Et maintenant?

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Lorsque je me suis replongé dans l’écriture de ce projet, je ne voulais pas simplement déposer mon récit. J’ai dû d’ailleurs réfléchir où arrêter mon histoire, car bien que, lorsque je sois rentré à l’institut Cardijn, j’allais globalement mieux, j’avais encore beaucoup de travail sur moi-même à accomplir. C’est pourquoi j’ai écrit l’épilogue, pour relater mon vécu jusqu’à aujourd’hui. Mais je pensais que ce n’était pas assez, qu’il manquait quelque chose. J’ai donc écrit ce petit chapitre intitulé « Et Maintenant ? »

Ce chapitre n’est pas construit comme un récit. Il s’agit de points de vue actuels sur certains épisodes de mon vécu. Sur ce que je pense de la vie, après toute cette aventure. Pour certains points, je m’adresse non seulement aux personnes qui pourraient être en détresse, mais aussi aux personnes confrontées à quelqu’un en souffrance. Parce que parfois, on ne sait pas forcément bien comment réagir et l’on peut faire plus de mal que de bien. Que ce soit par vos paroles, vos regards, quelqu’un qui est mal va ressentir votre jugement comme un poids et risque de se refermer comme une huître.

Et M dans tout ça ?

M. a été un intervenant majeur dans une grande partie de mon récit. Je pense donc qu’il soit normal que je commence par relater la fin de notre amitié avant de m’attarder sur l’essentiel. J’ai tenu mon amour pour elle (et par extension elle-même) responsable de ma déchéance. Cette rancœur est restée ancrée en moi pendant longtemps, jusqu’à un jour de 2003 où j’ai appris à pardonner et demander pardon. Je pense sincèrement depuis maintenant longtemps que même si je ne l’avais pas connue, d’autres événements dramatiques auraient pu me conduire au même point. Mon amour à sens unique n’a été qu’une blessure parmi tant d’autres, et une autre blessure aurait très bien pu arriver au même résultat.

M. était donc à Cardijn, avec moi. Mais notre relation n’était plus pareille. Elle ne venait me voir que lorsqu’elle avait des problèmes de cœur, les premiers temps. C’était relativement frustrant d’ailleurs, de devoir être son confident pour tous ses petits problèmes. Je ne la voyais que pour ça, je n’étais devenu plus qu’un outil qu’elle contactait au besoin. Cela avait d’ailleurs énervé ma première copine, qui me voyait accourir comme un petit chien lorsqu’elle m’appelait, quand j’abandonnais tout pour aller l’aider. Mais au fur et à mesure du temps, on a commencé à s’éloigner l’un de l’autre.

Certains de mes nouveaux amis cardijnois m’avaient d’ailleurs fait part de leur écœurement, étant allés en soirée avec elle. Ils n’avaient pu comprendre comment j’avais pu être fou amoureux d’elle. La première chose qu’elle avait dite en arrivant était une phrase du genre « bon, on repère les grosses bagnoles ». Bien que ce ne soit qu’une rumeur, et je tentais donc de relativiser, cela m’avait fait énormément mal. Je me suis rendu compte que lorsque je l’écoutais parler de ses problèmes de cœur, les hommes qu’elle convoitait étaient souvent des garçons du genre fils à papa (l’un d’eux, je le connaissais assez bien d’ailleurs, on était aux scouts ensemble). Je me rappelle avoir été fort blessé, lorsque j’ai fait l’analogie avec son cours, en me disant que tout compte fait la première chose qu’elle regardait chez quelqu’un, c’était finalement l’argent, mais qu’elle ne se l’avouait même pas à elle-même.

En décembre 1999, je me mis en couple avec une femme extra-ordinaire. Mon amitié avec M. fut totalement finie, et la dernière fois que j’eus une conversation seul à seul fut encore une fois parce que mademoiselle avait besoin de quelque chose, un cours pour sa seconde session. Elle est venue chez moi, est restée dix minutes, et bien que j’ai proposé qu’on prenne le temps de discuter un peu et prendre des nouvelles l’un de l’autre, elle n’a fait que rétorquer qu’elle n’avait pas le temps. Il m’a fallu d’ailleurs faire des pieds et des mains pour récupérer ce cours, car pour elle, c’était juste trop difficile de venir jusqu’à mon kot (logement d’étudiant), qui se trouvait à moins de cinq minutes à pied des auditoires.

Lorsque j’ai quitté Cardijn, le contact fut totalement coupé, je n’ai plus entendu parler d’elle pendant bien dix ans. Puis, Facebook est apparu, et un beau jour je reçois une demande d’ami de sa part. Bien que le temps avait fait son œuvre, les rancœurs, colères et sentiments cicatrisés, j’avais peur. Peur que tous ceux-ci, que le passé, refassent surface. J’ai mis des mois à me décider à accepter cette demande. Et tout compte fait, c’est comme si elle n’était pas dans mes relations. Nous n’avons échangé qu’une fois par message privé. J’ai horreur de la messagerie de Facebook, ne l’utilisant que lorsque je ne sais pas faire autrement. Je m’étais connecté quelques minutes uniquement pour avoir une info urgente. Elle a voulu entamer la conversation, je n’avais pas le temps et j’ai dû écourter la discussion. Lorsque je lui ai répondu, au soir, et demandé des nouvelles, plus de réponse. J’ai tenté encore quelques-fois de lui envoyer des messages, pour lui souhaiter un bon anniversaire ou prendre des nouvelles, elle n’a plus jamais répondu. Un beau jour, j’ai simplement découvert qu’elle m’avait viré de ses amis. Comme quoi, je m’étais fait trop d’inquiétudes à ce propos, elle est partie, comme elle était venue : sans rien dire.

Cela ne m’a pas vexé, et c’est vrai que je pense que maintenant, nous n’avons pas grand-chose en commun. Cependant, il m’arrive régulièrement de penser à elle, même si mes sentiments ne sont plus là. Je rêve encore d’elle de temps à autre, et le lendemain de ce genre de rêves, j’ai un peu de mal, je me sens un peu perturbé (tout comme c’est le cas lorsque je rêve d’Aurélia). Elle a occupé mes pensées pendant tant d’années, je pense que c’est un peu normal, et qu’avec le temps, ces sentiments continueront à s’estomper.

