La maison bleue

Image de couverture de La maison bleue

C’est une jolie maison bleue, toute bleue, posée au milieu de nulle-part. Elle semble comme sortie de terre, se dressant fière et incongrue dans un désert de pierres grises où rien ne pousse. Tout autour, c’est le néant, le gris à perte de vue. Le silence, juste balayé par le froissement du vent qui ne porte nulle voile, qui ne fait frémir nulle feuille, qui ne soulève nulle poussière dans cet océan de pierres sombres.

Le temps semble ne pas s’écouler au-delà du jardinet de la maisonnette. Non, il n’y a rien. Rien que des cailloux noirs sur une plaine de lave morte momifiée en sa dernière coulée. Rien que la ligne d’horizon, tout là-bas, comme une déchirure incertaine entre le ciel et les cailloux. Des montagnes au loin, ou bien sont-ce des collines, moins loin. Difficile à dire, à déterminer la distance.

Rien, avant, en tout cas. Au-delà, on ne sait pas. Personne n’ose s’y aventurer. De toutes façons, il n’y a pas de chemins, de routes. Et puis pour aller où ? Pour y faire quoi ? Quoi de plus ? Quoi de mieux ? Y chercher quoi ? Y trouver quoi ? Quoi d’autre ?

Certains, il y a bien longtemps, ont essayé d’aller voir et ne sont pas revenus. D’autres si, mais ceux qui sont revenus avaient vite rebroussé chemin et ont dit qu’ils n’avaient rien trouvé derrière ces collines noires, sinon d’autres collines noires masquant encore d’autres collines noires. L’horizon, une fois atteint, ne révèle, parait-il, qu’un autre horizon, encore plus lointain… qui se repousse, sans fin.

C’est ce qui se dit. Alors tout le monde a renoncé. On regarde juste, de loin, d’ici. On scrute ce lointain inaccessible depuis la fenêtre, en se racontant des fables, des histoires pour les enfants, afin de le dessiner en pensées, l’atteindre d’une autre manière.

On parle d’aventures. On imagine d’autres enfants, des enfants qu’on ne connaîtrait pas mais qui y existeraient. Que ça se pourrait. On y invente une vie meilleure, un monde meilleur, d’autres maisons, d’autres couleurs. D’autres plaines moins grises. D’autres familles. D’autres rêves. On y croît, ou pas. À quoi bon. Mais il faut bien rêver, non ? Et puis ce n’est pas trahir les siens que d’imaginer d’autres gens, d’autres visages. Ça ne fait de mal à personne, au contraire. Ce ne sont que des rêves, qu’on partage tous ensemble dans la maisonnette, qu’on se raconte, qu’on se transmet, dans la famille, même si on est pas bien d’accord sur les formes qu’ils prennent dans l’imaginaire de chacun. On y voit ce qu’on veut, y entend ce qu’on a envie d’entendre. Ce n’est pas bien clair. Peu importe. C’est joli les rêves, les croyances. Il faut rêver, il faut croire : Ça fait penser plus grand. Ça fait penser tout court. Ça fait échanger, discuter. Ça fait voyager en quelque sorte. Ça fait aller plus loin. Ça fait relativiser sur l’absurdité de l’emplacement de cette improbable oasis au milieu de cette étendue inerte et sombre, tache de couleur dans tout cet océan sec et noir. Ça lui donne un sens, un but. Les rêves sont un refuge. L’horizon un espoir.

Alors on regarde au loin… On se dit qu’il y a forcément d’autres maisons, dessinées par le même architecte, ou bien même par un autre, qui sait ? On s’en fiche… Ce n’est pas ça l’important.

On élabore des possibilités, des hypothèses. On suppute. Oui, d’autres maisons comme celle-ci, ou pas. Après tout, les autres ne doivent pas forcément ressembler à la nôtre, si ? Juste un peu. Pour qu’on sache que ce sont des maisons. Mais elle ne doivent pas forcément être bleues. On peut en imaginer des rouges, des jaunes, des vertes, pourquoi pas ? Des avec étages, des sans étages, des longues, des larges, des plus grandes ou des plus petites. Peu importe, du moment qu’elles sont là, quelque-part. Du moment qu’on est pas les seuls… que d’autres familles y vivent, comme ici… y rêvent aussi.

S’il y a des fenêtres à notre maisonnette, c’est bien pour regarder au loin, non ? Pour regarder, observer. Pour guetter une possible arrivée, ou bien quelque signe de vie qui scintillerait dans le flou lointain des halos de chaleur. Une flammèche hésitante qui danserait dans le néant obscur, qui ondulerait à nos yeux curieux et ébahis, minuscule et rebelle à l’absurde. Un frémissement coloré dans le noir des cailloux… une fleur perdue poussant entre les pierres.

Alors, on y croit. On veut y croire. Ce n’est pas possible que cette maison bleue soit la seule maison bleue. Ça n’aurait pas de sens. Il doit y en avoir d’autres des maisons, bleues ou vertes ou de n’importe quelle couleur. Il faut regarder au loin, et juste y croire. Les fenêtres, c’est fait pour ça ; Pour laisser entrer la lumière, le vent, le parfum des pierres, les fragrances d’aventures. Ça sert à ça les fenêtres : à illuminer nos esprits parfois un peu trop éteints. À éclaircir les matins sombres.

Si elles ont des poignées, les fenêtres, c’est bien pour pouvoir les ouvrir sur le monde, sur la vie. Les ouvrir tout en grand. Les fermer, aussi, le cas échéant. En cas de coup dur, d’orage, de tempête. Pour pouvoir agir quoi. Décider. Changer les choses, au moins ici, sinon là-bas. Au moins pour soi.

On s’accoude et on se laisse aller à voyager vers l’horizon, en pensées, en questions. On le regarde et on envie un peu les nuages qui survolent ce grand mystère.

Existe-t-il d’autre maisonnettes, posées ailleurs ? D’autre petites gouttes colorées éclatées ici et là, contrastant avec le néant ? Toujours pas de réponse. Que des supputations sur lesquelles on discute faute d’avoir quelque-chose de plus tangible à affirmer.

Il faudrait des grands miroirs, accrochés aux flancs de ces nuages, pour refléter ce qu’ils voient, sous eux. Refléter ce qu’il y a derrière ces collines noires, là-bas, tout là-bas. Mais ce n’est pas possible, évidemment. Ça ne voit pas un nuage : ça défile. Ça flotte en l’air. Ça passe… et puis ça disparaît. Ça ne reflète rien, sinon nos absurdes pensées, notre imaginaire qui s’évade comme une vapeur éphémère se dissipant dans l’air chaud et sec depuis le balcon de cette maison bleue. Nos questions rebondissent en silence sur ces grands nuages lointains et nous sont retournées intactes, sans réponse.

On ne peut que se mettre à la fenêtre et regarder, un peu, de temps en temps. C’est tout. C’est déjà ça. On discute, on élabore des hypothèses. On n’est pas d’accord : On imagine des maisons différentes, ou pas de maisons du tout. Des enfants ou pas d’enfants. Des familles ou bien pas. Des chemins. Des sentiers pour aller les retrouver. Des cailloux-repères, bordant des chemins ensevelis sous le sable, menant vers le lointain. Des chemins qui seraient invisibles, effacés par le vent, recouverts par le temps. Peut-être.

