41. Le garde qui dérange

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Théo

“On ne peut faire confiance à personne, c’est important de ne jamais baisser sa garde.” Cette phrase prononcée par Henri revient en boucle dans mon esprit et j’ai du mal à savoir pourquoi je n’arrive pas à m’en débarrasser. Je me suis pourtant mis devant mon piano et je m’entraîne à jouer des petites sonates de Chopin, ce qui nécessite d’habitude toute ma concentration, mais là, c’est peine perdue. Je multiplie les erreurs et suis obligé de reprendre au début tellement je ne suis pas satisfait de ce que je suis en train de jouer.

Voyant que je n’arriverai à rien, je m’arrête de faire de la musique et descends dans ma cuisine afin de me changer les idées en préparant un petit dessert pour notre déjeuner. Au moins, là, pas besoin de se concentrer autant que pour jouer du Chopin. Ce n’est pas grave si mon esprit divague sur le peu de temps qu’il me reste avant que les russes me retrouvent, cela ne m’empêchera pas de réussir le gâteau au yaourt que je suis en train de préparer. Rien de plus facile à faire, et avec un petit peu de crème au chocolat, ce sera délicieux. J’essaie de me focaliser d’abord et avant tout sur cette menace qui pèse sur moi. Je n’ai plus aucune nouvelle de Mikhail qui est passé en mode incognito. Ou alors, il s’est fait pincer et il est en train d’être torturé pour leur donner des éléments qui vont me condamner. Ils sont forts, ces mafieux, pour faire avouer tout et son contraire, j’espère que cela ne m’arrivera jamais car je ne suis pas sûr de pouvoir résister plus que quelques minutes.

Je mets le gâteau au four et regarde l’heure qui n’avance pas, semble-t-il. Je m’attelle donc à la préparation de la crème au chocolat. Plutôt que de mettre un truc tout fait, ce sera de la fabrication maison. Cela n’en sera que meilleur, je suis sûr. Lyana va adorer, c’est certain. Henri ne l’aime pas beaucoup, ma voisine. Je me demande s’il est en train de perdre un peu son flair pour reconnaître les criminels ou bien s’il y a réellement quelque chose. Je repense à la façon dont elle parlait de Mikhail. Ce n’est pas un nom si courant que ça en France, surtout quand on prononce le ‘kh‘ presque comme un ‘r’, ce que Lyana a fait avec un naturel déconcertant. Quelle est la probabilité pour qu’elle en connaisse un autre que celui qui m’a donné toutes ces informations compromettantes et qui font que nous en sommes là aujourd’hui ? Sûrement plus importante que je ne le crois. Et pourtant, “On ne peut faire confiance à personne, c’est important de ne jamais baisser sa garde.” a dit le grand sage. Si je l’écoute, je ne devrais même pas lui faire confiance. Ce n’est pas parce qu’il est flic que je dois le croire. Mais, si je ne peux même pas m’appuyer sur lui, je vais mourir seul et con dans mon lit. Et puis, si j’en crois ce que me dit mon cœur, je n’ai rien à craindre ni de son côté, ni du côté de Lyana avec qui l’entente est magique.

— Salut, beau voisin, me surprend cette dernière en toquant à la porte qu’elle a déjà ouverte. Ça sent bon chez toi, j’en ai l’estomac qui crie famine.

— Oh, te voilà ! dis-je en souriant tellement je suis heureux de la voir. Tu as bien travaillé ? Prête à venir déguster un bon petit repas avec ton voisin préféré ?

— Toujours prête. Tu sais, ma vie est guidée par la nourriture et le sexe, alors… Tu combines les deux, comment résister ? me lance-t-elle en venant m’enlacer. Une balade, ça te dit ?

— Après le repas, pourquoi pas, oui. Tu voudrais aller où ? Et en attendant, un morceau de poisson avec un peu de gratin de riz aux courgettes, ça te dirait ? Ce n’est pas du sexe, mais côté nourriture, ça permettrait de répondre à la moitié de tes besoins, non ?

— Parfait, oui. Avec Guizmo, on a découvert un coin magnifique en forêt, si ça te tente. Ce n’est pas tout proche, mais ça vaut le détour.

— En forêt ? Tu as découvert ça quand ? demandé-je, intrigué.

Elle s’installe sur le tabouret en face de moi et m’observe préparer le repas. Je viens de mettre le poisson dans l’huile de la poêle et je mets le gratin à réchauffer au four après avoir sorti le gâteau. J’aime quand nous partageons ainsi des petits instants du quotidien comme n’importe quel couple. Cela me rend heureux au-delà du raisonnable, et je crois que j’aurais désormais du mal à me passer d’une telle sensation. Que c’est agréable de ne plus être seul et de pouvoir embrasser sa partenaire dès qu’on le veut. Un bonheur que je désire savourer au quotidien.