L’éternel amoureux devenu Papa

Ah l’amour ! Cette chose si sublime qui pourtant peut être si douloureuse ! Pendant des années, j’ai considéré que c’était l’amour qui avait provoqué ma descente aux enfers. Et bien que je lui en voulais de m’avoir démoli de la sorte, je ne cessais de le chercher. Je voyais même mon parcours un peu comme une comédie romantique américaine. Bien neu-neu, qui finit toujours bien, avec dans mon cas, la princesse charmante qui viendrait me sortir de ce mauvais pas.

Bien évidemment, je ne vois plus la vie comme une comédie à l’eau de rose. Chaque vécu est différent et ne comporte pas un schéma coup de foudre-dispute-réparation. Mais l’amour reste un sentiment essentiel dans ma conception de la vie. Je dirais même que c’est le plus important. Un être humain ne vit pas s’il n’aime pas. Peut-être est-ce pour cette raison que j’ai eu beaucoup de conquêtes, comme l’a laissé sous-entendre une de mes ex ? Inconsciemment, je cherchais cet amour plus fort que tout, que rien ne pourrait démolir ou casser. J’ai grandi depuis heureusement, mais même en étant adulte, il ne s’est pas passé un jour sans que je sois amoureux. Je ne sais pas concevoir la vie sans ce sentiment. C’était peut-être une amourette, une attirance, lors de mes périodes de célibat, il m’est impossible de passer une journée sans éprouver de l’amour envers quelqu’un.

Je suis en couple maintenant depuis presque onze ans. Avec une juste une petite pause durant mon burn-out, où j’ai remis toute ma vie en question. Maintenant, je dirais que je ne suis plus monogame : avoir un enfant, ça change tout. Parce que je me suis rendu compte que je pouvais aimer d’une manière que je ne soupçonnais même pas. Je l’ai découvert une nuit de janvier 2013. Je le tenais dans mes bras, contre ma peau. Je voyais ce petit être. C’est arrivé d’un coup, dès le premier regard. Jamais je n’aurais cru que je pourrais donner autant d’amour avec tout ce passé derrière moi. Dans les pires moments de découragement, il me suffit de le regarder. Tous mes doutes et mes craintes s’envolent avec ce sourire dont il a le secret et qui ne le quitte pas.

Pourtant, je dois dire que j’ai beaucoup de doutes. Mon vécu y est pour beaucoup, mais ma vision de la vie est relativement atypique, mes valeurs sortent du cadre sociétal. J’ai envie d’inculquer ces valeurs à mes enfants. Mais je me pose des questions, cela me fait peur.

J’ai envie qu’ils aient une enfance et une adolescence heureuses, pleines d’amis et non qu’ils vivent des sentiments de rejet, d’avoir l’impression d’être un extra-terrestre pour les autres, comme j’ai pu le ressentir de nombreuses fois.

Surtout que ce sentiment, il m’arrive de le ressentir encore maintenant. Je vais prendre un petit exemple peut-être anodin pour vous (ce n’en est qu’un parmi tant d’autres). Nombres de fois où l’on me regarde avec des yeux circonspects, parce que je dis simplement que je ne bois pas un certain soda, à cause des produits qui s’y trouvent, que des populations n’ont pas accès à l’eau potable à cause de sa production… Que non, je ne me satisfais pas de réponses telles que « le monde est fait ainsi », « tais-toi, arrête de penser et consomme ! »

Comment inculquer ce type de valeur à mon enfant, sans pour autant qu’il vienne à en souffrir ? Comment lui expliquer que, non il n’aura pas ce ballon officiel de la FIFA parce que la personne qui l’a fabriqué doit débourser un peu plus de deux mois de salaire pour pouvoir en ramener un chez elle ? Et comment vont prendre les autres enfants ce mode de vie ? Ils peuvent être très cruels et moqueurs lorsqu’ils sont entre eux. N’avez-vous pas connu, à un moment de votre parcours scolaire, un bouc-émissaire dans la classe tout simplement parce qu’il vivait, pensait différemment ou était tout juste différent ?

D’un autre côté, je me dis également qu’imposer des valeurs à une autre personne, c’est mal. On peut expliquer son point de vue, mais forcer quelqu’un à l’adopter, c’est du despotisme pur et simple. C’est vrai que si je reprends cette idée de boisson, dans ma petite tête je suis persuadé du bien fondé de ma pensée, et que tout le monde devrait faire pareil ; mais forcer quelqu’un à adopter ce point de vue, à penser comme moi, est lui enlever tout libre arbitre, alors que ce qui m’intéresse le plus est que mes interlocuteurs se mettent à réfléchir, et se fassent une idée, une opinion, et qu’ils agissent en conséquence. En effet, je ne détiens pas la vérité, et je pense que personne ne la détient. Nous avons tous un certain point de vue, souvent dû à une manipulation de masse telle que la publicité, les informations dont nous sommes gavés… Et nous prenons donc pour vérité personnelle une opinion.

Je ne veux pas que mon fils reproduise entièrement mon schéma de pensée et mes valeurs, mais bien qu’il se renseigne et fasse sens d’esprit critique. Mais lorsque je vois les « jeunes » d’aujourd’hui, j’ai peur. Si tu n’as pas ton Ipod ou ta Playstation construites dans un camp de concentration en Asie du Sud-Est, eh bien tu n’es pas dans le coup et tu ne vaux rien. Si tu n’as pas joué à ce GTA interdit aux moins de dix-huit ans à tes douze ans, tu n’es qu’un petit gamin infréquentable. Si tu n’utilises pas What’s app, Facebook et autres, alors que tu expliques les dangers de ces outils pour sa vie privée, tu ne seras pas « hype » et n’auras aucune vie sociale avec les jeunes de ton âge.

Je me sens tiraillé entre mes valeurs et cette crainte que ma chère petite tête blonde vive de tels schémas. Car un acharnement d’un groupe d’enfants sur un autre, cela cause des dégâts qui sont toujours là des années après.

Hypersensible ?

On m’a souvent demandé, en lisant certains de mes billets ou lorsque j’ai commencé à publier cette histoire sur Wattpad, si j’avais fait le test d’hypersensibilité ou pour voir si j’étais surdoué. C’est vrai que j’ai lu pas mal d’articles sur internet, et que je m’y retrouve dedans : cette sensibilité à fleur de peau, difficile à expliquer, le fait que l’on ressente les choses différemment, qu’on voie simplement un petit changement dans le regard des autres, imperceptible pour la plupart des gens et qu’on sente que l’état d’esprit d’une personne n’est pas normal… Si vous lisez des billets sur les personnes hyper-sensibles, en gros vous avez une assez bonne description de ma personnalité. (oui, il m’arrive de pleurer pendant un film, oui, il m’arrive de poser des questions qui font tomber des nues, de remettre chaque décision en doute, etc.)

