L'indigne petit canard

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Mon père sortit de la pièce d'un pas raide et ne me hurla pas dessus comme je le pensais. J'allais me lever mais un regard me cloua sur place. Il appela Brian du bas des escaliers et il lui demanda de descendre une seconde dans le salon. Je vis Brian arriver en caleçon et s'asseoir à côté de moi. Il vit mon air paniqué et eut un tic avec sa bouche.
-Je ne vais pas vous le répéter deux fois, qu'avez-vous fait hier soir ? 
-C'est de ma faute John. C'est vrai on a fait une petite fête, mais on était pas beaucoup, pas plus de 6. Et on a passé notre temps à jouer à la Kinect en gros. On a initié Sarah et Sophie au beer pong dans le salon. C'est vrai, on aurait dû t'en parler mais..
-Vous croyiez vraiment que je n'allais pas m'en rendre compte ? 
-Oui, répondit effrontément Brian. On pensait que tu n'allais pas t'en rendre compte. Mais j'en prends la responsabilité. C'était mes amis et je ne lui ai pas laissé le choix.
-J'en parlerai avec ta mère mais je pense que je ne me trompe pas en disant que tu es puni jusqu'à nouvel ordre. Laisse-moi avec ma fille.
Mon père allait me hurler dessus. Je le savais, ça sentait les ennuis à plein nez et j'avais peur tout à coup. Je me suis mis à trembler. Mais contrairement à ce que je croyais, il resta calme. Très calme. Trop calme. Il ne dit rien pendant de longues minutes, jusqu'à ce que je lève les yeux. 

-Tu me déçois énormément. Parce que je peux te pardonner beaucoup de choses Sarah mais tu sais que j'exècre le mensonge. Je n'ai pas élevé une menteuse. J'ai élevé une fille normale, une fille douce et une fille honnête.
-Mais c'est Brian qui a prévu de..
-Je ne veux pas le savoir. Tu crois vraiment que je n'ai jamais fait ce genre de choses adolescent ? Tu aurais pu m'envoyer un SMS pour me dire que tu comptais inviter des amis et le pire c'est que j'aurais accepté. Mais tu as préféré faire des choses dans mon dos. Sarah. Dans quelques années, tu seras une adulte à part entière, est-ce que c'est le genre d'adulte que tu veux devenir ? Une adulte lâche et malhonnête ? 
-Non Papa.
-Je ne peux pas contrôler toutes les punitions de Brian mais les tiennes, j'ai tout pouvoir. Tu es punie jusqu'à nouvel ordre. Tu rentreras directement après le lycée et le bal d'Halloween, tu peux mettre une croix dessus. Je te prive de sortie. Ce n'est pas une injustice Sarah, c'est parce que je t'aime que je fais ça. Et parce qu'il faut que tu comprennes qu'il n'y a que sur sa famille que l'on peut vraiment compter et qu'il n'y a pas pire que de mentir à sa famille.
-Tu m'as bien menti quand tu sortais avec Mary.
-Non. Tu m'as demandé si j'étais amoureux d'une femme et je t'ai répondu non. Parce que.. je ne savais pas ce que je ressentais pour elle. Et je ne pensais pas que c'était de l'amour. J'avais tort mais..
-Moi aussi j'ai eu tort. Et puis merde Papa, sérieux, c'est normal pour un ado de ne pas tout dire à ses parents. Si maman avait été là elle aurait compris elle, qu'une fille ne peut pas tout dire à son père. 
-De toute évidence, tu as un souvenir erroné de ta mère et de sa famille, répondit-il sèchement.
-La faute à qui ? Ce n'est pas à moi qu'elle envoyait un SMS quand elle a eu son accident, sifflai-je en le regrettant immédiatement en voyant la pâleur du teint de mon père. 
-Si on y va comme ça Sarah, je pourrais te dire que si ta mère est sortie ce soir là, c'est parce que tu avais fait un caprice pour avoir un Paris-Brest et que pour te faire plaisir, elle est sortie en acheter un.

