Du mammouth à la cannelle

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Tout commence sur la grand'place. C’est le lieu du marché. Pas le marché de dupe que l’on trouve un peu partout, avec des saisonniers qui achètent leurs légumes en gros pour venir les revendre.

Non, rien à voir ! Ici c’est dans les étals des producteurs que l’on déambule.

Impossible de se tromper ou de rater un produit, il se sent avant même de le voir. Ainsi le cavaillon, que l’on sait doux et sucré, tant son parfum est profond. Il se mêle gracieusement à celui de la mara des bois. Des produits si merveilleux, si goûteux, il serait criminel de les mettre en bouche avec autre chose, on les consomme tels quels !

Les couleurs chatoyantes des pommes et des framboises mettent déjà vos papilles à l’épreuve. Chaud ou froid, les deux se cuisinent, se marient, s’épicent de cannelle, de menthe, de vanille et de tant d’autres choses.

Mais ces fruits colorés côtoient des légumes qui le sont tout autant. De grandes côtes de blettes et ses feuilles charnues d’un vert soutenu, qui semblent saluer votre passage. Des bottes d’asperges blanches à tête violette, bien alignées au côté d’un vrac de carottes, véritable pugilat orangé dans sa caissette de bois clair. 

Des feuilles d’épinard d’un vert tendre, que l’on pourrait faire tomber dans un beurre chaud quelques instants, ou simplement les ajouter à une salade mêlée. Et que dire de ces magnifiques radis croquants et piquants à souhait. Une petite fondue de poireau pour continuer, et pourquoi pas un petit sauté de girolles dans une échalote suée qu’un concassé de tomate viendrait compléter.

De belles aubergines continuent l’étalage et déjà je les vois en caviar ou gratinées. Comme une fleur qui refuse de s’ouvrir, l’artichaut cache son cœur tendre. Et que dire de cet imposant céleri qui se fait onctueux dans une purée fine.

Alors que je quitte la farandole colorée des fruits et légumes, la force de l’iode vient troubler mon odorat. Rascasse, saint-pierre, congre, moules, crevettes. Voilà au moins de quoi se faire une belle bouillabaisse, un crouton de pain à l’ail et une lichette de rouille. Les belles rayures des filets de perche avec un beurre citronné. Une daurade dans sa croûte de sel ou des écrevisses sur un lit d’épinard dans une sauce riche et rapidement gratinée sous la salamandre. Déjà je me vois sur une terrasse de bord de mer. Alors que les embruns m’emportent, une petite brise gifle sans crier gare.

Est-il concevable qu’une odeur encore plus forte supplante celle de l’antre de Poséidon ? 

Bien sûr, c’est évident. Un limburg qui côtoie un reblochon bien fait, et un schabziger, a de quoi vous faire envier un anosmique. 

Mais lorsque que l’on parle de ce produit, on parle de magie, un peu comme pour son indissociable compagnon le pain. Fromage et pain, voilà le plus beau, le plus noble des mariages. Ajoutez-y un verre de vin et vous avez l’essence même de la terre.

Songez qu’avec juste du lait, la France accouche de mille six cents fromages et son petit voisin suisse de plus de huit cents. Comme le boulanger ou le vigneron, ces magiciens amoureux de leurs produits n’ont qu’une seule matière première qu’ils déclinent en milliers de variations. Un savoir-faire millénaire, et des parfums reconnaissables entre tous. Des centaines de mètres avant un fournil, vous avez déjà envie de cette baguette croustillante tant son odeur vous enivre. D’ailleurs, qui n’a jamais rompu un morceau de pain dès la sortie de la boulangerie, parfois même avant. Sans complexe d’âge, de milieux ou d’éducation, qu’il est bon d’arracher un petit bout de pain et de s’en délecter. 

Il en est de même lorsque je vois arriver à table un plateau de fromage. Pâte dure, pâte molle, croûte lavée, croûte fleurie ou frais, peu importe, mon regard cherche alors le pain support de ces délices. Et entre chaque bouchée de ces goûts puissant, il me faudra bien une gorgée de vin. Rinçage divin avant de passer sur une autre de ces pâtes qui va envahir votre palais et remonter dans votre nez. 

- Il est bien costaud celui-là. 

C’est souvent la petite phrase qui accompagne une dégustation de connaisseur qui n’a pas peur de mettre en bouche un fromage au caractère bien trempé.

Comme pour la bière qui est aussi un produit ancestral, la fermentation, le salage, la vinification ou le séchage, restent des modes de production et de conservation connus depuis la nuit des temps. Dans ces vieilles traditions nous puisons l’histoire de l’humanité.


Pour la suite de l’histoire, il va falloir trouver les chimistes fous que sont les cuisiniers.

Bien sûr l’homme a grignoté du petit rongeur et mordu à pleines dents dans du mammouth. Avec le feu il a découvert la possibilité de cuire son repas, alors plus facile à manger et à digérer.

Mais à un moment, Cuisinorus Basicus a eu l’idée de marier des produits, de les mélanger, de les cuisiner.