Cependant, non, je n’ai pas fait le test. Même si j’avais les moyens financiers, je ne le ferais pas. À quoi bon ? Au bout de toutes ces années, j’ai appris à m’accepter comme je suis. Que je suis conscient de mes forces et faiblesses et de ce sur quoi je dois encore travailler pour être pleinement épanoui. Peut-être que oui, le faire pourrait expliquer des choses, me donner une raison à tout ceci, à mon vécu.


Je me définis néanmoins comme hyper-sensible. Parce que je sais que j’ai une sensibilité à fleur de peau. Dire que je suis surdoué, je trouve cela présomptueux, et ce, même si un test me disait que je l’étais. Et dans ce cas, je dois dire que je ne me considère pas comme tel. Je sais bien que j’ai tendance à me dévaloriser (visiblement, c’est une caractéristique que j’ai lue dans certains billets sur les hypersensibles, encore un !), mais lorsque je me retrouve face à certaines personnes, je me sens vraiment bête. Que ce soit dans le fait de pouvoir exprimer ses idées oralement, mais aussi dans les connaissances et dans la manière de parler. Pourtant, il y a une chose qui permet de relativiser : oui, nous n’avons pas le même niveau d’études. Néanmoins, les quelques tests de QI que j’ai faits (j’en ai trouvé quelques-uns sérieux sur le net), me plaçaient légèrement au-dessus de la moyenne. Il faudrait peut-être que je fasse ce genre de test sérieusement un jour, pour voir. Mais cela revient à ma première pensée, sur le test d’hypersensibilité. Je ne pense pas que cela changera quelque chose à ma vie. De plus, un QI ne remplace pas des années d’études. On peut simplement dire que j’ai un autre vécu qu’un parcours traditionnel. Les deux ne sont juste pas comparables.

Et puis, dans le cas où je me définis comme hyper-sensible selon la définition médicale, ou surdoué, et que je passe le test : si je ne le suis pas, quelles seraient mes réactions ? Je ne sais pas. Si on me met martel en tête, que j’accepte cela et que finalement un test me donne une réponse inverse, je risque d’être déçu et de me poser des tas de questions en me demandant alors quel est le sens de tout ceci.

J’ai appris à me connaître. J’ai encore du mal à gérer certaines de mes réactions, mais je fais avec, et j’apprends encore maintenant à mieux les maîtriser. Je pense que c’est cela qui est important : ne pas se faire cataloguer comme étant X ou Y, mais bien d’être en accord avec soi-même et accepter son soi intérieur.

Greg et l’écriture

Je n’écris plus de poèmes. Mes poèmes étaient sombres, reflétaient mon passé, les pensées d’un amoureux torturé. J’ai arrêté l’exercice en 1999. J’en ai réécrit quelques-uns en 2003 et 2009, pour coucher certains sentiments qui m’animaient. J’ai créé un recueil de tous ces poèmes, que j’ai simplement intitulé « Poèmes d’ado ». Je pense que si certains textes peuvent aider quelqu’un, le fait que celui-ci puisse ressentir qu’il n’est pas seul dans ce cas, j’aurai eu raison de le publier.

Par contre, je ne pourrais plus écrire de tels vers. Je pense que si cela devait se reproduire, il y aurait des questions à se poser. Je veux que mes textes reflètent plus ce que je pense maintenant : notre monde dispose d’une part sombre, c’est vrai, mais il y a tellement d’initiatives positives, de lumières, que c’est cette part si magnifique que j’ai envie de montrer.

Certains de mes textes sont d’ailleurs bien inspirés de mon vécu ou de cette dualité : que ce soit avec « le gars qui voulait changer le monde » ou « la planète bleue », je décris ces aspects. J’ai encore mes moments de découragement, où je vois la vie de manière plus sombre. Mais rapidement, la lumière reprend le dessus.

Globalement, j’essaie toujours de placer des éléments sur ma vision de la vie dans mes écrits. C’est peut-être fait de manière un peu gauche, je le concède. Je me considère d’ailleurs comme « Apprenti Auteur », et je ne demande qu’à m’améliorer. C’est une des raisons pour lesquelles j’écris presque tous les jours. J’ai tellement de messages à faire passer. Même « Opération Bombe Humaine » est bourré d’avertissements, que ce soit sur le danger que peuvent apporter les technologies si elles sont utilisées à mauvais escient, mais aussi sur un des plus grands maux de notre époque : le corporatisme qui prend petit à petit le pouvoir sur nos instances « démocratiques ». La seule exception à cette règle est ma saga d’Heroic-Fantasy que j’ai commencée en novembre 2014 (mais qui nécessite encore tellement de boulot que rien n’a encore été officiellement publié).

Ensuite, je voudrais parler un peu de ma démarche d’écriture, même si j’en touche déjà un mot dans l’épilogue. Pour moi, le partage est une notion essentielle. Dans un monde où tout se vend, tout se monnaie, cette notion a été oubliée. Pourtant, la culture, l’enrichissement, le savoir sont pour moi des choses qui ne peuvent être marchandées. Le savoir et la culture doivent être accessibles à tout le monde. Ils appartiennent à l’Humanité. Nos idées nous sont inspirées par le quotidien, par d’autres artistes. Elles ne nous appartiennent pas. La seule chose qui nous appartient, peut-être, est la manière dont nous l’avons mise en forme.

Avec l’émergence du numérique, la propagation de la culture a explosé, bouleversant notre « consommation ». Internet a permis le partage des œuvres en grand nombre. Je vois certains d’entre vous venir avec vos gros sabots me dire que le piratage est une plaie, pourtant quoique vous disiez, la copie a toujours existé. Alors pourquoi ne pas mettre la technologie à profit ? Pourquoi continuer à mettre des cadenas sur tout ce que nous créons ?

Mes créations sont donc disponibles avec le partage comme mot d’ordre. Tout le monde peut les télécharger, les lires, les modifier. Parce que c’est cette vision du monde, avec des valeurs telles que partage et solidarité, que je voudrais voir se réaliser. Et plutôt que d’attendre que quelqu’un le fasse à ma place, que les mentalités changent, j’ai décidé d’agir. D’ailleurs, Gandhi le dit si bien : « sois le changement que tu veux voir dans le monde ».

