Une femme ordinaire

5 minutes de lecture

Un chapitre qui a un peu tardé, mais j'ai envie de vous raconter l'histoire de Stella en espérant qu'elle vous plaira. Bonne lecture !

Stella

Pour bien commencer sa journée, rien de tel qu’un café accompagné de quelques insultes. Un rituel bien rodé, qui m’aide à rester droite dans ma ligne de conduite. Savoir que j’arrive à faire réagir des inconnus me prouve mon utilité dans la vie.

Ma tasse à la main, je me rends jusqu’à mon bureau. D’un geste, j’allume l’ordinateur. Un ronronnement, les ventilateurs se mettent à tourner, la machine se met en route.

Une gorgée de liquide chaud me fait du bien. Chaque matin, j’adopte la même routine : me lever, faire un peu de sport, prendre ma douche puis un petit déjeuner léger. Ensuite, je monte au front : lecture et contrôle des messages, gestion de mon planning.

Un coup d’œil sur le calendrier m’apprend la date du jour. Il serait peut-être temps que j’aille relever ma boite postale. Si j’ai beaucoup de colis, je pourrais faire une vidéo où je les ouvre en direct. Enfin, je vérifierais quand même le contenu avant. Je préfère éviter les mauvaises surprises.

Je fais bouger la souris sur l’écran. Le premier message s’affiche.

« Je te baise !!! »

Justement non, et ça doit être ça le problème de ce type. Pour la peine, je reprends une gorgée de café. Mes yeux parcourent en vitesse les messages modérés. Rien d’original. J’attends toujours celui qui me fera dire que la personne a pensé avant de troller. Mais ce n’est pas pour aujourd’hui.

Mon attention se reporte sur les petits mots que m’ont laissés d’autres abonnés. Un sourire se dessine sur mon visage. Des félicitations, des remerciements pour mes photos, des gens qui louent ma beauté et mon courage. Des propositions de rencontre, mais gentilles alors je n’en tiens pas rigueur aux auteurs.

Certains viennent même me raconter des situations de leur vie quotidienne, voir leurs fantasmes, qui s’affichent sous mes photos dans des tenues sexy. Des pseudos qui se retrouvent dans la liste de mes soutiens, qui m’envoient des cadeaux, qui ont l’impression d’avoir une relation privilégiée avec moi…

Parfois, j’ai un peu honte. Ils doivent se sentir très seuls pour avoir besoin de tisser un lien avec une femme sur un écran. Après, je me reprends et je me dis que c’est juste un travail. Je vends mon image comme d’autres vendent un produit. Ça me permet de vivre.

Après avoir parcouru des yeux, les autres messages, je me termine mon café. Il est temps de sortir un peu. Je vais faire quelques courses puis je passerais récupérer mon courrier. Ça m’occupera.

J’ai besoin de prendre l’air pour me changer les idées. Rester enfermée tout le week-end ne m’a pas aidé. Après avoir réfléchi à la création d’un calendrier, je me suis posée pour préparer mes posts internet. Quand je travaille ainsi, je ne vois pas le temps passer. Du coup, je découvre parfois que la nuit s’est déjà installée. Tout file trop vite… Lorsque l’on est seul, il est difficile de trouver le moyen de se cadrer.

J’avoue que ça me peine. Le fait de vivre avec quelqu’un me manque. Les moments de partages, les fou-rires… Toutes ces petites choses auxquels on n’attache pas d’importance tant qu’on les a… Autant ne pas y penser. Ça va me déprimer. Je me suis fait une raison. Soit ce n’est pas le bon, soit je ne suis pas la bonne. Ainsi va la vie.

Après avoir nettoyé ma tasse, je passe une petite veste blanche. Un coup d’œil dans le miroir me satisfait. Un maquillage léger, et je suis prête à conquérir le supermarché. Quelle femme !

Alors que je verrouille ma porte, je ne peux m’empêcher de houspiller mentalement, je veux jouer les woorking girl, mais faire une liste de courses ne m’a même pas traversé l’esprit. Il faudrait improviser. Par chance, je suis douée pour ça. J’improvise ma vie depuis que je suis partie de chez moi.

Sur le parking, je retrouve ma citadine blanche qui aurait besoin d’un bon nettoyage. On repasse pour l’image de la femme parfaite. Preuve que ce qu’on voit sur internet est mensonger. Si je trouve un bocal de sable, je devrais l’acheter, je simulerais des vacances à Bora-bora. En plus, le voyage aurait été assez rapide.

Je ris alors que je m’installe derrière le volant. À cette heure, il n’y a personne devant l’immeuble, trop tôt pour aller chercher les enfants à l’école et trop tard pour partir travailler. Au moins, je serai tranquille dans le magasin. À moins qu’une promo miracle attire tous les retraités du coin. Déjà, que c’était la cohue dans le supermarché qui avait offert un café gratuit à tous ceux qui venaient à l’ouverture. Dix minutes avant que la grille ne se lève, les caddies fulminaient prêts à renverser les concurrents. Peu importe que ça ne soit pas bon ou qu’on n’aime pas ça, on ne paye pas donc on le prend.

J’espère que l’embouteillage au rayon fruits et légumes sera passé. Devoir escalader ou jouer les contorsionnistes pour avoir une orange, ce n’est pas forcément à mon goût. Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour mériter sa vitamine C ?

Au moins, la circulation est fluide, mis à part quelques auto-écoles, je ne croise pas grand monde. Le privilège de ne pas travailler aux mêmes horaires que la majorité de la population, c’est qu’on dispose de la route pour soi. Il ne me faut que quelques minutes pour garer ma voiture.

Au vu de celles qui y sont déjà stationnées, je peux espérer aller assez vite. Ce lundi matin me paraît assez calme. Tant mieux, j’en profite. Si je peux serpenter dans tout le magasin en récupérant ce dont j’ai besoin en quatrième vitesse, ça m’arrange. Je gagne du temps afin de pouvoir en perdre dans des tâches plus plaisantes.

Mes escarpins claquent sur le sol goudronné, alors que je pousse le caddie. J’adore ses chaussures : un bout noir vernis, et autour un tissu imprimé écossais. Avec une robe noire, au col en « v », je me sens séduisante sans entrer dans la vulgarité.

Dans la galerie, je ne peux m’empêcher de laisser mes yeux errer sur les mannequins de plastique dans les vitrines. J’ai beau me rappeler que je ne suis pas là pour ça, et que je souhaite aller vite, c’est peine perdue. Le temple de la dépense en veut à mon porte-monnaie. Si j’étais hypocrite avec moi-même, je me convaincrais que je fais ça pour le travail. Cependant, je suis réaliste. J’ai juste envie de nouvelles tenues.

Pour me faire patienter, je me contente de noter mentalement, les lieux où j’ai repéré de belles pièces. Mon argument préféré est « c’est bientôt les soldes ».

J’abandonne les vitrines des boutiques de mode, pour entrer dans le magasin. À partir de là, les choses iront beaucoup plus vite. C’est la course, presque comme dans un jeu vidéo. Pour peu, j’aurais envie de lever la tête pour voir si un chronomètre s’était activé. Il n’en est rien bien sûr. Le challenge commence.

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