La Poupée du peuple

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Tout le monde, que qu'il fut, aurait aisément pu décrire la Poupée de peuple. Son visage, aux traits qui semblaient sculptés dans la pierre la plus pure, s'affichait sur les écrans publicitaires des quatre coins du globe. Généralement, ces gigantesques panneaux s'accompagnaient d'un logo de marque de luxe qui renforçait le charisme naturel de la jeune fille. On disait partout qu'elle appartenait au peuple. De ce fait, on s'autorisait à la dévisager de haut en bas, comme on évalue une marchandise, cherchant en vain le moindre défaut dans sa silhouette.

Sous la lumière aveuglante des projecteurs braqués sur sa personne, son crâne chauve brillait d'un éclat surnaturel. Tandis qu'elle parcourait de long en large les podiums bordés de spectateurs, le visage de la jeune fille n'avait jamais exprimé rien d'autre qu'une moue impassible et neutre. Cette absence de sourire, ou d'expression faciale, lui avait value bien des critiques. On la désignait initialement comme hautaine, mais la presse, après moult débats, en avait finalement conclu à un impressionant professionnalisme.

Ses jambes élancées, musclées comme celles des danseuses, lui donnaient une démarche fluide qui restait propre au métier. Une maigreur tendait son corps à l'extrême et, bien que quelques médécins s'inquiétaient pour sa santé, elle ne pouvait s'abstenir de gagner sa vie : le public la réclamait, l'ovationait lorsqu'elle se mouvait d'un pas. Elle avait plus de succès que les marques pour lesquelles elle défilait.

D'où venait-elle ? Tous l'ignorait. Elle-même aurait rapidement pu l'oublier sous toute cette pression s'il n'y avait eu sa blessure pour le lui rappeler. Celle-ci marquait son dos d'une ligne boursouflée qui traversait, en diagonale, sa colonne vertébrale. Cette cicatrice obligeait sans cesse les marques à adapter leurs collections.

La Poupée du peuple ne donnait aucune interview, portait en horreur les réseaux sociaux. Chaque semaine qui passait, elle refusait des avances, piétinant peu à peu son cœur enclavé par des années de privation amoureuse. Les photographes, hyènes affamées, dirigeaient sa vie de mannequin internationale, orchestrant chacun de ses mouvements, tout en n'étant jamais rassasiés.

Mais, dans l'intimité de son appartement, lorsqu'aucun regard n'était posé sur elle - cela sous-entendait de fermer portes et fenêtres, de tirer les rideaux et de boucher les serrures - la Poupée du peuple redevenait une jeune fille ordinaire. Elle rajeunissait même de quelques années quand un sourire s'épanouissait sur ses lèvres, et alors, la vie lui restituait, durant un instant seulement, l'adolescence qu'elle aurait dû vivre mais qu'on lui avait dérobée.

Elle n'était, ni froide, ni hautaine. Seulement, le monde lui avait volé sa vie privée et sa passion pour les étaler aux yeux de tous ; et contre cela, elle ne pouvait rien.

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