Chapitre 3

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— Merci pour le miroir, dis-je alors.

— Un miroir brisé porte malheur, me répond Réyiel sans me regarder, tu en as déjà assez comme ça.

— Tu espères conjurer le sort ? ironisé-je.

L'ange se retourne, le visage inexpressif. Je sens qu'il essaie de pénétrer mon esprit mais je l'en empêche, le plus longtemps possible.

— Zone privée, le préviens-je.

Sur ces mots, je m'éloigne de lui. Toujours concentrée pour le maintenir loin de ma conscience. Je regarde l'heure sur mon horloge dans la cuisine. Il est bientôt minuit. Le temps est passé vite durant cette dispute.

— Tu veux boire quelque chose ? proposé-je à Réyiel qui a désormais cessé de vouloir pénétrer mon esprit.

Il vient dans la cuisine avant de dire :

— Les anges n'ont pas besoin de boire.

— Les succubes non plus, parfois on peut boire par plaisir, l'informé-je.

Sur ces mots, je saisis une bouteille de Whisky et deux verres. Je remplis les deux et en tends un à Réyiel.

— L'alcool n'a pas d'effet non plus sur un ange.

— Sur un succube non plus, rétorqué-je, profite juste de la saveur du Whisky. Et si tu continue à me pourrir l'ambiance je te fous à la porte.

Réyiel rigole en saisissant le verre que je lui tends. Suite à quoi, je récupère mon verre et la bouteille pour rejoindre le salon. Je m'assois sur le canapé et allume la télé. Je reste sur la chaîne d'infos avant que Réyiel ne viennent s'asseoir lui aussi. Je remonte mes jambes sur le canapé et boit une gorgée sous l'oeil attentif de Réyiel.

— Je dois t'apprendre à boire ou ça ira ? ironisé-je.

Réyiel pose son verre sur la table, près des deux armes et commence à me fixer à nouveau.

— Continue de me regarder comme ça et je prends le risque de saisir cette lame pour te la planter profondément, le menacé-je.

— Tu mourrais avant, rétorque-t-il.

— Au moins je ne subirais plus ton regard.

Réyiel détourne enfin son regard pour le plonger dans la télévision. Ils nous montrent des images d'une ville en proie à une altercation entre des policiers et des jeunes délinquants aux Etats-Unis. Des coups de feu sont tirés et du sang coule à flots. Je sens Réyiel soupirer avant de dire :

— Regarde-les. Notre père leur a offert un monde magnifique et les Hommes n'ont rien trouvés de mieux à faire que de créer des armes pour s'entre-tuer. On leur a offert une terre rien qu'à eux, et ils passent leur temps à la détruire. Les Hommes ne méritent pas ce qu'on leur offre.

J'avoue que sur ce point, il n'a pas totalement tort. Même si je ne suis pas entièrement d'accord non plus.

— Les Hommes font ce qu'ils peuvent. Ils ont peur.

— La peur ne justifie pas les horreurs qu'ils commettent . Et ils osent dire se battre au nom de Dieu. Jamais Dieu ne voudrait qu'ils se détruisent.

— C'est pourtant ce que le Paradis a fait, remarqué-je, vous avez fait la guerre pour avoir la paix.

— Lucifer était un danger pour tous, justifie l'ange, pour les Hommes aussi.

— Les Hommes font pareil. Ils veulent se protéger du mal. Mais ils n'ont juste pas les mêmes connaissances que nous.

— On croirait entendre Elemiah, à prendre la défense des Hommes.

— Elemiah n'a pas tort sur tous les points. Elle a même souvent raison.

— Elle a trahi le Paradis !

— Prendre son indépendance c'est trahir ? rigolé-je.

Cela ne semble pas faire rire Réyiel. Je finis mon verre avant de m'en resservir un autre. Je coupe finalement la télé ne voyant rien d'intéressant. L'ange semble encore perdu dans ses pensées.

— Je suppose que les anges ne dorment pas ?

— On en a pas besoin, m'explique-t-il, donc on pourrait mais ce serait perdre du temps.

— Et rester ici avec moi ce n'est pas une perte de temps ? rigolé-je.

— Je dois rester ici, déclare-t-il.

