dans le vide, le flou, le brouillard et le noir. J’essaie de survivre dans ce monde auquel je n’ai plus l’impression d’appartenir, je suis comme une étrangère dans ma propre maison et avec ma propre famille.

Il est là. Il est toujours là, à mes côtés attendant juste le moment où je vais m'effondrer pour me rattraper, parce qu’il me connaît mieux que moi-même.

Mais pas aussi bien qu’elle.

Pas de larmes, pas de cris, juste le vide immense, la peine absolue, l’impression d’être seule alors que je n’ai jamais été autant entourée. Mais je suis seule, vraiment seule face à ma peine, à mon chagrin et ma colère, personne ne peut comprendre, voir ou juste entrevoir ce que je ressens.

Je suis bien seule face à moi-même.

L’amour inconditionnel de ma sœur, voilà ce que j’ai perdu, ce qui m’a été volé. C’est un morceau de moi-même qui s’est envolé, emportant mon cœur avec lui, me laissant seule avec simplement la pluie et l’horizon sombre. Il n’y a plus de couleurs, tout est gris et monochrome, tout est fade et sans goût, tout n'est que douleur et tristesse… Plus rien ne compte à part la peine et le manque que je ressens !

Ouvrir les yeux, se lever, avancer, aller travailler.

Faire tous les jours un pas après l’autre.

Le temps guérit les blessures Cassie.

Elle ne voudrait pas te voir comme ça.

Elle voudrait que tu vives pour elle, bats-toi pour elle…

« Elle » Pourquoi personne n’ose prononcer son prénom ?

« Elle s'appelait Susanne Anna Dubois Morrice, elle avait 33 ans, un mari aimant et quatre enfants magnifiques, elle aimait rire, s’amuser. Elle préférait le chocolat au lait, parce que c’était plus doux sur la langue. Elle mettait du lait dans son café, parce que quand elle le versait dedans, ça lui donnait l’impression d’apercevoir des nuages. Elle aimait les fleurs des champs et les herbes hautes parce qu’elle pouvait se cacher dedans. Elle aimait les couchers de soleil avec toutes ses couleurs éclatantes. Elle faisait toujours de petites grimaces quand elle se maquillait, elle croisait ses doigts quand elle espérait que quelque chose se produise. Elle aimait le soleil qui réchauffe la peau, la mer et son bruit apaisant, la montagne qui donne cette impression d’être seule au monde, la neige pour faire des anges dedans, toutes ces petites choses qui font la vie, sa vie, notre vie. C’était ma sœur, mon amie, ma confidente, ma partenaire. L’épaule sur laquelle je pouvais me reposer et la main qui m'était tendue. Sans elle, je ne suis plus rien, je ne ressens rien, je suis juste une coquille vide.

Ouvrir les yeux, se lever, avancer, aller travailler.

Plus rien n’a d’importance aujourd’hui, il n’y a que la peine, la tristesse et le désespoir. Mon cœur est vide et mon âme noire. Avancer tous les jours un peu plus pour essayer de se reconstruire, mais comment y parvenir, comment me relever de la perte immense que je viens de subir ?

J’avais réussi à faire un si grand chemin dans ma reconstruction depuis ces deux dernières années. J’étais sereine, heureuse et apaisée, une vie parfaite, une vie rêvée, mais aujourd’hui, je n’y arrive plus. Je n’arrive plus à le regarder dans les yeux, je n’arrive plus à le laisser me prendre dans ses bras, je ne suis plus chez moi dans ses bras… Je ne suis juste plus moi !

Ouvrir les yeux, se lever, avancer, aller travailler.

Je traîne des pieds comme tous les matins depuis bientôt deux semaines en ce mois de février. La douleur est tous les jours un peu plus grande, tous les jours un peu plus présente. Elle s’est immiscée dans tous les plus petits recoins de mon cœur, elle est partout, me glace le sang, les os et le cœur.

Je passe par la salle de bain, avec un peu de chance, il sera déjà parti et je ne serai pas obligé de manger. Ouvrir la bouche, mettre quelque chose dedans, mastiquer puis avaler, attendre qu’il parte pour finir par vomir le tout dans la cuvette des toilettes. Rien, je ne peux rien supporter, la nourriture me retourne l’estomac. Les hauts le cœur, les spasmes douloureux, quand il n’y a plus rien à évacuer, mais que mon estomac refuse de s’arrêter. Il me torture, me tord les tripes. Je me regarde dans le miroir, je suis blanche, j’ai des cernes, je suis moche, mais je m’en fous. Parce que quand je me regarde, ce sont ses yeux que je vois, ses grands yeux qui me sourient dans le miroir.

