Chapitre 1

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Mes yeux scrutent avec intérêt la pièce surchargée de corps se déhanchant. Des hommes et des femmes, jeunes et pleins de vies qui viennent ici à la recherche de quelque chose qui puisse combler un vide en eux. Mais je me fiche du manque qu'ils ressentent. Ce qui m'intéresse, c'est qu'ils soient jeunes et remplis d'énergie vitale. Une énergie dont j'ai besoin. Une énergie dont je me nourris.

Appuyée sur le bar, un verre à la main, j'observe tranquillement les humains transpirants danser entre eux. Mon esprit divague sur diverses pensées, tandis que mon regard tombe sur une jeune femme, soutenue par une autre. Je ne le remarque pas immédiatement, mais la femme sur laquelle je m'attarde est en pleurs. Parfait pour moi ! Un humain en peine est plus faible que les autres, donc plus atteignable. Il me faudra moins d'effort pour pouvoir lui voler de l'énergie.

Brune aux cheveux courts, ses yeux jaunes m'intriguent un moment avant que je ne comprenne qu'elle porte des lentilles. Enfin, la musique change et la voix pleine de trémolos de Vitaa cesse. Je n'en pouvais plus de ses jérémiades incessantes. Ce genre de musique a le don de m'insupporter. La vie n'est pas toujours belle, mais se plaindre de cette dernière ne changera rien. Maintenant, je peine à reconnaître mais il s'agit de Justin Bieber. Finalement, Vitaa c'était pas si mal...

Je me reconcentre sur la jeune brune. Elle est restée assise à la même place alors que son amie vient vers moi, ou plutôt vers le bar. J'en profite pour pénétrer son esprit, à la recherches de son fantasme...

Je comprends alors pourquoi elle pleure. Rupture. Avec sa petite-amie.

S'il y a bien une chose plus éphémère que la vie, c'est l'amour. L'avantage avec ma race, c'est que l'on ne craint ni l'un, ni l'autre. Seule le sexe nous intéresse. Et ça, bien que ce soit tout aussi temporaire, on finit rarement en pleures à la fin. Sauf si tu as passé un moment qui te damnerait pour l'éternité en Enfer. Et encore moins quand un humain couche avec l'un d'entre nous.

Je me replonge dans son esprit, à la recherche de son fantasme. Je peine à le trouver. Non pas qu'elle n'en a pas. Mais elle pense tellement à son ex, qu'il en est dur de voir autre chose que sa peine. Mais je tombe finalement sur ce que je voulais. Son fantasme ! Coucher dans une église ! Bon c'est spécial, mais je sais à quoi on va jouer maintenant.Et ouis ce sera comme se moquer du grand manitou.

Je bois une gorgée de mon rosé avant de commencer à aller vers cette jeune femme. Mon apparence restera la même pour conserver un minimum d'énergie. Il était vraiment temps que je vienne me nourrir. Je commence même à douter qu'un seul humain soit suffisant pour me redonner des forces. Je risque de devoir me nourrir de deux ou trois, finalement. Je ne suis plus qu'à quelques pas d'elle, lorsqu'une main saisit mon poignet fermement. Une main froide et forte. Celle d'un homme il me semble. Mais ce n'est pas cela qui m'effraie réellement. L'énergie qui s'échappe de cette main me donne envie de fuir autant qu'elle me paralyse. C'est celle d'un ange. Il aurait très bien pu s'agir d'Elemiah, mais c'est bien la main d'un homme qui me retient. Et c'est toujours le corps d'un homme qui se rapproche de moi pour venir me dire dans l'oreille :

― Suivez-moi dehors et vous n'aurez pas de problèmes.

Je ne sais pas ce qui me pousse obéir, mais je lui emboîte le pas. Peut-être est-ce la peur d'être réduite à néant en quelques secondes. Ou alors la curiosité de savoir ce qu'un ange vient faire sur Terre. Je tente de me frayer un passage entre ces humains en quête d'attention, tandis que l'ange se contente de les bousculer sans aucune gène. Je cherche dans ma mémoire la dernière fois qu'Elemiah s'est comportée comme un être supérieur aux Hommes. Finalement, je pense que ça n'est jamais arrivé. En ma présence en tout cas. L'ange claque la porte qui mène à l'extérieur. Je le suis, toujours tenue par le poignet. Lorsque nous sommes enfin seuls et qu'il me lâche, je me dépêche de sortir ma lame démoniaque de mon sac. Un bijou long et tranchant offert par Balam il y a longtemps. Quelques symboles sont gravés dessus. Un vent frais me donne des frissons, mais je refuse de lâcher mon arme qui est sûrement ma seule protection pour l'instant. Bien qu'une dague démoniaque ne soit pas efficace sur un ange, elle le sera sur une succube.

L'ange se tourne à nouveau vers moi avant de regarder le couteau que je tiens dans ma main. Son regard devient perplexe.

― Une lame démoniaque ? Vraiment ? se moque-t-il, d'un ton sérieux.

Je sers un peu mieux mon arme, sans le lâcher du regard.

― Es-tu au courant que cette dague ne me fera rien ?

― À toi peut-être pas, accepté-je, mais à moi si.

―Tu comptes te suicider pour éviter l'affront ? s'étonne-t-il. Je sais que la race de Lilith n'aime pas le combat, mais je ne pensais pas à ce point.

―Je ne me tuerais pas, rétorqué-je, mais une simple entaille est suffisante pour tracer une protection.

