Octidi

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Octidi

Tôt ce matin, le citoyen Hermann, commissaire en chef de la commission administrative de la police et des tribunaux, a accepté se me recevoir pour écouter mes arguments.

Il pourrait surseoir à mon exécution ou décider d’un nouveau procès. Il n’a pas encore pris de décision, mais a paru sensible à ma plaidoirie.

Au cours de l’entretien, il m’apprend qu’André Chénier, un poète et journaliste que j’ai rencontré au cours de mes spectacles, a été exécuté hier pour connivence avec l’ennemi.

Je me garde bien de lui dire que je le connaissais.

Espoir ?

Ce n’est pas encore une porte entrouverte, mais elle est déverrouillée !

Mon calvaire prendrait-il fin ?

Je reprends espoir.

Chaleur…

Elle est si forte aujourd’hui que je bois sans arrêt. Il m’a fallu quémander un broc d’eau auprès de la Tortue en échange de ma médaille et sa chaîne. J’aurai également un rasoir pour demain, il y a si longtemps que je n’ai pu faire un peu de toilette.

Douleur

Je me relève brusquement, la Tortue me contemple l’air satisfait, des gardes m’observent derrière la porte, j’ai dû somnoler car je ne les ai pas entendu entrer, c’est la Tortue qui m’a asséné un coup de pied dans les côtes, réveillant la douleur, je dois les suivre… où va-t-on ? Personne ne me répond.

Brouillard ?

Je marche sans m’en rendre compte, comme à travers le brouillard, je ne distingue que des ombres diffuses, je n’entends que des sons assourdis, incompréhensibles. Le temps n’existe plus, cette marche dure l’éternité et puis bizarrement, l’éternité s’arrête, je m’immobilise également, je suis dans la salle du Tribunal Révolutionnaire, beaucoup de chuchotements, de raclements de chaussures, de chaises grinçantes, de portes qui s’ouvrent ou se ferment en couinant. Sur ma gauche, une rangée de tables disposées côte à côte, les hommes assis derrière sont les jurés chargés de reconnaître la culpabilité des accusés, en face d’autres tables chargées de dossiers, la place des juges chargés de prononcer la sentence, à gauche, les défenseurs et derrière eux, sur une estrade, les accusés, ils sont une trentaine, on me conduit vers eux. J’aperçois alors le public qui était derrière moi, une centaine de personnes, hommes, femmes, enfants, de tous âges et de toutes conditions, venus ici comme on va au théâtre, passer un bon moment à regarder un spectacle offert, celui-ci, gracieusement.

On annonce les juges, nous devons nous lever, puis nous rasseoir. L’accusateur commence alors la longue litanie des faits reprochés : conspirant contre l’état, entretenant des intelligences avec l’ennemi, s’associant avec la coalition des conspirateurs, favorisant l’émigration, tenant des propos contre-révolutionnaire, convaincus d’être les ennemis de l’état en participant aux crimes et complots de Capet et de sa famille, etc.

Certains accusés s’insurgent, tentent de se justifier, on les fait taire ; Les défenseurs, qui depuis la loi du 22 prairial n’ont plus le droit d’intervenir, tentent de faire entendre des témoins. Peine perdue, les jurés n’en ont cure, il est tard, il fait trop chaud, ils sont pressés d’en finir, les conciliabules durent quelques minutes et leur vote est unanime et exemplaire : tous coupables.

Toujours dans le brouillard…

J’entends, sans comprendre immédiatement, le président du tribunal énoncer d’un ton exalté : « Les accusés ayant été reconnus coupables des faits qui leur ont été reprochés sont condamnés à mort. Gardes ! Emmenez-les ! La séance est levée ! »

Je suis ramené par les gardes dans ma cellule. J’entends vaguement que l’exécution n'aura lieu que demain, étant donné l’heure tardive de la fin du procès.

Je m’assois dans un coin et, comme si l’on m’avait drogué, je sombre illico dans un profond sommeil pour me réveiller un peu avant l’aube.

~~~~~~

JI 26/05/18

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