20. Passer un cap

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Lyana

Je m’installe en face de Lorette, la boulangère, alors que Guy, le barman, vient déjà dans notre direction.

— Bonjour mes jolies ! Qu’est-ce que je vous sers ?

— Deux allongés, s’il te plaît, Guy.

Un sourire charmeur et il fait déjà demi-tour alors que ma nouvelle amie sort son téléphone et me présente la photo d’un petit chaton roux.

— Je vais le récupérer ce soir. Tu diras à Guizmo de ne pas le manger, hein ? rit-elle.

— Il est mignon, mais… je ne peux rien te garantir pour mon monstre !

Elle grimace et je ris. Guizmo est une crème, ça vaut aussi pour les animaux. Mon ancien voisin avait trois chats et deux hamsters dont j’ai dû m’occuper pendant son séjour en taule, et il jouait avec eux plutôt que de les chasser.

— Je plaisante ! Pas de panique, Lorette, me moqué-je en me levant pour récupérer l’Eveil Normand sur la table d’à-côté.

— Tu plaisantes, mais mon petit chat va faire vraiment minuscule à côté de ton gros toutou.

Je récupère mon téléphone dans la poche arrière de mon short et cherche dans le peu d’images que j’ai récupérées de mon ancienne vie. Le sourire niais qu’elle affiche lorsque je lui montre la photo de ma boule de poils endormie en boule contre deux chats.

— C’est un amour, tu vois ?

— Qui ça ? Mademoiselle n’est plus célibataire ? nous interrompt Guy en déposant nos tasses sur la table.

— Ah si, célibataire et fière de l’être, souris-je.

— Vraiment ? Même pas en rapprochement avec ton voisin ?

Je lève les yeux au ciel et l’envoie promener d’un geste de la main. Comme si venir boire un café de temps en temps ici histoire de sortir de nos petits quotidiens voulait dire que… En attendant, le propriétaire du bar rigole en retournant derrière le comptoir et j’ouvre le journal, l’air de rien.

Y a-t-il rapprochement ? Nous sommes amis, j’imagine. Y a-t-il plus ? Je crois que ni lui, ni moi, ne dirions non, mais nous sommes sérieux. Tout ça pourrait partir en sucette. Coucher avec lui, et après ? Je ne me vois pas tomber nez-à-nez avec mon coup d’un soir ou deux tous les jours, comme je ne m’imagine pas dans une relation sérieuse. Surtout dans le contexte actuel. Je ne suis là que pour quelque temps, je vais repartir, et je suis ici sur la base d’un mensonge.

— Dis-donc, t’as vu ça ? me demande Lorette en m’empêchant de tourner la page.

Je jette un œil au petit article qu’elle me pointe du doigt et constate qu’il y a eu un cambriolage dans le village. Il n’est pas très long et ne donne pas beaucoup d’informations, mais ça s’est passé près de l’école élémentaire et les individus auraient tout saccagé et menacé l’homme qui vit dans la maison. Les trois hommes ont été décrits par ce dernier comme étant agressifs et particulièrement étranges, d’autant plus qu’ils n’ont rien volé.

— Eh bien, on a plutôt intérêt à bien fermer nos portes et à ne pas ouvrir à n’importe qui, continue-t-elle, penchée sur la page.

Des types qui saccagent et menacent, ça pourrait très bien être pour tout un tas de raisons. Pour autant, dans ce petit village sans histoire ou presque, ça fait tache dans le paysage. Le plus gros truc que j’ai entendu avant ça, c’est le scandale de la coiffeuse qui aimait se taper le mari de ses clientes. Et si ces “voleurs” étaient des gars de l’organisation ? Et donc… Si ce type était le mec que je devais surveiller ?

— Ouhou, Lyana, y a quelqu’un ?

— Oui, oui, je suis là, pardon. Je réfléchissais, désolée.

— Tu réfléchissais à quoi ?

— A comment mieux sécuriser la maison, en fait.

— Tu déconnes, tu as le meilleur agent de sécurité du quartier ! pouffe-t-elle.