La maison bleue est seule et unique pour certains, plantée dans cet océan de pierres par la magie du grand hasard, c’est-à-dire pas de magie du tout. Absurde et insensée.

Pour d’autres, elle n’est qu’une parmi des milliers qu’on ne verrait pas, qui seraient trop loin, inaccessibles, mais qui existeraient bel et bien.

Qui a raison ? Qui a tort ? Faut-il avoir raison ou tort ? N’y a-t-il que des cailloux, partout ailleurs, comme autour d’ici ? Pourquoi y aurait-il autre chose ? Pour quoi faire ? Pour qui ? Dans quel dessein ?

Alors ce sont de longues discussions sans fin, depuis que la maison est maison, depuis qu’on lui a dessiné des fenêtres ouvrant vers l’extérieur… depuis qu’on se penche à leurs rebords pour regarder, pour parler. Pour imaginer.

On parle de là-bas, d’ailleurs… on regarde au loin. Perdus vers l’horizon, on en vient à oublier les réalités du quotidien, les tâches ménagères, les contingences de la maison. Elles sont pourtant nombreuses : Là, une planche à remplacer sur l’escalier, ici, un joint à refaire au robinet. On se détourne de l’intérieur pour scruter au dehors, manœuvre désespérée pour échapper à quelque chose, on ne sait pas quoi. À l’ennui peut-être. Chercher au loin ce que l’on ne peut voir, plutôt que de regarder tout près ce qu’il y a vraiment, à portée de main, mais que l’on ne veut voir, ou auquel on ne prête guère attention parce que c’est là, de toutes façons, que ça va y rester, et que ça peut donc attendre.

On n’imagine des paradis éloignés. On regarde les collines, tout là-bas, le regard filant au-dessus de ce petit jardin bordant la maison. Il est pourtant bien joli ce jardinet, tout vert, contrastant avec le bleu des murs. Mais on regarde plus loin que ça… et, finalement, on ne le voit pas. On le survole.

Ce qui est à proximité est toujours de moindre intérêt comparé à l’inaccessible lointain. Absurde ordre des priorités.

*

La maison est gaie, proprette. Le petit jardin, en son devant, était jadis parsemé de fleurs, de petits arbres fruitiers qui ombrageaient ce joli coin de verdure, contrastant avec le gris sombre des pierres s’étendant vers la vallée. Le masquant, presque, ou le faisant un peu oublier à tout le moins. Un vrai jardin d’Eden, petit paradis au creux de l’enfer. Un miracle.

Deux chaises longues posées nonchalamment sur une herbe bien drue et parsemée de pâquerettes, semblaient inviter au farniente. On s’y prélassait au soleil, les yeux clos du plaisir d’être là, tout en croquant une pomme, tiède et juteuse, cueillie à ce joli pommier ombrageux.

La vie était douce, tranquille, insouciante. Elle durerait ainsi toujours.

Il y aurait toujours des pommes et le pommier serait toujours là au milieu de ce vert jardin fleuri avec cette jolie maison bleue en son centre. La maison serait toujours bleue. L’herbe et les fleurs toujours fraîches et abondantes.

*

Un jour, on eût l’idée de faire un petit potager, dans un coin du jardin, pour y faire pousser quelques légumes, au fil des saisons, des envies. « Cela serait bénéfique à la petite famille s’agrandissant peu à peu » avait dit quelqu’un… et le petit carré de verdure poussa bien vite et donna quelques beaux légumes, en faible quantité, mais bien assez, alors, pour la maisonnée. On se réjouit. C’était une excellente initiative que ce potager. On se félicita tout en dégustant les premiers repas issus de cette nouvelle production.

On y installa aussi, dans la foulée, un petit poulailler avec quelques poules pour bénéficier d’œufs bien frais. L’idée séduit toute la famille et on y prit goût. Oui, une bonne idée, vraiment. Ces œufs frais, ces légumes… et leur combinaison de multiples recettes saines pour nourrir toute la famille. C’était une idée géniale. Tellement géniale, qu’on décida de ne pas s’arrêter là et d’envisager la possibilité d’en faire encore plus…

Le potager s’agrandit donc. On y planta un peu plus de variétés. C’était un ravissement de voir ce que la nature pouvait produire avec si peu… tout ce que l’on pouvait récolter par ce simple travail de la terre. Quelques carottes, quelques tomates, et pommes de terre, quelques poivrons colorés pour des salades agrémentées de thym, de persil, de ciboulette… Il en fallait peu pour contenter les habitants de la maisonnette. Peu, mais c’était si bon.

Le cerisier et le pommier offraient, quant à eux, généreusement des desserts bien sucrés, et de multiples confitures, compotes, tartes et autres clafoutis, gâteaux…

Pourquoi diable aller s’enquérir de l’existence d’autres bonheurs? D’autres maisons? Celle-ci n’a nul besoin de concurrence et est parfaite ainsi : Un havre de paix et de douceur, un îlot de verdure protégée.

*

Quelqu’un est affairé au fourneau à préparer le repas, et un fumet appétissant ondule entre les portes depuis le rez-de-chaussée vers les étages supérieurs. La maison n’est pas très grande, mais suffisamment pour avoir des étages : Deux.

Ceux-ci sont désormais habités par les diverses branches d’une même famille, qui s’agrandit toujours, année après année.

Drôle d’histoire. Drôle de famille, un peu hétéroclite, tous un peu différents, d’âges, de faciès et de caractères, mais une même famille tout de même.

Au tout début, elle était petite et la maison était vaste, ou presque. Elle le paraissait alors, avec ses diverses pièces semblant presque superflues au regard du nombre de ses habitants. Du luxe en somme.

Vides, joliment décorées, les chambres servaient plus pour le loisir que de logement, alors. On allait les explorer et on s’y attardait pour s’asseoir et discuter, ou faire une sieste, écrire une lettre. Ne rien faire parfois, juste pour le bonheur d’être là, au calme. Et puis on changeait de pièce, on allait au grenier, lire un livre dans un vieux fauteuil en cuir dégarni, farfouiller dans les vieilles malles, juste pour le plaisir d’y dégoter un objet oublié qui pourrait bien décorer une autre pièce vide. On aimait y observer les arbres, goûter au plaisir des yeux de tous ces reflets verts inondant la pièce depuis l’extérieur, le ballet des branches feuillues du cerisier semblant créer le doux vent au parfum d’herbe, de fruits.

On s’y asseyait sur le sol en feuilletant une bande dessinée surannée, au calme, pour ressentir la paix à l’ombre des grosses poutres obliques en bois sombre, dans la douce et poussiéreuse fraîcheur du grenier.

On allait aussi s’y réfugier pour bouder parfois, pour réfléchir, se rasséréner… et puis on redescendait le cœur plus léger. On s’embrassait. On se pardonnait. On s’aimait. On avait la place pour ça. Comme si c’était là le but de toutes ces pièces : Jouir de l’instant présent, du bonheur de ces sensations.