J'ouvris grands les yeux et des larmes en jaillirent. Il venait vraiment de dire ça ?
-Tu es entrain de m'accuser d'avoir tuer Maman ? C'est ce que tu es entrain de dire ?
-Non Sarah, je suis entrain de te dire que refaire le passé ne nous mènera à rien et que je ne veux pas que tu ramènes le souvenir de ta mère dans chacune de nos disputes en espérant que ça marche. Parce que ce n'est pas le cas. Ta mère t'aurait puni comme je le fais. Ni plus ni moins. Maintenant, tu vas monter dans ta chambre. 
-De toute façon, tu peux me punir autant que tu veux, ça ne m'empêchera pas d'être malheureuse, je l'étais avant que tu me punisses et je le serais longtemps après. Tu crois que je ne m'en suis pas voulue pour ce foutu gâteau à la con ? Ça fait 5 ans que je m'en veux et ça fait 5 ans que je regrette de ne pas avoir été avec elle dans cet accident. Parce que tu vois, aujourd'hui tu serais heureux avec ta nouvelle famille, sans l'enfant indigne, qui a tué ta femme, sous le nez qui te rappelle sans cesse son souvenir.
-Je n'ai jamais..
-Non, tu ne l'as pas dit. Mais je le vois, c'est pire. Excuse-moi, je vais aller me coucher, j'ai un mal de crâne épouvantable. 
Je me levai et je me précipitai dans ma chambre, puis dans ma salle de bain pour aller vomir. Quand je relevai la tête, je vis Brian. Il avait un sourire sur le visage.

-Je venais aux nouvelles, tu as écopé de quoi petite délinquante ? 
-D'une accusation de meurtre, marmonnais-je.
-Pardon ? Tu as dit quoi ? 
-Privée de sortie pour le moment, je crois qu'ils vont se mettre d'accord, tu vois dans leur délire de famille parfaite. 
-Ok. C'est ce que je voulais savoir. Je vais envoyer un message à ma mère. Tu devrais prendre de l'aspirine, tu as une gueule de zombie et ça pue le vomi aussi.
-Wow, sans rire.
-Franchement McAllister, tu devrais en rire...
-Parce que tu trouves drôle de t'être fait punir toi ? Moi ça ne m'arrive pas ce genre de chose. 
-Ça fait parti du jeu. Et puis avoue que tu t'es éclatée hier soir. Les deux fois où je t'ai croisé tu t'amusais et tu avais presque l'air dans ton élément. Se faire punir après une "soirée dérapage" comme celle d'hier c'est rien du tout. Profite de la vie. Tu es dans la catégorie loser, y'a encore moyen de changer ça, faut juste que tu te rebelles un peu. 
-Pourquoi tu es gentil tout à coup ? 
-Je ne suis pas gentil mais comme c'était moi qui organisais et que tu étais là, les gens vont bientôt comprendre qu'on vit dans la même maison et du coup, si ma.. quasi-sœur est une loser, ça va déteindre sur moi, c'est tout. Bon je te laisse vomir. 
J'allais lui répondre quelque chose mais je me re-penchai sur la cuvette des toilettes. J'allais m'allonger sur mon lit. Je restais les yeux ouverts et pris mon casque. J'écoutai ACDC, juste pour me vider la tête et ne penser à rien. 

