Chapitre 25

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            Rune approchait inexorablement de la ville de Life. D’ici, elle pouvait apercevoir les immeubles gigantesques sur lesquels reposaient d’immenses panneaux de pub. Des vaisseaux allaient et venaient via les différents spatioports jalousement gardés par les gangs et le maire. Impossible de quitter cette cité sans leur approbation.

            Rune passa le grand mur. Cette muraille qui encerclait la ville afin d’en protéger les habitants. Derrière, elle traversa un pont surplombant une rivière d’eau grise. L’odeur lui agressa les narines. C’était toujours aussi charmant d’entrer par la porte sud, celle qui menait aux taudis. Cet endroit remplis habitations en mauvais états, abandonnées par la justice et y laissant la gangrène s’installer.

            Elle redoubla de prudence. Ici, elle pouvait se faire agresser n’importe où sur la route. Combien de fois on l’avait attaqué en jetant des pics sous ses pneus, l’attraper au détour d’une ruelle pour la ruer de coup... Des mauvais souvenirs lui revenaient à l’esprit en remontant l’allée à toute vitesse. Elle croisa plusieurs personnes en train de faire la manche, dormant dans des tentes, manger des insectes... Une bien triste vie…

            Le LPD, ou Life Police Department, ne patrouillait même plus dans le coin pour veiller sur la population. Ils étaient littéralement abandonnés. Lorsque Rune passa un second mur d’enceinte, elle comprit que le maire les avait parqués dans un coin en espérant ne pas en entendre parler. Quelle indignité !

            Rune se souvint alors de Liam, la personne qui l’avait aidé à fuir le gang des Cure-Dents. Il lui promit de la sortir de toute cette violence. Il l’emmena dans un de ces immeubles qu’elle vit de part et d’autre de la route. Arrêtée à un feu rouge, elle scruta celui du président et de ses ministres. Situées au centre de la ville, la police et l’armée protégeaient cet endroit inviolable. À cette époque, Rune découvrit alors le véritable but de Liam : devenir président de la Terre. Et quoi de mieux que de se servir d’elle pour commettre toujours plus d’assassinats.

            Le feu passa au vert. Elle accéléra brutalement et fila à toute vitesse. Elle ignora les klaxons des voitures qu’elle slalomait dangereusement. Les rues et les habitations de ce quartier semblaient flambant neuf, preuve que tout était nettoyé plusieurs fois par jour. Vêtue chiquement, la population jouissait de nombreux magasins et restaurants de luxes, ainsi que d’établissements culturels magnifiques aux panneaux d’annonces illuminant le trottoir.

            Mais Rune partie vers l’est, là où le gang des Cure-Dents sévissait depuis des années. Chaque groupe possédait des quartiers de la ville, même si le maire tentait de les reprendre par la force. Néanmoins, leur nombre ne faisant que croitre, la politique se mêla finalement aux business des truands pour éviter des guerres, et accessoirement, amasser toujours plus d’argent. La corruption pourrissait chaque portion de Life, ne laissant aucun autre choix à la population d’en faire partie.

            Néanmoins, pas question pour Rune de remettre les pieds là-dedans. Au contraire, elle venait pour en terminer une bonne fois pour toutes. Elle arriva dans l’est de la ville, un quartier semblable à China Town. D’ailleurs, ils avaient repris ce nom pour classer la population asiatique, rien de plus raciste ! Toujours aussi propre, cette fois, elle sentit l’odeur des restaurants qui offraient divers plats venant de leur pays aux clients. Grâce aux terrasses, Rune aperçut les mets délicats qu’ils servaient, tandis qu’elle attendait qu’un feu lui permette de continuer sa route.

            Mais ici, les Yakuzas se battaient pour étendre leur territoire. Pas question de s’y attarder, la violence de leur groupuscule était la plus imposante de Life. Mieux vaut ne pas se frotter à eux, et tous les autres gangs le savaient !

            Rune continua son chemin, passant les maisons combinant une architecture traditionnelle à quelque chose de plus récent. Un peu plus au nord se trouvait un quartier saturé d’immeubles délabrés : le repaire des Cure-Dents. Elle savait d’ailleurs où commencer ses recherches pour éviter de se faire surprendre trop rapidement. Jouant souvent avec la drogue pour tenir entre leur griffe la population, ils sévissaient dans un petit parc à l’abri des regards indiscrets.

            Rune se gara sur le côté, puis descendit de sa moto. Le soleil avait du mal à éclairer cet endroit entouré de gratte-ciel lézardés. Elle s’engagea sur l’herbe, tandis que des enfants jouaient sur une aire de jeu non loin sur sa gauche. Les dealers sévissaient dans le fond, dans l’ombre des arbres et cachés derrière des buissons. Aux aguets, Rune surveillait ses arrières, sa capuche toujours rabattue sur la tête. Elle se cacha contre un tronc, surprenant une conversation entre plusieurs dealers.