On descendait ensuite, le cœur léger et l’esprit nourri du calme des combles, pour se poser au soleil sur une des chaises longues dans le jardin, boire un verre de jus de pommes frais. Regarder le feuillage des arbres d’en dessous, humer une fleur.

*

Les années passant, la famille s’est agrandie de plus en plus. Les petits sont devenus grands, d’autres encore sont venus, des sœurs, des cousins, et tout ce petit monde s’est peu à peu disséminé dans les étages pour s’installer dans les diverses pièces encore libres de la maison, leur trouvant une nouvelle fonction, moins ludique mais plus pratique.

Dans un souci de colocation sereine, les chambres, de diverses tailles, petites ou pentues sous les combles et plus spacieuses aux niveaux inférieurs, ont été réaménagées. On a déterminé les espaces, les frontières entre les paliers, calculé les superficies pour que tout le monde soit content et chacun y vit ainsi en bonne harmonie familiale, malgré quelques désaccords de voisinage et bouderies épisodiques inévitables mais sans gravité. On ne peut pas être toujours d’accord.

Quelques claquements de portes, donc, parfois, quelques cris qui retombent aussi vite qu’ils ont sauté au plafond. Petites fâcheries de famille, c’est courant. C’est obligé. C’est la vie… et la vie se passe, tranquillement, somme toutes… mais avec un peu moins de place, d’espace pour soi, de luxe, de superflu. Un peu plus de monde dans les couloirs ou bien à table. Un peu plus d’attente à la porte de la salle de bain.

Il faut bien cohabiter de toutes façons, car la maison n’est finalement pas si grande et les nuisances peuvent y devenir facilement problématiques si on n’y prête attention. Il faut savoir respecter chacun. Se faire respecter aussi. Apprendre à vivre ensemble. Établir des règles, des codes.

*

Au rez-de-chaussée, il y a donc la cuisine, le salon avec une grande table où chacun peut venir s’attabler quand il le souhaite, ou presque. Quand c’est libre. Venir s’asseoir et discuter avec un voisin, un cousin, un frère. La famille est grande désormais et il faut bien dire que sa population emplit largement l’espace, excédant même, il faut bien l’avouer, les capacités de la maison. Des horaires ont ainsi été établis, pour la bonne marche des choses au sein de cet espace commun. Une sorte de code la maison, avec ses stops et ses feux rouges, de façon à ce que personne ne marche sur les pieds d’autrui, code qui est globalement respecté. Des règles de bons sens, un peu contrariantes parfois mais nécessaires à la fluidité des mouvements du quotidien, allant du partage des salles communes, des toilettes, des douches, au horaires des repas, des tâches ménagères.

Tout a été bien pensé… en commun, il le fallait bien… et les règles évoluent au fur et à mesure de l’arrivée de nouveaux occupants. Des règles s’ajoutent ainsi en proportion de l’espace qui se soustrait. Mais ça va. C’est bien. On est un peu plus à l’étroit, mais tout le monde le comprend, le respecte, dans l’ensemble. Il y a bien quelques tensions parfois, quelques désaccords qui se résolvent souvent devant la table de la cuisine, ou bien sur le palier. On s’arrange. Pas moyen de pousser les murs. Au début on même a pensé à abattre quelques cloisons afin de réunir certaines branches de la famille entre elles, par souci de sociabilité, mais l’idée n’a pas été un franc succès, chacun voulant avoir son propre espace privé, ce qui est bien naturel. L’heure est donc plutôt à la construction de nouvelles cloisons. Ça rapetisse les pièces, mais ça en fait plus et chacun y gagne en intimité.

On a aussi attribué les espaces les plus spacieux et confortables aux plus méritants, en fonction de leurs activités au sein de la maisonnée, leurs talents et capacités à l’améliorer, leur investissement personnel à sa modernisation, l’optimisation de son architecture. Sorte de privilège aux plus actifs, aux meilleurs architectes de la vie dans la maison.

On a décidé d’agrandir encore un peu le potager, le poulailler aussi, afin de bénéficier de leurs ressources pour plus de monde, en plus grande quantité. Plus de poules donc plus d’œufs. Plus d’œufs à manger et d’autres poules à naître. Évidence. Un architecte changera de chambre ce soir, promu. Il a bien travaillé…

On mange aussi plus souvent du poulet, du coup, et lorsque une poule perd de son rendement œufistique, hop, on la tue et on la fait cuire. La boucle est bouclée. Recyclage, optimisation de l’alimentation.

Évidemment, l’abri des poules empiète maintenant un peu sur le jardin et il a fallu le repenser un peu afin de le développer, l’améliorer. Réfléchir à comment mettre plus de poules dans moins de volume. On a trouvé : faire des étages. D’autres architectes se sont mis à la tâche et le poulailler a été transformé en un HLM pour poules. Un petit HLM. Par souci de beauté, on l’a également peint en bleu, pour être raccord avec la maison… ce qui a été tout de même le sujet de quelques discussions, certains considérant cette fantaisie comme un effort et une perte de temps bien inutile. Cela a finalement été fait. Les poules n’en sont pas plus à l’aise pour autant, serrées les unes contre les autres, mais le poulailler se fond mieux contre le mur de la maison. Il y disparaît presque, en tout cas, c’est plus joli, pour peu qu’on y prête attention évidemment.

Autre décision pragmatique : Se séparer des massifs de fleurs, jolis mais superflus, afin d’élargir encore un peu le potager. Se concentrer finalement sur l’essentiel. Le principal. Le plus efficace en termes de rendement de nourriture. Bon, on y plante moins de variétés, mais on en met davantage, en plus grande quantité. Les pommes de terre, plus faciles à pousser et nourrissantes, ont ainsi gagné du terrain, avec les carottes, au détriment des autres légumes qu’on y trouvait alors, jugés moins importants, moins profitables.

Le cerisier a également fait les frais du réaménagement de l’espace en fonction des arrivants. Il faut dire qu’il avait bien grandi et que ses racines occupaient bien trop de place sous la terre pour permettre l’extension de la culture des pommes de terre. Il a fallu choisir. Gestion des ressources, de l’espace : Il a donc été transformé en de belles petites bûches de bois pour l’hiver. Plus de cerises. Il reste toujours les pommes… C’est bien aussi les pommes. Ça laisse pas mal d’options. Les gens en cuisine ont du talent. Et puis le bois, c’est toujours utile à la saison froide, si celle-ci arrive… (on ne sait plus trop avec ces changements de climat). C’est aussi un vrai bonheur que de le voir flamber dans la cheminée tout en buvant un bon thé chaud et une part de clafoutis… Ah ben non, pas de clafoutis du coup, vu qu’il n’y a plus de cerises… disons une tarte aux pommes… ou bien un bon gâteau comme sait les faire la doyenne de la maison.

*

Depuis quelques semaines, le soleil semble taper de plus en plus fort sur le toit. On n’y a guère prêté attention au début, mais c’est une évidence qu’il fait plus chaud à l’intérieur à présent. Est-ce le départ du cerisier, qui couvrait de son ombre une partie de la toiture ? Va savoir. On s’interroge. Non, c’est sans doute juste une question de climat. On se rassure. Mais ça a sans doute joué, un peu. On ne sait pas. De toutes façons, maintenant, c’est fait. Inutile de tergiverser et de revenir là-dessus… Et puis son bois a été bien utile, tout le monde en conviendra. Il crépitera dans la cheminée l’hiver prochain. C’est dit. Enfin, si l’hiver arrive; Avec cette chaleur, dur à imaginer. Merci au cousin bûcheron en attendant. Il a bien travaillé.