J’ai beaucoup réfléchi avant de lâcher mes créations dans la nature. Peur que des compagnies s’approprient mes créations pour en faire une masse de pognon. Au début, j’avais mis des cadenas, en n’autorisant que la copie et les modifications sans but commercial derrière. Mais mettre des cadenas empêche la propagation, le partage du savoir et de la culture. C’est l’enthousiasme de Pouhiou qui m’a réellement convaincu de franchir le pas. Tous mes écrits sont donc maintenant dans le domaine public. Mon écriture, même si elle n’est pas parfaite et doit encore s’améliorer, est ce que j’ai de mieux à donner à ce monde.

Mes œuvres sont libres de vivre leur propre vie. Je dois dire que je suis curieux de voir le chemin qu’elles vont emprunter. Même si avoir fait ce choix me fait encore un peu peur. Mais je ne le regrette pas.

De l’addiction

Si on s’arrête à la première partie du récit, on pourrait croire que je suis devenu totalement anti cannabis. Eh bien non. En fait, je dois bien vous le dire, il m’arrive encore de fumer un pétard épisodiquement, même si ça devient de plus en plus rare au fil du temps. Je suis même d’ailleurs partisan de la légalisation du cannabis.

Le cannabis est une plante et peut être utilisée de bien des manières. Elle soigne des tas de maladies ou les soulage. Rassurez-vous, je ne vais pas vous faire tout un exposé sur l’herbe, ce n’est pas le but de mon récit. Le problème n’est donc pas la plante en soi, mais bien l’usage que l’on en fait. Fumer comme je l’ai fait, lorsque j’étais adolescent, était symptomatique de mon mal-être, et ne m’a aidé en rien, bien au contraire. En consommant de cette manière, on se voile la face. On dit que ça soulage la douleur, mais on ne fait que postposer ses problèmes qui continuent à s’accumuler.

Lorsqu’on dit que le cannabis ne crée aucune dépendance, là aussi je dois dire que mon avis est mitigé. Je pense que cela dépend de la psychologie de la personne qui en consomme. Dans mon cas, oui, j’ai eu des crises de manque. Pas comparable à quelqu’un dépendant d’héroïne ou d’autres drogues dures, mais plus comme la cigarette. Chaque fois que je consommais énormément pendant une grande période, la première semaine était infernale : le corps est habitué à recevoir une substance qu’il n’a plus. Et chaque fois, pendant une semaine, je ressentais des difficultés à dormir, j’étais extrêmement irritable, je me réveillais en sueur. Je ne suis pas le seul dans ce cas : plusieurs amis qui fumaient quotidiennement ont vécu le même phénomène.

Pour le psychologique, je dirais qu’il y a une légère dépendance. Bien sûr, je parle de mon cas personnel, et je pense que cela dépendra d’une personne à l’autre. Il m’arrive encore maintenant, même après plusieurs années, lorsque j’ai un coup dur, que je ne me sens pas très bien, d’avoir une envie énorme de fumer. Cette envie est telle que ça me cause une poussée d’anxiété et que j’ai du mal à penser à autre chose. Généralement, ça passe au bout de quelques heures.

Comme je le disais, il m’arrive encore de fumer de temps en temps. Mais mon rapport est tout autre. Je fume avec des copains, comme si j’allais boire un verre, et on passe un bon moment. Jamais je ne pourrais fumer comme avant, être dans les vapes en permanence. Je veux être au taquet, comme on dit, et ressentir les choses sans avoir l’esprit altéré. Et puis, il y a mon fils. J’ai envie de profiter un maximum des moments que je passe avec lui, en étant juste moi-même.

Cette partie est consacrée à l’addiction. Simplement, car le cannabis n’est pas la seule drogue que j’ai prise. Mais seulement, dans la tête des gens, lorsqu’on est sous médication, que ces médocs sont prescrits par un toubib, on ne fait pas l’amalgame.

J’ai donc clairement été toxicomane. Le Temesta est un calmant très puissant, faisant partie de la famille des benzodiazépines. Ces médicaments provoquent de graves dépendances. Il m’a fallu des années pour m’en défaire. Et on replonge très vite. En 2009, lorsque j’ai eu mon burn-out, mon médecin traitant m’a remis sous Temesta. J’ai tenu deux semaines : la première consultation, j’avais refusé de prendre l’ordonnance. J’avais trop peur de retomber dedans. Mais mes crises d’angoisse ne faisaient qu’empirer. Lorsque je retournai voir la toubib, elle insista pour que je reprenne ce médoc.

Il me fut impossible de m’en défaire. J’étais à nouveau à quatre ou cinq comprimés par jour. Ce n’est qu’une bonne année et demie plus tard que je réussis à arrêter totalement. Ma compagne et moi déménagions et changions de cadre de vie. Comme j’étais vanné par les efforts physiques du déménagement, j’en profitai pour m’en passer. Je n’en ai plus repris depuis, mais l’année suivante, suite à un très gros stress, je m’étais coincé le dos. Impossible de bouger correctement. À l’hosto, le médecin ne trouva rien de mieux que de me donner du Myolastan, un décontractant musculaire de la même famille de médicaments. J’étais vert. Je me suis alors tourné vers le seul décontractant que je connaissais qui ne m’avait pas autant rongé que ces merdes : le cannabis. C’est d’ailleurs les seules fois que j’en consomme plusieurs fois d’affilée : lorsque je suis si tendu que mes muscles sont tellement contractés qu’on dirait du béton armé.

Je n’ai plus touché un seul médoc depuis cette aventure, en 2011. Je cherche systématiquement des produits naturels aux bobos, rhumes et autres. Je ne suis même plus retourné chez un médecin traitant (bon, je n’en ai pas réellement eu besoin non plus, de toute manière).

Pourtant, je remarque beaucoup, sur les réseaux sociaux entre autre, que le cannabis a toujours mauvaise presse. Le bashing dont il a été l’objet pendant des décennies par les gouvernements et la presse, ont rendu la population méfiante envers une simple plante. À contrario, les campagnes de sensibilisation de toujours les mêmes acteurs avec les lobbys pharmaceutiques, rendent normales et acceptables les dépendances aux médicaments. À croire que, lorsque la télévision annonce quelque chose et le ressasse sans cesse, la population perd tout sens critique et ne cherche pas à se renseigner plus1.

