Chapitre 19

9 minutes de lecture

            De retour sur Avracham, Zaz restait sur la plage, pensif. Leur dernière mission était leur plus grand fiasco. Non seulement ils s’étaient fait doubler par leur employeur, mais en plus leur recrue avait terminé entre les mains de Talinda, cette médecin bien tarée. Personne ne désirait la voir d’ailleurs, tout le monde s’arrangeait pour ne pas se blesser ou bien de se guérir avec les moyens du bord. C’était préférable, plutôt que de voir une timbrée toucher toutes les blessures par pure curiosité.

            Mais Zaz avait failli à son devoir. Il tenait son sabre par le pommeau, bien rangé dans son fourreau métallique, mais sa lame maintenant émoussée et tordue ne lui permettait plus de se battre. Une honte pour un épéiste hors pair comme lui. Il fixait l’horizon lointain de ses yeux vides, tandis que toute son équipe se séparait après cette cuisante défaite.

            Il ferma les paupières, laissant le vent s’amuser avec sa longue chevelure d’azur. Il prit une grande bouffée d’air frais, puis souffla longuement. Il déversa son stress et décida de se rendre chez son maître : Zaterios Ballum. Il se prépara à affronter ses foudres en lui présentant une lame dans un état si pitoyable, mais il n’avait pas le choix s’il voulait pouvoir s’en resservir. Après tout, le code d’honneur d’Avracham était clair : retrouver les personnes qui osaient s’en prendre à eux ou les rouler, et leur infliger une sévère correction.

            Zaz remonta la ville, toujours prise d’assaut par les fêtards. En fait, cela ne s’arrêtait jamais ici. Sur la place centrale, il y avait toujours des buffets installés pour le soir et des jeux organisés pour divertir tout le monde. Au vu de l’importante population qui séjournait sur la planète, il fallait satisfaire tout le monde.

            Mais le maître de Zaz préférait la tranquillité, raison pour laquelle sa maison se trouvait à un bon kilomètre de la limite de la ville. Il fallait traverser la jungle, profitant du bruit des animaux qui grouillaient dans les fourrages, tout en suivant le chemin de terre vers sa grande bâtisse.

            Construite sur deux étages, elle s’étendait tout du long, sans la moindre barrière pour délimiter son terrain. Zaz passa l’entrée, un petit préau dont les deux couloirs sur les côtés menaient à diverses pièces, et devant lui, tout restait ouvert sur le jardin intérieur. Car sa maison en forme de U possédait un petit coin de paradis en son centre. Une étendue d’eau et quelques cascades permettaient de méditer en toute sérénité, comme le faisait son maître actuellement.

            Vêtu de son kimono noir, il était assis en tailleur devant ce magnifique bassin. Les yeux fermés, il restait impassible en entendant Zaz pénétrer chez lui. Zaz savait qu’il ne devait pas l’interrompre, sinon il subirait bien plus que sa colère. Il s’apprêtait à faire demi-tour, mais son maître ouvrit les paupières pour le dévisager.

            – Je sens ton chagrin et ta honte d’ici, gamin.

            Zaz roula des yeux. Il ne comprenait pas comment faisait ce vieillard de soixante ans pour lire aussi bien dans l’esprit des autres. Il le traitait souvent de sorcier, même s’il n’appréciait pas du tout.

            – Viens à mes côtés, l’invita son maître. Il ne faut faire qu’un avec la nature, le calme et la sérénité. Laisse le vent chatouiller ton corps…

            Zaz soupira.

            – Désolé, maître Ballum. Je reviens avec…

            Il n’osa même pas lui avouer. Zaterios secoua lentement la tête.

            – Montre-moi.

            Zaz sortit son sabre du fourreau et le lui présenta. Le maître bondit sur ses jambes et la récupéra, le visage déformé par la surprise.

            – Mais qu’est ce que tu as foutu, jeune fou ?

            – j’ai… affronté un cyborg en fait…

            – Mais ça peut découper le métal ça, triple idiot d’abruti fini !

            Zaz haussa les bras.

            – Excusez-moi, j’étais sur le pare-chocs d’un camion et j’ai dû traverser la vitre pour l’atteindre.

            Zaterios le fusilla de ses pupilles rubis.

            – Qu’est-ce que tu foutais là ? je t’ai pas appris à attendre le bon moment pour sortir ton sabre, imbécile décérébré congénital !

            – Je n’avais pas trouvé de meilleure idée…

            – Espèce d’amas d’incompétences !

            Le maître s’éloigna avec le sabre, sous le regard perplexe de Zaz. Il s’apprêtait à le suivre, quand il entendit un cri de surprise venant derrière lui.