Les chambres sous les combles sont devenues étouffantes et leurs locataires ont demandé la permission de partager les chambres inférieures, plus fraîches, avec ceux d’en dessous. Au moins pour un temps, le temps que ça passe. Mais ça ne passe pas, hélas. Ça cogne un peu moins fort parfois, mais le répit est de plus en plus court et aléatoire. Et la chaleur remonte ensuite, perdure, s’accentue même encore, on dirait, et envahit toute la maison, en commençant par le haut. Un vrai four. Le cerisier, l’ombre de ses feuilles touffues, avait du bon finalement. Trop tard. Il est en bûches. Aligné. Prêt pour l’hiver.

À défaut d’ombre, il faudrait pouvoir recouvrir la toiture de tuiles plus protectrices, plus isolantes… y clouer un revêtement protecteur ou quelque-chose… mais personne ne semble volontaire pour cet ouvrage aussi ambitieux que périlleux, chacun ayant déjà ses propres obligations et activités en cours, ses propres raisons de s’y soustraire. C’est un travail de pro en plus, et personne ne s’en sent capable, seul. Il faudrait monter une équipe, définir les tâches, le rôle de chacun. Une grande entreprise, combinant les savoirs d’un architecte, d’un tuilier, d’un maçon… d’un acrobate même… mais personne ne veut plus se prévaloir de ce savoir, enfin, pas tout seul.

Alors on fait avec, ou plutôt on fait sans. On s’organise. On se réorganise… autrement. On bouge des meubles, on déplace des lits. C’est toujours plus facile. Ça, tout le monde peut le faire.

On décide qu’il faudra tout de même bien prendre une décision, un jour. On déclare qu’il faudra faire des déclarations. Et le temps passe, chaud, sec, étouffant pour ceux d’en haut. On transpire à bouger les armoires, les lits. On transpire à cause de la chaleur sur le toit. On transpire doublement.

Il y a eu quelques bougonnements, quelques refus même, mais, vu les températures du haut et le peu de motivation générale pour réparer ce toit, les demandeurs ont finalement eu gain de cause et sont descendus un étage en dessous, là où il fait un peu plus frais. Au moins pour un temps. Le temps de réfléchir à des solutions, envisager des mesures à prendre, désigner des volontaires, le moment venu. Un jour. Il faudra bien réparer ce toit. On le fera. Un jour. Chaque chose en son temps.

Tout ceci n’est pas sans contraintes évidemment, et les locataires du dessous, bien que comprenant les désagréments de leurs voisins du dessus, ont bien du mal à leur faire de la place et à se réorganiser. Ce n’est tout de même pas très pratique tout ça. Zut.

Certains ont targué de l’impossibilité de vivre ainsi et que, après tout, ce n’était pas leur faute si les autres vivaient sous les toits et qu’ils n’avaient pas, eux, à en payer le prix, quoi ! En plus, les belles chambres du bas, les ateliers lumineux où travailler à son aise, ça se mérite… c’est pour les architectes… ça ne s’envahit pas comme ça en prétextant de l’inconfort quoi ! Re-zut.

On expliqua, démontra, qu’il n’y avait pas assez de place pour accueillir au premier tous les malheurs des combles, que c’était moche mais que c’était comme ça… mais rien n’y a fait ; La chaleur suffocante a eu raison de l’embarras des locataires du dernier étage et ils sont peu à peu descendus d’un niveau, les uns après les autres, forçant leur chemin, bravant leurs voisins, et occupent désormais le premier étage pour la plupart, et un peu du rez-de-chaussée pour certains, répartis au bon vouloir des accueillants.

Un lit d’appoint par ci, un canapé par là… ça le fait. On s’organise. On ajuste encore les meubles, non sans rechigner. Mais quoi ? À la guerre comme à la guerre disaient les vieux… « C’est quoi la guerre papa ? C’est rien, ça n’existe pas, ce sont des histoires qu’on raconte pour effrayer les enfants, finis ta soupe ! »

Heureusement la guerre n’existe pas. On est tous de la même lignée, non ? Pourquoi se ferait-on la guerre? Nous sommes tous frères et sœurs, cousins, oncles… et on partage la même maison. Ce serait bien bête. Elle n’est, après tout, pas plus aux uns qu’aux autres, même si certaines chambres se referment à clé, le soir, et qu’on aime y préserver un peu son intimité. On a beau être une famille, on a besoin d’avoir un peu son espace privé, c’est humain. Sa propre façon de vivre. Ses petites coutumes à soi. D’accord, certains, de par leur investissement personnel, ont droit à certains privilèges afin de leur faciliter la tâche, et font des jaloux, mais ça ne va pas bien loin. On comprend. Se faire la guerre serait ridicule. Tout juste doit-on se bouder.

Alors on ferme simplement les portes, parfois, souvent, le soir, la nuit. Pour être tranquille. Pour se sentir chez soi. On y cogne aussi tout de même, parfois, souvent, pour demander un service, une serviette, un conseil, un peu de sel, un câlin. On y regarde par le trou des serrures. On y passe des mots sous la porte. On parle à travers. On se la claque au nez aussi, parfois, souvent. C’est une maison. C’est une famille. Il y a des jours avec et des jours sans.

*

Certaines branches de la famille se sont ainsi regroupées, rapprochées, dans tous les sens du terme. L’entraide, la solidarité, a fonctionné bon gré mal gré, même si cela a suscité quelques nouveaux éclats de voix, des contrariétés et de l’inconfort. Les gens du deuxième, sous le toit, sont descendus, malgré les protestations de ceux du premier. Sans doute l’auraient-ils fait de toutes façons, avec ou sans leur approbation. Pas le choix : « Montez-donc voir, vous ! Allez y dormir là-haut et vous verrez !» avaient lancé les premiers arrivants. « Nous on n’en peut plus… Ce n’est plus vivable, désolé !»

Après leur avoir montré le chemin, les autres occupants du grenier ont suivi, gênés mais forcés. C’était devenu intenable. Ils sont descendus.