            Mais ils ne ressemblaient pas aux Cure-Dents. Elle fronça les sourcils et retira ses lunettes de soleil. Ils ne possédaient aucun cure-dent en lieu et place du cuir chevelu, au contraire, ceux-ci se rasaient tous la tête. La seule chose qui les discernait était des traces de brûlure en forme de quadrillage sur la joue.

            – T’es qui toi !

            Rune sursauta et se retourna vivement. Un de ces hommes vint la rejoindre avec deux autres. Armés de batte de baseball plantée de clous, ils s’approchèrent d’un pas menaçant.

            – J’tai jamais vu dans le coin, pouffiasse ! Pourquoi tu espionnes mes potes ?

            Rune les observa alors qu’ils l’encerclaient.

            – Je viens chercher Raptel Cure-Dent.

            Les hommes de main se regardèrent, puis se mirent à rire bruyamment.

            – Ce pauvre naze n’est plus ici ! Ce quartier est à nous !

            – Il est où ? demanda Rune en serrant les poings.

            Un large sourire machiavélique se dessina sur le visage du dealer.

            – Fais-moi plaisir et je te répondrai peut-être, dit-il en se caressant l’entre-jambes. Si tu fais ça bien, je vais sûrement te…

            Rune n’attendit pas qu’il terminât sa phrase. Sa botte alla directement sur ses couilles, lui coupant brutalement le souffle. Il se plia en deux de douleur, tandis que ses deux collègues se jetèrent sur la jeune femme. Elle se glissa dans le dos de celui de droite, puis lui agrippa le bras. Elle lui brisa d’un coup sec, récupéra sa batte et l’enfonça dans la joue de l’autre. Au sol, ils essayèrent de se relever, mais Rune les assomma rapidement.

            Elle s’approcha de l’autre qui souffrait. Elle le mit sur le dos avec son pied.

            – Où est Raptel ?

            – Va te faire foutre, pétasse !

            – Mauvaise réponse.

            Elle pointa les clous de son arme sur son entrejambe.

            – Tu veux pouvoir l’utiliser à nouveau où j’en fais de la purée ?

            – Arrête ! Fais pas ça !

            – Oh, mon pauvre, tu as peur pour ta virilité ? Tu ne seras plus un homme une fois que je m’en serais occupé !

            Il pesta. Il allait enfin cracher le morceau quand ses camarades vinrent à sa rescousse. Bien trop nombreux, Rune décida de lancer son arme pour les ralentir, et retourna jusqu’à sa moto. Elle l’enfourcha et partit en trombe de cet endroit malfamé.

            Raptel n’était plus en ville ? Mais alors pourquoi cherchait-il à la kidnapper par Kalveo ? Elle pesta. Elle n’avait aucune idée d’où il se trouvait. Il ne lui restait qu’une chose à faire : retrouver Saya Otalgam, la femme qui l’avait tiré des mains de Liam et qui lui permit de quitter cette maudite planète.

            Elle fonça à travers les rues de la ville, se dirigeant vers le petit quartier qu’elle gérait. Le gang des CoinCoin gouvernait, non en imposant la violence, mais en laissant la population jouir d’une vie saine et heureuse. En contrepartie d’un loyer, elle les protégeait de toute attaque. Facile à repérer, chacun de ses membres portait un chapeau en forme de canard de bain jaune fluo. Ils patrouillaient absolument partout dans les allées étroites, armés de leurs fusils d’assaut.

            Rune se gara juste devant son bar : le CoinCoin Paradise. Un de ses hommes de main s’approcha de Rune alors qu’elle voulait pénétrer à l’intérieur.

            – Vous venez faire quoi ? C’est un bar privé.

            – Pouvez-vous m’annoncer à Saya ? Je m’appelle Rune Octald. Elle me connait.

            Dubitatifs, les gardes se fixèrent d’un œil interrogateur. Rune ne put s’empêcher de regarder leur coiffe ridicule, ce qui ne les rendait vraiment pas sérieux.

            – Vous la connaissez d’où ? questionna-t-il.

            Rune soupira et roula des yeux.

            – Elle m’a sauvé des Cure-Dents et de Liam, un ancien connard qui voulait être maire. Elle m’a aidé à quitter cette planète.

            – Bon… Je vais l’appeler, ne bougez pas.

            Rune leva les mains.

            – Je n’y compte pas.

            Voyant qu’elle obtempérait, les soldats se détendirent quelque peu. L’autre appela sa patronne par un communicateur à l’oreille. Une fois la conversation terminée, il fit signe à Rune qu’elle pouvait entrer.

            – Elle vous attend dans le coin VIP, déclara l’homme de main. C’est dans le fond, là où se trouvent les banquettes séparées par des murs.

            – Merci.

