PROLOGUE

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Pour mes tantes, 

ces étoiles étincelantes dans le ciel

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Début mai 2012

Devant ces élégantes étagères s'attèlent d'étonnants livres brodés. Le plafonnier scintille et se répercute sur le parquet ciré, miroitant comme un millier d'étoiles sur les murs du bureau de Mark Livingston. Connu sous ce faux nom de naissance, l'homme d'une quarantaine d'années, les mains jointes, remue de gauche à droite au fond de son siège. Son empire de mécène, vieux de vingt ans, risque de s'écrouler à cause de deux curieux intelligemment renseignés et entourés de témoins aptes à les faire couler, lui et Helmut.

Et ce dernier, Mark en donne sa main à couper, n'aura pas les épaules pour se confronter au scandale que leurs découvertes pourraient engendrer.

Il se lève de son fauteuil et parcourt les quelques mètres le séparant de ses grandes baies vitrées qui exhibent la Ville Lumière par les chatoiements des foyers environnants.

Cette visite lors de la vente aux enchères l'oblige à utiliser la force et l'immoralité. Il n'a plus le choix. Marcellin, son père, était un adepte de cette pratique et aujourd'hui, il le remercie d'avoir hérité de ce talent manipulateur.

Son père avait rencontré Armelle Livingston lors de son service militaire en Alsace. Une sublime rousse écossaise aux yeux translucides. Ils étaient tombés amoureux en un seul regard, d'après les confidences de sa mère. Ils se marièrent l'année d'après, en 1957, mais il fallut attendre 1960 pour qu'Armelle donne naissance à leur première fille, puis une autre, l'année qui avait suivie. C'est seulement en 1963 que Mark naquit en tant que seul héritier des mines de charbon que son père avait rachetés des années plus tôt.

Il grandit au sein d'une famille déchirée par les coups et les pleurs, son père étant riche et puissant, personne n'osait le défier. C'était un homme à femmes et il amenait Mark partout où il allait, même dans les endroits les plus incorrects pour un enfant de dix ans. Parfois, le jeune môme entendait sa mère gémir de douleur entre les râles de son père et le résonnement des claques qui s'abattaient sur elle.

Elle ne le quittait pas pour autant, ce qui interrogeait fortement le garçon. Il comprit la raison plus tard : l'argent. Ses sœurs se marièrent avec des hommes infidèles mais influents, avec qui il aimait beaucoup passer du temps. Aux yeux de Mark, toutes les femmes étaient vénales. Elles rêvaient d'être leur maîtresse dès qu'elles voyaient les liasses dans leurs mains, prêtes à lui tailler une pipe si ce n'était une sodomie, sa préférence.

Pendant plusieurs mois, les sous rentraient avec grande facilité grâce aux mises considérables que les maris posaient sur des chevaux, devenus complètement fanatiques du jeu et du gain. Seulement, il aura fallu d'une unique faute pour perdre des milliers. Ses sœurs n'attendirent pas plus pour se faire la malle. Ainsi fini pour Mark les fellations et autres luxures de ces dépravées.

La leçon avait été apprise. Il ne souhaitait pas flamber. Il allait devenir un prodigieux commanditaire, et pour cela, il partit faire ses études à Oxford où il rencontra Rebecca McNeil, une étudiante venue de Stirling au teint clair et aux cheveux blond polaire. Il passa du temps à l'obtenir, et encore une fois, c'est le nom de son grand-père qu'il lui donna sa chance. Elle changea d'opinion à son égard : l'argent, s'était-il dit. Il avait cru en cet amour, à leur mariage, à la naissance de leur fille. Mais rien n'arrive qu'aux autres. Il déposa le bilan après une mauvaise vente. Leur bébé avait seulement deux ans, et il était impossible de le dire à son épouse. Son beau-père lui fit rencontrer un jeune berlinois venu faire ses cours d'art à Paris : Helmut. Un talent impressionnant. Le peintre gagnait peu et Mark lui proposa un marché : de peindre un faux qu'il mettrait à la vente, en créant de toute pièce son histoire. Au début, Helmut refusa mais ses importantes dettes penchèrent la balance.

Tous deux continuèrent lorsqu'ils comprirent que cela rapportait gros. Mark blanchissait son argent sous le nom de Mark – hors de question de donner son vrai prénom, il utilisa un dérivé anglican du prénom de son père – et Livingston - sous le nom de sa mère. Mark Livingston est né.

Les faux tableaux sont vendus sur le marché à grande échelle et avec succès : de Paris à New-York, de Berlin à Londres, de Madrid à Florence.

