14. Le loch de Brionne

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Lyana


Je défais la laisse de Guizmo pour faire le tour du lac, une fois la plage dépassée. Du coin de l’œil, je peux voir mon voisin froncer les sourcils et ralentir le pas en attendant que mon petit monstre ne s’éloigne. Le contact est pris entre eux deux, mais la confiance est loin d’être installée.

Il fait beau, presque chaud, et après un réveil en fanfare, ma bonne humeur est de retour. C’est mieux comme ça, même si j’avoue que je suis crevée. Le problème, quand on fricote avec le voisin, chastement bien entendu, alors qu’on a du boulot par-dessus la tête, c’est qu’il faut rattraper son retard par la suite. Alors la nuit a été courte, et pas parce que j’ai fait des folies de mon corps, loin de là.

— Tu as pris ton maillot, j’espère ? demandé-je à Théo en lançant au loin la balle que j’ai emmenée pour Guizmo. Parce que, moi, je compte bien me baigner et faire bronzette.

— Bien sûr que je l’ai pris ! Vu le temps qu’il fait, ça va être super agréable de nager. Le lac est superbe, tu crois qu’il y a une autre plage, ou on va revenir à celle qu’on vient de voir ?

— Je n’en ai vu qu’une sur Internet, mais qui sait, il y a peut-être un coin caché. Tu viens de Paris, alors ? lui demandé-je tandis que le chien déboule à vive allure, la balle dans la gueule.

— De la région parisienne, oui, répond-il sobrement.

— Tout doux, Guizmo, dis-je en récupérant la balle et en la tendant à Théo. Et tu bossais aussi en mairie, là-bas ? Je veux dire, je ne sais pas, je t’imagine dans plein de domaines, mais pas dans du secrétariat, sans vouloir t’offenser.

— Pourquoi tu ne m’imagines pas dans le secrétariat ? Parce qu’il faut s’appeler Jeannette et avoir des couettes ? me demande-t-il, amusé.

— Oui, ou s’appeler Roselyne et être aimable comme une porte de prison, ris-je.

— C’est vrai qu’elle n’est pas agréable… Et je me demande pourquoi elle ne m’aime pas… Et toi, tu t’habitues à ta vie en Normandie ? Tu arrives à avoir des contrats ?

— Peut-être qu’elle n’aime juste personne, lui dis-je alors qu’il lance enfin la balle. Je m’habitue, oui. J’aime bien le village, c’est reposant. Et les contrats ne pleuvent pas, mais j’ai trouvé quelques trucs qui vont me permettre de payer les factures.

Ce lac est vraiment agréable et nous poursuivons en silence alors que je note que Théo dévie toujours la conversation sur moi lorsque je lui pose des questions à son propos. Il y a beaucoup de familles qui se promènent sur le chemin entouré d’arbres, quelques canards qui se sont éloignés de la plage même s’ils semblent avoir l’habitude des êtres humains, et des fleurs partout. Guizmo est aux anges et reçoit une sacrée dose de compliments et de câlins, une fois l’appréhension passée et la demande silencieuse dans notre direction. Je pourrais m’y faire, à ce genre de vie. Une partie de moi en rêve, même, mais l’autre se demande si je pourrais me passer de ce que je fais aujourd’hui. Une vie calme et monotone, je ne suis pas sûre d’être faite pour ça, moi. Quoique je me suis plutôt bien adaptée. J’ai même un peu copiné avec la boulangère, d’ailleurs.

Lorsque nous terminons notre tour du lac et revenons vers la plage, nous nous arrêtons à la voiture et récupérons nos sacs. J’abandonne Théo avec Guizmo le temps d’aller enfiler mon maillot de bain dans les sanitaires et me demande si choisir ce bikini blanc était une bonne idée. Non pas que je ne m’assume pas, simplement je sais qu’avec ce genre de tenue, les hommes se retournent sur les femmes et il y a plusieurs familles installées sur le sable. Concernant Théo, en revanche, je ne doute pas qu’il appréciera.

Je noue ma serviette sur mes hanches et ressors pour trouver Guizmo assis aux pieds de mon voisin qui a le nez sur son téléphone.

— Tout va bien ?

— Oui, dit-il en relevant la tête. Tu vois, j’ai dompté le fauve !

