IV

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Des cris mêlés à des explosions sortirent brutalement Sehae de son sommeil. Le soleil n'apparaissait même pas encore à l'horizon rougeoyant. Elle prit tout de même le temps de s'apprêter convenablement, lui donnant ainsi le temps de constater que ce qui devait arriver, arriva. Plus tôt que prévu, ceci dit. De la fenêtre de sa chambre, elle avait une vue imprenable sur l'entrée de la forteresse. Celle-ci était maintenant submergée d'orcs et de gobelins ayant traversés l'enceinte grâce à leurs engins de siège, catapultes et trébuchets, de conception archaïque mais d'aspect robuste. Bientôt, le vacarme monta à l'intérieur du géant de pierres blanches. L'ennemi, en furie, avait sans doute éliminé la garde sans trop de difficultés et ne tarderait plus à émerger dans le couloir jouxtant la chambre de la jeune femme. Il était temps de prendre un peu de recule sur les évènements, lui semblait-il.

Elle passa à son cou son amulette porte-bonheur. En vérité, une relique aux propriétés exceptionnelles. Elle lui permettait notamment de puiser avec plus d'efficacité l'énergie contenue dans les flots de magie noire qui se déversaient en elle lorsqu'elle y avait recours. D'après les doyens, cet objet représentait l'héritage extraordinaire des dieux anciens ayant parcouru ce monde il y a plusieurs millénaires et désormais tapis dans les ombres souterraines de leur dernière demeure. Nul être vivant ne pourrait aujourd'hui reproduire un de ces chefs d'œuvre forgés dans un étrange alliage à l'abri du temps et du tranchant de l'épée comme du contondant de la masse.

Comme elle l'imagina juste avant de sortir de sa chambre, des domestiques hystériques abandonnaient leur pile de linge propre dans le but d'échapper au plus vite au gobelin armé de son cimeterre qui avait fait son apparition. Il semblait avoir intégré sa laideur corporelle au point de l'accentuer encore à l'aide de nombreux piercings disgracieux. Cependant, il commit la faute de prendre pour cible la jeune sorcière qui ne lui laissa pas le temps d'agir à son approche. L'ombre de celle-ci, allongée par l'astre solaire naissant, s'assombrit soudainement avant de se munir de deux bras armés de longues griffes acérées qui laissèrent la créature verdâtre coite. L'ombre, d'un noir maintenant incroyablement profond, se précipita en direction du gobelin tétanisé puis, arrivée à ses pieds, remonta le long de son corps. Il se débattit au milieu d'un entrelacement de magie noire, se griffant jusqu'à la chair comme pour enlever quelque horreur pénétrant en lui à toute vitesse par les pores de sa peau. Il finit par disparaître au sein de ce qui devint une bulle noire mouvante et nébuleuse. On aurait pu jurer qu'un micro-climat s'y était formé à l'intérieur. Une sorte de tempête des enfers produisait des éclairs bleutés visibles de l'extérieur. Soudainement, la bulle se rétrécit en une fraction de seconde, réduisant avec elle la créature qu'elle contenait puis disparut.

Elle choisit d'emprunter un couloir moins susceptible de grouiller d'adversaires. Se plaquant contre le mur qu'elle longeait, elle s'était arrêtée net au détour d'un couloir. Un groupe restreint de guerriers tout de blanc vêtus faisait le ménage à cet endroit, par d'amples gestes de moulinets de hallebardes. Ici, l'espérance de vie des peaux vertes n'excédait pas une poignée de secondes. A leur approche, elle s'engouffra en catastrophe dans un escalier derrière elle mais fût à nouveau contrainte de stopper son élan en contre-bas. Dans la pièce où elle manqua pénétrer, se déroulait une scène sordide. L'atmosphère était pourtant étrangement calme et studieuse.

— Mes très chers frères de L'Ordre. Être contraint d'agir dans l'urgence m'attriste profondément, croyez-le bien.

On ressentait effectivement, dans le tint de voix solennel du capitaine local des soldats de L'ordre Renaissant, une profonde sincérité mais également une impériale et froide détermination. Un immuable sens du devoir à vous glacer les sangs habitait ce groupe d'hommes réunis en cet instant en un cercle au dessin qu'on jurerait parfait. En son milieu, une cage magique aux parois émettant une lumière aveuglante, contenait rien de moins que l'empereur en personne, immobile de sidération et visiblement pris de cours par les évènements.

— Voilà des mois que les preuves de la néfaste influence sur l'Empire de cet homme se cumulent jusqu'au point culminant de ce funeste jour lors duquel de nombreuses vies seront sacrifiées et la préservation de la capitale compromise.

La mine grave, le capitaine émit un humble hochement de tête à l'adresse d'un vieux mage flegmatique à la longue robe immaculée. Celui-ci avança comme pour exécuter quelque protocole. Tout en regardant ses camarades, il déclara :

— Cet homme va maintenant être soumis au jugement de la lumière. Je vous invite à prier, tous, sur son sort et au salut de son âme.

Les mains jointes, il ferma alors les yeux en baissant la tête. Les autres l'imitèrent aussitôt. Un silence religieux mais pesant hanta à nouveau les lieux. Même lorsque des rayons de lumière mortels formés dans les parois de la cage vinrent transpercer de part en part le malheureux prisonnier dont les chaires s'embrasaient. Il hurla de douleur tandis qu'aucun son ne filtrait de sa prison de lumière. Avant que l'empereur déchu ne devienne plus qu'une boule de feu, la jeune sorcière au visage grimaçant de perplexité fit discrètement demi-tour en prenant garde de ne plus croiser un seul membre de cet ordre de cinglés. Son sort ne serait pas différent du sien si elle venait à être capturée par ceux qui prendraient bientôt le contrôle de la forteresse. En cet instant, elle n'imagina même pas que ce puisse être les orcs.

— Qu'il en soit ainsi ... , déclara finalement la voix du mage avant que Sehaeh ne s'éloigne du sommet de l'escalier.

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