Mettre quelques légumes dans une marmite d’eau et y ajouter un peu de sel semble fort simple. Mais quelqu’un l’a tenté à un moment.


C’est en écrasant les premières céréales et en les mêlant à l’eau que l’homme créa ses premières galettes. Tout le reste découlerait-il de ça ?

Ainsi naît la cuisine qui amènera l’homme à des mélanges qui à cette époque devaient paraître bien improbables.


Alors imaginons maintenant cette scène créative.


Un jour maître queux inventorie les produits que les paysans alentours lui ont fournis.

Il a du lait, bien frais, du sucre issu de la betterave, et des oeufs. Je dois bien pouvoir faire quelque chose de tout ça, pense-t-il. Comment marier ces produits pour en tirer le meilleur, se demande-t-il. Il n’est pas à Top Chef et personne ne lui dit de sublimer son produit. 

Pourtant une idée germe dans son esprit. Il se souvient de son seigneur, qui rapporta il y a peu, d’un de ses voyages, un produit nouveau. On lui a dit qu’il est tel un trésor et capable de rendre exceptionnel n’importe quoi. Il doit juste suivre les consignes pour l’utiliser. 

Dans une réserve sous clef, il détient les produits rares et chers. Cannelle et poivre sont voisines dans cette cachette. Il s’empare alors de cette nouveauté. Étrange, ce truc à l’air sec, cramoisi et ne dégage pas d’odeur. Il a beau le mettre sous son nez et inspirer bien fort, rien.

Il est inquiet. Comment vais-je rendre exceptionnel un plat avec cette chose insipide, noire et rabougrie. C’est à ce moment-là qu’un ami, cuisinier du domaine voisin, lui fît une visite pour partager recette, découverte et test plus ou moins réussi.

• Que vois-je sur ta table mon bon ami ? Je reconnais ce produit, mais jamais je n’ai eu la chance d’en avoir. Puis-je t’accompagner dans ta préparation ?

Ce cuisinier, qui était à deux doigts de remettre cette chose dans sa cachette, comprit qu’il était coincé et devait avouer la vérité.

• Écoute, je serais flatté de pouvoir à nouveau cuisiner avec toi, mais je dois t’avouer que je n’ai pas la moindre idée de ce que je peux faire avec cette chose insipide.

Eh bien mon ami, je ne le sais pas plus que toi, renchérit l’autre. Mais il s’empressa d’ajouter, pour montrer qu’il a de la connaissance “exotique”.

• Je ne sais pas quoi en faire, mais je sais comment l’utiliser pour qu’il libère son arôme.

Le regard du premier cuisinier s’illumina.

• Vraiment ? Montre-moi !

Son confrère pris alors un couteau et coupa en deux dans le sens de la longueur le mystérieux ingrédient.

• Maintenant chauffe-le.

Il fît alors un mélange jaunes d’œufs et sucre. En les fouettant avec vigueur il obtint une masse lisse et plus claire, presque blanchie.

Suivant son idée de base il fît bouillir le lait et ajouta l’ingrédient. Il versa alors le lait bouillant sur son mélange oeufs et sucre. En mélangeant, les premières effluves arrivèrent au nez des deux chefs.

Il reversa le tout dans la casserole, puis mis un feu doux et brassa sans s’arrêter. Au fur et à mesure que le liquide chauffait, l’air s'imprégnait de cette odeur douce et suave. 

Les deux cuisiniers ne pipaient mot, comme en état de choc. Sans qu’ils ne s’en rendent compte, la moitié du château était entrée dans la cuisine et regardait aussi en silence, les cuistots qui avaient l’air envoûtés.

Lorsque la consistance lui sembla convenable, il versa sa préparation dans une grande jatte pour la laisser refroidir. Chaque mouvement du liquide décuplait l’odeur qui embaumait cette cuisine.

La maîtresse des lieux, elle aussi guidée de son odorat, arriva. 

• Mais quelle est cette odeur qui envahit tout mon château ?

Elle approcha les chefs et fît mine de mettre son doigt dans la jatte.

• Attention madame, c’est très chaud !

• Certes, mais cela se mange-t-il ?

• Je pensais le servir froid avec des fruits, par exemple.

Mais la gourmande avait déjà plongé son doigt dans la jatte, telle une enfant dans la confiture.

Elle resta médusée, sans voix, faillit presque tomber dans les pommes. Au sens propre car une caisse de pommes était posée sur le sol.

Madame, ce n’est pas à votre goût? demanda le cuisinier avec crainte. Dans le même temps il mit aussi son doigt dans la jatte, suivit par son collègue et ami.

La dame reprit ses esprits et dit.

• Après pareil parfum je peux mourir. Quel est le nom de ce produit.

• De la vanille, madame !


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En réponse au défi

Exquis repas

Lancé par L'Insaisissable
La douce et fine pâte croustillante d'une crêpe toute chaude avec du caramel au beurre salé qui fond délicieusement dans la bouche...
Je veux que vous ayez faim rien qu'en lisant votre texte !
C'est parti !

Commentaires & Discussions

Du mammouth à la cannelleChapitre6 messages | 7 ans

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