— Je vois ça. Fais gaffe, si tu fais trop copain-copain avec lui, il se fera un plaisir de te lécher le visage, ris-je alors qu’il me détaille du regard.

— Tu crois que si tu fais copain-copain avec moi, ça aurait le même résultat ?

J’éclate de rire alors que nous nous dirigeons vers le bord de l’eau et ne réponds pas immédiatement. Ce n’est qu’une fois nos serviettes étalées sur le sable et assis dessus que je me tourne vers lui.

— Je doute qu’un léchage de visage soit très agréable, même par un humain. Tu veux vraiment tester ça ?

— Qui sait ? Tester, oui. Aimer, c’est à voir. Tu ne viens pas te baigner ? L’eau a l’air bonne.

— Si, je te rejoins, mais au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, j’ai la peau claire et l’obligation de me tartiner de crème solaire pour ne pas ressembler à une tomate.

— Tu veux que je t’aide ? me demande-t-il en mettant ses mains devant lui, doigts écartés en souriant. Vu leur taille, ça pourrait aller vite.

— Si tu veux, lui dis-je sans réfléchir. Enfin… Pour le dos, au moins, oui, merci…

Putain, je suis sûre que je rougis. C’est du grand n’importe quoi, je suis tout bonnement ridicule. Je mets d’ailleurs le nez dans mon sac à dos pour fouiller et en sors la crème, mais aussi une gamelle pour Guizmo que je prends le temps de remplir avec ma bouteille d’eau. Théo attend patiemment, apparemment amusé de me voir jouer à Mary Poppins, et il attrape le tube de crème lorsque je lui tends après en avoir déposé sur mes bras et mes cuisses. Je commence à me badigeonner tandis qu’il s’agenouille derrière moi. Je ne peux contrôler le petit sursaut qui me prend lorsque je sens ses mains rafraîchies par la crème sur mes épaules et me crispe beaucoup trop. Ridicule jusqu’au bout, la fille.

— Tu aurais pu réchauffer la crème avant, quand même, dis-je pour me défendre par avance.

— Ah excuse-moi, je n’ai pas l’habitude de faire ça. Mais je note pour la prochaine fois.

Ah oui ? La prochaine fois ? Il est bien sûr de lui, le petit. Enfin, peut-être qu’il ne parle pas de moi. Toujours est-il que je le laisse faire tout en couvrant mes jambes et mes bras, et je crois qu’il en profite un peu, parce qu’il continue jusqu’à ce que je lui demande s’il a fini. Je me lève et me barde le ventre, le décolleté et le visage alors qu’il me regarde, amusé.

— Tu veux cramer ou tu profites de la crème, toi aussi ?

— Je vais en mettre aussi, ça m’évitera de finir rouge comme une écrevisse, même si d’habitude, le soleil me fait bronzer plutôt que rougir.

— Avoue que tu veux profiter de mes doigts de fée, me moqué-je en lui piquant le tube des mains.

— Ah, c’est si gentiment proposé, répond-il en se tournant pour me présenter son dos.

Je souris en posant mes mains sur son dos sans plus de précautions que lui tout à l’heure et me rends vraiment compte de sa taille quand je dois lever les bras pour atteindre ses épaules. Quel grand dadet ! Je prends également tout mon temps tandis qu’il s’en met sur les bras, et Guizmo s’impatiente en venant tourner autour de nous, faisant se crisper Théo.

— Tu as dompté le fauve mais tu ne t’es pas dompté toi-même, ris-je. J’ai fini.

— Eh bien, le dernier dans l’eau devra payer un coup à l’autre ! s’écrie-t-il en bondissant vers le lac.

J’hésite à lancer Guizmo à sa poursuite, mais je n’ai pas le loisir de dire quoi que ce soit qu’il est déjà à sa poursuite. L’effet escompté n’est pas le bon, parce que lorsque Théo se tourne dans ma direction pour voir où j’en suis, il repère le fauve et se met à courir plus vite, se jetant rapidement dans l’eau.

— Bravo, tu as gagné, ris-je en m’enfonçant lentement dans l’eau.

— Il faut dire que le chien a bien aidé, rit-il en commençant à nager.

— Fais gaffe, il te poursuit ! plaisanté-je, le faisant se retourner vivement.

— Arrête avec ça, grommelle-t-il, sinon je te coule !

— Je te le déconseille fortement, sinon il va vraiment devenir méchant, tu sais ? On ne fait pas de mal à sa maîtresse !