Pour illustrer cet exemple, je voudrais parler d’une autre de mes expériences. Ma mère est une de mes confidentes, elle a toujours été là pour moi. Lorsque j’étais à Cardijn, je ne lui ai pas caché que j’avais recommencé à fumer. Elle a totalement paniqué. Elle avait peur que je refasse un méga plongeon dans l’enfer que j’avais vécu durant mon adolescence. J’ai tenté de la rassurer. Je lui expliquais que tout allait bien, qu’elle n’avait pas de mouron à se faire. Mes mots n’arrivaient cependant pas à l’apaiser. Mais durant cette période, on commençait à parler de changer la loi en Belgique, en faisant passer le cannabis comme « infraction mineure ». Cela provoquait un sentiment de panique chez bien des adultes. Un journaliste belge avait écrit un livre sur le sujet, le cannabis étant très populaire chez les jeunes. Je lui fis donc lire « le cannabis expliqué aux parents »2. Tout était bien expliqué en détails. Ma mère était déjà plus rassurée. Et lorsqu’elle vit que je ne faisais plus aucune connerie, elle comprit bien que le cannabis n’était qu’un symptôme et non une cause de mes problèmes.

Je terminerai juste ce petit paragraphe par un peu de moralisation (il risque d’en avoir encore un peu dans les prochains sujets) : gardez l’esprit critique. Avant de paniquer sur le cannabis, renseignez-vous, lisez. Contentez-vous de plusieurs points de vue, et regardez les études scientifiques sur cette problématique. Comme pour presque tout, vous vous rendrez compte que ce n’est pas une consommation normale qui pose problème, c’est juste l’abus. Vous aimez boire votre petit verre de vin de temps en temps, ça ne fait pas de vous un alcoolique pour autant, non ?

Pour les jeunes qui me liraient, je voudrais juste dire une chose : ne vous enfermez pas si vous vous sentez mal. Parlez (voir le chapitre qui traite de ce sujet). Mais ne vous réfugiez en aucun cas dans l’herbe ou autre chose si vous vous sentez mal. Parce que j’ai encore eu de la chance, j’aurais encore pu tourner plus mal. Parlez, et si vos vieux vous semblent ringards, incapables de comprendre, prenez quelqu’un avec qui vous avez plus de distance.

Greg et son paternel

Les relations avec mon père ont évolué, dans le bon sens, depuis toute cette histoire. Il en a fallu du temps.

Avec toutes ses exactions, ses dires et ses actes, mon mal-être ne s’arrangeait pas. Je ne vais détailler tout par ici, sinon je pense que je pourrais encore écrire des pages et des pages sur le sujet. Mais ça n’a vraiment pas été rose tous les jours. J’ai, sur le conseil de mon psy, et à raison, coupé les ponts avec lui pendant plusieurs années. Jusqu’en 2009, ma compagne ne l’avait d’ailleurs croisée que deux ou trois fois, et il ne venait pas à la maison.

Je pensais lui avoir pardonné, même si une certaine rancœur était encore présente. Je n’oubliais pas ce que j’avais subi, même si lui ne semble pas se souvenir de tout. Nos interactions se limitaient à un bonjour/au revoir lorsque je le croisais chez ma mère.

Notre relation a changé en 2009, avec ma dernière tentative de suicide. Il est venu me voir à l’hôpital, était présent lorsque je faisais mes affaires pour retourner vivre chez ma mère.

À partir de ce moment-là, j’ai laissé la porte ouverte. On a commencé à se reparler, à se revoir. Difficilement au début. Et souvent, lui attendait un geste de ma part, prétextant que c’était à moi à faire les pas. Je maintenais le contraire, disant que la balle était maintenant dans son camp. Pendant plusieurs années, même si cela allait mieux, notre relation n’avançait pas beaucoup.

Elle se reconstruit lentement. Les rapports vont mieux au fil du temps. Je pense que l’arrivée de mon fils a joué aussi. Mais je n’arrive pas à lui parler, à dire ce que je ressens au fond de moi, de dire combien tout ce qu’il a fait a pu me blesser. Cela reste bloqué, je n’arrive pas à sortir tout cela.

Il y avait quelque chose qui continuait à me blesser. Je ne cache pas mon rêve d’écrire, de peut-être pouvoir un jour en vivre. Jamais, je n’ai eu le moindre soutien de sa part. Une seule fois, j’ai eu un message sur mon blog me disant qu’il aimait bien mon histoire (celle du Père au Foyer). Mais jamais il ne m’a soutenu, encouragé. Certains membres de son côté de ma famille me dénigraient dans mon dos. Disaient que c’était scandaleux, que j’étais père, que je devais penser à autre chose. Bien sûr, sans s’intéresser une seule seconde à ce que je fais. Même lui, visiblement trouvait que ce que je faisais était insignifiant. Autant ma mère m’encourage, parle de moi, partage ce que je fais, teste des solutions pour supporter des artistes, lui et sa famille, c’est peau de néant.

Mais dernièrement, j’ai eu une bonne surprise. Mon père avait payé un voyage à New-York à mes sœurs, et il m’avait proposé de venir avec eux. Il était vrai qu’il m’avait promis ce voyage depuis mes dix-sept ou dix-huit ans. Seulement, aller aux USA, ne me tentait pas le moins du monde. Après ce voyage, il est venu à la maison, et me proposa de partir une semaine en Camargue. Je répondis à la rigolade que ce qui m’intéressait, c’était d’aller à Paris, à un festival nommé Geekopolis. Contre toute attente, il me proposa de m’y emmener.

Nous sommes donc allés à Paris. C’était pour moi l’occasion de lui montrer un peu mon univers, l’univers de ceux que l’on appelle les Geeks. Je pense que ça a dû faire un déclic chez mon papa. Il s’est rendu compte, par les diverses rencontres que l’on a faites, que ce que j’écrivais était apprécié. Au retour, il m’a même proposé de m’accompagner dans d’autres salons et festivals, me disant que c’était comme cela que je pourrais avancer.

Même si ce qu’il m’a dit m’a réellement fait plaisir sur le moment, j’ai du mal à y croire. Il m’a tellement fait de promesses qu’il n’a pas tenues que je suis réticent. Mais au moins, il a pu voir. Ressentir mon univers, se rendre compte que je ne parlais pas dans le vide sur Facebook. Pour le reste, on verra avec le temps. Mais je pense que maintenant, la hache de guerre est enterrée. Il faut juste qu’on réapprenne à se parler, qu’on sorte « nos tripes », même si j’appréhende le jour où on le fera.

S’écraser, se taire et mourir à petit feu

Justement, on va enchaîner sur le fait de parler. Quelques semaines après que je me sois remis à travailler sur ce projet, un artiste que j’admire beaucoup, Pouhiou, mit en ligne une vidéo sur sa chaîne Youtube appelée « Le silence tue »3. Sa vidéo m’a bouleversé. Parler de son vécu, comme il l’a fait, demande beaucoup de courage. Elle m’a donné des points de réflexion supplémentaires, qui je trouve se complètent bien avec celles que j’émettais en écrivant mon histoire, à force de repenser à mon vécu.