Ces regroupements ont été l’occasion à de nombreux conseils de famille, et autant de discussions sur l’état de la toiture, sur la situation pénible que tout cela engendre et les moyens d’y mettre un terme, mais toujours devant le peu de motivation de chacun, rien n’a encore été fait. On attend. On procrastine. On se trouve des excuses : Untel est trop occupé à son travail pour dégager du temps ou bien ne sait pas faire, un autre argumente sur les faibles moyens à sa disposition pour mener à bien de telles réparations, un autre sur le vertige qu’il aurait à monter sur le toit… et, à part un ou deux qui insistent sur l’urgence de réparer coûte que coûte ce putain de toit, sans pour autant vouloir le faire eux-mêmes, tous s’accordent pour dire que cela peut encore attendre, qu’il y a quand même bien d’autres priorités :

Bouger le sofa du premier au deuxième afin de dégager un peu de place pour la cousine Gisèle et sa légère tendance à l’obésité… Descendre aussi le clic-clac des combles pour installer mamie Geneviève à côté de tante Berthe… Bêcher dans le jardin et agrandir encore un peu le potager afin de bénéficier de récoltes suffisantes pour tout le monde. Arracher les patates, et en replanter, plus, toujours plus, ce n’est jamais trop, pour que tout le monde mange à sa faim dans cette maison… Nourrir les poules aussi et nettoyer leur cochonneries, enfin leurs poulailleries. Chacun son boulot quoi. Et puis il y a les lessives, le repassage. Bref. On ne peut pas tout faire. Question de priorités. Le toit attendra. On s’y collera quand on aura un peu plus de temps. Tant pis pour la chaleur. Franchement, ça peut bien attendre.

*

Dans la salle à manger du rez-de-chaussée, le fumet du poulet rôti parvient depuis la cuisine. La petite cousine Charlotte dit qu’elle en veut pas. Qu’elle en a marre du poulet tous les jours. Et puis que ça sent pas bon aujourd’hui en plus! Que beurk, beurk et beurk.

« Quoi ? Comment ça il sent pas bon mon poulet? Ah ben elle est bien bonne celle-là ! » s’insurge la cuisinière aussitôt interrompue par oncle Fred qui descend les escaliers, un mouchoir contre le nez :

« Oui, elle a raison : C’est la fumée ! Le premier en est envahi. Comme un brouillard âcre, partout dans les couloirs. Ça vient des combles, c’est sûr… et c’est très désagréable! On peut à peine respirer. Probablement le bois, trop sec, qui fume sous le soleil, je ne sais pas. Faudrait pouvoir essayer de l’arroser de temps en temps quoi, je l’avais bien dit pourtant… et ce n’est pas avec le peu de pluie qu’on a que ça va s’arranger…»

« Ah non ! On a déjà pas assez d’eau pour les poules et les légumes, c’est pas pour aller la gaspiller le toit… T’as vu la terre ? Elle est toute sèche. Si ça continue comme ça, plus rien ne poussera !» s’esclaffe Roger, le maître de maison, appuyé par des grommellement des convives attablés à leur tour horaire pour le service du midi. « On le réparera le moment venu et puis voilà. Gardons donc l’eau pour les plantations. Assied-toi Fred et prend un blanc de poulet et quelques patates…» On entend tousser, en haut. Ils descendront manger à leur tour, au deuxième service.

Le repas se passe dans le calme. Chacun s’occupe de son poulet, de ses patates. Fred se ressert un verre de jus de pommes.

« Profites-en, y en a plus beaucoup… » dit la maîtresse de maison. « Avec Roger on a décidé de couper le pommier. Il prend trop de place. Ça va nous faire gagner bien du terrain… et on pourra semer davantage. De toutes façons il ne donnait plus tellement de pommes avec toute cette sécheresse ces derniers temps. On pourra bien s’en passer...»

Fred ne dit rien. Il acquiesce en mâchant son poulet. Il boit une nouvelle gorgée de jus de pommes, en la savourant. Enfin, un peu plus que d’ordinaire…

C’est vrai que c’est dommage cette histoire de pommier. C’était quand même bien toutes ces pommes. Mais bon, c’est la vie. Il faut se faire une raison et penser à optimiser les ressources du potager. Pas le choix. Une fois ses racines enlevées, vrai que ça fera un bel espace supplémentaire, et plus besoin non-plus de contourner ce tronc… Plus pratique. On trace une ligne directe du cabanon des poules jusqu’au mur. On peut même resserrer un peu les plants, ça fera toujours gagner quelques patates, quelques laitues. On récupère du bois en plus. C’est malin. Efficace.

Fred pense à ça en avalant sa dernière gorgée de jus. Il prend son rôle d’architecte-agricole très à cœur. Il repose le verre. Personne ne parle. En haut, ça tousse encore. On peut sentir la fumée. Ce n’est pas le fumet du poulet, non. C’est sûr. C’est bien de la fumée.

« Il faudra aller voir ce qui se passe tout de même…» dit la maîtresse de maison. « Si ça se trouve c’est rien. Faut juste refroidir les planches…» … « Ben oui, mais avec quoi ? T’es maligne toi... » rétorque un autre.

La petite Charlotte toussote à son tour. Elle demande ce qu’on pourra boire s’il n’y a plus de jus de pommes ? Elle dit que c’est bon le jus de pommes. « Ben de l’eau. Tu boiras de l’eau. C’est bien aussi, l’eau…» répond la Jeannine. Bon, sûr qu’elle une drôle de couleur ces derniers temps, l’eau du robinet, un goût un peu terreux aussi, mais bon, on s’y fait. De toutes façons il faut bien… priorité aux cultures, aux patates. C’est ça qui nourrit la famille. Personne ne contredit.

La fumée, en un voile de poussière bleue comme la maison, descend l’escalier, marche après marche, et s’immisce doucement, insidieusement comme qui dirait, dans la grande pièce du rez-de-chaussée, tandis que tout le monde finit son repas comme si de rien était. On parle de choses et d’autres, de tout et de rien, comme si tout était normal. On se frotte les yeux, un peu, de temps en temps, on se racle la gorge, le moins possible, et on parle des poules, des laitues.

On dit que mamie Geneviève va être bien avec tante Berthe. Elle s’entendent bien ces deux-là. Et puis ça gagne de la place. « On optimise les aïeules comme on optimise les patates ! » lance Roger et s’esclaffant. « Ah elle est bien bonne celle-là ! Hein Jeannine ? ».

La femme pouffe en silence avec des petits mouvements d’épaules verticaux et regarde de ses yeux plissés l’assistance qui semblait attendre son accord pour rire ouvertement. Rires et toux se mêlent. La chose est faite. Il faut bien rigoler un peu quoi. La fumée n’empêche pas la bonne humeur… et le repas se termine, léger et enfumé.

*

Le jour se lève. Le voile qui pique un peu les yeux s’est épaissi et a envahi les lieux. Roger, boit son café en regardant par la fenêtre qu’il a ouverte afin d’aérer un peu. Il a mal dormi. Jeannine aussi. Sûr que cette fumée n’a pas aidé. Elle s’en est plaint dès le réveil et ça a eu comme effet de piquer la mauvaise humeur de son mari au saut du lit. Lui aussi a mal à la gorge ce matin. Pas besoin qu’on le lui rappelle. Elle insiste pour que quelqu’un aille regarder ce qui se passe là-haut. Ce n’est pas normal tout de même, toute cette fumée. D’ailleurs tante Agathe, n’arrivant pas à dormir, est descendue durant la nuit pour s’étendre sur le sofa du salon où elle a fini sa nuit. Elle dit que ce n’est pas très confortable, mais qu’elle dormira là à présent, que ce sera toujours mieux qu’en haut… ce qui n’est pas du goût de Roger ni de sa femme. Jeannine comprend sa sœur, mais tout de même, ça fait désordre, dormir comme ça, dans le salon. Non, il faut trouver quelque-chose. Ça ne peut pas être une solution pérenne. Ce n’est pas un canapé pour dormir. Ça devient n’importe quoi si tout le monde change de chambre comme bon lui semble. C’est pas un camping, merde.

