Diable rouge !

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Ses cheveux blonds sont devenus une invraisemblable masse plaquée par la sueur sur son crâne. Son visage, d'habitude si clair, est rouge des deux heures de combat qu'il achève ici, juste au point de penalty.

Rouge, comme ce maillot qui lui colle sur les épaules.

Autour de lui le silence. Cinquante-mille gorges sèches et muettes. Cinquante-mille paires d'yeux fixés sur lui, sur ce gardien immense face à lui. Sur ce ballon, surtout. Un but. Un seul but, et le titre.

Il a sept ans.

On est en août 2018. Le terrain, c'est le grand jardin derrière la maison, quelque part dans les environs de Bruxelles. Il a passé l'été à se refaire la Coupe du Monde. Cinquante fois, peut-être, il revit les victoires : le Brésil, l'Angleterre n'en finissent plus de s'incliner. Il corrige la défaite, aussi : face à son inépuisable énergie, la défense française s'écroule enfin.

Aujourd'hui, c'est décidé, il est en finale. C'est la dernière minute de jeu. Il lui reste un penalty pour débloquer enfin le score.

Un seul but, et le titre.

Ce gardien qui l'attend d'un air faussement provocateur, c'est son père. Son père qui le défie pour rire, l'appelle déjà "mon champion du monde". Qui a pour une fois trouvé un peu de temps pour descendre jouer avec lui. Pour l'occasion, il a ressorti le beau maillot rouge, son cadeau d'anniversaire, reçu deux mois plus tôt, le soir du huitième de finale contre le Japon. Il était allé se coucher tard. Tout le monde devant la télé, à partager l'excitation d'un match imprévisible. Courtois relance vers De Bruyne, remontée de Meunier, feinte de Lukaku, Chadli qui tire et... Son père avait crié. C'était but. C'était son but à lui, un dernier cadeau dans les arrêts de jeu.

Le jardin, son père, son maillot. Un vrai match de finale. Alors, il en profite. Ce but, il va le mettre.

Il s'élance. À la dernière seconde, il feinte, trompe le gardien et envoie le ballon au fond des rosiers, à travers le filet troué.

Quand il voit son père se retourner enfin sans un mot, ce qu'il lit dans ce sourire le remplit comme un stade qui tremble. De la surprise. Et une immense fierté.

Dans sa tête, déjà, il est Diable Rouge.

Il a vingt-trois ans.

On est en juillet 2034. Le jardin est à des milliers de kilomètres. Envahi d'herbes folles, il résonne encore d'anciens cris d'enfants. Un carré de lumière, sans doute, y signale que, dans la vieille maison, ses parents ne dorment pas. Silencieux eux aussi, tendus devant la télévision, ils encouragent leur champion du Monde.

Un vrai match de finale. Ce but, il va le mettre.

Il s'élance.

Dans sa tête, encore, il a sept ans.

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