01. Sur la route

8 minutes de lecture

Théo

Je sors enfin de la petite chambre miteuse de cet hôtel à bas prix dont je ne connais même pas l’exacte localisation. Au vu de toutes les barres d’immeubles qui nous entourent, je sais que nous sommes en région parisienne, ce qui est confirmé par tous ces jeunes qui traînent dans la rue et font du deal. Je regarde Priscillia à mes côtés mais tout ça n’a pas l’air de la déranger. Elle m’indique le chemin à suivre et je la suis, bien obligé de lui faire confiance dans les circonstances actuelles.

Malgré le ciel gris de ce matin de premier jour du printemps, et l’air vraiment frais pour une fin mars, je suis heureux de pouvoir enfin sortir et respirer l’air extérieur. Après le confinement qui vient de m’être imposé pendant presque six mois, cette sortie est inespérée et je suis ravi que la situation ait évolué pour enfin me permettre de changer ce quotidien qui me rongeait.

— Vous m’emmenez où, comme ça ? J’ai le droit de savoir ou pas ?

— Vous verrez bien quand on y sera. Ce sera plus respirable là-bas, je peux vous l’assurer.

Je ne suis pas surpris de sa réponse car elle m’a habitué à ce laconisme quand il s’agit de me donner des informations, de rentrer dans le concret. Je sais bien que si je veux avoir une vraie discussion avec elle, il faut qu’on revienne à des choses plus personnelles, avec moins d’enjeux. En tout cas, c’est fou ce que ça me fait du bien de la revoir. Depuis quelque temps, elle est un peu la seule personne avec qui j’interagis de manière personnelle et au fur et à mesure de nos rencontres, elle est devenue presque une amie.

Je la suis jusqu’à sa voiture personnelle qui est garée à quelques rues de l’entrée de l’hôtel et m’installe à ses côtés après avoir mis ma valise et mes cartons dans son coffre. J’ai constaté avec surprise qu’elle aussi a pris un petit sac de voyage et l’interroge à ce sujet.

— Vous comptez rester quelques jours avec moi ? C’est qu’on doit aller dans un endroit vraiment respirable et loin de la capitale, alors !

— Je ne dis pas non à quelques jours sans pollution, sourit-elle, et il faut vous installer, vous trouver une voiture, quelques meubles… Donc il va falloir que vous me supportiez un peu.

— Je pense que ça ne va pas être si difficile que ça, c’est agréable de vous voir habillée comme ça. C’est mieux que quand vous allez au boulot, si je peux me permettre !

Il faut dire qu’aujourd’hui, on a vraiment l’impression qu’elle est en repos et j’apprécie le petit legging qu’elle a passé même si le gros pull en laine qu’elle porte cache toujours autant le reste de ses formes. Au moins, dans la voiture, elle a retiré son manteau et j’ai tout le loisir de l’observer conduire à mes côtés. Je remarque à nouveau qu’elle ne porte pas de bagues à ses doigts et me demande si elle est célibataire. Malgré nos nombreuses discussions, je n’ai jamais osé aborder la question avec elle, de peur de paraître trop intéressé. Si elle savait le nombre de fois où, ces derniers temps, j’ai pu m’évader en pensant à elle dans mon lit, elle se barrerait en courant, c’est sûr. Mais bon, en termes de fantasmes, je suis un peu limité vu le nombre de femmes que j’ai rencontrées.

— Merci, Théo. C’est vrai que ça fait du bien. J’apprécie le changement aussi. Comment allez-vous, alors ?

— Un peu stressé à l’idée de déménager, j’avoue, mais ça fait un bien fou de sortir de cet hôtel miteux. J’en avais marre de me limiter à ces quatre murs et à quelques sorties dans le quartier. Je crois que si vous n’étiez pas venue me voir régulièrement, je serais devenu fou, vous savez ?

Dans le petit habitacle du véhicule, je respire avec délice son parfum vanillé qui embaume l’air. J’essaie de ne pas trop regarder vers elle et de me concentrer sur la route qui défile, mais ce n’est pas toujours facile.

— Oui, je sais ce que ça fait d’être enfermée dans une chambre, comme ça. Au moins, vous aviez une petite cuisine, c’est déjà ça, rit-elle. Je viendrai vous voir aussi là où nous allons, mais ça me fera plus de route.

— Et je continuerai à vous faire des petits gâteaux, maintenant que je me suis bien entraîné, je maîtrise le sujet ! Et j’essaierai de faire de nouvelles variations autour du chocolat vu que vous aimez tant ça. Je vous dois bien ça.

— Oui, enfin, il faut y aller mollo, vous ne m’aidez pas à garder la ligne !

— Vous êtes sportive, ça se voit. Vous ne risquez pas grand-chose de ce côté-là. Et puis, ajouté-je en jetant un regard à ses cuisses moulées dans son legging, j’ai plutôt l’impression que ça vous réussit bien !

J’adore la voir rougir comme ça. Depuis qu’on se connaît, dès que j’ai tenté un petit compliment, elle s’est à chaque fois sentie un peu mal à l’aise, je pense. Ou en tout cas, elle n’assume pas énormément sa féminité.

— Vivre à la campagne, ça vous tente ? me demande-t-elle en changeant de sujet.

— Cela a toujours été un rêve de jeunesse. Vous savez que j’adore les vaches ? Avant, dans mon bureau, j’en avais une quinzaine en plastique ou en métal qui trônaient en dessous de l’écran de mon ordinateur. Mais bon, ça, c’était avant, quand j’avais encore un travail.

— Vous allez être au paradis alors, là où je vous emmène, me dit-elle avec un sourire satisfait.

