essai de théorisation

4 minutes de lecture

Vers une théorie du développement de la pensée


En m'appuyant sur les thèses de Freud quant au développement de la sexualité, empruntées au développement embryologique de l'encéphale, j'ai imaginé une théorie du développement de la pensée humaine. Dans notre langage professionnel nous employons souvent, pour désigner une structuration incomplète de la personnalité, la formule suivante : « cet enfant n'a pas atteint la triangulation » qui se fonde sur la théorie psycho-dynamique du développement sexuel en trois stades originels, le stade oral et les processus primaires, le stade anal et les processus secondaires, le stade phallique et la triangulation œdipienne. Pour S. Freud chaque stade, de même que lors de la formation embryonnaire de l’encéphale, conserve ses propriétés physiologiques qui ne sont pas éliminées par le stade supérieur mais seulement inhibées. Lorsque le sujet a atteint sa complète maturité, il garde toujours des traces des étapes précédentes qui peuvent redevenir dominantes lorsqu'il y a régression ou fixation à un stade antérieur du développement. Cela pourrait s'appliquer également à la pensée. Ainsi il y aurait, en parallèle au développement de la sexualité, tout d'abord le stade de la pensée primaire ou unique associé au stade oral, puis celui de la pensée binaire associé au stade anal et enfin celui de la pensée ternaire associé à la triangulation œdipienne. Si l'on considère le fonctionnement d'une Société comme celui « d'une psychologie projetée sur le monde extérieur » (S. Freud), ou autrement dit comme la projection de la psychologie des hommes de pouvoir qui installent l'idéologie dominante au sein de leur Société, nous pouvons appréhender l'évolution de la pensée humaine sous un angle sociologique, voire anthropologique. Selon cette logique, l'humanité à ses origines n'aurait eu à sa disposition que la pensée primaire, tant le besoin d'assurer sa survie était primordial et seule une pensée autoritaire, impérialiste, incontestable, pouvait assurer la cohésion du groupe. Ensuite, avec le développement de la spiritualité, des religions monothéistes, la pensée binaire s'est imposée sur le plan socio-politique et économique en se fondant sur la dualité du manichéisme, tandis que la pensée ternaire commençait à se développer chez les philosophes et auteurs littéraires, dont certains comme Socrate y ont laissé leur vie alors que d'autres comme Épicure et Spinoza s'en sont plutôt mieux sortis.


On peut formuler l'hypothèse selon laquelle les trois religions monothéistes ont permis aux hommes d'installer en quelque sorte une dictature de la pensée binaire, dictature dont les effets dévastateurs se constatent encore malheureusement de nos jours. Elles reposent le plus souvent en effet sur le registre manichéen avec les dualités bien-mal, croyant-impie, ange-démon... encore que dans le catholicisme il existe bien une triade, la Sainte Trinité, mais qui demeure pour les docteurs de l’Église un mystère absolu, on y trouve aussi une médiation entre l'impureté et la pureté sous la forme du sacrement de pénitence.


Pourtant, au début du XXème siècle un espoir est né de voir la pensée ternaire se positionner de manière non négligeable au sein de l'idéologie dominante, notamment grâce à la propagation des thèses psychanalytiques, sociologiques, philosophiques, non entachées de sectarisme. On a vu ces thèses se répandre au-delà de la discipline médicale, des cercles intellectuels, et toucher les populations. Espoir vite anéanti par l'essor de l'informatique, de la cybernétique. Les médias, s'appuyant sur les avancées technologiques prodigieuses et rapides en ce qui concerne les moyens d'information et de communication, ont largement répandu l'idée, quasiment une certitude à l'heure actuelle, selon laquelle le fonctionnement du cerveau humain serait parfaitement comparable à celui d'un ordinateur, que la circulation de l'influx nerveux dans nos neurones se déroulerait de la même façon que celle des courants électromagnétiques dans un ordinateur. Au point que nombre de nos concitoyens en viennent à craindre que la machinerie électronique n'aliène et ne domine un jour le cerveau humain. Pour ma part, je suppose que c'est l'Homme qui, de manière plus ou moins consciente, généralise à tous les secteurs de sa pensée le raisonnement fondé sur la base mathématique 2, binaire par excellence, qui régit l'informatique. Que l'intelligence humaine dans la plupart de ses fonctions est colonisée par la pensée binaire, au vu des réussites technologiques issues de l'informatique. Alors, il n'est guère surprenant de voir à notre époque se développer des conflits sans merci et sans médiation possible, entre l'amour et la haine, le bien et le mal, la tendresse et la cruauté, la religion et la laïcité, la tolérance et la rigidité, la modération et l'intégrisme, l'humanisme et le cynisme, l'altruisme et l’égoïsme... de voir tant de fonctionnements de type sadique-anal s'imposer dans le domaine sociologique. Le comble serait qu'il faille attendre l'avènement de ce nouvel Homme, fait de chairs et de puces électroniques, que le post-humanisme appelle de ses vœux, pour accéder à la triangulation, au stade ternaire du développement de la pensée. Nous qui « manifestons une remarquable capacité à construire des structures symboliques et à installer les institutions capables de les mettre en application » ( Bruner), serions incapables de réaliser nos ambitions humanistes et pacifiques ?

Annotations

Vous aimez lire Jean-Paul Issemick ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0