Ostracisme

2 minutes de lecture

Mon univers a le pourpre du velours et la froideur blanche de la neige. Rien d'autre ne perdure en ce lieu plein d'oublis, ni mes traces soufflées ni la vapeur écrue au-devant de mon nez. Je suis le prince éteint d'un royaume effondré, celui par qui les mots ne sont plus que glaçons et la fierté d'antan un voile sans façon. Sur mon corps engourdi, ma capeline usée, celle dont le pourpre était sur l'étendard. À mes yeux morts, son toucher est sensible, telle que l'était la main disparue de ma mère, et je veux croire encore qu'elle me préservera. Mes bottes s'enfoncent sans répit ; le frou-frou continu me paraît délicat et je me vois parfois sous les ailes d'un ange.

Je flanche. La neige à mon visage fond, puis gèle, et les coups de sa langue glacée me tailladent et m'attirent vers l'abysse éternel de mes ancêtres honnis. La douleur s'apaise et me laisse apprécier cette mortelle paix qui, lentement, m'envahit, comme si je m'envolais.

Là-bas, au royaume Étincelant, nous avions l'habitude des fêtes jours et nuits. L'on décorait les rues de millions de tapis et je courais dessus, m'effondrant dans leurs plis de taffetas ou de laine, laissant leurs franges brunes, d'or ou de grenat chatouiller ma nuque ; un bonheur en soie illusionnait mes yeux plongés au cœur de leur trame familière. J'aimais ressentir leur peau chatoyante et ainsi le royaume se paraît des plus belles couleurs. Jaune ronronnant sous la paume, vert rasé de près grattouillant mes bras nus, ocre profond presque invisible à mes doigts frais, bleu turquin électrique à mon front ; je pouvais deviner leurs nuances uniquement au toucher, moi qui avait perdu la vue dans mon enfance. Je savais chaque bois caressé, chaque pierre effleurée, chaque grain épousé de la main. Mes parents m'offraient les plus divins tissus, de pays fort lointains, dont la haute couture m'était un cadeau du ciel, un scintillement permanent, un arc-en-ciel étrange dont la splendeur tactile m'était réservée. Je bâtissais sur des mousses élastiques des empires lapis-lazuli aux contours incisifs d'émeraude rassurante. Je me roulais sur les parquets au fauve lisse et chaud et les rayons de l'astre avait la ouate précieuse de l'or en brume, une évanescence quasi spirituelle escaladant mes sens. J'étais un verre, le plus pur des cristaux que la lumière en reine éveillait de frissons.

Je vois ma mère, à présent. Telle qu'elle l'était auparavant, fière, grande, aimante. Fière de nous, grande de notre force, aimante sans détour, car nos chemins étaient clairs. Elle me tend ses mains et je crois attraper quelques perles, une rivière, un océan plutôt d'une incomparable douceur. Le velours s'éteint lentement sur la neige, goutte de sang bientôt recouverte de poudre vierge.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Ruby Neige ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0