*

Une fois la maisonnée réveillée, une petite équipe est missionnée pour aller voir l’étendue des dégâts, la source du mal.

Les trois désignés montent en file indienne l’escalier. Au premier étage, ils sont déjà un peu incommodés, comme tous les habitants de ce niveau, mais arrivés au deuxième, comme ils pouvaient s’y attendre, c’est deux fois pire. Il faut se mettre un mouchoir devant le nez, les yeux piquent carrément et la gorge brûle comme si on avalait des couteaux. On tousse sans pouvoir réprimer sa toux. C’est vrai que ce n’est pas vivable.

En allant au coin de la grande pièce, sous les combles, on peut en effet voir une poutre qui émet de la fumée. Un filet, mince, qui ondule sa lente danse blanche. Faible, mais persistante, suffisamment pour diffuser dans la pièce son goutte à goutte fumeux tel un gros bâton d’encens, monter au plafond, lécher ses poutres avant de couler dans l’escalier vers le reste de la maison. On dirait un serpent qui cherche sa proie et qui se glisse, invincible, sans aucune crainte, calmement, contre les murs, vers la sortie.

Le soleil, tapant entre l’espacement de certaines tuiles cassées, a causé une telle élévation de la chaleur du bois que celui-ci s’est mis à rougir, à fumer. Avant, il y avait le cerisier, et ça faisait de l’ombre à cet endroit de la maison. Peut-être le bois n’est-il pas habitué à recevoir les rayons du soleil ? Ça se peut. Personne n’en sait rien. Ça n’a jamais fait ça. On n’aurait jamais pu imaginer que ça fasse ça d’ailleurs. C’est aussi surprenant que contrariant.

Bon, on se dit qu’au moins on a vu où est le problème. Que ce n’est finalement pas grand-chose… C’est préoccupant, certes, mais ça doit pouvoir se gérer. On redescend donc l’escalier pour se retrouver à la cuisine, devant un café, afin de discuter de la situation.

Chacun à son idée, sa suggestion à mettre en place… mais, comme à chaque fois, avec la meilleure volonté du monde, on se heurte à des contraintes personnelles qui empêchent l’application immédiate des possibles mesures.

Les avis sont partagés. Un, dit « qu’il n’y a pas besoin de faire tout un foin pour ça et qu’il a mieux à faire… » Il s’en va. Une porte claque. La fumée danse. Un autre, « qu’on ferait bien, au contraire, de se bouger un peu pour arrêter ça avant que ça n’empire ! » Un, ne dit rien. Il ne sait pas. Il regarde les autres, semble attendre une décision à laquelle il s’accordera. Il se gratte la tête. Sourit. Tante Berthe tousse. Oncle Fred aussi. Ils font la paire ces deux-là !

Finissant sa tasse, Roger dit que « bon, de toutes façons ça va sûrement s’éteindre comme ça s’est allumé. Il suffit juste de laisser faire. Sûr que demain ou dans deux jours, ça aura passé tout seul. Y’a pas d’inquiétude à avoir. Cette maison, ça fait des siècles qu’elle est debout. C’est pas un peu de fumée qui va changer ça. Au pire, on ira jeter un coup d’œil si ça dure et on bricolera un truc ou, tant-pis, on balancera un peu d’eau pour arrêter ça… si jamais la pluie n’a pas fait le boulot avant ! »

Il ajoute que « pour bien faire, il faudrait aller sur le toit afin de voir depuis l’extérieur et colmater le trou. Mais ça c’est une entreprise périlleuse qui conviendra de préparer. On ne monte pas sur le toit comme ça. Faudra organiser ça soigneusement. Quoi qu’il en soit, ça attendra bien encore un peu… »… et tout le monde retourne à ses affaires courantes, à son travail, à sa vaisselle, à son courrier.

*

Les jours passent. Le serpent bleu continue de descendre les escaliers avec toute sa cohorte de serpents bleus. La fumée ne faiblit pas, au contraire.

On se retrouve de plus en plus nombreux au rez-de-chaussée. Ceux du premier descendent à leur tour, comme l’avaient fait ceux des combles, pour les mêmes raisons, avec les mêmes arguments. Les horaires de table sont plus aléatoires, regroupés. On fait comme on peut. On parle de tout, de rien. On tousse un peu, beaucoup. On ouvre les fenêtres. On aère. Les serpents dansent de joie. La fumée s’est épaissie, intensifiée. La chaleur aussi.

On entend à présent comme des crépitements tout en haut. Personne n’ose aller voir. On dit que c’est le bois qui travaille. On change de sujet. On fait des plans pour réorganiser le potager, maintenant que le pommier a été coupé, découpé. Il faudra stocker les bûches derrière le poulailler avec ce qui reste du bois de cerisier. On va pouvoir planter plus, c’est bien. On dégage le côté positif. Trouver une raison d’être satisfaits. Sûr que ça fait encore moins d’ombre sur le toit maintenant. Pas bon avec cette histoire de fumée, mais c’est fait. Il faut avancer à présent.

Bon, il n’y à plus de place non-plus pour poser la chaise longue sur l’herbe évidemment, mais comme il n’y a plus d’herbe, c’est pas très grave. Oh et puis on s’en fout. L’important c’est de pouvoir produire à bouffer pour toute la maisonnée, pas de se prélasser. C’est fini tout ça. C’était bon pour quand on n’était pas autant. Quand la maison était spacieuse. Une autre époque. Il faut savoir vivre avec son temps comme dit tante Berthe. Mais elle dit aussi que c’est devenu insupportable de partager sa chambre avec mamie Geneviève. Que c’est une maniaco-dépressive et qu’en plus elle ronfle. Et puis elle ne la laisse pas ranger ses affaire comme elle veut. C’est tout de même un monde ça. C’était quand même sa chambre à la base et elle a été bien gentille de l’accepter… Elles ne sont pas faites pareil, c’est entendu. Alors non, c’est terminé. La Geneviève devra se trouver une autre poire à enquiquiner, une autre chambre à squatter.

Tante Agathe, dans un souci d’apaisement, dit que « ce n’est pas grave, qu’elle va s’organiser. Sa chambre est assez grande. Entre sœurs, il faut bien s’entraider. Par contre faudra venir l’aider à déplacer le canapé. Ce n’est plus de son âge. Son mal de dos et tout et tout. Réorganiser sa chambre. Bouger tous ces meubles, c’est trop fatiguant ».

*

On repense presque déjà avec nostalgie à la vie d’avant. C’est vrai que c’était le bon temps, autrefois. Le jardinet, tout vert et fleuri… les doux moments dans le transat à boire du jus de pommes frais. Jardinet qui s’est aujourd’hui transformé en un terrain de plantations. Enfin, qu’on a transformé, bien obligés, en potager géant. Pas le choix. La terre y est devenue infiniment plus sèche. Envolée la belle herbe verte et ses pâquerettes disséminées ci et là. Plus de place pour ça. Les pâquerettes ça ne sert à rien. Disparus les rosiers superflus, les Hibiscus blancs. Les abeilles qui y butinaient ont disparu avec, suite logique. On ne sait toujours pas d’où elles venaient d’ailleurs, mais elles y sont retourné.