Au bout d'un moment, j'allai me chercher un verre de lait. En remontant, je tombai sur mon père et Mary qui rentraient de l'aéroport. Elle me fit un sourire tellement gentil que cela en était presque.. inhumain.
-Salut ma chérie ! Tu n'as pas l'air d'aller très bien. 
-Et toi tu as l'air d'aller bien, ça va ta mère ? Elle est remise de son.. accident de voiture ? 
J'évitai le regard de mon père et je baissai un peu les yeux avant de regarder Mary.
-Oui, elle est entrain de se remettre. Tu m'as l'air vraiment pâle. 
-J'ai picolé hier soir pour noyer mon désespoir et j'ai la gueule de bois, c'est tout. Et un mal de crâne épouvantable. Je vais me coucher, et je ne mangerais pas ce midi. Contente de te revoir Mary. 
Je remontai les escaliers et me glissai entre mes draps. Ma journée, je la passais à dormir, et à réfléchir. Ça ne pouvait pas durer. Toute cette affaire avec Sophie, avec mon père et avec Marc me plombait. Je devais faire quelque chose et je ne voyais qu'une seule solution pour ça. Je cherchai mon téléphone et au moment de l'appeler, j'hésitai quelques secondes. Et si ce que j'allais faire envenimait les choses ? Je reculai et m'assis devant ma fenêtre. Des sentiments contradictoires se bousculaient en moi. Et la seule solution que je voyais c'était celle là. Je déverrouillai mon téléphone et j'inspirai. Je devais le faire, j'étais forte. J'étais forte.  

Quelques heures plus tard. 

Je me réveillai en sursaut. Il était 20h passé. Je me levai pour me traîner dans la salle de bain. Il n'allait plus tarder. Je pris mon sac et je descendis les escaliers. Je me figeais tout à coup.. cette voix grave, j'aurais pu la reconnaître entre toutes. Je volai presque dans les escaliers et je me précipitai dans le salon.
-Oncle Eric !!! 
Je me jetai dans les bras du frère aîné de ma mère. Il me souleva comme quand j'avais 5 ans et me fit faire un petit tour. 
-Je ne savais si tu allais venir ou pas. 
-Tu plaisantes ou quoi ? Tu crois vraiment que je n'allais pas venir après le message que tu m'as laissé ? 
-Quel message ? 
La voix de mon père était tendu, je me retournais vers lui. Il y avait Mary, ses enfants et mon père, je ne les avais même pas vu. Brian se réinstalla dans le fauteuil, et je vis à son regard qu'il allait observer la scène qui se déroulait devant ses yeux, comme on regarde un match de catch. J'affrontai le regard de mon père. 
-Je vais aller vivre chez oncle Eric pendant un certain temps. Ce sera mieux pour tout le monde et comme tu le dis si bien, j'apprendrais à connaître ma famille comme ça. 
Mon père resta interdit et il tourna les yeux. Il remarquait enfin que j'avais pris mon sac de voyage avec moi et ses sourcils se levèrent. 
-Non mais tu te fous de moi ? Tu ne vas nulle part Sarah ! 
-Si. Je vais chez Eric. Je vais mettre mon sac dans la voiture. 
-Tu restes ici, claqua la voix de mon père dans mon dos.
Je me retournai vers lui. Il était furieux. Je le voyais dans ses yeux. J'allais lui faire perdre son sang-froid. Et quand je serais arrivée là, ce serait un point de non retour. Je m'en doutais bien. Il fallait que je m'explique. Je ne savais pas si c'était cohérent mais je devais le dire. 

-J'y arrive pas. J'y arrive plus. Tu as raison... Je ne suis plus la fille que tu as élevé. J'ai besoin de me retrouver et clairement je.. Je ne sais pas comment le dire. Je veux être quelqu'un de bien mais je ne peux pas l'être parce que je ne suis pas heureuse ici. Tu comprends ça Papa ? Je ne suis plus heureuse ici, je n'ai plus l'impression d'être chez moi. C'est pas contre toi Mary, vraiment.  Mais j'ai besoin de distance. Alors je vais aller chez Eric, ça vaut mieux. 
Je venais de le choquer, de le blesser. J'aurais pu lui donner un coup de massue, ça aurait été pareil. Son univers venait de s'écrouler. Son regard à ce moment là était tellement chargé de douleur qu'il en était presque insupportable.
-Sarah, sweetie, va dans le hall, me murmura mon oncle. 
Je saisis mon sac et je ne me retournai pas. J'attendis un peu dans le hall. Je ne savais pas ce que mon oncle disait à mon père mais de toute évidence cela marcha. Mon père sortit du salon suivi de mon oncle, il me lança un regard chargé de chagrin et ouvrit la porte.
-Tu es toujours le bienvenu à la maison Eric. Tu embrasseras ta fille pour moi. 
Mon père posa sa main sur ma joue mais il ne dit rien pendant quelques minutes. Il allait le faire mais il se retint. 
-Faites bonne route.  