— Touche pas à maîtresse ! chantonne-t-il en me tournant autour.

— Sérieusement ? Tu connais ça ? Quel âge as-tu, Théo ? pouffé-je alors que Guizmo s’amuse à se mettre entre lui et moi.

— Oui, je connais, et même que je chante leurs chansons en m’accompagnant du synthé. Je te jure, je pourrais devenir D.J. !

— Les D.J passent leurs nuits en boîte, Voisin. Animateur de soirée, éventuellement, pour des petits vieux, non ? me moqué-je en l’éclaboussant.

— Mais arrête ! Si tu n’étais pas protégée par le monstre du Loch de Brionne, je te jure que ça fait longtemps que je t’aurais fait boire la tasse ! Perfide agresseuse ! Et pour la reconversion, il y a de l’idée, je vais l’envisager.

Je ris en continuant de l’éclabousser et nous jouons comme des gamins pendant un bon moment avant de retourner tous les deux sur la plage pour nous allonger. Il y a bien longtemps que je n’avais pas eu l’impression de vivre avec légèreté et sans avoir à me soucier de l’image que je donne de moi. Cela me rappelle un peu les batailles de polochons que nous faisions avec Suzie avant que je ne sois rapatriée en Russie. Ça fait du bien de ne pas faire attention à tous ses faits et gestes et de vivre pour soi.

— Alors, dis-moi, pas trop frustré de ne pas avoir pu m’approcher ? lui demandé-je tandis que Guizmo se couche entre mes jambes.

— Disons qu’il va falloir que je réfléchisse à des stratégies. C’est un beau challenge, me répond-il en se tournant vers moi, la tête appuyée sur un de ses coudes.

— Fais attention à ne pas rester dans cette position trop longtemps, tu risquerais de finir comme une crêpe cuite d’un seul côté.

— Non, je t’ai dit que je bronzais moi. Quand j’allais à la plage, avant, je n’ai jamais pris un coup de soleil !

— Très bien, comme tu le sens, souris-je. Tu allais souvent à la mer, monsieur le parisien ?

— Comme tout le monde, tu sais. L’été, quand il fait chaud, la mer, c’est le pied !

— Oui, c’est vrai… Tu es plus près encore, maintenant. Qu’est-ce qui t’a amené à venir te terrer ici, d’ailleurs ?

— L’envie de changer d’air, je te l’ai expliqué, déjà, non ?

— Une peine de cœur ? Ou un trop plein de pollution ?

— Un peu des deux, sûrement. L’amour, ça va, ça vient. Et je me suis un peu confiné à mon domicile… D’où mon souhait de refaire du sport. J’ai bonne mine, non ? Et toi, un amoureux transi quelque part ?

— Ah non, certainement pas, ris-je. Je suis attirée par les mauvais garçons, alors j’évite les sentiments, tu vois ? Et donc, la fille qui devait venir te voir, ce weekend… Amoureuse transie ? Ex ? Sex-friend ?

— Cela ne te regarde pas, il me semble. Est-ce que moi je te demande si tu couches avec le facteur ? C’est ma vie, j’en fais ce que je veux, s’emporte-t-il en se couchant sur le dos.

Je reste un moment silencieuse en tentant de comprendre ce revirement soudain. Je sais que j’ai joué ma curieuse, mais je n’ai pas l’impression d’avoir dépassé les bornes pour autant. Dans le genre lunatique, il se positionne bien, mon voisin.

— Très bien, mes excuses, dis-je en me levant. Je te laisse tranquille, je vais aller faire un tour.

Je ne lui laisse pas le temps de répondre, si tant est qu’il en ait envie, attrape mon sac et m’éloigne en sifflant Guizmo qui nous regarde à tour de rôle avant de se lever pour me suivre. Le sujet copine pas venue est apparemment plutôt tabou, il faudra que je pense à ne plus l’aborder. Mais de là à réagir de la sorte ? Toujours est-il que lorsque je regagne la voiture, il y est déjà adossé et nous nous retrouvons à faire le trajet pour rentrer chez nous dans un silence de plomb. Il est contrarié, je suis vexée. Ça donne une ambiance électrique bien perceptible et une fin de journée chacun chez soi. Comment peut-on passer du tout au tout comme ça, en un quart de seconde ?

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