Les Albanais étaient un bon parti. Ils avaient créé une alliance, il vendait au marché noir et ils recevaient leur pourcentage, en contrepartie ils s'occupaient de la sécurité de ses affaires.

Helmut excellait dans la copie des Friedrich. Aucune personne n'arrivait à reconnaître son faux au point qu'en 2001, il obtint une vente avec Marcel Fuller, lui offrant la meilleure rentabilité de sa carrière.

Quelques mois plus tard, un faux de Modigliani avait bien failli les dévoiler au grand jour, mais les Albanais réussirent à persuader l'acheteuse de soulever sa plainte.

Jusqu'au jour où il eut à faire à Lauren Smith. Cette experte en œuvre d'art anglaise avait repéré les Friedrich vendus dans ses ventes aux enchères, et l'avait convoqué personnellement lors d'un séjour à Paris. Une sublime femme qu'il aurait bien baisé violemment sur son bureau pour la faire taire de ses accusations à son égard. Une salope, qui par deux reprises l'avait défiée. L'idée de la torturer lui avait traversé l'esprit. Il n'aurait rien eu à faire, les Albanais s'en seraient occupés, mais par un coup du destin, elle creva d'un cancer. Dans sa chance, il y avait cependant un malus, elle était mariée à un « œil » prometteur. Une réelle menace pour lui.

Dans son bureau, Mark souffle. Sa colère est tellement fulminante qu'il se doit de la calmer.

Un seul coup de fil et son chauffeur vient se garer en bas de chez lui, l'emmenant directement dans son Panama Paper : Les Délices d'Est.

Aussitôt devant, aussitôt il jette un regard vers sa droite, quelques rues plus loin, la rue Ballu sommeille en cette douce nuit.

Le premier pas dans le sanctuaire perturbe déjà ces dames, sensées offrir des messages, mais derrière les rideaux pourpres, se dresse un harem de salopes, toute à sa merci. Parfois, il choisit la nouvelle pour lui montrer qu'il détient les lieux. Le plus souvent, c'est Kasia. La seule qui supporte ces chimères brutales et incontrôlables. La violence dans le sexe, voilà sa manière de maîtriser toute cette rancœur, d'assouvir ses désirs les plus sordides. C'est ainsi et depuis les premiers cris de sa mère. Quand son père rentrait en déposant l'argent sur la table de chevet et s'enfermait avec elle, des minutes durant.

ll a toujours voulu dompter les femmes, les soumettre à sa volonté, et bien qu'elles aient honte de le dire : elles aiment ça. Même quand elles disent non. Le fantasme du viol. Et il les domine avec toute sa rancune infâme qu'il puise dans ses entrailles, un souhait exaucé pour ces putains.

Sans un regard pour Kasia, il claque des doigts et lui ordonne d'aller dans une alcôve, cette dernière permettant aux autres de se rincer l'œil sur leurs ébats. Alors qu'il s'appuie au bar, son esprit divague vers cette jeune femme de la rue Ballu, habitant au numéro 32.

Un soir il y a environ deux ans, il surprit une jeune fille, aux cheveux blonds polaire, discuter avec Katarina. Jamais il n'avait vu une telle créature. Envoûtante. La perfection de la beauté divine. Une de ces muses que tous peintres auraient souhaité avoir dans son atelier. L'inspiration d'un mécène. Mark Livingston était tombé littéralement sous le charme, à l'imaginer sous l'emprise de ses mains, la posséder et la séquestrer pour pouvoir lui faire tout ce qu'il souhaitait.

Elle était devenue une obsession.

— Mets-moi cette perruque et retourne-toi, exige-t-il à Kasia Dabrowska en fermant la porte.

Il ôte sa ceinture, ouvre sa braguette et enfile un préservatif.

Aujourd'hui, Mark Livingston sait que Charlène Mahé fréquente James Taylor. Ce brillant expert en œuvre d'art, l' « œil » qu'il recherchait depuis deux ans, veuf de Lauren Smith.

Il doit se résoudre à se débarrasser de ces deux fouineurs, les rendre incrédules et mythomanes aux yeux de tous. Le mécène a déjà un plan détaillé pour les abstenir à l'abattre, lui, le descendant d'un des plus grands galeristes écossais de la Grande-Bretagne.

Il sourit à l'avenir qu'il leur préserve et tandis qu'il chevauche Kasia, il passe sa ceinture autour de son cou et serre plus fort, avec rage.

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