— Cette semaine. Je n’avais aucune inspiration pour le boulot alors j’ai embarqué la boule de poils en balade. On pourra y passer l’après-midi et se baigner dans une rivière au beau milieu des arbres. Tentant, non ?

C’est vrai que c’est tentant de pouvoir aller me baigner en sa compagnie. J’adore la voir en bikini et l’observer nager et se prélasser au soleil. Rien de tel pour m’exciter.

— J’avoue que ça fait envie. Surtout si tu mets ton petit maillot jaune et vert qui va si bien avec ta belle crinière rousse, ma Fauve.

— Possible que ce soit le programme, sourit-elle, mutine, en ouvrant les premiers boutons de sa petite robe pour me montrer son haut de bikini.

Tout de suite mon corps réagit et cela a l’air de l’amuser énormément. Je la vois lorgner vers mon entrejambe et elle se mordille la lèvre de manière si sexy que je me demande si je ne vais pas interrompre ma préparation culinaire pour l’honorer sans plus attendre.

— La mise en bouche est excitante, Lyana, je suis conquis. Mais peut-être qu’une petite sieste crapuleuse sera nécessaire avant de partir. Je ne suis pas sûr de tenir jusque là-bas pour apprécier et profiter de la vue.

— Ah non, priorité à Guizmo, mon Chou. Il a trop chaud et a besoin de se baigner. Si tu as tes chaleurs, il va falloir être patient, plaisante-t-elle en se levant pour mettre la table.

C’est clair que j’ai mes chaleurs. Ces jambes qu’elle me dévoile en se penchant sur la table, j’ai juste envie de venir les caresser, de les sentir s’enrouler autour de moi et m’emprisonner jusqu’à ce que je la fasse jouir. Et ces fesses, que dire si ce n’est que je veux encore et encore les sentir sous mes mains, les caresser, les masser. Elle me rend fou de désir, c’est incroyable.

— Et moi qui pensais que j’aurais eu droit à une petite récompense pour ce bon petit repas ! Quel désespoir…

— On verra ça sur place, si tu es sage… Ça n’a pas l’air très fréquenté et j’adore le sexe en plein air… Qu’en penses-tu ? En plus, il va encore falloir que tu m’étales de la crème partout. Mais vraiment partout, s’il n’y a personne, tu vois ? continue-t-elle, l’air innocent.

— Intéressant, ce programme, mais je te préviens, ça risque de déraper. Heureusement que Guizmo sera là pour monter la garde.

Je ne sais pas si c’est parler de la garde ou le fait qu’elle ait dit que ce soit peu fréquenté, mais une fois encore, les mots d’Henri me reviennent en tête. Dans le contexte actuel, ce n’est pas une bonne idée d’aller en forêt, je crois. Et si elle m’attirait là pour mieux se débarrasser de moi ? Pour mieux me faire disparaître sans témoin. Je me rabroue mentalement car, quand je vois la façon dont elle me sourit, je crois que je suis en plein délire, là. Elle a juste envie de moi, c’est clair. Et pour me rassurer, je lui vole un baiser avant de la servir.

— C’est l’objectif, que ça dérape, voyons ! L’après-midi n’en sera que meilleur, beau voisin. Merci, ça me semble très appétissant, tout ça. Toi y compris, d’ailleurs !

Je m’installe en face d’elle et nous partageons ce bon petit repas en nous dévorant des yeux. Je réfléchis quand même à sa proposition et me dis qu’il serait plus prudent, au cas où les Russes me suivraient, de prévenir ceux qui me protègent. Discrètement, alors que je prépare les assiettes pour le gâteau, j’envoie un petit SMS à Serge pour l’informer de notre escapade à venir en forêt.

— Et voilà ! Un petit dessert fait maison avec de la bonne crème au chocolat ! Tu m’en diras des nouvelles !

— Mon dieu, tu sais que je vais finir par ne plus rentrer dans ce bikini si tu continues à me faire à manger comme ça ?

— Tu sais que j’aime te voir gourmande ! Et je ne sais pas comment tu fais, mais tes courbes ne changent pas et sont juste parfaites ! Tu es tellement belle.

— Tu me flattes pour me mettre dans ton lit, c’est ça ? rit-elle. C’est déjà gagné, tu sais ? Pas la peine d’en faire des tonnes.

— Je te flatte parce que tu es belle. Et que j’ai envie de toi. Mais je vais attendre d’être dans la forêt, c’est encore plus excitant.

— Dépêchons-nous alors, parce que je ne suis pas quelqu’un de patient, moi. Même si cette délicieuse crème peut me faire attendre un peu.

Elle va me faire craquer, là. La façon dont elle lèche sa cuillère en me regardant, comme elle le fait quand c’est mon sexe qui se trouve entre ses lèvres, me rend encore plus fou de désir. Elle s’amuse de voir comme cela m’excite et continue son petit jeu qui me met à l’étroit dans mon jean.

— Je crois que l’impatience va nous mettre en retard pour la forêt, jolie Fauve. J’ai trop envie de toi.

