Mortel, encore et encore.

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Soixante-sept.

Cela fait soixante-sept vies que je suis sur Terre.

Immortel. Et mortel à la fois. Gagner l'immortalité en passant de temps en temps par la case décès, après tout, ça n'est pas cher payé. J'ai eu du mal à assimiler la chose au début, lorsque je me suis « éveillé », faute d'un meilleur terme. Mais peu à peu, les souvenirs sont remontés à la surface. Une vie après l'autre, tout est revenu.

Je me suis souvenu de mes vies, de mes épouses, de mes enfants. Chaque fois que le souvenir d'un décès me revenait, j'étais submergé par l'émotion. C'est très difficile à vivre, je vous l'assure, surtout quand on prend conscience de la chose à un très jeune âge. Mes premiers souvenirs de vies antérieures ont commencé à remonter à la surface lorsque j'avais trois ans. L'expérience fut douloureuse, mais elle me permit de mûrir incroyablement vite.

J'ai cru devenir fou au début. Et mes parents, ainsi que ma maîtresse d'école s'étaient aperçus que quelque chose n'allait pas chez moi. Ils m'ont emmené chez un pédopsychiatre, comme tous les parents du monde auraient fait. Sauf que je n'en avais pas besoin. Je dirais même que je compris très vite que c'était un danger. Fort heureusement, j'ai réussi à cacher ce que je vivais exactement et je m'en sortis avec une simple surveillance pour enfant surdoué.

J'ai grandi à un rythme tout à fait normal sur le plan métabolique. Mais dans ma tête, dès que j’eus sept ans, je commençais à me rappeler de vies tellement anciennes que je dépassais les connaissances en Histoire de l'humanité. Je me rappelais avoir vécu plusieurs fois pendant le moyen-âge, en Europe. J'aimais à me rappeler cette vie de marin et de colon des Amériques que j'avais menée durant le XVI ème siècle. Mais celles que j'aimais par dessus tout, c'était celles que j'avais vécu dans la Rome antique. Plus loin encore en Grèce, en Égypte, en Chine. Je me rappelais à cette époque d'une cinquantaine de vie. Étrangement, je revoyais mes propres décès avec un certain détachement, même ceux qui impliquaient une mort violente.

Les souvenirs continuaient d'affluer doucement et, au fur et à mesure qu'ils me revenaient, je remontais le temps. Jusqu'au jour où je me rappelais l'une de mes toutes premières existences. J'étais jeune et j'observais un homme et sa famille au loin, qui travaillaient à un étrange chantier. Les gens autour de moi se moquaient d'eux, venaient les voir pour les railler avant de repartir s'occuper de leurs affaires malsaines. J'ignore pourquoi, mais cet homme me semblait être un homme de bien. Je ne le connaissais pas, mais il me semblait plus proche que tous ceux que je côtoyais depuis des années. Leur vie de chasse, de violence et de luxure contrastait avec la vie paisible de cet homme et de sa famille. Et je l'admirais pour ça, malgré son apparente folie. Car il était indubitablement fou : il disait à qui voulait bien l'entendre que, bientôt, de l'eau tomberait du ciel jusqu'à tout recouvrir et tuerait tous ceux qui n'auraient pas pris place dans son arche. De l'eau qui tombait du ciel ! Plongé profondément dans mon souvenir, ça me semblait impossible. Je ne connaissais visiblement pas la pluie.

Lorsque je revins à moi, je compris que ce dont je venais de me souvenir, c'était ni plus ni moins la construction de l'Arche de Noé. J'avais connu Noé ! Plus encore : ce type avait existé !

J'attendis avec impatience que le reste de cette vie me revienne. Lorsque cela se produisit, je le regrettais amèrement. Car je me revis en train d'implorer le ciel de cesser ce désastre. Je me revis en train de mourir, embourbé avec à côté de moi la fille que j'aimais, rendant son dernier souffle sous mes yeux, transie de froid et trop d'eau dans les poumons. Je revis les hommes qui, pensant pouvoir échapper à la mort, s'étaient réfugié au sommet d'une haute colline. Je maudissais ces imbéciles qui nous avaient mené à ça. C'était leur faute ! Noé les avais prévenus. Mais pourquoi moi ?

Parce que je n'avais pas besoin d'être sauvé. Je l'ai compris depuis longtemps. Et j'ai compris une autre chose : je ne suis pas seul. Nous sommes des témoins, condamnés à vivre une vie après l'autre pour assister à la déchéance des hommes. J'ignore seulement pourquoi.

Depuis, je me suis aussi rappelé de ma toute première existence. Elle a apporté énormément de réponses.

Je suis né sur Terre pour la première fois il y plus de cinq mille six cent ans.

Fils d'Adam et de Ève.

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