Je ne sais pas quand j’ai arrêté de parler. Je me rappelle des tas de coups durs, et je sais que quand j’étais petit je n’avais pas ma langue en poche, je ne me laissais pas faire. Je me rappelle avoir passé toute une récréation accroché à un porte-manteau. J’avais tenu tête aux grands. Alors, quand est-ce que ça a merdé ?

Est-ce que ce sont les brimades constantes, qu’elles soient à la maison, à l’école en primaire ? Je ne sais pas. Je ne sais plus. Pourtant, j’en suis bien conscient, parler est essentiel. Lorsqu’on tait nos sentiments, nos moments de colère et de révolte, une petite partie de nous s’éteint. On meurt à petit feu. Un manque se creuse en nous, des blessures se taillent et ne se renferment pas.

Parler. On peut dire que je parle de moi, mais généralement ce ne sont que des platitudes, des nouvelles. Je parle de ce qui se passe dans ma vie, de mes projets. Mais pas de ce que je ressens au fond de moi. Je n’y arrive pas. Est-ce que j’ai peur ? Certainement, le regard des autres, bien que je dise que je m’en fous, me touche. J’ai peur des réactions de mes interlocuteurs. Peur de les blesser, de les mettre en colère. Peur qu’on se moque de moi. Peur de revivre les sentiments d’humiliation de mon enfance.

On pourrait dire que je parle, en écrivant, et c’est vrai, en grande partie, écrire est un bon exutoire. Mais je pense que ce n’est pas suffisant. Il y a quelque chose qui reste en nous, qui ne sort pas. Écrire ne permet pas forcément que le message atteigne la bonne personne. Avoir son interlocuteur en face permet d’être sûr que le message passe, soit compris, et permet un dialogue.

Je vous l’ai dit dans le chapitre précédent, j’appréhende la discussion avec mon père. Pourtant, plus le temps passe, plus je me dis qu’il faudra bien qu’un jour il sache ce que je ressens réellement. Qu’il sache à quel point j’ai souffert. Ce n’est pas seulement pour mon père, mais pour toutes ces petites blessures qui nous arrive au quotidien. Les dénigrements constants parce que je n’ai pas de boulot, que je m’occupe mal de mon fils parce que je n’ai pas de salaire suffisant. Le fait de démolir ce que je fais, mes rêves, sans prendre même le temps de me connaître réellement, de comprendre ce qui m’anime et de s’intéresser à toutes les choses pour lesquelles je milite.

Pourtant, j’ai envie de crier. Leur dire d’arrêter de regarder le monde avec des œillères. D’arrêter de me dénigrer sans même porter un regard à ce que je fais. Que tous ces actes et paroles me blessent, mais lorsque ces personnes souffrent, ont des problèmes, je suis un des premiers chez qui on accourt pour avoir un conseil ou une oreille attentive. Que contrairement à eux, je ne répète pas leurs problèmes, je ne les dénigre pas, je ne me moque pas de leurs aspirations. Que malgré toute leur bassesse, ma porte est toujours ouverte.

Mais dire toutes ces choses, je n’y arrive pas. Je dois apprendre, réapprendre à parler. Parce que je sais que le dialogue est essentiel. Se taire, se fermer, n’apporte rien de bon. Cela ne fait à nouveau qu’augmenter notre rancœur.

C’est d’ailleurs pareil pour la vie de couple : lorsque ma compagne et moi nous sommes remis ensemble après mon burn-out en 2009, on s’était promis de ne plus laisser envenimer notre vie de couple par les non-dits. Ils avaient été omniprésents, et je pense en y réfléchissant bien, que mon couple précédent s’est terminé à cause de cela. J’ai trop tu ce que je ressentais, et si j’avais exprimé ce qui me faisait mal, me causait du souci, on aurait pu trouver des solutions. C’est marrant, hein, malgré qu’on en ait conscience l’histoire est un éternel recommencement.

Mais avec le temps, ma compagne et moi avons de nouveau commencé à ne plus dire nos ressentis. Et lorsqu’on les ressort, c’est un amas de ressentiments qui explosent au visage de l’autre. Au lieu de régler les problèmes directement, on les amasse au fond de soi, nous meurtrissant le cœur, tuant notre relation à petit feu. Pourtant, je l’aime plus que tout. Il faut réellement qu’on se reparle, avant que ces meurtrissures achèvent notre relation.

Le grand paradoxe du Greg : parler. Car aussi bizarre que cela paraisse, en y réfléchissant bien, j’ai beaucoup plus facile d’exprimer mes ressentis à quelqu’un qui n’est pas dans mon entourage proche. C’est peut-être la solution, pour sortir toutes ces pensées et blessures, comme j’imagine que certains voient un thérapeute dans cette optique. Mais évacuer de cette manière ne résoudra pas tout.

Je pense que je suis loin d’être le seul dans ce cas, bien au contraire. Notre société de consommation détruit les relations humaines, nous rendant bien seul, avec l’illusion par les réseaux sociaux et autres activités, d’être bien entouré. Mais dès qu’on sort du cadre, qu’on exprime des sentiments ou des idées qui dérangent, on se retrouve généralement face à un mur de silence ou de déni et de rejet. C’est à nous, humains, de recréer ce climat de confiance. Laisser la parole à tout le monde, sans émettre de jugement, de réapprendre à écouter et conseiller.

S’isoler mais en vouloir au monde

J’ai écouté beaucoup de gens qui étaient très mal dans leur peau. Que ce soit à l’hosto, où je vivais avec eux en permanence, mais aussi d’autres personnes de mon entourage proche ou un peu plus éloigné. Peut-être que mon vécu les encourage à se confier à moi plus facilement qu’à quelqu’un d’autre.

Une de mes premières constatations, que ce soit de mon propre vécu ou d’autres personnes, est que, lorsqu’on est mal, on a tendance à s’isoler.

On a l’impression que le monde ne comprend pas, ne veut pas comprendre. Dans un sens, on ne peut pas donner tort à cette affirmation : souvent, on reçoit des conseils à deux balles (si j’étais toi…), voire des accusations comme quoi on fait la comédie, ou simplement des remarques du genre : « ressaisis-toi ! », « ne te laisse pas à aller, c’est facile… » C’est vrai que l’on n’a pas forcément envie d’entendre ce genre de choses. Ensuite, le regard des autres nous pèse également, que ce soit par du mépris, de la pitié, de la condescendance… c’est le genre d’actes ou paroles dont on n’a pas vraiment besoin, et qui au contraire renforce ce sentiment d’isolement.

