Le convoi amoureux

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Une minute, Capucine se tient debout sur le quai. Ses jambes flageolent, mais ne flanchent pas.

On lui a dit qu'un convoi de rescapés arrivait en gare à la nuit tombée. Elle aimerait voir ses amies en descendre, celles qui sont parties sans qu'elle sache vraiment pourquoi. Elle repense à leurs parties de cartes sous le grand tilleul, aux banquettes du salon de thé du centre ville, et à tous les repas qu'elles ont partagés. Elle revoit les sourires autant que les larmes, elle entend Noa crier sur Malka, son gros glouton de chat, elle sent le plancher craquer sous ses chaussures. Torrent de beauté et de jeunesse, Leah danse joyeusement au creux de sa mémoire, recroquevillée contre son fiancé. Et, capture finale, celle de Capucine qui tourbillonne entre les mains d'Aron... entre ses jolies mains de violoniste.

Aron. Cela fait longtemps qu'elle n'a pas prononcé son prénom; la douleur qui s'y associe lui est insupportable. Et pourtant, voilà qu'une éventualité se présente à elle: il n'est peut-être pas mort là-bas. D'un instant à l'autre il descendra du train, son long corps frêle affaibli par la maladie, et il se jettera dans les bras de Capucine en sanglotant. Il la serrera fort, trop fort peut-être, et elle le protégera de la souffrance tel un rempart infranchissable. Il vivra à nouveau.

Dix minutes, Capucine attend. Une vieille femme est assise sur le banc d'à côté. Ca y est, elle en est persuadée, Aron est vivant. Aron est beau, Aron se remettra de ses blessures. Et pas question de le laisser partir.

Quinze minutes, Capucine attend. La vieille femme est toujours assise sur le banc d'à côté. Aron n'a pas oublié Capucine, ni son visage, ni son odeur. Il la reconnaîtra directement lorsqu'il descendra. Il viendra l'embrasser, et ces trois ans de séparation partiront en cendres. Le Monde s'écroulera autour d'eux. Personne ne se moquera plus jamais de leur amour, ils seront devenus des héros.

Vingt minutes, le convoi entre en gare. Capucine essaie d'attendre, mais se précipite vers le train. La vieille femme s'est levée du banc et ses mains blanches sont enroulées autour de sa canne. Des gerbes d'étincelles enflamment le regard de Capucine. Le train s'arrête.

Vingt-deux minutes, les prisonniers mettent pied à terre. Ils sont pâles et maigres. Leurs vêtements rayés allongent leurs traits déjà osseux. Capucine retient sa respiration, elle patiente encore. Elle ne voit que des hommes. Elle n'en reconnaît aucun.

Vingt-neuf minutes, on la percute. Capucine tombe sur le banc où était assise la vieille et ferme les yeux. Un beau regard brun la fixe avec tendresse alors qu'elle ouvre une paupière.

Puis la deuxième.

Trente minutes, Aron.

Capucine ne comprend pas, Capucine pleure de joie. Aron ne parvient pas à l'arracher du banc tant ses forces ont été diminuées, mais il s'asseoit près d'elle. Ses cheveux noirs sont sales, ses joues sont creuses, et pourtant, son regard pétille. Non, il n'a pas oublié Capucine. Il a survécu à trois ans de barbarie. Il a pensé à elle sans répit, même lorsqu'il se sentait partir. S'il a tenu, c'est grâce au souvenir de sa présence.

L'éventualité devient une certitude: Aron est vivant, Aron est revenu.

Il tient Capucine fermement pour ne pas qu'elle s'échappe, pour qu'elle reste toujours auprès de lui.

Lorsqu'ils s'embrassent, c'est tout Paris qui les applaudit, et le temps qui reprend son cours.

Capucine est heureuse. 

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