— Non, le gros O’Malley fait plus flipper que Guizmo, tu déconnes !

— Mais enfin, c’est un chat !

Je hausse les épaules en riant et parcours à nouveau l’article avec l’envie d’aller faire un tour dans le coin. Ce n’est pas très loin d’ici, en cinq minutes de marche, j’y suis.

— Tu ne veux pas aller te balader ?

— Pourquoi, on n’est pas bien ici ? Tu ne crois pas que je marche déjà assez à la boulangerie ?

— J’ai besoin de prendre l’air. Si toi tu fais des kilomètres, moi je passe mon temps derrière mon ordinateur. Toi, tu as un cul d’enfer, moi je prends du poids, surtout que mon voisin me fait souvent des gâteaux et pâtisseries diverses, tu vois ?

— Ma pauvre petite chérie, bichonnée par un homme ! Il me fait de l’ombre, en plus, l’enfoiré de beau gosse de la mairie.

— Oui, il est plutôt doué, c’est vrai, souris-je. Tu devrais l’embaucher, je t’assure. Bon allez, je vais marcher un peu, moi.

— J’y penserai, il pourrait m’être utile s’il est doué de ses mains.

Je pouffe en me levant et la gratifie d’une bise en déposant l’appoint pour les cafés.

— Il pourrait, oui, mais il est un peu sauvage, tu sais. Et gardé par Guizmo, qui s’est fait un devoir de le surveiller constamment.

— Merde, il est un peu relou, ton clébard. Bonne journée, Lyana, je te garde une part de flan coco pour demain, tu me diras si ton voisin me surpasse là-dessus, mais j’en doute.

Je file sans tarder et traverse le village par une ruelle perpendiculaire à la nôtre. Je n’ai pas besoin de chercher très longtemps pour tomber sur la maison en question, et même sur le type qui a été agressé hier soir. Il est en train de prendre son courrier lorsque je passe devant lui. Roux, la quarantaine, plutôt grand et d’une silhouette quelconque. Est-ce que je suis jugeante si je dis qu’il n’a pas l’air bien fûté ? Je m’en fous, en fait, c’est une réalité.

J’attends qu’il rentre de sa sortie à la boîte aux lettres et repasse devant la maisonnette pour l’observer plus attentivement. C’est très carré, rien ne traîne dehors, comme s’il habitait à peine ici. Même notre cour avant est plus fournie que ça alors que nous ne sommes là que depuis quelques semaines. Pierre Martin, c’est le nom inscrit sur la boîte. Sans doute un nom d’emprunt, c’est assez courant…

Je décide de ne pas trop m’attarder dans le coin et rentre tranquillement à la maison sous un ciel gris. Je ne comprends d’ailleurs pas trop ce que font Guizmo et Théo dans la cour. Mon chien est couché sur la terrasse tandis que mon voisin est assis sur une chaise, torse nu, en train de soulever des poids qu’il a achetés la semaine dernière.

— Tu te donnes en spectacle pour les petites vieilles du coin ? souris-je en refermant le portail, accueillie par mon monstre qui me tourne autour jusqu’à recevoir sa caresse.

— Tu crois qu’il y a des petites vieilles qui pourraient être intéressées ? A part Madame Chantal, je n’ai pas eu beaucoup de propositions, tu sais. Il faut que je m’entretienne un peu si je veux attirer les regards.

— Eh bien, je les ai vues baver sur les sapeurs pompiers l’autre jour et je peux t’assurer qu’ils n’ont rien à t’envier. Elles doivent être timides. Lorette serait intéressée aussi, je pense.

— Merci, c’est gentil, mais je trouve que je mène une vie trop pépère. Je m’encroute et il faudrait que je fasse plus de sport, explique-t-il en continuant ses exercices.

Ah mais ce n’est certainement pas moi qui vais m’en plaindre, la vue est plutôt agréable et je ne vais pas non plus me gêner pour en profiter.

— Très bien, tu fais ce que tu veux après tout. C’est le prix à payer pour manger des pâtisseries, c’est ça ? lui demandé-je en m’installant sur le transat.