            – ZAZOUUUUUUUUU !

            Il sentit quelqu’un s’agripper à son dos.

            – T’es revenu mon Zazou !

            Zaz cria et se tomba en pleine face. Il se retourna et vit Tili Vaneria, une gamine d’une dizaine d’années que Zaterios gardait sous son aile. Elle pleurait dans son kimono rouge, si heureuse de revoir l’homme qu’elle aime. Eh oui, au grand dam de Zaz, cette petite était sous son charme et il ne pouvait rien faire pour la repousser. Il avait tout essayé.

            Ce qu’il ne supportait pas, c’était la morve qui coulait de son petit nez. Tout le temps enrhumée, cette fille passait son temps à se moucher dans ses vêtements. Elle se jeta dans les bras de Zaz, alors qu’il tentait de la refouler pour éviter d’être souillé, mais impossible. Malgré son âge et sa petite taille, elle possédait une force à ne pas sous-estimer. Elle se faufila entre ses bras et colla sa tête dans sa veste.

            – ZAZOUUUUUU ! Tu m’as tellement manqué ! Tu avais promis de revenir vite !

            – Tili ! Dégage ! Tu vas mettre ta morve partout !

            Elle se mit à pleurer toutes les larmes de son corps, tandis qu’elle reniflait sans arrêt. Impossible de lui tirer les cheveux, ils étaient bien trop courts. Zaz était obligé de la pousser pour qu’elle s’en aille, mais elle ne voulait pas le lâcher.

            – Eh bien, je ne pensais pas que vous aviez un chéri, Tili.

            Interloqué, Zaz scruta les alentours pour voir qui venait de dire une bêtise pareille. Il tomba face à une jeune femme d’une beauté sans pareille. Les yeux bridés, elle le fixait amusement dans un beau kimono bleu aux pétales de fleurs roses. Ses longs cheveux noirs couraient le long de sa fine silhouette.

            Zaz banda les muscles et repoussa Tili de toutes ses forces, puis la jeta dans l’eau.

            – Lave-toi le nez ! cria-t-il.

            Elle émergea en pleurant.

            – ZAZOU ! cria-t-elle. Mais je t’aime !

            Zaz épousseta ses vêtements puis rejoignit cette inconnue. Il lui fit son plus beau sourire, et croisa les bras.

            – Bonjour, madame ?

            – Yumiko Shakii. Et vous êtes ?

            – Zaz Dakora, enchanté de vous connaître.

            Il prit sa main pour la baiser, tout en soutenant son regard. Yumiko ricana et lui montra sa chemise du doigt.

            – Vous avez de la…

            Zaz fronça les sourcils et baissa les yeux. Tili lui avait laissé un cadeau magnifique pour draguer. La tâche de sa morve prenait de l‘ampleur. Il hurla avant de l’enlever. Voyant Tili sortir de l’eau pour lui sauter au visage, il lui jeta sa chemise en pleine figure.

            – Étouffe-toi avec ça !

            Zaz courut pour l’éviter, puis il se faufila dans la maison pour trouver son maître. Il passa le salon, la salle de musique, puis se rendit dans le sous-sol, où se trouvait sa forge. Un endroit où il rassemblait tout le matériel nécessaire pour forger de belles épées avec un métal extrêmement solide et maniable : la Piralite. Zaterios réparait déjà sa lame avec soin. Le jeune pirate resta derrière lui, attendant qu’il ait fini.

            – T’as intérêt à sortir d’ici, épéiste indigne ! Bougre de tas de bouse de vache moisi !

            Tant qu’il proférait autant d’insultes, mieux valait le laisser à son travail. Il ne redeviendrait pas normal tant que son sabre ne serait pas réparé. Zaz remonta et s’avachit dans le canapé du salon. Il soupira. Pour l’instant, Tili ne l’avait pas retrouvé, peut-être trop occupée à sécher ses vêtements.

            – Un thé ?

            Zaz sursauta, mais ce n’était que Yumiko. Elle était si belle ! Tout sourire, il l’invita d’un geste de la main à venir le rejoindre. Elle lui donna une tasse avec politesse, puis s’assit sur le fauteuil d’en face. Zaz sentit la douce odeur de bois émaner du liquide, puis en but une lampée. Zaterios faisait ça avec une écorce d’un arbre bien spécifique qui permettait aux défenses immunitaires de se développer.

            – Vous ne voulez pas une chemise ? demanda Yumiko, toute rouge.

            Zaz ne s’en rendait plus compte, mais il se promenait torse nu, comme souvent. Il balaya sa remarque d’un geste de la main.

            – Mais non, ça ira.