Ouvrir le robinet et entrer dans la douche, la morsure de l’eau froide sur ma peau qui me rappelle chaque jour que je suis vivante et qu’elle est morte. J’attrape le gel douche et frotte, je frotte fort pour me laver de mes cauchemars de la nuit, de toutes les nuits. Ses cris, ses hurlements, elle me demande de venir la sauver, mais je ne fais rien, je la regarde lutter pour respirer, lutter pour rester en vie, mais je ne fais rien, je la laisse mourir. Ses yeux qui se vident de toute forme de vie, vitreux, ils me regardent, mais ne me vois plus. Je ferme les miens et me concentre sur l’eau qui coule, apaisante, elle remplace les larmes qui ne coulent pas, celles que je n’ai plus, celles qui se sont taries depuis déjà longtemps.

Culotte, soutien-gorge, chaussettes, tee-shirt, jean, pull… Cheveux.

Nouveau reflet dans le miroir… Continuer, avancer. J’entre dans le salon, il est là, il est toujours là, chaque matin, chaque soir, il est toujours là, mais pas moi, je suis totalement absente de cette vie, j’y assiste sans y prendre part, j’observe. Son regard croise le mien, détresse, tristesse, incompréhension, douleur, peur, je détourne les yeux. Je ne peux pas voir ça, je ne peux pas supporter son regard, je n’ai pas la force de me battre pour moi, alors je suis incapable de me battre pour lui. Je m’assoie le nez dans mon bol, l’odeur du yaourt me soulève l’estomac, je ferme les yeux.

Inspire, expire, inspire, expire...

Pour faire semblant, paraître forte alors que je ne le suis pas, je ne le suis plus. L’odeur du café qui me chatouille les narines, nouvelle crampe d’estomac. Il repose son journal, se lève et se pose à côté de moi, une main sur mon épaule. Léger tremblement que bien évidemment il ressent, sa main qui se resserre sur moi. Je ferme les yeux sans bouger pour faire semblant que tout va bien, mais je ne ressens rien, aucune émotion pour cet homme que j’aime pourtant tellement. Que j’aimais, parce qu’aujourd’hui, je n’en suis plus capable.

Je n’ai plus rien à donner, ni à lui, ni à personne !

Il pose ma tête sur son ventre en me caressant les cheveux et les joues, nouveau tremblement imperceptible mais néanmoins présent. Sa voix douce qui murmure.

- Je t’aime mon ange !

Les mêmes mots, les mêmes gestes tous les jours. Ils essaient de se faire une place à l’intérieur de moi, mais c’est peine perdu, ils se perdent en chemin, ils ne trouvent pas la route ni de mon cœur, ni de mon esprit, ils flottent juste entre nous pour finir par disparaître. Ses lèvres qui se posent sur le sommet de mon crâne, nouveau tremblement. Son soupir tremblant, la larme qui lui échappe que je n’aperçois pas, mais qui est présente, je le sais, puis plus rien, il est parti. Je relâche ma respiration, ce soupir que je retenais depuis déjà trop longtemps. La sonnerie de mon téléphone qui retentit, le message qu’il vient de m’envoyer :

« Taïro- rendez-vous !

Discutons de nos désaccords, pour parler faut-il être d’accord.

Inutile de tirer sur la corde, apaisons notre discorde !

Tu sais je peux comprendre, tu sais je peux apprendre,

Mais si tu ne parles pas, je ne pourrais pas t’entendre !

Je voie que tu as mal, au cœur comme à l’âme,

Mais pour t’apaiser faut-il en passer par les flammes ?

Même si l’avenir fait peur, rappelons-nous simplement,

De chacune de ses heures, de tous ses bons moments.

Au lieu de résister, plutôt que d’insister,

continuons d’exister !

Donnes-moi rendez-vous, choisie l’heure, choisie le lieu,

Juste entre nous, parlons les yeux dans les yeux.

Si on tient l’coup, je suis sûr que tout ira mieux !

Mais nos I love you, aujourd’hui sonne creux !

Donnes moi rendez-vous……. Donnes-moi rendez-vous……. Donnes-moi rendez-vous !

Je ne peux pas, je ne peux plus !

Ouvrir les yeux, se lever, avancer, aller travailler.

Chaussures, manteau, sac à main.

L’air froid de l’extérieur, le brouhaha de la rue, la vie des autres. Je suis juste une anonyme parmi tant d'autres. Je ne les voie pas, ils ne me voient pas. Je croise des regards perdus, heureux, tristes, excités, pressés, colériques, tous renferment des secrets, des blessures, des choses inavouées, tous portent un masque, une façade.

Comme moi !

Les vitrines sur mon chemin arborent de belles couleurs, tout un tas de nuances de rouge, le vif, le sang, le bordeaux, le clair, le foncé, ce rouge qui me rappelle le sang. Le sang de ma sœur qui coule, du sang partout, cette odeur de fer qui remplit mon nez… Estomac qui se tord, douleur, crampes, spasmes.