            Rune pénétra dans le lieu. Toujours le même depuis son départ, elle longea l’imposant bar dont les spécialités à base de canards faisaient saliver tous les clients. Le petit bassin sur sa droite offrait à ces mêmes animaux un coin de paradis pour se promener au milieu du brouhaha environnant. Un groupe de musique déguisé en oiseau jouait sur une petite scène, répandant une musique rythmée dans toute la salle. La lumière tamisée offrait une ambiance chaleureuse, qui se ressentait davantage quand Rune approchait du coin VIP.

            Elle reconnut immédiatement Saya. Toujours habillée de son manteau jaune vif avec sa capuche en tête de canard, elle était avachie dans la banquette, seule à sa table gardée par deux gorilles armés jusqu’aux dents. Lorsque Rune se présenta, ils l’arrêtèrent d’un geste de la main, mais Saya leur intima de la laisser entrer.

            Rune la salua et s’installa à ses côtés.

            – Que vient donc faire Rune Octald ? La jeune femme que j’ai aidé à filer de cette planète, demanda Saya.

            Rune lui sourit.

            – Je viens pour une affaire personnelle.

            – Hou ! s’exclama Saya en se redressant.

            Elle avait vieilli depuis leur dernière rencontre. Le visage marqué par l’âge, elle semblait excitée à l’idée d’entendre ce qu’elle avait à lui demander comme service.

            – Dis-moi tout !

            – Je cherche le gang des Cure-Dents, tu sais où ils sont ?

            L’air de Saya s’assombrit.

            – T’es sérieuse ? C’est pour ça que tu es revenu dans cette ville de merde ?

            Rune acquiesça d’un hochement de tête. Saya maugréa et prit une cigarette. Elle sortit son briquet et l’alluma avant de tirer une taffe dessus. Elle recracha la fumée en dévisageant Rune.

            – Tu sais que t’es conne ?

            Rune eut un rictus.

            – Écoute, je me suis fait doubler par un mercenaire à la solde de Raptel. Il a tenté de me tuer et aurait pu faire du mal à… mes nouveaux amis. Je ne peux pas le laisser faire.

            Saya recracha une deuxième bouffée.

            – Donc t’es doublement conne.

            Rune soupira. Elle n’avait que faire de son jugement, elle voulait juste retrouver Raptel et en finir.

            – Je ne peux pas laisser mon passé me pourrir la vie, déclara la jeune femme.

            – Triplement conne.

            – Bon, tu vas m’aider ou non ? s’emporta Rune. Je ne suis pas venu pour être insulté ! Je veux trouver Raptel et lui botter le cul !

            Saya la fixa intensément de ses prunelles vertes. Il ne fallait jamais sous-estimer cette femme, Rune le savait bien. D’ailleurs, elle n’aimait pas qu’on la pousse à obtempérer, ce que Rune venait de faire. Malgré ses airs enfantins avec son manteau jaune vif tel un canard de bain, elle restait très forte et influente. Tous ceux qui avaient eu le malheur de croiser son chemin pour tenter de la détrôner le savaient très bien.

            – Tu sais bien que les informations ne sont pas gratuites, déclara Saya.

            Voilà, Rune s’y attendait. Ici, la moindre information se payait, et des fois le prix pouvait être très cher. Elle risquait de ne plus pouvoir quitter cette planète, car lorsque l’on commençait à avoir des dettes, cela n’en finissait jamais.

            – T’es prête à remettre ton beau cul dans la galère de Life ?

            Rune soupira.

            – Je t’aide, tu me dis où se trouve Raptel, je le bute, et je me casse.

            Saya ricana.

            – Ton plan semble parfait, mais je doute qu’il se déroule de cette façon.

            – Je vais faire avec.

            Saya écrasa sa cigarette dans son cendrier, puis croisa les bras.

            – Dans ce cas, j’ai besoin de toi pour une mission. Les Gaufriers m’emmerdent !

            – Les quoi ?

            – Les connards qui ont chassé les Cure-Dents. Ils ont récupéré leur quartier. Ils sont facile à reconnaitre, ils ont des marques de brûlure sur le visage. En fait, ils se mettent la tête dans un gaufrier… Leur chef aime les gaufres apparemment…

            – C’est une blague ?

            – Non, pourquoi ?

            Rune soupira en secouant la tête. Elle lui raconta tout ce qu’elle venait de vivre en venant ici, sans omettre le moindre détail. Saya se mit à rire.

            – Tu les as déjà rencontrés ! Génial, ça sera plus facile pour partir en mission. Reviens demain après-midi, à 15h pétante, je t’expliquerai le plan. Tu peux rester ici si tu veux, tu es mon invitée, dit-elle en lui faisant un clin d’œil.

            – Merci ! Je crois que je vais aller voir un ancien ami avant.

            Saya reprit une cigarette.

            – Il sera content de te voir, ou alors il dira que tu es quadruplement conne.

            Rune soupira.

            – Ça va, j’ai compris !

            Rune se leva et quitta l’établissement pour reprendre sa moto. Directement le un beau quartier non loin du bar, où l’attendrait un vieil ami.

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