Je reste bloquée sur ces mots. "Je dois rester ici". Qu'est ce qui l'oblige à rester ? La réponse me vient comme une évidence. Balam. Je soupire en comprenant que le démon a décidé que cet ange pourrait assurer ma protection mieux que moi-même. Je me suffit à moi-même question de protection. Un ange ne m'apportera rien de bon ici. Même si je me doute que je n'ai pas le choix.

— Alors, tu peux me parler des Winker ou Balam te l'a interdit ?

Réyiel me regarde alors, comme un mystère.

— Je sais que c'est Balam qui t'a demandé de me surveiller, expliqué-je.

— C'est Elemiah, corrige-t-il.

— J'avais une chance sur deux.

Je soupire et me relève pour aller ouvrir la fenêtre. Je commence à croire que ce n'est pas moi qui meurt de chaud mais que la chaleur augmente réellement et très vite. Je pourrai demander à Réyiel, mais je m'attend à une réponse du genre "les anges ne ressentent pas la température". Foutus emplumés.

— Alors les Winker ? insisté-je en m'asseyant sur la rambarde de mon balcon.

Je me mets à jouer avec une mèche de cheveux en regardant la nuit sur la ville. Les rues sont calmes à cette heure-ci et pourtant. Tant de créatures se réveille pour aller se nourrir. Et tant d'humains partent à la recherche de plaisir qu'ils ne trouvent pas dans leurs vies fades et intéressantes. Pourtant, même si j'ai les hommes en horreur, je ne peux m'empêcher de les admirer. Ils ont toujours gardé la foi bien que Dieu se fiche d'eux aujourd'hui. Et même si je voulais qu'ils disparaissent, j'ai besoin d'eux pour me nourrir. Comme des tas de créatures de la nuit.

Réyiel sort sur le balcon, lui aussi et regarde le ciel. S'il avait été humain, je me serai volontiers nourrie de lui tout en regrettant aussi de lui voler de la vie. Mais ce n'est pas un homme, c'est un ange.

— Les Winker sont une longue lignée de chasseurs, m'explique alors Réyiel, ils étaient très bons et avaient beaucoup de compétences. Et, quand ils travaillaient encore pour le Paradis, tout le monde les respectaient. Ils se battaient pour faire le bien.

— Je suppose qu'il y a un "mais", rigolé-je.

— Ils ont abandonné le Paradis. Ils ont trahis Dieu.

— En prenant leur indépendance, je suppose.

— Ils ont tués un ange. Un ange venu leur donner un ordre.

Je n'ai pas de réponse correcte. Tuer un ange est un des pires crimes, je le sais. Tuez un démon et vous serez félicités. Mais tuez un ange et vous serez maudits. Cette règle est aussi simple. Et c'est cette même règle qui interdit une créature de se nourrir d'un ange...

— Depuis, ils ont virés de voie. Ils se sont mis à aider les créatures qu'ils devaient tuer, sous prétexte que ces créatures n'avaient pas fait de mal.

— Pourquoi le Paradis ne les a pas tué ? m'étonné-je.

— Les Winker avaient beaucoup d'armes. Ils étaient forts. Cela faisait des siècles déjà qu'ils chassaient. Et puis, ils avaient des protections très puissantes. Le Paradis ne savait pas où ils se cachaient.

— Ils ont aidés Balam ?

Réyiel ne répond pas. Je sais que Balam ne veut pas parler du passé. Mais cette famille, elle, n'est apparemment plus du passé. Mon regard se pose sur un groupe de personnes qui marchent dans la rue. Ils semblent heureux et insouciants du danger. Si je pouvais encore ne pas connaître le risque de cette vie, je serais peut-être comme eux. Mais le monde est dangereux. Les humains sont la nourritures des créatures. Les créatures sont tués par des chasseurs. Il en a toujours été ainsi. Tout comme la guerre entre les anges et les démons. Dieu en a décidé ainsi. Le bien contre le mal. Les ténèbres contre la lumière.

— Balam était recherché par l'Enfer et le Paradis, reprend Réyiel, il était seul. Les seuls à l'avoir protégé sont les Winker. Et Elemiah.

— Vous avez parlé d'une guerre qui a failli exploser. C'est-à-dire ?

