Soleil fatal

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Marc et Clémence s'asseyèrent à bord de leur tout nouvelle voiture, un puissante Super 5 GT turbo rouge vif. Lorsqu'il conduisait ce petit bolide, Marc se disait que s'il n'avait pas été peintre en bâtiment, il aurait certainement été mécanicien dans une écurie renommée. Et Pourquoi pas en Italie ! Il venait d'acheter ce petit bijou à crédit et était bien décidé à en faire un signe extérieur de sa réussite.

Le soleil n'était pas encore levé mais on sentait qu'à l'est, le ciel plus clair annnonçait l'aube prochaine. Ils avaient été invités chez Yvon, le nouveau patron de Marc, un assez riche entrepreneur qui s'était installé deux ans plus tôt Bugeat, un tout petit village de Corrèze. Les deux hommes s'étaient rencontrés par hasard au café du bourg, durant l'été 1983. Yvon s'y était rendu pour jouer aux courses, tandis que Marc s'y était arrêté pour acheter un paquet de cigarettes. Il arborait ce jour là une tenue bariolée de tout ce que la peinture peut compter de coloris, ce qui avait amusé Yvon. L'homme lui avait demandé s'il préférait peindre des murs ou des vêtements. Et la discussion, sarcastique mais amicale, s'était poursuivie à propos de la peinture, évidemment.

A cette époque, Marc sautait sur le premier contrat venu mais il voulait rendre sa situation un peu plus stable. Du haut de ses vingt-deux ans, sa maturité avait étonné Yvon. Les deux hommes s'étaient souvent recroisés, au café ou ailleurs, et avaient fini par devenir de bons amis.

Un jour, Yvon proposa à Marc un contrat en or. Il venait d'être sélectionnné pour mener à bien la réfection d'une série d'immeubles à Ussel. Et il cherchait quelqu'un pour superviser les travaux. Au bas mot, il y avait au moins deux ans de travail à plein temps pour une trentaine d'ouvriers de plusieurs corps de métiers. Malgré son jeune âge, Yvon voulait que Marc soit ses yeux et ses oreilles sur place et qu'il fasse office de contremaître.

Evidemment, Marc n'avait pas réfléchi lontemps. Clémence était déjà enceinte et ce contrat leur permettrait d'assurer les premières années de leur fille à naître. Pour fêter celà, Marc et Clémence avaient été invités à Bugeat, où Yvon s'était enterré mais qui se situait à seulement neuf kilomètres de Barsanges où vivait le jeune couple.

Marc dut s'y reprendre à trois fois avant de démarrer la sportive. Il faut dire que cette fin janvier en Corrèze était particulièrement froide. Les températures avaient atteint des records en dessous du zéro. Pour ne rien arranger, un brouillard assez dense formait une bande opaque qui partait du sol pour disparaitre à environ deux mètres de hauteur. Les pneus de la Renault 5 dérapèrent sur le gravier de l'allée qui partait de la maison d'Yvon, puis lorsque Marc eut rejoint le bitûme de la départementale 979, il accéléra, grisé par la nuit qu'ils venaient de passer. Il était pratiquement six heures du matin. Marc et Clémence était certes heureux mais fatigués. Ils avaient également beaucoup bu.

Le trajet du retour ne comptait que quelques kilomètres, mais dans un tel état, il semblait en faire dix fois plus. Le couple était pressé de rentrer se coucher Tous deux avaient pris un congé ce jour-là, sachant bien que la soirée allait s'éterniser plus que de raison. Et même si ni l'un ni l'autre n'avait encore atteint vingt-cinq ans, le poids de la soirée se faisait sentir.

"Ton patron est vraiment sympa" dit Clémence, "Et je suis fière de toi ! Ce poste va te permettre de viser plus haut que ta fichue peinture !"

" Oui c'est vrai, tu as raison. J'ai eu pas mal de chance sur ce coup-là ! J'en reviens pas d'ailleurs. Je sais pas ce qu'il me trouve Yvon !" répondit Marc en souriant.

"C'est vrai que ça s'est tout de suite bien passé entre vous deux. Et puis Georgette est super mignonne. Tu as vu le repas qu'elle nous a fait ?" renchérit Clémence.

Alors qu'il se remémorait le succulent repas servi pas la femme d'Yvon, Marc ne se rendit pas compte qu'il avait franchement accéléré. Alors qu'il allait aborder une partie de route sinueuse qui contournait Pérols-sur-Vézère, la voiture roulait désormais à vive allure, si bien que Clémence commença à s'inquiéter.

"Tu vas un peu vite mon chéri, non ?"

"Mais non, t"inquiète pas, je la fait tous les jours cette route" répondit Marc.

Mais alors qu'il arrivait en haut de la petite côte menant au croisement avec la départementale 78, Marc coupa franchement le virage à gauche pour ne pas sortir de la route. Soudain, il vit devant lui une faible lueur jaune surgir du brouillard en un éclair puis une ombre bondir sur sa voiture. Par réflexe, il freina brusquement puis il ressentit un choc énorme et un bruit sourd rententit. La voiture venait de percuter quelque chose de lourd, très lourd.

La Renault 5 finit sa route quelques dizaines de mètres plus loin, sur le bas côté gelé. Marc, qui venait de heurter son volant, reprit rapidement ses esprits. Il tourna immédiatement la tête à doite pour voir dans quel état se trouvait Clémence. Heureusement, celle-ci avait anticipé l'arrêt brutal du véhicule, aggripé la poignée située juste au dessus de la portière et en même temps pris soin de relever ses genoux pour absorber sa propuslsion vers l'avant.