Sa voix était un murmure. Je courus presque jusqu'à la voiture de mon oncle. J'avais les mains tremblantes. Je sursautai quand j'entendis la portière d'Eric. Il démarra et posa sa main sur ma mienne. De la musique classique envahit mon espace auditif. 
-Alors tu vas m'expliquer ? Je sais que tu en as gros sur le cœur. Tu ressembles tellement à Elena comme ça. J'étais son premier confident, tu peux me faire confiance. 
-Je.. je.. je me sens tellement seule Eric. Comme si il y avait un vide, un gouffre, un trou noir en moi. Je ne sais pas quoi faire Eric.
C'est à ce moment là où j'explosais. J'en avais trop sur le cœur. Je lui déballai tout. Absolument tout. En commençant par Marc. Puis Sophie, puis mon père et je finis en racontant tout à propos de ma relation chaotique avec Brian et l'horreur que je vivais au lycée. Je lui parlai pendant tout le trajet entre nos deux maisons. Il me posait des questions et s'intéressait vraiment à moi. 
-Sarah. Je vais te donner mon avis. Je ne suis pas médecin, ni psy mais voilà ce que j'en pense. il va falloir que tu te pardonnes un jour.
-Me pardonner, mais de quoi ? 
-De croire que tu es responsable de la mort de ta mère. Je sais qu'elle est sortie pour aller te chercher un Paris-Brest. Mais ce n'est pas de ta faute, ça ne l'a jamais été. 

Mon oncle arrêta de parler et il lâcha ma main pour la reposer sur le volant. Il le serrait d'une manière extrêmement forte. Ses articulations en étaient blanches. Je fronçais un peu les sourcils.