Alors on s’enferme, on s’isole encore plus. C’est pourtant la dernière chose à faire dans ces cas-là. On ne veut plus sortir de chez soi, principalement à cause de ces paroles ou regards.

On vient à en vouloir au monde entier. Parce que personne ne semble comprendre (j’insiste sur semble), on continue à se refermer sur soi-même et son mal-être. C’est un putain de cercle vicieux.

Au bout d’un certain temps, j’ai compris une chose. On peut recevoir tous les meilleurs conseils du monde, ils ne marcheront pas. Il est pourtant cependant important d’être entouré, mais pas pour recevoir des conseils qui de toute façon rentreront d’une oreille et ressortiront par l’autre. Si vous avez dans votre entourage quelqu’un qui est vraiment mal, soyez-là pour lui. Soyez une oreille attentive et non qui prodigue des conseils. Écoutez, montrez que vous comprenez ou que vous faites tout ce que vous pouvez pour comprendre.

Essayez de voir le point de vue de la personne en souffrance. Parce qu’en réalité, pour s’en sortir, la solution ne peut venir que d’une personne : soi-même. Tant qu’un certain déclic ne se fera pas à l’intérieur de soi, on restera dans ce gouffre, dans cette spirale. Il y a aussi une autre chose à savoir : la « guérison » ne se fera pas en un claquement de doigt. Cela prend du temps, c’est un énorme travail à faire sur soi. Il m’a fallu des années. Même encore maintenant, et j’imagine que vous le comprenez également en lisant ces lignes, certaines blessures sont encore trop fragiles et nécessitent un travail ou une acceptation.

L’attaque du tigre

« Mais qu’as-tu donc à tes bras ? Qu’est-ce qui s’est passé pour que tu aies de telles marques ?

— Tu sais, il y a bien longtemps, lorsque j’étais un grand baroudeur-aventurier, je me suis fait attaquer par un tigre ! »

Cette réponse, à force d’être questionné par l’état de mes bras, est devenue machinale. Elle est automatique, et même sans y penser, je la ressors, Comment expliquer, à un jeune enfant, que durant bien des années, j’ai ressenti une immense souffrance au fond de moi, une douleur si horrible, que, la seule échappatoire qui nous semble possible, est de se faire mal pour tenter d’oublier la première ? Que, plusieurs fois, ce gouffre de douleur, l’absence de lueur au bout du tunnel, fait que la seule solution possible semble être de terminer son existence sur cette planète ?

Bien des années après, j’ai encore énormément de mal de parler de ces expériences. Ici aussi, j’ai du mal à coucher tous ces sentiments. Même face à des adultes, quelqu’un qui a tenté de mettre fin à ses jours se heurte à un mur d’incompréhension et de colère. Je me suis fait traiter de lâche, de faible, et j’en passe. Mais je ne les blâme pas. J’ai compris leur douleur et leur colère.

Avec le suicide d’Aurélia, j’ai moi aussi été confronté à cette douleur, à cette colère et ce sentiment d’impuissance. Je m’en suis même voulu. Mais je ne l’ai pas blâmée pour son geste. Parce que je sais qu’à un moment, ce désespoir peut être si profond que le monde autour de nous n’existe plus. Que même le meilleur ami le plus fidèle n’arrivera pas à soulager et porter un peu de cette douleur.

Je ne sais pas comment expliquer ces expériences à des jeunes enfants. Trouver les bons mots, et, tout en expliquant ce qui est arrivé, pouvoir les rassurer. Le suicide, et les tentatives de suicide, provoquent une douleur telle à son entourage, que rien que le fait d’en parler cause tristesse et colère. Mais je n’ai pas honte des marques sur mon bras, et je ne les cache pas. C’est une partie de moi, une partie de mon vécu. Et même si ce furent des moments pénibles, cela m’a aidé à me forger. J’ai rencontré des gens extraordinaires, j’ai pu partager une part de souffrance avec d’autres personnes ressentant des douleurs similaires. Je me suis rendu compte que l’être humain qui nous semble le plus froid peut dégager une intense chaleur humaine, qu’il possède cette chose magique en lui, qu’il peut montrer, contre toute attente, compassion et bonté. J’ai pu me rendre compte que la vie est un bien nettement plus précieux que ce que l’on pourrait penser, et cela m’a conforté dans une bonne partie de ma vision du monde : ce qui compte le plus, ce n’est pas la carrière, le salaire… C’est le bonheur que nous partageons avec nos proches, nos amis et ce que nous réalisons pour rendre ce monde meilleur.

Apprendre à pardonner et à demander pardon

Apprendre à pardonner. Quoi qu’on dise, ce n’est pas aussi facile qu’on le pense. Pourtant, c’est extrêmement important. Si on garde tout cela en nous, on se met à vivre avec une rancœur qui nous ronge de l’intérieur. Et on ressasse, on repense à ces actes, ces événements qui nous ont démoli à un moment donné. De telles pensées ne nous apportent rien de bon, elles ne font qu’accentuer notre ressentiment.

Il m’a fallu énormément de temps pour pardonner. Je pense même que le plus important n’est pas de dire je te pardonne, mais bien de ressentir ce sentiment au fond de soi.

J’ai pardonné en 2003. J’ai beaucoup réfléchi pendant cette période, lorsque je me suis retrouvé seul quelques mois. J’ai enlevé toute cette rancœur, cette colère envers les personnes qui m’avaient fait souffrir. Pour certains, j’ai viré ce sentiment de vengeance qui était tenace, qui me bouffait de l’intérieur (Par exemple, pour la personne qui avait fait de fausses déclarations à la gendarmerie).

J’ai écrit des lettres à la plupart des personnes à qui j’ai demandé pardon. J’expliquais que je m’étais rendu compte à quel point j’avais pu leur faire mal par mes actes. Je me rappelle ne pas les avoir toutes envoyées. Je ne sais plus qui les a reçues ou non, certaines lettres, j’avais simplement postposé leur envoi, et avec le temps je les ai égarées. Je me rappelle juste que Daphnée m’avait répondu. Que cette lettre lui avait fait beaucoup de bien. Aurélia, quant à elle, l’a reçu par internet lorsqu’on a repris timidement contact.

