18. La doudou qui réconforte

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Lyana

Je jette un œil à Théo, toujours installé sur le canapé, en refermant son réfrigérateur. Je ne suis vraiment pas douée pour gérer les chagrins des gens, je ne gère déjà pas les miens. Du moins, je les occulte rapidement pour éviter les débordements. Je ne sais pas trop quoi faire. On vient de rester une bonne heure à ne rien dire, et je croyais même qu’il s’était assoupi, quand Guizmo l’a fait sursauter en se redressant pour réclamer une caresse. Alors, je fuis un peu en allant préparer le dîner, même s’il m’a garanti qu’il ne pourrait rien avaler.

Le voir dans cet état me fait de la peine. Le pauvre, il a l’air totalement déboussolé et profondément attristé par la mort de son amie et je perds tous mes moyens. Je sais à peu près gérer la colère des autres, la peur, le stress, mais alors le chagrin… Sans compter que j’ai l’impression que ça me touche plus que ça ne le devrait.

— Et voilà, une petite omelette. Je suis désolée, je suis… peu inventive en cuisine, souris-je en déposant une assiette sur ses genoux. Tu veux boire un verre ? J’ai de la vodka chez moi, si tu veux anesthésier un peu...

— Non, non, si je commence à boire, je ne m’arrêterai plus. Et je suis déjà assez pathétique comme ça. Merci pour l’omelette, tu n’étais pas obligée de faire ça, tu sais, me dit-il d’une voix douce.

— C’est normal. Il faut bien se soutenir entre voisins, non ? La vie n’est pas rose tous les jours, si en plus on se lâche les uns les autres, ce n’est pas l’idéal.

Il se relève enfin de son canapé qu’il n’avait pas réussi à quitter jusque-là. Je me demande ce qu’il fait et comprends qu’il est simplement en train de mettre la table. Il sort deux assiettes et des couverts et me fait signe de prendre place en face de lui alors qu’il s’assoit, tristement.

— Ce n’est pas tout le monde qui serait resté avec un type en train de craquer complètement. Tu dois me trouver stupide de pleurer pour cette femme que je ne connais pas tant que ça.

— Je ne connais pas grand-chose de ta relation avec elle, dis-je en m’installant alors que Guizmo s’allonge à ses pieds. Ce sont des choses qu’on ne contrôle pas vraiment, de toute façon. On encaisse et on attend que ça passe.

— Il n’y a même pas grand-chose à en dire tu sais. C’est juste que récemment, à part toi, c’est la seule personne avec qui j’échangeais de manière régulière.

— Tu veux dire, en dehors de ta super collègue Roselyne ? souris-je.

— Je veux dire avec un autre être humain, pas avec un monstre, oui, sourit-il enfin en partageant l’omelette en deux.

— Je vois, ris-je. Mon père disait que pour ne plus pleurer de chagrin, il fallait se remémorer les bons souvenirs et les partager… Ça marchait, parfois, quand on parlait de ma mère, alors je t’écoute, si tu veux essayer.

Il hésite un peu et je trouve qu’il prend énormément de temps pour avaler sa bouchée, mais je me dis qu’il essaie de gagner du temps avant de se décider à se livrer ou pas.

— Elle a toujours été là pour moi depuis que les galères se sont accumulées. Elle est devenue peu à peu mon amie et il y a des choses bien agréables qui se sont passées, mais je ne peux pas donner tous les détails, si tu vois ce que je veux dire.

— Je crois que je vois bien, oui. Alors c’est de ces moments qu’il faut se souvenir. je suis sûre qu’elle ne voudrait pas que tu sois malheureux. Il paraît qu’on a tous droit au bonheur, tu sais ?

— Je crois que le bonheur, ce n’est pas fait pour moi. Les épreuves semblent s’accumuler, ces derniers temps.

— La roue tourne. Je crois que tu le mérites, pourquoi certains y auraient droit et pas toi, hein ?

— Je ne sais pas, je pensais qu’elle avait tourné à mon arrivée ici, mais peut-être pas au final. Après, tu as raison, ça va continuer à tourner et un jour, j’aurai sûrement le droit au bonheur, moi aussi.