-Il y a une chose que je ne t'ai jamais dit. Ton père le sait, mais toi je ne sais pas. C'est moi la dernière personne qui a vu et parler à ta mère, poursuivit-il d'une voix chargée par l'émotion. 
-Quoi ? 
-Je venais de me séparer d'avec ma femme et elle venait de prendre ta cousine de 1 an et de déménager dans un autre État. J'étais désespéré et j'avais décidé d'aller picoler pour .. je ne sais pas pour me tuer à petit feu. J'ai appelé ta mère pour savoir si elle voulait noyer mon désespoir avec moi. Et elle m'a rejoint dans ce bar... Elle m'a ramené chez moi avant que je ne commence et elle m'a consolé d'une manière incroyable. Elle avait ce don. Parler aux autres. Leur inspirer confiance, les inspirer tout simplement. Elle est restée avec moi un moment et c'est en rentrant chez vous qu'elle a eu son accident. 
-Je ne le savais pas. 
-Non, tu ne le savais pas. Et le dernier SMS qu'elle a envoyé, ce n'était pas pour ton père. Mais pour moi. Pour me dire que je pourrais toujours compter sur elle quoi qu'il arrive. Elle était arrêtée à un feu rouge. Et c'est en redémarrant que la voiture... Je l'ai rappelé sur le champs et c'est un infirmier qui m'a répondu. J'ai cru que mon monde venait de s'écrouler et j'ai appelé ton père pour le prévenir. Je suis arrivé à l'hôpital en premier, je l'ai vue. Elle m'a regardé, je me suis approchée d'elle. Et tu sais ce qu'elle m'a dit en souriant ? Je vous aimerai toujours. Prends soin d'eux. Et elle est morte. Comme ça. En une minute. Elle m'a regardé et m'a dit de prendre soin de toi. Aussi je te le dis pour que tu le comprennes une bonne fois pour toute. Tu n'es pas responsable de sa mort. Pas plus que ton père ou pas plus que moi. C'est un concours de circonstances. Rien de plus. Je veux te l'entendre dire.
-De quoi ? 
-Je veux t'entendre dire : Je ne suis pas responsable de la mort de ma mère. Dis-le.
-Je ne vois pas ce que cela changerait.
-Dis-le. Crois-moi. Je veux que tu le dises, que tu le répètes et que tu t'en persuades. Vas-y.
-Je ne suis pas responsable de la mort de ma mère.
-Je veux plus de conviction.
-Je ne suis pas responsable de la mort de ma mère.
-Sarah.. tu ne com..
-Je ne suis pas responsable de la mort de maman ! lui hurlais-je dessus. C'est ce que tu voulais entendre ? 
Mine de rien, cela m'avait fait un mal fou et un torrent de larmes me bouchèrent la vue.
-Oui. C'est ce que je voulais entendre. Prends un mouchoir et essuie tes larmes sweetie. On est bientôt arrivé. En fait, Elijah est à la maison. Il doit être entrain de dormir. J'ai été le récupérer à l'aéroport quand tu m'as laissé ton message.
-Elijah ? Le jumeau de Maman ? On est vraiment en famille quoi. Il manque plus que tes parents.
-Ne parle pas de malheur s'il-te-plaît. Ça lui fera plaisir de te voir. Ça fait combien de temps que tu ne l'as pas vu en vrai ? 
-3 ans. Quand il est parti avec son ex petit ami en Espagne. On s'est parlé parfois mais c'est pas pareil. J'ai appris sur Facebook qu'il avait cassé avec Pedro l'autre jour. Je ne pensais pas qu'il allait revenir aussi vite.
-Bah si. Il a pris un billet, son sac et il a débarqué chez moi.
-Ça va être épique. Il travaille toujours pour ce magazine de mode là ? Lui ? 
-Ce n'est pas très clair justement. Je crois qu'il a présenté sa démission. Sarah, il y a un truc que je veux que tu fasses pendant que tu es chez moi...
-Pas question que je fasse le ménage. 
-J'ai une femme de ménage, non, c'est pas ça. Je veux que tu te reposes et que tu ne t'occupes que de toi. Et je veux aussi que tu appelles ton père quand tu ne seras plus en colère parce que je le connais depuis.. longtemps et la dernière fois que je l'ai vu comme ça, c'était à l'enterrement d'Elena. Alors s'il te plaît. Fais en sorte de lui pardonner.
-C'est déjà fait. Mais je ne voulais pas lui dire. C'était horrible de le voir se décomposer. Mais je lui ai dit la vérité. Je me sens mal à la maison. On est censé être bien dans son foyer n'est-ce pas ? 
-Oui. Mon foyer sera ton foyer pendant ton séjour. Par contre, tu appelleras un taxi pour t'amener à l'école. Je travaille à l'autre bout. Remarque. Eli aura qu'à le faire. 

-Merci Eric. 
-Tu es de mon sang et de ma chair. C'est normal. Et je veux que tu saches que tu auras toujours une maison, un abri et un refuge chez moi. 
-Je t'aime Eric. On ne s'est pas beaucoup vu dernièrement mais je t'aime vraiment. 

Il habitait une maison gigantesque sur Hollywood. Il rentra dans l'allée et il gara sa voiture de sport dans le garage. Nous montâmes dans sa maison ultra design et il me montra ma chambre. Ça se voyait qu'il était célibataire et qu'il travaillait en tant qu'avocat pour l'industrie du cinéma. Il y avait des photos au mur. Je souris en voyant une photo quand j'étais petite avec ma mère, Elijah et lui. J'étais toute petite là-dessus. Elle était magnifique cette photo.
-C'est ton père qui l'a prise. Il a toujours eu un talent fou pour la photographie.
-Ça fait surtout des années qu'il en a pas fait. 
-Il n'a pas eu le temps et il a eu d'autres choses à penser. 
-Je savais bien que j'avais entendu une voix magnifique appartenant à une adolescente sexy !