Enlever tout ce poids, toute cette rancœur m’a fait énormément de bien. Je pense que c’est un processus essentiel pour progresser dans la vie. Comme je le dis dans plusieurs points de ce chapitre, tous ces sentiments néfastes que l’on garde enfouis bien profondément en soi nous rongent de l’intérieur. Tous ces coups durs subis, même si on ne le remarque pas au premier regard, lorsqu’on est dans la mouise, nous grandissent. Ils nous aident à nous forger, à nous faire réfléchir sur la vie. Il faut juste s’en rendre compte, ce qui n’est pas forcément facile. Je dis donc merci à toutes ces personnes, même quand leurs actes étaient de la méchanceté gratuite. Parce qu’ils ont aidé à me fortifier, à me conforter dans mes idées.

Vivre avec des regrets

Je me suis régulièrement demandé comment serait ma vie si j’avais eu mon diplôme de secondaire, si j’avais lutté différemment contre ma dépression et mes angoisses. Si j’avais pris un autre chemin, terminé mes études d’AS. De me dire que la vie aurait été plus facile si je n’avais pas baissé les bras à un tel moment de la vie.

On peut vite en arriver à vivre avec des regrets. Les regrets, c’est comme cette colère, ces ressentiments qu’on enfouit au fond de soi. Ils nous bousillent de l’intérieur. Je tente de les chasser le plus possible.

Lorsque je bossais, j’étais relativement fier de mon vécu. Qu’après avoir été si bas dans ma vie, j’ai pu remonter la pente tout seul, d’être arrivé comme technicien informatique sans avoir le moindre diplôme. D’être arrivé là par moi-même, sans piston.


Mon état d’esprit a changé depuis. Depuis, je pense que je n’étais qu’un ado comme un autre, certes plus sensible, qui a peut-être fait des mauvais choix dans sa vie. Quand j’ai quitté mon emploi, je me suis dit que dès que je sortirais de mon burn-out, que je serais reposé, je retrouverais vite un job. J’ai vite déchanté. Lorsque j’ai une réponse, généralement, on me pointe mon absence de diplôme. Dans ces grands moments de découragement, j’en viens à regretter de ne pas avoir terminé mes études. Et si je ne chasse pas ces pensées, des idées noires, plus malsaines arrivent vite à prendre le dessus. C’est pourquoi je chasse toutes ces idées dès qu’elles ont tendance à vouloir prendre le dessus.

Je reste convaincu qu’un diplôme ne fait pas un homme. Mais notre société ne pense pas comme moi. On juge la capacité d’un homme sur un bout de papier, et non sur sa volonté, son vécu, et ce pour quoi il se bat. Pour moi, c’est pourtant cela le plus important. Ce n’est pas un job, une fonction, un salaire qui définit une personne. C’est ce qui le fait vibrer, ce qu’il sème autour de lui.

Je n’ai pas à rougir de mon parcours. Il est différent de beaucoup de monde, certes. Mais dans un sens, c’est ce qui rend notre monde si riche. Des tas de vécus, d’expériences différentes. Avec mon histoire, je peux apporter mon point de vue à d’autres, des choses qu’on n’apprend pas sur les bancs de l’école ou de l’université. Et si j’arrive à faire réfléchir quelqu’un sur un sujet donné, c’est déjà ça de gagné. Tout comme un universitaire, par son savoir peut m’apporter des précisions, sur un sujet que je connais moins bien.

Ne pas regretter. Apprendre de son vécu et de son passé. Éviter de commettre les mêmes erreurs. Car après tout, la vie n’est qu’un moment d’apprentissage.

Ne pas oublier qui on est, d’où on vient et vivre ses rêves

Plusieurs personnes m’ont dit que j’étais cinglé de publier cette histoire, surtout que je suis en pleine recherche d’emploi. Ma compagne, qui d’habitude me soutient, m’a annoncé qu’elle ne partagerait pas mes morceaux d’histoire pour éviter qu’elle n’arrive chez un recruteur potentiel.

C’est peut-être cela le gros problème de notre société, dans le tout numérique. Nous ne pouvons plus être nous-même, dans une société où le paraître est devenu le maître-mot. Nous devons correspondre à une certaine image imposée par une société devenue superficielle. Lors de séances de coaching pour de la recherche d’emploi, on nous apprend à nous vendre, à donner cette image recherchée. On nous conseille de cacher nos aspirations, nos moments de vie, pour éviter de refroidir l’employeur. Apprendre à se vendre, comme si un être humain n’était devenu qu’une simple marchandise, un bien que l’on peut jeter, remplacer à souhait.

Peut-être que je me ferme des portes, que cette histoire, peut refroidir un futur employeur. Mais j’ai simplement décidé de rester moi-même, de ne pas paraître. Dans cette société ou la superficialité est devenue la norme, nous oublions qui nous sommes, qui nous étions enfants ou adolescents pour correspondre à un moule. On a mis nos rêves de côté pour pouvoir simplement vivre. Maintenant, étant adultes, nous perdons notre vie à la gagner4.

Je n’ai pas oublié l’adolescent qui était en moi. Ce petit gars rêveur, qui aspirait au bonheur, à une société meilleure. Pourtant, pendant des années, je l’ai enfermé à double tour au plus profond de mon cœur, pour être comme les autres, pour être conforme à ce que la société attendait de moi. Et en 2009, il a tambouriné si fort que je m’en suis senti mal. Je me suis rendu compte que ce que je faisais n’était pas la vie à laquelle j’aspirais. Que j’avais perdu mon temps, que j’avais mis mes rêves de côté. Il m’a fallu cependant attendre encore un bon bout de temps avant que j’accepte que cette partie de moi vienne me ré-habiter.

Durant quatre ans, je me suis à nouveau cherché. Je savais ce que je ne voulais plus : un travail qui ne sert à rien. Il m’a fallu quatre ans pour que ce rêve revienne me hanter : écrire. Je réalise dès à présent mon rêve. Pas comme je l’entendais étant ado, je ne suis pas un écrivain renommé et je n’enseigne pas les lettres à l’université, mais j’écris. Je partage ce que je fais. Certes, ce n’est pas facile tous les jours. Je cherche un job en même temps, car je ne veux pas que mon fils manque de quoi que ce soit. Je ne veux pas être une copie de mon père qui a mis à un moment donné le confort de ses enfants de côté pour réaliser son rêve de business en Afrique. Mais je continue de rêver. De rêver que cette société puisse changer, qu’elle redevienne plus humaine. Je me bats pour cela. Parce que je veux laisser un monde meilleur à mes enfants. Pour qu’eux aussi, puissent réaliser leurs désirs et leurs rêves les plus fous.

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