Les deux philosophes en herbe se chamaillaient avec énergie.

- "Descartes," disait le premier,"ne disait il pas: Je pense donc je suis. Si on peut tout mettre en doute, cette vérité,elle, est une évidence, dut elle en être la seule à laquelle l'humanité puisse se rattacher.

- Stupide." fit le second. "Descartes est comme tous les philosophes. Trop imbu de lui même il met tout en doute sauf sa propre intelligence et n'hésite pas à se contredire pour prouver que ce qu'il dit est vrai. C'est ce que font tous nos philosophes depuis des siècles: Ils lancent un raisonnement intéressant, mais s'arrêtent avant d'arriver jusqu'au bout car ils savent quà tout remettre en question ils en viendraient à se remettre en question eux même ainsi que leur légitimité à philosopher. Par lâcheté et par égocentrisme ils arrêtent en pleine course leurs raisonnement pour au final se répéter sans cesse. Ça fait des siècles que ça dure, des siècles que nos philosophes ne vont pas au bout des choses et ne font que tourner en rond à ressasser des idées qui ne vont nulle part. Un coup c'est de l'enculage de mouches, la fois suivante c'est de la sodomisation de diptères.

- Tu remets en doute la logique de Descartes qui lui même décide de tout mettre en doute. Ne trouves tu pas ça un peu ridicule?

- Descartes dit que tout ce dont il n'est pas certain, il le réfute, mais que se faisant il met en évidence que sa pensée est irréfutable, c'est bien ça le raisonnement?

- Tout à fait.

- Alors voilà, si on peut dire que peut être la lumière elle même est une illusion, si on peut mettre en doute l'existence de tout ce que l'on connait et supposer que tous les sens peuvent avoir été bernés du début à la fin, pourquoi nos pensées ne pourraient elles pas être des illusions?

- Comment?

- Qui me dit que ce que je pense et que tout ce que j'entend dans ma tête ce sont bien mes pensées et uniquement mes pensées? Si on peut mettre en doute tout ce que l'on sait sur l'univers, pourquoi ne serais je pas une marionnette qui entend les pensées d'un autre, des paroles qu'une entité étrangère ferait transiter par ma tête pour me berner et que moi, dans ma naïveté mais surtout dans mon égocentrisme de philosophe, j'interprète à tort comme étant mes propres pensées issues de mon propre être? Rien ne me dit que j'existe sous prétexte qu'une petite voix dans ma tête me l'affirme, et ça Descartes a été trop arrogant pour le prendre en compte. Si le but de la philosophie est de penser en faisant fi de toutes les barrières de la pensée qu'un homme s'érige à force de croyances, de peurs et de superstitions, alors tous les philosophes de l'histoire ont échoué lamentablement, car aucun d'entre eux n'a jusque là réellement songé à contredire cette idée stupide, soi disant irréfutable et pourtant basée sur strictement rien qui est: je pense donc je suis.

- Ce que tu dis ne fait pas énormément de sens. Comment, si tu ne penses pas peux tu penser à remettre en doute ta capacité à penser? Si tout était écrit et que l'homme ne pouvait que penser ce qu'on décide qu'il pensera, alors il ne pourrait pas penser au fait que sa pensée pourrait ne pas exister, si justement on veut le berner. C'est cela qu'a voulu dire Descartes, et rien d'autre.

- Tu sais, Einstein a dit: une blanche vaut deux noires. Sais tu ce que ça veut dire?

- Euh... Albert Einstein a dit ça?

- Je ne parle pas d'Albert, mais d'Alfred Einstein, le musicologue.

- Ah bon, Alfred Einstein. Ça parle de musique alors.

- En effet, en musique une blanche vaut deux noires. D'où l'on peut déduire qu'une noire vaut une demi blanche n'est ce pas?

- Certes, mais encore?

- Et alors? Et alors la musique, comme les nombres, les mathématiques et, hélas, la philosophie, sont des concepts parfaitement abstraits conçus par l'Homme. Les valeurs des choses sont réciproques, une blanche vaut deux noires donc une noire vaut une demi blanche; c'est logique. Seulement, si tout ce qu'imaginent les humains est systématiquement logique, la vérité elle ne l'est pas. Le monde n'a aucune raison d'être logique, seul l'imaginaire des humains l'est. Or, c'est avec leur imagination que les humains conçoivent le monde qui les entoure. Le monde tel qu'on le voit n'est pas le vrai, car on le conçoit par déduction, par des déductions logiques du type une blanche vaut deux noires donc une noire vaut une demi blanche; alors que ce n'est pas du tout comme ça que marche le monde. Einstein, pas le violoniste pour le coup, a écrit que la moitié d'une tarte aux cerises sur une assiette à dessert n'implique en rien que l'autre moitié ait été mangée. Ainsi, quand un humain voit quelque chose, il en déduit des règles qui régissent l'univers, même sans raison, les lois de la physique. Alors que rien de tout cela n'a de raison d'être, et qu'une vérité acquise par déduction peut et doit forcément être mise en doute. Ainsi, tu dis qu'il ne serait pas logique que nous ne pensions pas parce que pour penser que nous ne pensons pas il faut penser. Je te réponds qu'il n'y a aucune raison pour que les choses soient sensées, puisque si elles sont, elles n'ont pas besoin de plus. C'est selon moi le vrai fléau qui fait des philosophes des hommes tout aussi stupides, voire plus encore que tous les autres, c'est que comme tous les humains, ils refusent d'accepter une conception du monde si elle parait trop alambiqué à leurs cerveaux limités. Moi je dis que rien n'est impossible puisque rien n'est certain. Et je le dis tout haut et avec assurance, Descartes fut un imbécile limité bouffi d'orgueuil, et tous les autres philosophes depuis ne lui arrivaient pas à la cheville. Je vous le dit cher amis, la philosophie va de mal en pis, et les limites de l'humain ont toujours barré la route à l'amour de la science.

- Bah! Ne désespérons pas. Il y a encore des chances non nulles que toute la vérité nous soit exposée dans l'après vie.

- Puissiez vous dire vrai mon amis. Puissiez vous dire vrai.",