Au moins, aujourd’hui, le terrain est-il plus grand et la surface compense-t-elle le moins bon rendement, la terre aride. On n’y descend plus pour se prélasser ; On y descend pour bécher, biner, récolter, replanter, à toute force. Travailler quoi.

Il est vrai que les arbres abritaient alors quand-même du soleil, protégeant l’herbe et la terre d’une chaleur excessive. Ça aussi, c’est fini. Peut-être suite logique également…

L’herbe jaunit, sèche, disparaît. Lorsqu’on va au jardin, il faut mettre un grand chapeau, sinon gare aux coups de soleil. Ils avaient du bon ces arbres. Sans parler des fruits. On a soif. Soupir.

Tante Agathe finit son assiette en raclant avec sa cuillère. « Il faut faire des choix dans la vie… » répond sèchement Jeannine à ces élucubrations stériles. « On ne peut pas tout avoir, tout garder. C’est comme ça… »

Toujours dans un souci d’optimisation de l’espace, et du rendement aussi, on a également décidé de réduire le poulailler… Fini les projets d’extension, les étages, la peinture bleue pour faire joli. Il ne reste plus que deux poules de toutes façons, dont une est malade. Sans doute la chaleur, la déshydratation. Ça n’aime pas le chaud les poules, c’est bien connu. Les hommes non-plus, mais les poules c’est pire… D’évidence. Elle risque bien d’être au menu dans quelques jours. Ah, c’est sûr, ce n’est plus ce que c’était. C’est la vie. On fait au jour le jour. On s’adapte. On s’acclimate. Tout le monde s’est rendu à la raison et acquiesce en silence… avec en bruit de fond le sourd et étrange crépitement au-dessus de leurs têtes… ce feu de Damoclès qui ne demande qu’à tomber.

*

Ensuite tout est allé très vite. Quelques jours auront suffi pour que le toit s’embrase complètement et s’empare des combles. On ne pensait pas que ça arriverait si vite, si brusquement. On ne pensait pas que ça arriverait tout court d’ailleurs.

Il brûle franchement à présent, rugit comme un ogre affamé. Les crépitements redoublent, ce ne sont plus des crépitements mais plutôt des râles colériques qui font trembler les murs. La fumée a complètement envahi les étages. Toute la famille est désormais régroupée au rez-de-chaussée. On a fermé la porte d’accès aux étages en essayant tant bien que mal de la colmater avec des serpillières, mais cela semble inefficace. On commence à avoir peur, sans pour autant oser le montrer. On a sa fierté. Surtout ceux qui disaient que ce n’était pas si grave.

Un malheur n’arrivant jamais seul, la chaleur a dû faire péter la tuyauterie quelque-part à l’étage et de l’eau, chaude, dégouline du plafond de la salle à manger. L’incendie se double d’un dégât des eaux… Bravo. Les serpillières font défaut à présent, certaines étant utilisées pour colmater le dessous de la porte pour la fumée, et les autres pour éponger l’eau qui se répand au sol.

Tout le monde réuni en bas, semble pourtant continuer de vaquer à ses occupations comme si de rien n’était, ou presque, s’accommodant apparemment de la situation. Probablement pour éviter de déclencher une panique qui risquerait de créer encore davantage de problèmes. On réprime donc ses angoisses, les détournent en toux, en parlotte. On fait comme si c’était normal. On discute, on échange, chacun rivé à ses affaires, agrippé à son ouvrage, comme pour ne pas le lâcher… comme si le lâcher serait capituler, abandonner face à l’ennemi. Comme si changer ses habitudes donnerait à tout le monde le signal d’un sauve qui peut fatal. Comme si mépriser cet ennemi dont on peut à présent clairement entendre les assauts, le ferait disparaître, perdre de sa force, de sa violence.

Comme se bouchant les oreilles aux gémissement des plinthes mordues par les flammes enragées, chacun figé dans ses gestes aux mouvements rassurants, on y va ainsi de ses propres idées, conseils, quant à la situation, sans vouloir se montrer plus alarmé que ça par celle-ci. Il faut un peu hausser le ton à cause du bruit au-dessus, mais on fait comme si c’était naturel.

« Peut-être devrait-on essayer de récupérer l’eau au sol avec les serpillières pour la mettre dans des seaux et la réutiliser dans le potager, celui-ci étant bien sec ?», propose un. On objecte qu’elle « ne serait pas potable, ou aurait un sale goût… mais guère plus que l’eau du robinet interjette un autre ». De toutes façons, la pression au robinet a chuté au point que l’on ne peut plus s’en servir. Juste un maigre filet d’eau brunâtre, au mieux. Sans doute la canalisation abîmée par le feu.

« Qu’est-ce qu’on en a à foutre de ton potager ? » dit un troisième qui semble désormais envahi de colère, sinon de peur. « C’est pas lui qui va éteindre le feu ! »

« Allez allez, calmons-nous. S’énerver ne mène à rien. Soyons constructifs… On va bien trouver une solution» dit le cousin Fred.

On converse donc, on s’interroge. On élabore, l’air faussement détaché, des options. L’eau coule depuis l’étage où l’on sent à présent trembler le plafond du feu qui ravage l’étage… mais toujours aucune décision décisive n’est prise par l’assemblée réunie. On ne parvient toujours pas à se faire à l’idée de ce danger que l’on entend pourtant, et qui surpassé par un sentiment bien plus aigu de contrariété de devoir changer ses habitudes, s’adapter à la situation. La plupart ont déjà dû descendre des étages pour s’installer en bas, c’est déjà bien assez. On n’en veut pas plus… et on ne bougera plus. On ne cédera plus.

On est les uns sur les autres, on se gêne, on se bouscule, on a besoin de la même table au même moment, de la même paire de ciseaux, de la même fenêtre. C’est ça qui est le plus pénible, peut-être plus que le bruit du feu. Cette gêne à poursuivre ses affaires quotidiennes avec cette promiscuité désagréable. Personne n’y est pour rien, mais on se chamaille, on se crie dessus, on s’impose, on se chasse. On se parle fort : pas moyen de s’entendre autrement. Pas facile de travailler dans ces conditions. Cette cohabitation forcée, dense et inconfortable, n’apporte que tensions et désagréments. Le stress et la peur s’emparent lentement des convives, un par un… comme le serpent bleu, qui ondule toujours depuis les chevilles jusqu’à la gorge.

À contre cœur, quelques-uns se dévouent finalement pour s’installer au dehors afin de poursuivre leurs tâches avec plus d’espace, pour eux et pour les autres. Ce n’est pas qu’il sont peur, non, c’est juste que c’est plus pratique comme ça.

Ils s’assoient le long du potager, piétinant un peu celui-ci à divers endroits. Bon, de toutes façons la récolte n’aurait pas été bien grasse cette année, alors un plan de patates ou deux en moins ne changera pas grand-chose, mais quand même.