J’essaie de me convaincre autant que lui, et je crois qu’il est finalement dans la même position que moi, sur ce coup. Ah le bonheur, vaste notion.

— Bien sûr. Bon, et… Ça va aller, ce soir ? Cette nuit ? Je… Je te laisse Guizmo, si tu veux.

— Ah non, pas le chien ! Tu veux vraiment me faire déprimer ou quoi ? s’emporte-t-il. De toute façon, dans mon état, je serai incapable de dormir…

— On peut aller faire une course à pied, si tu veux, histoire de te fatiguer. Guizmo est un distributeur de câlins qui réconfortent, tu sais ? Ce n’est pas qu’une grosse boule de poils.

— Je trouve que tes câlins font très bien le travail. Merci d’être là pour moi ce soir. J’ai l’impression de ne faire que pleurer et te remercier… Quel voisin je fais, hein ?

— Eh bien, un voisin humain et pas un monstre comme Roselyne ? ris-je. C’est plutôt bon signe, non ?

— Je ne sais pas, c’est juste que là, je suis toujours un peu sous le choc. Tu vis ta vie, tout est normal et tout à coup, boum ! Le ciel te tombe sur la tête et tu te retrouves comme un con à ne plus savoir comment affronter le moment d’après. C’est déroutant…

— Je comprends ce que tu veux dire… C’est normal d’être déboussolé. Une bonne nuit de sommeil, déjà, et tu auras les idées plus claires. Et puis… Si tu as besoin, n’hésite pas à venir frapper à ma porte, vraiment.

— Je ne vais pas te déranger, tu as déjà fait beaucoup ce soir. Et toi aussi, tu as besoin de dormir. Ne t’inquiète donc pas pour moi, ça va aller. Le choc passera, c’est certain.

— Je suis sérieuse, Théo, soupiré-je. Je préfère que tu me réveilles parce que tu te sens mal et que tu veux de la compagnie, plutôt qu’en jouant ta musique à pas d’heure, tu sais ?

— Si tu m’entends chanter Goldman… commence-t-il avant de s’arrêter et de se remettre à pleurer. Désolé, c’était pour elle que je m’entraînais. Elle voulait chanter avec moi.

Eh merde… J’ai toujours le don de mettre les pieds là où je ne devrais pas. Forcément, il fallait que je trouve le truc qui le ferait repartir. Je me lève et contourne la table pour me poster dans son dos et l’enlacer à nouveau. Je ne sais pas si ça le soulage, je sais qu’à la mort de ma mère, il n’y a que ça qui me faisait du bien. J’étais gamine, mais me sentir enlacée et enserrée dans des bras me permettait de m’apaiser.

— Est-ce que… Est-ce que tu veux que je reste, cette nuit ? En tout bien, tout honneur, bien sûr, mais… En cas de coup de mou, ça ne fait pas de mal de ne pas être seul.

— Non, retourne dans ton lit et promis, si je me sens mal, je viens frapper chez toi, d’accord ? Je ne veux vraiment pas abuser de ta compassion.

— Tu me promets que tu viendras vraiment frapper ? Je t’assure que ça ne me dérange pas Théo, je suis sérieuse.

Je comprends qu’il ait la sensation de gêner ou de s’imposer, mais pour une fois, je suis plutôt sincère. Je n’ai pas vraiment envie de le laisser seul, et c’est autant pour lui que pour moi. Je n’aime pas le voir si mal, ça me fait vraiment mal au cœur.

— Promis, il n’est pas dit que je puisse refuser une invitation faite par une jolie femme comme toi, et si je sens que je vais craquer, je viens. Croix de boix, croix de fer !

— Bien, je vais te laisser Guizmo quand même, au cas où tu déciderais de rester dans ton coin alors que ça ne va pas. Il m’avertira, plaisanté-je en commençant à débarrasser.

— Je pense que ton chien sera mieux avec toi. Si en plus, je dois le surveiller, je ne vais vraiment pas dormir, tu sais ?

