I

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Cachant sa détermination et son impatience derrière l'attitude sereine qu'elle avait pris l'habitude d'emprunter, Sehae marchait sur les dalles blanches qui par soucis de prestige recouvraient les chemins des jardins extérieurs de la forteresse. Les après-midi ensoleillés comme celui-ci, invitaient les nobliaux du coin à déambuler à travers ce petit paradis qu'on s'était donné l'effort d'aménager. Du temps des orques, il devait s'agir au mieux d'un terrain vague sans structure particulière. Une époque que la jeune femme aurait volontiers préféré à cet instant tant l'odeur entêtante de certaines fleurs lui donnait la nausée. C'était cependant l'accès le plus rapide menant vers sa destination.

On croisait rarement autant de monde sur les chemins et dans les couloirs de la forteresse que ces derniers jours. L'Empereur s'était mis en tête d'inviter tous les seigneurs de la région sous son joug. Une bien médiocre façon d'affirmer son autorité selon Sehae. Comme de juste, ils étaient accompagnés de leur cohorte de valets, de servantes ainsi qu'une tripotée de gentilshommes se faisant passer pour des personnages importants de leur entourage. Mais elle n'avait pas vraiment d'influence sur ces questions-là, à moins de passer par des moyens qu'elle réservait à des causes plus utiles. Exception faite qu'elle n'aurait pour rien au monde délaissé sa garde robe à la confection soignée. C'est pour cela que dès son arrivée, elle s'était offert les prestations d'une talentueuse couturière locale. Elle avait à cette occasion dû lui grever un de ses sortilèges d'envoûtement afin de s'assurer de sa pleine servitude à son égard. Depuis, bien sûr, elle avait décelé chez cette ravissante jeune femme d'autres talents cachés, certains pour le moins inattendus.

Le modèle bleu nuit impeccablement coupé qu'elle portait cet après-midi-là était l'un de ses favoris. Sa chevelure lisse et rousse aux reflets rouges lui retombait jusqu'au milieu du dos. Ses ongles mi-longs étaient agrémentés de vernis noir sur leur extrémité. Son regard vert perçant composait avec un visage à la peau légèrement brunie, inhabituel pour une fille de la nuit. Mais son rythme de vie à la forteresse ne lui permettait pas vraiment d'éviter les bains de soleil quotidiens.

Au détour d'un parterre de roses particulièrement agressif pour ses narines, elle ne fut pas la première à reconnaître un visage familier puisqu'une voix qu'elle avait entendue s'exprimer des dizaines de fois depuis son arrivée l'interpella promptement.

— Sehae !

Elle ravala de justesse un cri de surprise mais n'eut pas été contre, sur le principe, ouvrir sous les pieds de l'importun un puits noir. Par définition, une chute interminable à travers des ténèbres insondables.

— Ma chère ! Laissez-moi vous présenter.

L'empereur lui-même, se donnant la peine de se mettre en scène pour accueillir la nouvelle arrivée. De manière risible, comme à son habitude. Il était à deux doigts de se mettre à bafouiller avec pour témoin la truie insignifiante se tenant à ses côtés qui agitait frénétiquement un éventail aux couleurs criardes.

— Madame la duchesse de Melridel, voici Sehae Solran, une jeune fille dont je ne puis me passer les services depuis plusieurs semaines. Tout à fait remarquable je dois dire !

C'est ça, traite-moi de gamine et fais-moi passer pour ta gourgandine pendant que tu y es.

— Elle a su me sortir de bien des affaires embarrassantes, savez-vous ?

Sans blague ... Pour celle-ci, je repasserai ...

Par soucis de bienséance, Sehae se résigna à esquisser une révérence accompagnée d'un sourire forcé qu'elle eut toutes les peines à rendre crédible. Mais le bougre était déjà passé à autre chose et embarquait désormais son interlocutrice dans ses délires à propos des fleurs, de leur don pour soulager les sens d'un souverain fatigué par ses longues journées ... et autres balivernes. Sehae était furieuse mais saisit l'occasion pour disparaître de la vue de ces deux imbéciles heureux. Il ne perdait rien pour attendre celui-là !

Elle lâcha un soupir de soulagement en même temps qu'elle s'extrayait du brouhaha envahissant les jardins pour pénétrer dans la courette rattachée à une dépendance du domaine. Comme pour le reste des constructions environnantes, un soin inconditionnel avait été apporté à l'égayement des lieux. Ils avaient autrefois appartenu aux répugnantes peaux vertes, un dégoût partagé par la jeune femme, certes. Mais fallait-il pour autant s'appliquer à blanchir toutes les pierres de la forteresse et enluminer tout ce qui pouvait l'être jusqu'à l'absurde ? Au final, Sehae se réjouissait quand le jour un orage apocalyptique venait couvrir le ciel de temps à autre afin de calmer sa douleur rétinienne. De toute façon, un jour ou l'autre cette comédie ridicule prendrait fin.

— Oh maîtresse, je ne vous ai pas entendue arriver. Je suis confus ... Veuillez m'excuser !

L'homme bossu à la taille ramassée lui faisant face aurait pu se faire passer pour un gobelin si la nature l'avait affublé de longues oreilles et d'un teint verdâtre. Ce misérable qui venait de déboucher d'une pièce voisine se confondait en excuses lorsque Sehae prit conscience que, perdue dans ses pensées, elle était entrée dans la bâtisse sans s'annoncer.

— Épargne-moi tes pleurnicheries, Zalgmar ! Et sors un peu de ton antre, tu ressembles de plus en plus à un vieux crapaud desséché. Les autorités ne vont pas tarder à demander ta défection si tu continues à te distinguer des bellâtres de la cour.

— Oui maîtresse ... Bien maîtresse !

Cet homme, qui en valait bien un autre selon elle, savait aussi être une vraie plaie quand il s'en donnait la peine.

— As-tu trouvé le moyen d'ouvrir le passage vers les profondeurs ?

Ce sbire que les doyens du culte du crépuscule avait jeté dans les pattes de la jeune sorcière suait maintenant à grosses gouttes.

— Non maîtresse ... les glyphes sont difficiles à interpréter. Il faudrait du temps et l'intervention d'autres cultistes ... assurément ... peut-être les goules.

La jeune femme porta d'un geste rageur ses mains sur ses hanches en signe de mécontentement.

— C'est ça ! L'empereur va se montrer compréhensif et même ravi que je fasse entrer un comité de goules dans le domaine.

Les goules étaient pourtant et de loin les membres du culte les plus savants. Cependant, de par l'étude incessante et approfondie de la magie noire, ces hommes et ces femmes avaient fini par compromettre leur apparence et leur esprit, les rendant ainsi relativement peu fréquentables, même pour une familière du culte comme Sehae.

— Il y a autre chose maît ...

— Parle !

— Un de nos ... espions s'est fait prendre par la garde aujourd'hui.

Une volute de fumée noire sembla furtivement traverser les pupilles dilatées de son interlocutrice.

— Où est-il ?

— Dans le donjon, maîtresse.

— Je suis entourée d'incapables et je ne manquerai pas d'en faire part aux doyens, crois-moi !

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