*

La dernière poule est morte. Trop chaud, pas assez à boire. On la fera cuire ce soir, quand la cuisine sera libérée de celui qui l’occupe encore pour bricoler, faute d’autre place. Ceci ne devrait pas tarder car, malgré le soin pris à colmater le dessous de la porte, la fumée a envahi tout le rez-de-chaussée à présent. On tousse, on crache, tout en pataugeant dans de l’eau noirâtre sur le sol… et d’autres suivent le chemin vers le potager.

On s’installe même dans le poulailler, désormais vide, sur des planches, les pieds dans la paille. On pose une table à cheval sur les carottes. Il n’y en a plus de toutes façons alors ce n’est pas bien grave. Le sol est si sec. La fumée du dedans se mélange à sa poussière ocre et leurs volutes rampent tels des varans vaporeux, sur ce qui était autrefois un joli havre de paix verdoyant avec ses diverses fleurs, puis un potager regorgeant de légumes et de fruits.

Le sol craquelé de sa terre, abandonnée à la sécheresse, n’est plus qu’un terrain vague où se presse une famille hagarde, un hall de gare poussiéreux et sale où chacun cherche son quai en maugréant. Mais pour aller où ? Au-delà des limites du jardinet, il n’y a rien… rien que le néant gris de ces plaines arides, chacun le sait bien pourtant : On ne peut pas sortir de cette gare. Aucun train n’y part et aucun train ne risque d’y arriver pour emmener tout le monde. La maison bleue était à la fois le point de départ et d’arrivée. Le cercle ultime. Le miracle. On ne peut que piétiner le sol aride et tousser de la poussière soulevée, de la fumée. Se lamenter. La regarder brûler.

Il n’y a bientôt plus personne à l’intérieur. Intenable. Le potager est piétiné de partout. On a même sorti deux fauteuils pour la tante Berthe et mamie Geneviève, qu’on a placés contre le mur bleu. Assises dessus, elles commentent la dramatique situation : « Jamais vu la maison comme ça, vraiment. C’est fou. Cela va être un travail énorme pour la remettre en ordre, pour réparer.»

On répond à la vieille que « ce ne sera pas réparable et que ce sera déjà bien s’il en reste quelque-chose de la baraque à la fin… Bordel réveillez-vous : Tout est foutu !».

Un autre s’insurge et somme le premier d’arrêter de démoraliser tout le monde avec ce défaitisme insupportable. « Bien sûr que ce sera réparable, de toutes façons ça va finir comme c’est venu. En plus avec toute cette eau, le feu ne pourra pas durer bien longtemps, c’est l’évidence, allons… Il faut juste un peu de patience et d’optimisme quoi. Ne pas se laisser abattre.»

*

La patience et l’optimisme n’auront pas été de grand secours et la maison brûla entièrement, des combles au rez-de-chaussée… puis jusqu’aux fauteuils des deux vieilles, au potager, aux patates. Les deux vieilles aussi, et tout le monde. Personne ne survécu. En quelques dernières minutes, tout fut embrasé et disparut en une fumée noire qui retomba un peu plus tard sur le sol, noir, ou s’évapora dans les plaines caillouteuses.

L’oasis n’était plus. Le jardinet coloré, devenu potager, puis hall de gare, se fondit ainsi dans le décor gris sombre des plaines alentours. Il se fondit si bien qu’on ne le distingua plus du tout. Juste quelques poutres dressées vers le ciel, pathétiques, et le contour de quelques corps ou membres n’ayant pas complètement brûlé, semblaient encore vaguement délimiter l’espace d’un terrain jadis habité. Une vague odeur de poulet grillé aussi, de patates brûlées. Beurk aurait dit la petite Charlotte. Elle ne dit rien : elle est morte, comme tout le monde.

Horrible spectacle pour un horrible destin. Mais horrible pour qui ? Horrible pour quoi ? Personne ne se souviendrait plus jamais de cette famille vivante et gaie, de Berthe ou Agathe, de Roger ou Jeannine… de la petite Charlotte ou de la Gisèle… ni de quiconque habitant, un jour, cette jolie maisonnette bleue, ce miracle coloré au milieu du néant. Leur extinction aboutit finalement à l’annihilation totale de leur existence passée.

Personne, jamais, n’aurait souvenir de cette tache de couleur posée dans le désert noir. Aucun écho de leurs rires, de leurs conversations, de leurs discordes ou de leurs chants, ne résonnerait dans la vallée, ne parviendrait aux oreilles d’un possible promeneur passant par ces vallons lugubres, fut-il capable de distinguer ici quelque trace d’un passé au milieu de ces pierres muettes.

Non. Juste des cailloux noirs, avec des formes bizarres, comme tous les cailloux noirs à des miles à la ronde. Juste le silence, une fois le crépitement des flammes éteint, l’appétit et la rage de l’ogre, assouvis, après le dernier cri du dernier mourant, le dernier soupir du dernier disparu. Une fois l’ordre du néant retrouvé, une fois la cacophonie humaine dissipée.

Une fois son œuvre accomplie, l’ogre disparut aussi, avec tous ses serpents bleus. Lui aussi n’aurait jamais existé.

*

Sans doute aurait-il fallu à la famille habitant là, un peu plus de vivacité et de clairvoyance afin de prendre les bonnes mesures en temps utiles. Un peu plus de conscience du danger, de façon plus anticipée, de ce feu couvant et des possibles répercussions de son insidieuse propagation sous les toits. Insidieux incendie. Ce n’était pas faute de les avoir prévenu pourtant, avec sa fumée persistante, depuis si longtemps.

Sans doute aurait-il fallu une réunion volontaire et non contrainte de tous les membres de la famille afin de combattre sa progression fatale… moins de chamailleries et de conflits internes… moins de perte de temps en argumentations divergentes. Mais qui aurait pu penser que cela se finirait ainsi ? Qui aurait pu imaginer que cela irait si vite ? Qui aurait pu croire la maisonnette aussi fragile ? Qui aurait pu avoir le fol courage d’arrêter toutes ses activités dans l’instant pour s’occuper de ça ? Et pourquoi lui ? Pourquoi l’un et pas l’autre ? Pourquoi sacrifier son temps, son travail, ses prérogatives à la place d’un autre qui ne fait rien et qui prendra possiblement l’avantage dans le positionnement hiérarchique de la maison ?

Sans doute aurait-il fallu parvenir à lâcher ses activités, mettre de côté son égoïsme. Concevoir que le bien personnel ne survivrait pas au mal de tous… Ne pas penser qu’à soi, qu’à son propre confort, mais au bien de toute la maisonnée sans laquelle aucun confort ne serait jamais possible.

Sans doute aurait-il fallu plus de temps pour apprendre, pour comprendre. Pour réagir. Pour accepter. De ce temps qu’ils croyaient avoir mais qu’il n’avaient pas, plus, à force d’attendre.

La maison bleue n’existe plus. La couleur bleue n’existe plus. Ses habitants non-plus. Fin de l’histoire. Fin du joli tableau. Il a brûlé. Tout a brûlé.

Il ne reste rien… et rien n’a finalement existé, puisque plus personne ne le sait ni n’est là pour s’en souvenir…

Tant pis pour eux.

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