            – Euh… D’accord, répondit-elle.

            – Que faites-vous donc ici ? Madame Shakii.

            – Je vous en prie, appelez-moi Yumiko. Je me suis enfuie de Neo-Japan.

            – Ah bon ? s’étonna Zaz.

            Ce n’était pas la première, au contraire, Yuki s’était aussi échappée de cette planète.

            – Pourquoi ? Si ce n’est pas indiscret, bien sûr.

            Yumiko soupira.

            – Eh bien, je faisais partie d’une famille noble dans une nouvelle ville récemment construite et… On a voulu me faire subir un mariage arrangé !

            – Quelle bande de salauds ! s’emporta Zaz.

            Yumiko pouffa.

            – Oui… Ma mère m’a aidé à m’enfuir, et j’ai rencontré votre maître sur une station spatiale. Il a bien voulu se débarrasser de mes poursuivants, et il m’a ramené ici. Pour le remercier, je m’occupe des tâches ménagères et je l’aide de temps en temps pour les courses…

            – C’est super ! Il doit être content le vieux débris !

            Yumiko se mit à rire.

            – Il aimerait bien se débarrasser de moi et… de toi, j’ai l’impression.

            Zaz fronça les sourcils, sans comprendre ce dont elle voulait parler. Elle lui fit un signe de tête, qui le poussa à regarder derrière lui. Zaterios tendait la lame de Zaz en l’air, prêt à le fendre en deux. Voyant son regard inquisiteur, Zaz bondit du canapé pour éviter le sabre qui fendit le meuble en deux.

            – Tu vas voir qui est un débris, espèce de jeune con écervelé !

            – Maître, arrêtez !

            Zaterios fondit sur lui dans des cris de guerre, tentant de le couper en deux par de nombreux coups. Zaz les évitait tous, mais son maître fit une feinte qu’il ne vit pas venir, et le coup de pied retourné qu’il prit en pleine figure l’envoya valser à travers le couloir. Zaz eut à peine le temps de se relever que Zaterios se trouvait déjà au-dessus de lui, la pointe de l’épée sous le cou.

            – T’es balèze pour fuir, tas de fumier ! Mais va falloir te battre un peu mieux que ça !

            Zaz hocha lentement la tête, peur de ce que pouvait faire ce vieillard. Lorsqu’il était contrarié, plus rien n’arrêtait sa colère. Finalement, il souffla pour extérioriser sa frustration, puis aida son élève à se relever. Il lui tendit son sabre avec grâce.

            – Prends donc ton arme, Zaz. Fais-en sorte qu’il serve la justice, comme je te l’ai toujours appris.

            Zaz se pencha en avant.

            – Bien maître. Je jure d’en prendre soin et de suivre vos pas.

            Il reçut un gros coup de poing sur le crâne.

            – Et ne reviens pas avec une lame pétée, bougre de cornichon d’abruti !

            Zaterios retourna dans le jardin, puis s’assit à califourchon. Il reprit sa méditation, tandis que Zaz se frottait la tête. Yumiko le rejoignit en se moquant de lui.

            – Tout va bien ?

            – Je crois oui. Je l’ai échappé belle.

            – Je vois ça. Zaterios n’est pas tendre avec les personnes qui ne respectent pas son travail.

            – Oh ça oui !

            Zaz se redressa puis admira la lame resplendissante de son maître. Le métal brillait à nouveau, comme si Kalveo n’avait rien fait subir à cette merveille. Il se promit de ne pas refaire la même erreur, et surtout, de protéger leur nouvelle recrue !

            – Vous voudriez aller boire un verre avec moi ? proposa Yumiko.

            Zaz releva la tête, surpris. Il resta bouche bée, ne sachant quoi répondre sur le moment. Depuis toujours, il draguait chaque fille qui lui plaisait dans l’espoir de fonder une famille, mais il ne faisait jamais mouche. Et cette fois, il n’avait rien fait de tel, et pourtant, on l’invitait à sortir. Un grand sourire illumina son visage.

            – Bien s…

            – ZAZOUUUUUUUUUUUUUUU !

            Le cri de Tili le fit sursauter. Alors qu’elle fonçait sur lui, les bras en éventail pour lui sauter au cou, il se mit à courir le plus vite possible.

            – 19h au bar ! hurla-t-il à Yumiko, alors qu’il s’éloignait de la maison au pas de course.

            Tili se fatigua bien trop vite pour lui sauter dessus, elle lui hurla de revenir rapidement, qu’elle voulait jouer avec lui, mais Zaz fit croire qu’il avait une réunion urgente. Même si c’était faux…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire SeikiLumnis ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0