Inspire, expire, inspire, expire…

La douleur s’éloigne. Des cœurs sur les vitrines, beaucoup de cœur, tout est là pour me rappeler à quel point mon cœur est mort, froid, sans vie. Il bat juste pour me garder en vie c’est tout, une vie de tristesse, de douleur, si seulement tout pouvait cesser.

Je m’arrête sur un banc, je m'assois et ferme les yeux un moment. Les bruits, les odeurs, le vent, je perçois tout, j’ai mal à la tête. Je regarde le ciel gris et les nuages qui passent. Des formes qui me font penser à elle, tout me fait penser à elle, mais rien ne me permet d’être assez proche, rien. La douleur, encore cette douleur qui transperce mon cœur, tous les jours un peu plus forte, tous les jours un peu plus présente. Cette respiration si difficile, ce combat quotidien, combat déjà perdu d’avance, c’est la douleur qui gagne, je suis incapable de lutter.

Inspire, expire, inspire, expire.

Marcher, continuer d’avancer dans les rues bondées de la ville d’un mois de février, alors que tout ce que je souhaite c’est m’allonger, fermer les yeux et dormir pour penser à elle. La voir, la toucher, l’embrasser, la serrer dans mes bras, avoir un contact, le frisson de son corps contre le mien. La vibration de son rire qui se répercute dans tout mon être, ce son si doux à mes oreilles qui réchauffe mon cœur, son sourire si pur, qui redonne confiance et espoir. Tout ce que je n’ai plus, tout ce qu’elle seule pouvait me redonner, mais elle n’est pas là, elle n’est plus là… Impossible, ce ne sera plus jamais possible.

Ouvrir les yeux, se lever, avancer, aller travailler.

Tous ces regards qui me fixent, la compassion que je peux lire si facilement dans leur regard, tout ce que je ne veux plus y voir. Je me demande une minute ce que je peux bien faire ici, je viens tous les jours, juste pour m'asseoir dans le canapé de l’entrée et regarder dehors, tous les jours je reste là, sans bouger… Travailler, je suis ici pour travailler, mais je n’en ai pas la force, pas le courage et surtout pas l’envie. Alors je regarde les gens qui passent dans la rue, ils se rendent à leur travail, à un rendez-vous, voir des amis, de la famille, toutes ces petites choses qui font leur vie, mais qui ne font plus partie de la mienne. Plus rien, plus personne, juste moi, la douleur, la peine, le désespoir et le froid. Le vide immense que je ressens, cette présence qui me manque chaque jour un peu plus, cet amour inconditionnel qui n’existe plus, qui ne sera plus. J’entends leurs chuchotements, leurs messes basses et la pitié dans le son de leur voix, mais je n’en veux pas, je n’en ai pas besoin. Je vois leurs regards compatissants, de compassion, mais je n’en veux pas non plus et je n’en ai pas besoin.

Mon ami, celui qui a été mon soutien durant tant d'années, celui sur qui je pouvais me reposer dans n’importe quelles circonstances, même lui n’a pas les mots. Je sais qu’il est brisé, je le vois dans ses yeux, je sais qu’il considérait Susanne comme sa propre sœur, mais elle ne l’était pas, c’était la mienne. Il ne peut pas savoir ce que je peux ressentir, il ne peut même pas l’envisager une seule seconde, il ne peut juste qu’imaginer. Tous les jours, il s’arrête à côté de moi et dépose une tasse à café sur la petite table où trône un bouquet de fleurs des champs, mes préférées, les préférées de Susanne. Et tous les jours, je détourne mon regard pour ne pas voir ce qu’il ressent, parce que lire sa douleur m’est insupportable, lire sa douleur me ramène à la mienne, lire sa douleur me met en colère. Mais je n’ai pas la force d’être en colère, je n’ai pas la force de lui en vouloir, je n’ai plus la force de lutter.

Ouvrir les yeux, se lever, avancer, aller travailler.

Je ferme les yeux, écouteurs aux oreilles et j’écoute cette chanson qui passe en boucle dans ma tête. Cette chanson qui me fait penser à elle, à nous. Cette chanson qui berce mon esprit tous les jours, toutes les nuits depuis qu’elle est morte, les paroles raisonnent, s’infiltrent, s’immiscent et ne me quittent jamais. Fermer les yeux, écouter… Clara Luciani "ma soeur".

Ma sœur, nous avons des cœurs siamois

Et chaque coup que tu reçois, ricoche et me frappe deux fois.

Je tiens dans ma main ton poing serré

Et rien ne peut nous résister puisque nous l’avons décidé.

Personne n’a jamais dit que ce serait facile, mais je serai là,

Personne ne croit en toi comme j’y crois…. Personne, personne,

Je serais la même s’il ne devait rester…….. Personne, personne.