— Je plaisante, Théo, j’ai bien compris que mon pauvre bébé n’était pas le bienvenu, continué-je sur le même ton. Bon… Eh bien, si tu es sûr, je vais te laisser alors…

— Oui, ça va aller. Je vais m’en remettre. Et merci encore, Lyana.

— Et encore une fois, y a pas de quoi, c’est normal. Repose-toi bien, Théo. A demain.

Je dépose un baiser sur sa joue et le prends une dernière fois dans mes bras, jusqu’à ce que mon chien se mette sur ses pattes avant et se glisse entre nous, faisant rire mon voisin après un nouveau sursaut.

— Il est jaloux, je crois, ris-je.

— Et pourtant, c’est lui qui va passer la nuit avec toi, soupire-t-il, avant de regarder tristement derrière lui son appartement.

— Lui ne refuse pas quand je lui propose, tu sais ?

Je constate qu’il hésite quelques secondes avant de me regarder avec une telle détresse de ses magnifiques yeux marrons.

— J’ai le droit de changer d’avis ? Je n’ai pas envie d’être seul ce soir… Si ton invitation tient toujours, je vais me chercher un pyjama et je te rejoins.

— Ça marche. Je t’attends chez moi, alors.

Je ne lui laisse pas le temps de changer d’avis et file à la maison. Je remplis les gamelles de Guizmo et monte à l’étage où je vais vérifier que mon bureau est en ordre avant d’aller me changer. Je préfère mille fois dormir nue, mais pas trop le choix. Je doute que séduire le voisin ce soir soit une excellente idée. Je suis devant mon miroir en train de me brosser les dents quand je me demande s’il compte vraiment dormir avec moi ou s’il s’attend à ce que j’aie une chambre d’amis.

— Monte ! crié-je en l’entendant au rez-de-chaussée. Tu as le choix entre un lit hyper confortable avec son occupante, option oreillers entre nous si tu veux, et si tu préfères être seul, je vais dormir sur le clic-clac.

— Je ne veux pas m’imposer, Lyana, je ne devrais même pas être ici. Je vais prendre le clic clac, et tant pis pour le confort, c’est mieux, non ? Sinon, tu vas croire que j’abuse.

— Ne dis pas de bêtises, soupiré-je. Tant que tu ne me piques pas la place près de la porte, je t’accueille dans mon chez-moi. D’un autre côté, Guizmo dort par terre par ici donc j’imagine que ça ne te posera pas de problème.

Je tire les draps et m’allonge du côté droit avant de taper sur le matelas à mes côtés.

— J’ai juste pas envie d’être seul, répond-il en s’installant à mes côtés, vêtu d’un simple short et d’un tee-shirt assorti.

— Tu sais, si tu ne veux vraiment pas être seul, je peux inviter Guizmo aussi, souris-je, taquine en me tournant vers lui.

— Je suis pathétique, hein ? Tu as bien raison de te moquer, murmure-t-il en ne me quittant pas des yeux, sauf pour jeter un regard vers mon Husky qui s’est redressé en entendant son nom.

— Non, tu es triste et c’est normal. Je serai ton doudou pour la nuit, j’espère que tu n’es pas déçu !

— Du tout, annonce-t-il en ouvrant ses bras pour que je vienne m’y loger. Je crois que, grâce à toi, je vais peut-être pouvoir dormir un peu.

Tout ceci est vraiment une très mauvaise idée, mais je vais me caler contre lui et respire son odeur aussi discrètement que possible. Dormir avec un homme sans coucher, sans arrière pensée, sans objectif autre que dormir ? Jamais fait. Incompatible avec ma vie. Et là, je ne sais pas si je suis mal à l’aise par le fait de le vivre, ou par l’idée que j’apprécie particulièrement cette sensation. C’est fou comme vivre ici est en train de me pousser à tout remettre en question. Vivement que cette mission soit terminée pour que je puisse repartir de zéro, et pourquoi pas me poser avec un homme ? Un Théo doux et gentil ? Je sais bien que je ne pourrai pas forcément rester ici une fois mon travail effectué, mais… Qui sait ?

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