— Ah non, ce n’est pas au programme, ça, beau voisin chéri, me dit-elle en se levant pour débarrasser la table.

Alors que je me lève à mon tour pour aller la rejoindre et accélérer le programme, j’entends de grands coups sur la porte d’entrée. Tout de suite, les battements de mon cœur s’accélèrent et je suis pris d’une forte angoisse. Cependant, je me ressaisis et me dirige vers la porte. Je suis vite rassuré de voir que c’est Serge qui est derrière la porte.

— Ben, tu fais quoi, ici ?

— Je viens te chercher pour l’après-midi coinchée, pardis ! Tu n’as quand même pas oublié ? rit-il d’un air jovial peu crédible en entrant. Oh… Si, t’as oublié, c’est ça ? Je comprends bien, y a de quoi oublier tout et n’importe quoi, à ce que je vois. Voici donc la fameuse Lyana, enchanté, moi c’est Serge.

— Heu… Enchantée, Serge. C’est quoi cette histoire de coinchée ?

— Je vois qu’il a oublié son pote, le bougre ! C’est mon partenaire pour le concours de cet après-midi au bar. Je lui ai dit que j’aimerais bien jouer, mais mon coéquipier habituel est parti en vacances, alors il s’est dévoué, mais… je dérange, apparemment. Tu me laisses tomber, Théo ?

Je me demande ce qu’il est en train de me raconter. Et je n’ai pas envie d’aller jouer aux cartes avec lui, moi. J’ai envie de me retrouver avec Lyana et de profiter d’elle.

— Je me suis dévoué ? Mais… tu as dû mal me comprendre, non ?

— Je ne pense pas, non. Tu m’as dit que tu jouais comme un pied mais que tu voulais bien me dépanner, je ne suis pas fou quand même ! Tu ne vas pas me lâcher, rassure-moi ?

Tout à coup, je comprends qu’il cherche à me faire rester ici afin de me protéger. Sa tentative est maladroite, j’ai l’impression qu’il n’a pas réfléchi beaucoup avant d’intervenir. Cela me touche qu’il se mette ainsi en danger pour moi, mais en même temps, je me demande comment va réagir Lyana.

— Euh Lyana, si je me suis engagé, je devrais y aller, non ?

— J’imagine, soupire-t-elle en lançant un regard à Serge que je ne parviens pas à déchiffrer. Si j’avais su, je n’aurais pas attendu la rivière pour profiter de mon goûter…

— Dès que nous avons perdu, je reviens, promis. Ou alors, tu te joins à nous ? Tu me porteras peut-être chance si tu ne me distrais pas trop.

— Non, ça va aller, je vais aller bosser en attendant. Bon après-midi, messieurs. Amusez-vous bien, nous dit-elle avant de déposer un baiser sur ma joue et de filer rapidement.

— Désolé, Théo, mais Henri m’a dit de faire gaffe à ta gonzesse, j’obéis aux ordres…

— Ouais, eh bien, tu peux être content, tu m’as privé d’une bonne séance de câlins coquins. Franchement, la prochaine fois, je ne sais pas si je vous préviens si c’est pour foutre en l’air ma vie. Vous devez me protéger, pas m’empêcher de vivre. Putain, une coinchée, c’est quoi, cette idée ?

— Le seul truc qui m’est venu. Désolé de chercher à te garder en vie. Non mais, sérieux, te barrer en forêt, l’idée du siècle, bougonne-t-il. tu ne veux pas monter sur le toit de la mairie et sauter, tant que tu y es ? L’effet sera le même.

— Et il est censé avoir lieu où ce tournoi ? Il existe vraiment ? Sinon, je vais avoir l’air d’un con quand elle va me demander comment ça s’est passé.

— Bien sûr, on file au bar. J’espère que tu sais un peu jouer. Quitte à faire un concours, autant essayer de le gagner !

— Oui, je sais jouer, mais de là à gagner… et puis, ça ne remplacera pas les bras de Lyana. Allez, je te suis, l’Emmerdeur. Et je te jure que si tu me la joues à la Marcel Pagnol et que tu me dis que je te fends le cœur, je vais la jouer à la Frankenstein et te transformer en monstre informe.

— Je vais me contenter de te dire que je suis là pour te protéger alors que j’ai une femme et un nourrisson qui m’attendent à Paris, et que donc tu me dois bien un concours de coinchée. Ça te va, partenaire ?

Que répondre à ça ? Il a raison, il sacrifie beaucoup pour moi et je devrais faire un effort pour le remercier de cette attention à mon égard. Mais si ma raison pense comme ça, c’est tout mon corps qui me houspille. Bref, je fais contre mauvaise fortune bon cœur et l’accompagne à ce tournoi qui m’éloigne de la femme avec qui j’ai envie de passer tout mon temps. Ils sont en train de psychoter ou alors je me trompe complètement sur le compte de ma voisine ? J’en ai marre de cette situation où je ne peux être sûr de rien.

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