— Les autres chasseurs n'ont pas aimé que les Winker changent de routes. Le Paradis leur en voulait de la mort de l'ange et l'Enfer souhaitait les punir d'avoir protégé un traître. Le monde était contre eux.

— Comment sont-ils morts ?

— On ne l'a jamais su . Balam est réapparu un jour en disant que les Winker étaient morts.

Tout cela a dû se passer il y a longtemps. Je n'en ai aucun souvenir. Les premiers moments de vies que j'ai encore en mémoire, ce sont mes premiers moments en tant que succube. Et Balam était déjà là. Il a dit être quelqu'un qui voulait mon bien, et je l'ai écouté. Il m'a appris à me cacher, à me battre. Il a toujours tout fait pour s'assurer que je vive. Et j'ai toujours tout fait pour ne pas le décevoir.

— Tu sais où est l'avantage que ce soit Balam qui m'ait éduqué ? demandé-je en souriant.

— Vous étiez tous les deux damnés.

Je rigole doucement en lâchant ma mèche de cheveux. Mon regard se perd dans le ciel étoilé.

— Non, l'avantage c'est qu'il connaissait le monde. J'ai toujours su à quoi m'attendre, quels étaient les dangers. Et surtout, il est le démon des ruses. Il était malin. Il avait toujours un coup d'avance sur tout le monde. Et il me l'a enseigné.

— Tu penses donc qu'être éduqué par un démon est bien ? Sais-tu au moins ce qu'est un démon ?

— J'ignore la vraie nature des démons, oui. Et je ne dis pas qu'être éduqué par un démon est une bonne chose. Je dis que Balam était un bon mentor. Mais il était aussi un père incroyable.

Réyiel ne répond rien à cela. Moi, je ressaisis ma mèche de cheveux pour en faire une tresse. Mon regard dévie du ciel vers l'ange. Un humain ne verrait qu'un homme attirant. Moi je vois une force incroyable. Une énergie dont on veut encore et encore. Est-ce cela que les Hommes ressentent face à moi ? L'impression de ne jamais avoir assez ? Une faim éternelle de ce que l'on a goûté une fois ? Ou est-ce juste parce que c'est un ange ?

— Elemiah était supérieur à toi au Paradis, je me trompe ?

Réyiel rigole doucement en s'appuyant sur la rambarde.

— Elle était plus que ma supérieur. Je combattais pour elle. Elle donnait un ordre et j'obéissais.

C'était elle qui nous disait que faire sur le champ de bataille. Et elle qui s'assurait de ramener plus d'anges en vie que mort.

— Elemiah était comme ta mère, deviné-je.

Réyiel me dévisage, perplexe.

— Elle était mon général.

— Balam est le mien.

Le silence de la nuit prend place. J'entends au loin le hululement d'une chouette. Puis le son d'un moteur de voiture. Des gens qui crient. Une nuit comme les autres et pourtant, elle est si différente

— C'est toutes les nuits comme ça ici ?

— Oui, répondé-je.

— C'est apaisant.

— Je croyais que les œuvres humaines étaient affreuses et une insulte envers Dieu, rigolé-je.

— Elles ne le sont peut-être pas toutes.

— Réyiel, fais attention, tu risques de prendre goût à la vie humaine, me moqué-je, d'ici peu tu deviendras un traître toi aussi.

— Je n'irai pas jusque là.

— Dommage, soupiré-je.

— Au revoir Lila.

Sur ces mots, Réyiel disparaît soudainement. Je murmure faiblement "Au revoir Réyiel" dans le vide. Il est déjà parti. Où ? Je l'ignore. Mais il n'est plus là. Son énergie a disparue. Je quitte silencieusement le balcon pour rentrer de nouveau dans mon appartement. J'ai toujours aussi chaud. Je me rends alors compte que Réyiel a laissé le fourreau et la dague des Winker sur ma table de salon. Je me rapproche de cette lame. Je sais que je ne peux pas y toucher, au risque de mourir, pourtant, elle m'attire tellement. J'ai l'impression qu'elle m'appelle, qu'elle me demande de la prendre en main. J'ai l'impression que ce manche a été créé spécialement pour ma main. Mais très vite, une nouvelle énergie se fait sentir dans mon appartement. Je souris et, sans me tourner vers le visiteur, prononce alors :

— Bon retour Balam...

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