Avec les panneaux sur l’autoroute, je comprends que nous allons vers l’Ouest, mais je ne sais pas quelle est la destination finale. Tout ce que je sais, c’est que grâce à Priscillia, je vais enfin pouvoir avoir un petit logement à moi et retrouver une vie quasi normale. Elle m’a même dit que ses contacts sur place m’avaient trouvé un petit job pour m’occuper. Elle fait vraiment tout ce qu’une vraie amie pourrait faire pour une de ses relations en difficulté et j’apprécie énormément les efforts qu’elle fait pour que je me sente bien et que je prenne un nouveau départ.

— Vous savez, je ne l’ai pas encore assez dit, mais je vous suis vraiment très reconnaissant pour tout ce que vous avez fait pour moi. Ces derniers temps, j’ai un peu perdu tous ceux qui se prétendaient mes amis, et vous êtes devenue celle qui est toujours restée, malgré tout, et pour ça, je vous dis merci.

— C’est normal, Théo, et ça me fait plaisir de vous aider. Je vous assure que l’endroit où vous allez atterrir va vous plaire. Vous pourrez être libre de vos mouvements, faire ce que vous voulez. Enfin, dans la limite du raisonnable, évidemment, hein ?

— Il faut bien que je le sois, raisonnable… soupiré-je.

Je pense que le désespoir dans ma voix la décourage un peu de continuer cette conversation et nous poursuivons le voyage en silence pendant un moment, accompagnés seulement par la radio. Mais quand la voix de Jean-Jacques Goldman retentit avec la chanson “Je te donne”, Priscillia ne résiste pas et se met à chanter à tue-tête à mes côtés. Je ris de la voir s’impliquer autant dans la chanson et, une fois que les derniers accords sonnent, je l’applaudis.

— Bravo ! Eh bien, quel talent ! Vous allez bientôt essayer un télécrochet ? J’adore vous entendre chanter comme ça, ça pourrait redonner le moral à n’importe qui !

— Je n’irai pas jusqu’au télécrochet, rit-elle. Je garde ça pour moi. Et vous aussi, maintenant, mais n’en parlez à personne, surtout. Les collègues se moqueraient de moi, je préfère passer pour une grosse dure.

— Eh bien, si vous voulez, vu que j’ai aussi pu bien m’entraîner ces derniers mois sur le synthé que vous m’aviez prêté, je peux rechercher des partitions sur Internet et on se prépare un petit concert privé des tubes de Goldman !

— Je vais vous prendre au mot, attention !

— Moi, ça me va. Ça me donnera un but pour les prochaines semaines. Mais je vous préviens, il ne faudra pas vous défiler au moment de chanter !

Elle me sourit et nous continuons notre petit voyage à échanger sur le même ton un peu badin, un peu comme deux amis en train de déménager. C’est fou comme cette normalité me fait du bien. Quand on sort de l’autoroute, elle emprunte des routes de plus en plus petites jusqu’à arriver dans un village qui n’a pas l’air bien grand et dont le seul point d’intérêt semble être un château magnifique auprès duquel nous passons.

— Vous savez, il ne fallait pas prendre tout cet espace pour moi. Un château, c’est un peu grand pour moi tout seul. Une simple dépendance m’aurait suffi.

— Désolée, nous n’avons pas les moyens pour ce genre de logements, mais vous pourrez toujours aller visiter, rit-elle avec un clin d’œil. On a visé plus petit quand même.

— Et pour le travail, c’est aussi dans ce village ? demandé-je alors qu’elle se gare devant une jolie petite maison normande.

— Oui, juste en face de votre maison, me dit-elle en m’indiquant l’autre côté de la rue qui semble assez passante.

— Eh bien, vous avez pensé à tout ! Je vais travailler à la Mairie, c’est ça ? Ils n’ont pas besoin que je fasse un entretien d’embauche ?

— Vous aurez un entretien pour signer votre contrat, c’est tout.

— Parfait. Vous me donnez un coup de main pour sortir les cartons et m’installer ou vous repartez tout de suite ? Vu l’heure qu’il est, si vous rentrez sur Paris, vous allez arriver tard.

— Je vais squatter votre canapé, ce soir. Demain, nous irons faire des courses, même s’il y a une épicerie ici. Il faut vous trouver une voiture, et il y a quelques achats à faire, c’est un peu vide et il faut que vous ayez l’air de vraiment vous installer.

— Eh bien, en voilà un beau programme. Mais par contre, je vous laisse le lit, c’est moi qui vais prendre le canapé. La galanterie, quand même ! Je n’accepterai aucun autre arrangement !

— Ah non merci ! je préfère le canapé neuf, rit-elle en descendant de voiture. J’ai vu la tronche du matelas, ça ne me fait pas envie.

— Bien, le confort pour vous en priorité. Et demain, on achète un nouveau matelas, comme ça, si vous revenez me voir, vous aurez un endroit où dormir qui soit agréable. Ce soir, je nous fais des crêpes, si ça vous va. Il faut bien que je vous remercie de toute votre gentillesse.

Je regarde la maison dans laquelle je vais m’installer. Elle a l’air immense, mais Priscillia me fait comprendre que la maison a été découpée en deux appartements à étage et que le côté gauche est pour l’instant vide. Les propriétaires sont à la recherche d’un nouveau locataire pour cette partie-là aussi, mais pour l’instant, j’en serai le seul occupant. Je ne sais pas si c’est parce que j’emménage avec l’aide d’une jolie brune à mes côtés ou si c’est le simple fait d’être à nouveau à l’air libre et de pouvoir me déplacer comme je le veux, mais j’ai un très bon pressentiment pour mon installation. Et ça fait tellement longtemps que je n’ai pas été aussi optimiste que j’apprécie vraiment ce moment. Vive la campagne normande !

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0