1. Le Gentleman des Hauteurs

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Cette nuit, il ne le raterait pas. Il devait laver son honneur à la cour de récréation. Il n’était pas fou. Il savait ce qu’il avait vu.

Appareil photo à la main, Erwan campait devant la fenêtre de sa chambre. La vue donnait sur la ville aux mille immeubles. La plupart étaient plongés dans le noir à cette heure tardive, mais quelques petits points de lumière dans le lointain témoignaient de la vie nocturne. L’enfant se demandait si, comme lui, ils attendaient sa venue : celle du gentleman des hauteurs.

Tout avait commencé dans la cour de récréation. Le jeune garçon, comme bien d’autres à son âge, voulait lui aussi jouer au loup dans le groupe de Jérôme, le chef du préau. Il était en CM2 et ses copains refusaient quiconque des classes inférieures pour jouer avec eux s’ils n’avaient pas une histoire extraordinaire à raconter. Naturellement, Erwan avait décidé de prouver sa valeur en racontant l’histoire du Gentleman des Hauteurs.

Chaque nuit depuis des dizaines d’années, lorsque la lune était bien ronde dans le ciel, on pouvait apercevoir dans sa lumière un fil sombre, serpentant entre les différents immeubles. Il apparaissait la nuit dans une traînée de poussière d’étoiles et disparaissait au passage du mystérieux personnage qui l’utilisait comme moyen de locomotion. Erwan n’avait jamais pu voir son visage, mais sa silhouette, elle, était particulière. Une draisienne d’un autre temps courait sur le fil, monté par un homme au haut-de-forme trop grand pour lui. Il ne restait jamais bien longtemps et suivait toujours le même circuit, inlassablement. Sa maman disait qu’il s’agissait d’un esprit perdu, incapable de quitter la routine dans laquelle il s’était installé de son vivant. Son papa avançait lui qu’il s’agissait du remplaçant du marchand de sable. Grand-Mère pensait qu’il avait trop d’imagination et Grand-Père ronflait dans le canapé, il n’avait jamais eu le temps de lui poser la question.

Pourtant, son récit fut accueilli par un rire moqueur et hautain. Jérôme ne le croyait pas et insista pour avoir une preuve de son récit avant qu’il ne décide si oui ou non il pourrait accéder au préau.

Alors depuis plusieurs nuits, Erwan guettait. Le premier jour, il s’était endormi. Le deuxième, il l’avait aperçu mais avait oublié son appareil photo dans le salon. Le troisième, sa maman l’avait pris la main dans le sac et poussé à se rendormir. Oui, mais voilà, Erwan n’avait plus le temps. Demain était le dernier jour d’école avant les grandes vacances, sa dernière chance de briller avant que Jérôme ne quitte définitivement l’école pour aller en prison, comme il disait, dans un collègue, ou quelque chose comme ça. Il n’était pas certain d’avoir tout compris. Quoi qu’il en était, c’était sa dernière chance d’accéder au préau avant qu’une nouvelle année scolaire ne se termine et que d’autres grands ne s’emparent du préau et instaurent d’autres règles.

Un coup d’oeil l’avertit de la présence d’un mouvement au loin. Il ouvrit grand les yeux, se redressa sur sa minuscule chaise de bois et se concentra. Entre les immeubles, un fil sombre tissait sa route. Il enroula le bâtiment de son ami Josieppe, puis celui de Coralie, sa voisine de classe en fauteuil roulant qui lui donnait toujours des bonbons pendant le cours de mathématiques, et enfin le sien. Erwan ne pouvait dire jusqu’où le fil s’étirait. Une fois, il avait essayé de le suivre du regard de l’autre côté de la rue, mais il l’avait perdu en seulement quelques secondes.

Enfin, il apparut au loin. Le Gentleman des Hauteurs. Sur son vélo à l’équilibre précaire, il entama sa ronde. Erwan le suivit des yeux. Il passerait bientôt juste devant sa fenêtre, comme tous les soirs. Il plaça son oeil derrière l’objectif et attendit patiemment. Encore un peu. Encore un tout petit peu. Et clic ! Le flash illumina toute la zone et l’aveugla temporairement. Pourtant, le jeune garçon ne put retenir un cri de joie. Il l’avait ! Il l’avait vraiment ! Il allait pouvoir aller sous le préau jouer au loup avec les autres !

Mais alors qu’il baissait son appareil pour regarder les clichés, un raclement de gorge le fit sursauter. Erwan bondit en arrière alors qu’une forme humaine aux yeux blancs escaladaient tranquillement la fenêtre de sa chambre.

“Excusez-moi, dit une voix d’outretombe. Je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer que vous m’avez photographié. Permettez-moi de poser pour vous, les mouvements de ma draisienne peuvent parfois rendre les appareils flous.”

Abasourdi, Erwan ne sut que répondre. Alors que l’homme posa comme Hercule au-dessus de l’Olympe, l’enfant saisit son appareil photo et prit plusieurs clichés. L’étrange fantôme s’inclina ensuite, enjamba la fenêtre et remonta sur son vélo. En quelques secondes, il avait disparu dans le lointain, sur son long, long fil fait d’étoiles.

Le lendemain matin, lorsqu’il sortit les clichés, l’étrange Gentleman des Hauteurs n’apparaissait sur aucun d’entre eux. Comme son voyage dans la nuit, il s’était volatilisé. Même si Erwan ne put accéder au préau ce jour-là, il ne fut pas triste. Car désormais, tous les soirs, le Gentleman des Hauteurs passe le saluer avant de reprendre la route. Lui, et personne d’autre.



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