Personne ne croit en toi comme j’y crois……..Personne, personne,

Je serais la même s’il ne devait rester…..Personne, personne.

C’est comme si une chaîne avait relié invisiblement nos poignets

Le jour où nous sommes nées.

Ne pas l'oublier, jamais. Plus les paroles s'infiltrent dans mon esprit, plus je suis consciente de ce que j’ai perdu, de ce que je ne possède plus, de ce qu’il m’a été enlevé alors que je n’étais pas prête. Elle était ma sœur et pourtant, je n’ai pas pu la sauver, je n’ai pas su la garder auprès de moi, je n’ai pas réussi à la protéger, je l’ai laissé partir sans rien faire.

Ouvrir les yeux, se lever, avancer, aller travailler.

Je rentre à la maison à la fin de la journée, comme tous les jours depuis bientôt un mois. Un mois de froid, de souffrance, de noir, de peine et de désespoir. Un mois qu’elle repose dans le froid sans personne qui ne puisse la réchauffer, être à ses côtés, lui parler, la consoler, la toucher…. Elle est seule comme moi je le suis, mais moi, je suis en vie alors qu’elle est morte.

Je baisse la tête sur mes pieds et j’avance en me frayant un chemin au milieu de la foule, j’avance sans vraiment regarder où je vais, mais c’est inutile mes pieds connaissent le chemin et je n’ai pas besoin d’y réfléchir. De toute façon, je suis parfaitement incapable de réfléchir. Je ne vie plus, je survis dans ce monde qui n’est plus pour moi, ce monde où nous ne faisons que passer, ce monde rempli d’inconnus. Marcher, toujours marcher, rester en mouvement pour ne pas avoir le temps de penser, continuer d’avancer pour sauver la face, passer inaperçue, ne pas être vue.

Enlever mes chaussures, mon manteau, poser mon sac à main, regarder le courrier.

Un carton pour moi, une petite boîte grise qui vient de mes parents. Mes parents eux, qui viennent de perdre un de leurs enfants. Je ferme les yeux en pensant un instant au chagrin qu’ils peuvent éprouver, mais je ne peux pas comprendre, comme eux ne savent pas ce que moi je ressens. J’ouvre méthodiquement le carton, de nouveaux gestes depuis déjà longtemps, des gestes qui me demandent de me concentrer sur ce que je suis en train de faire, c’est difficile.

Elle finit par s’ouvrir, des photos, tout un tas de photos de moi, Susanne et Scott sur quelques-unes. J’étale tout par terre, chacune d’entre elles me rappelle des souvenirs heureux, chacune représente un petit bout de notre vie en commun, de notre lien qui ne fait aucun doute. Des sourires, des grimaces, des rires, des bouderies… Tout ce qui faisait notre vie. J’effleure son visage de mes doigts sur le papier glacé, des images figées qui prennent vie dans mon esprit, des souvenirs enfouis qui remontent à la surface, des moments oubliés qui réapparaissent. A chaque photo que je prends, je revoie les images du temps heureux où notre insouciance n’avait d’égale que notre impatience… Vouloir grandir trop vite.

Ouvrir les yeux, se lever, avancer, aller travailler.

Un souvenir ne cesse de revenir sans arrêt dans mon esprit quand je ferme les yeux. Un lac, une immense étendue de sapins à perte de vue, avec des chalets perdus au milieu. Son sourire, sa main dans la mienne qui me tire, sa voix qui m’encourage, ses bras qui me réconfortent. J’ai beau essayer de me concentrer, de faire appelle à ma mémoire, je n’arrive pas à me rappeler l’endroit. Est-ce mon esprit qui me joue des tours ? est-ce mon imagination qui va trop loin ?

Regarder, chercher, fouiller.

Dans mon esprit en même temps que sur les clichés jaunis. Un courant d’air frais qui me caresse la joue, balayant les images sur son passage… Un cliché qui tombe sur mes genoux… Une date, un lieu inscrit sur le dos de la photo, j’arrive à faire le lien. Trois semaines rien qu’avec elle, le seul souvenir commun de notre enfance, elle, moi, personne d’autres…

Je n’ai pas besoin d’y réfléchir, pas besoin d’y penser plus longtemps, je sais… Je sais où je dois aller, ce n’est pas une coïncidence, j’ai besoin de ce moment en tête à tête avec elle, j’ai besoin de rentrer en contact, besoin de la sentir près de moi… Elle, moi et personne d’autre.

Disparaître pour revenir quand mon cœur sera prêt…

Avancer sans me retourner, pour moi, pour tous ceux que j’aime…

Me donner une chance de guérir.

Ouvrir les yeux, se lever, avancer… Partir…

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