Marc l'embrassa, heureux de voir qu'elle n'avait rien. Mais en regardant devant lui, il s'aperçut que le pare-brise était littéralement enfoncé à hauteur de son visage, comme si un pavé avait tenté de le traverser. Des fissures partaient dans toutes les directions.

Il sortit immédiatement du véhicule pour l'inspecter. A cette époque de l'année, il n'est pas rare de croiser encore quelques sangliers sur ces petites routes de campagne. Il se dirigea vers l'avant du véhicule comme pour justifier son hypothèse mais au lieu de trouver des poils sur son pare-choc, il vit...une chaussure !

Son sang ne fit qu'un tour. Tout se bouscula dans sa tête. La lueur qui avait surgit, le bruit, la chaussure...Il venait de percuter quelqu'un, et probablement en moto ! Ses jambes faiblirent et il s'écroula, le coeur battant si fort qu'il lui perforait la poitrine.

Clémence venait de s'extirper à son tour du véhicule et avait rejoint Marc à l'avant. Surprise de le voir à terre, elle s'accroupit et le prit par les épaules.

"Qu'y a-t-il mon chéri ? Que se passe-t-il ? Parle-moi bon sang !" cria-t-elle en secouant Marc.

"Je...je crois que j'ai renversé quelqu'un...regarde cette chaussure. J'ai tué quelqu'un ! J'ai tué quelqu'un" répétat Marc en sanglotant. La tête dans ses mains, il se mit à pleurer, incapable de se relever.

"Allons voir" lui dit Clémence. Elle le prit par le bras, le tira franchement pour le relever et ils revinrent en arrière pour voir ce qui avait heurté la voiture. Il ne leur fallu que quelques secondes pour apercevoir sur le bord de la route un corps, gisant face contre terre, à quelques mètres d'un vélo complètement désarticulé.

Marc était horrifié mais il s'avança doucement vers le corps. D'après ses vêtements, il s'agissait d'un homme, ou plutôt d'un adolescent. Il portait un pantalon sombre et un sweat à capuche bleu foncé, ou peut-être gris. La faible lueur persistante de la lune éclairait à peine le scène. Marc posa un genou à terre et, fébrilement, poussa la tête du jeune homme pour la faire rouler sur le côté. Celle-ci n'opposa aucune résistance, comme si le cou était cassé. Marc eut alors un haut-le-coeur un voyant le visage ensanglanté de sa victime dont les yeux, figés, semblaient encore le regarder. Clémence, restée deux pas en arrière, comprit que tout était fini. Le jeune homme était mort.

Puis tout alla très vite. Marc entendit un bruit de moteur, tourna la tête et aperçut au loin les phares d'une voiture qui arrivait sur eux. Soudain, comme semblant reprendre ses esprits, il prit le jeune homme par les bras et le traîna dans le talus en bordure de route. Il revint, se saisit du vélo qu'il jetta aussi loin que ses bras le lui permettaient. Puis il prit Clémence par la main et tous deux se dirigèrent en courant vers leur voiture.

Marc démarra en trombe, mais sans allumer ses phares. Il roula quelques dizaines de mètres avant de s'engoufrer dans le premier chemin fôrestier sur la gauche. Il éteint le moteur et attendit que la voiture qu'il avait vue arriver les ait dépassés. Si la voiture ne s'était pas arrêtée, alors c'était bon signe. Le corps n'était pas visible. Il démarra à nouveau, fit marche arrière et reprit son chemin jusqu'à leur domicile, laissant derrrière eux l'horrible tragédie.

Durant la poignée de minutes que dura la fin du trajet, ni l'un ni l'autre ne décrocha le moindre mot. Ils ne se regardèrent même pas. Marc commençait à peine à prendre conscience de ses actes. D'abord d'avoir tué un jeune homme par négligeance, puis d'avoir fuit, comme un lâche. Clémence, elle, était horrifiée par cet accident mais au fond d'elle, elle pensait que Marc avait pris la meilleure décision qui soit.

Arrivé à leur domicile, Marc rentra sa voiture dans le garage, à l'abri des regards. A cette heure-ci, personne ne pouvait les avoir vu car leur maison se situait un peu à l'écart du bourg et le premier voisin se trouvait au moins à cinq cents mètres de l'autre côté d'un champ.

"Tu as fait ce qu'il fallait. Si j'avais été..." commença Clémence

"Tais-toi !" rétorqua brutalement Marc. "Tais-toi...Je sais même pas pourquoi j'ai fait ça ! Je vais aller voir les flics. Il faut que je leur dise tout".

"Sûrement pas !" dit Clémence, dont la réaction étonna Marc. "Si tu fais ça, tu crois qu'il se passera quoi ?".

Marc ne répondit rien. Après un bref silence, Clémence ajouta :

"Je vais te le dire. Tu vas être incarcéré pour homicide. Mais comme tu as bu et que tu roulais vite, tu vas en prendre pour quinze ans ! Tu veux vraiment faire la connaissance de ta fille quand elle sera ado ?".

"Mais je ne tiendrai pas ! Comment on va faire avec la voiture ? Ca va se voir ! Et l'accident a eu lieu à quelques kilomètres. Il va y avoir une enquête, on va tous être interrogés, c'est sûr !".

"Oui, je sais. Mais on a pas dû laisser beaucoup de traces sur place. Des voitures rouges, il y en a plein. On a qu'à dire qu'on est rentrés vers cinq heures et qu'on a rien vu. Pour la voiture, c'est simple, on la laisse au garage un bon moment et on prendra la mienne. De toute façon, je suis en congé maternité donc je ne travaille plus".

Marc et Clémence étaient tous deux très fatigués, mais l'accident leur avait provoqué une montée d'adrénaline telle qu'ils décidèrent plutôt de prendre une douche et d'avaler rapidement quelque chose. La journée s'annoncait très longue...

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