— Il faut bien éliminer tout le sucre et le beurre, oui, rit-il en jetant un regard pas si discret que ça vers mes jambes que j’étends près de lui.

— Oui, c’est sûr… Enfin, tu sais, une nuit en boîte de nuit et une fille dans ton lit, ça élimine aussi, et c’est bien plus agréable que la jouer bodybuilder.

— Je ne dois pas savoir y faire, moi, alors. J’ai eu récemment une jolie fille dans mon lit et tout ce que j’ai éliminé, c’est quelques larmes. C’est ça d’être un gentleman qui déprime.

— Eh bien, je n’ai rien contre les hommes sensibles, moi, tu sais, souris-je. Ça a son charme. Surtout s’il joue le bodybuilder, sensible et sexy.

— Mais ça ne vaut pas les pompiers du village, je suis sûr, déclare-t-il alors que ses yeux me scrutent pendant que j’enlève mon tee-shirt afin de me mettre à l’aise à ses côtés.

— Ah non, certainement pas, m’esclaffé-je. Tu les as vus, les sapeurs pompiers, sérieusement?

— Tu veux dire qu’il faudrait que je m’engage à leurs côtés pour rehausser le niveau ?

— Ça pourrait être une bonne idée, mais… tu prendrais des risques. Qu’est-ce que tu dirais de sortir, ce soir ? J’ai vu qu’il y avait des concerts en plein air à Evreux, il me semble. Ça peut être sympa, tu ne sors plus en ce moment, c’est à peine si tu fais tes courses.

— Je ne sais pas si c’est une bonne idée, Lyana. Je suis plutôt du genre casanier, tu sais ? Et qu’est-ce que je trouverais de plus là-bas qu’ici ? Le spectacle à la maison est déjà bien intéressant, je trouve !

— Et qu’est-ce que tu trouves intéressant, au juste ? C’est toi qui fais le show ici.

— Disons que tu es encore moins vêtue que lorsque j’ai passé la nuit dans ton lit. Et en plus, il fait jour. C’est loin d’être désagréable.

Je baisse les yeux sur mon corps et souris. Il a raison, j’avais au moins le tee-shirt lorsque nous avons dormi ensemble. Est-ce que j’apprécie le regard qu’il pose sur moi ? Plutôt deux fois qu’une. Ce n’est pas désagréable d’être clairement dévorée des yeux par un homme, et je suis sans doute autant en manque que lui, puisque nous vivons comme deux ermites ici.

— J’espère bien que ce n’est pas désagréable, je ne vais pas à la salle de sport pour rien, quand même !

— C’est clair que le résultat donne envie, commence-t-il avant de s’arrêter net, réalisant sûrement ce qu’il vient de dire. Désolé, je m’égare, continue-t-il en reposant les poids près du fauteuil avant de se redresser.

— Ne t’excuse pas de me faire un compliment, ris-je en attrapant sa main au passage. Salut, toi, grande main baladeuse qui soulève des poids. Tu sais que tu as de jolies mains ?

Je le vois rougir à l’évocation des caresses qu’il m’a prodiguées au réveil quand nous avons partagé mon lit. Il cherche à retirer sa main, mais je la retiens et la pose sur mon ventre, doigts écartés. Elle recouvre bien ma peau mais j’ai l’impression qu’il n’ose pas la bouger.

— Je suis désolé d’avoir profité de la situation, je n’étais pas vraiment réveillé… Et j’avoue que c’est difficile de résister à la douceur de ta peau.

Je souris en remontant ma main sur son avant-bras. J’en ai marre de tout contrôler, marre de réfléchir à tout. J’ai juste envie de vivre, de profiter, et de prendre du plaisir sans mission, sans objectif autre que celui d’être avec un homme qui me plaît. On ne s’engagerait à rien, juste à se faire du bien. Pourquoi se priver à tout prix ?

— Et là, tu es réveillé… Peut-être que tu pourrais aussi décider d’arrêter de résister, non ?

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