Je me retournai et je vis le jumeau de Maman. Je poussai un cri et je le serrai contre moi. Il n'avait pas changé. Il était toujours aussi beau, aussi grand, aussi fort. C'était typiquement le genre de gars dont les filles tombent amoureuse. Typiquement le genre de mec qui inspire ce genre de réflexion « C'est une perte pour la gente féminine » quand on apprend qu'il est gay. Il m'avait dit un jour qu'il n'y aurait en tout et pour tout que 5 femmes dans sa vie. Sa grand-mère, sa mère, ma mère, ma cousine et moi. Mais ça c'était avant que sa mère n'essaye de l'exorciser pour retirer l'homosexualité qui était en lui comme si c'était une possession démoniaque et avant le décès de mon arrière grand-mère. Maintenant, on était plus que deux. 

-Tu as l'air malade ma chérie et affamée. John a arrêté de te donner à manger ou quoi ? Je crois qu'une bonne tequila.. heu une bonne tisane te fera du bien. 
-Juste un câlin par deux de mes oncles favoris et ça ira beaucoup mieux. J'ai cours demain Elijah, tu m'emmèneras ? 
-Évidemment. Tu es toujours dans ton école hyper huppé pour coincé du cul ? 
-Oui oncle Eli. 
-Super ! ironisa-t-il en levant les yeux au ciel.
-Mais on est pas si coincé que ça, y'a un club LGTB maintenant. Et y'a un mec qui a fait son coming out et c'est passé super bien. Si on compte le fait qu'il ne s'est fait tabassé qu'une fois et avant son coming out. Depuis, il est populaire.
-Génial. Pauvre gosse. Bon, j'aurais adoré bavarder avec toi pendant longtemps pour continuer notre club des vilains petits canards mais je vais, pour une fois, jouer les adultes responsables :  va te coucher, on parle demain.
Il avait besoin de parler avec son frère. Je le voyais très bien. Il m'embrassa sur le front, son frère aîné aussi et je filai dans la chambre où j'avais posé mon sac. Je m'affalai sur mon lit, un peu exténuée, un peu soulagée et me sentant en parfaite sécurité. J'entendais les voix de mes oncles entrain de parler. 
-Alors raconte ? Qu'est-ce qu'a fait John ? 
-Il a dit des choses qu'il n'aurait pas dû par maladresse et Sarah s'est braquée comme Elena l'aurait fait. Je vais l'appeler pour lui dire qu'on est rentré.
-Elle lui ressemble beaucoup n'est-ce pas ? 
-C'est clair. Elle sera canon plus tard, faudra veiller au grain. Pas que plus tard d'ailleurs. Elle t'expliquera par elle-même je pense. John ? Ouais c'est moi... oui. Elle est partie se coucher; y'a pas de souci. Écoute, moi ça ne me dérange pas de l'avoir à la maison et je crois que changer un peu d'air lui fait du bien. Oui.. oui.. c'est sûr. Si tu as envie d'en parler avec elle, tu me le diras, je ferai en sorte de vous organiser un rendez-vous en terrain neutre. Oui.. oui. Non Eli va le faire. Non.. Pfff. C'est ma nièce. Elle me dérangera jamais. Non. Oui. C'est ça. Je t'appelle demain. Bye. 

Mon père venait de parler avec mon oncle mais il ne m'avait pas envoyé de SMS pour me souhaiter une bonne nuit ou pour faire le moindre geste envers moi. J'étais un peu dégoûtée en réalité. J'étais affalée sur le lit avec les draps en satin et je saisis mon téléphone. Mon père décrocha aussitôt. Je ne dis rien pendant une minute, et lui non plus. Je n'entendais que sa respiration profonde. J'avais l'impression qu'il était là avec moi.

 -Je t'aime Sarah. Ne l'oublie jamais. Passe une bonne nuit.
Je raccrochai tout de suite après et je fondis en larmes pour la énième fois de la journée. Je n'étais pas qu'un vilain petit canard. À ce moment précis je me sentais mal et méprisable. J'étais un vilain petit canard indigne de l'amour de mon père, de mes oncles ou de qui que ce soit. Tout ce que je voulais, c'était que tout ça s'arrête. Pour de bon.


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