Je lui souris, fière de moi. Une protection angélique l'empêchera de m'approcher. Et Balam m'en a enseigné des dizaines différentes. Malheureusement, l'ange disparaît de ma vue mais sa présence se fait ressentir dans mon dos par un picotement agréable dans ma colonne vertébrale. À peine ai-je fait demi-tour qu'il me retire mon arme des mains.

― Pouvons-nous parler sans cette lame ? demande-t-il durement.

―Pouvez-vous me la rendre et vous éloigner de moi ? demandé-je sur le même ton.

―Lorsque je serais sûr que tu ne ferez pas de bêtises avec, je te la rendrais.

Je pèse le pour et le contre pendant quelques instants. Il est clairement en situation d'avantage.Je suis largement plus faible que lui. Désarmée qui plus est. Alors, mon choix est vite fait.

― Que voulez-vous ?

L'ange sourit avant de reculer de trois pas, sans me lâcher du regard. Je prends alors le temps de le détailler un peu plus. Son véhicule est un jeune métisse aux yeux noirs et aux cheveux bruns. Une allure dure propre aux anges et un style vestimentaire tout aussi angélique. Son long manteau noir retombe sur son pantalon et couvre son pull, de la même couleur. Je devine aisément qu'il y cache des armes. Il se met alors à jouer avec mon couteau sans me lâcher du regard.

― Tu es bien Lila ?

― Ça dépendra de ce que vous voulez à cette Lila, répliqué-je.

Il me regarde d'un oeil sévère avant de dire de manière très protocolaire :

― Je suis Réyiel, un ange venu du Paradis pour accomplir la mission de Dieu.

― Abrégez !

Réyiel me regarde comme étonné et vexé d'avoir été interrompu par une race telle que la mienne. J'aurais peut-être dû me taire là.

― Je cherche un des miens, déclare-t-il alors, un ange du nom d'Elemiah.

― Et donc ?

L'envoyé du Paradis me montre alors ma lame. Je commence à comprendre où il veut en venir.

― Tu es en contact avec elle. Alors appelle-la que je puisse repartir dans mon monde.

Je réfléchis un instant. Je pourrais refuser, mais il risquerait de vouloir se montrer plus persuasif. Et je n'ai pas envie de passer les prochaines heures à être le jouet d'un ange en colère. Donc je vais devoir contacter Elemiah. Elle ne répond jamais au téléphone alors on oublie la méthode normale.

― Il me faut ma lame, lui signalé-je.

― Pourquoi faire ? demande-t-il.

― La contacter.

Il me juge un instant. Il doit se dire que je vais tenter quelque chose contre lui. Et au vu de son regard, il n'est pas prêt à me la rendre.

― Tu as le contact du démon il me semble, se souvient l'ange.

― Par un sort oui, acquiescé-je.

― Je sais qu'Elemiah est collée à ce démon, m'informe-t-il, alors appelle-le pour qu'il me l'envoie.

Je soupire avant de lui tendre ma main.

― Faites-moi une entaille, démandé-je d'un air las.

Réyiel refuse.

― Le sort pour contacter le démon demande du sang, expliqué-je d'une voix froide, alors vous m'entaillez la main ou on oublie l'ange.

Mes mots ont l'air de l'avoir convaincu vu qu'il finit par poser ma lame contre la peau nue de ma paume de main. Il trace un trait droit et fin d'où s'écoule un filet de sang. Mon visage se crispe sous la douleur vive qui se fait ressentir dans ma main.

― Merci bien, ironisé-je.

― Le sort, insiste l'ange toujours aussi sèchement, et au moindre faux pas, tu te retrouves dans les prisons du paradis pour une éternité.

― Je l'avais bien compris, soupiré-je.

Je me concentre alors, comme me l'a appris Balam.

Ressens le sang qui coule dans ta main. Sens l'énergie qu'il dégage. Sers-toi de sa force pour ouvrir une barrière. Et lorsque tu sens la barrière s'ouvrir, pense à moi aussi fort que tu peux...

Je sens la petite barrière se briser. Mais je sens aussi mon état de faiblesse. Et la fissure que j'avais créée se referme aussi sec. Réyiel ne va pas aimer ça, mais je dois me nourrir avant de contacter Balam.

― Alors ? demande l'ange, Elle arrive ?

― On va avoir un petit contre-temps, lui avoué.

―Comment ça un contre-temps ?!

L'atmosphère dans la rue devient électrique. Comme je le disais, l'ange n'est pas content.

― J'étais venue ici pour me nourrir, je n'ai plus assez de force pour effectuer le sort expliqué-je. Si vous voulez que j'arrive à contacter le démon, et donc Elemiah, il va falloir me laisser faire ce pour quoi j'étais venue.

Je prends peur lorsque l'ange baisse la tête et murmure des paroles en énochien. Pourtant, rien ne m'arrive. Réyiel me fusille du regard avant de me dire :

― Saches que je ne fais pas ça par plaisir mais parce que je veux en finir au plus vite avec cette mission.

Je ne comprends pas le sens de ses mots. Du moins, pas avant de le voir s'avancer vers moi, d'un air sûr de lui. Je me prépare à me battre, mais aucun coup ne vient. Non, juste l'ange qui attire mon visage contre le sien. Nos lèvres se rencontrent. Je fronce les sourcils. Mais, passé le moment de surprise, je sens une douce chaleur m'envahir. Cette sensation est réconfortante. Sentir l'énergie d'un être venir vers moi est un moment exquis qu'importe l'être. Mais elle devient rapidement un brasier interne. Jamais aucun repas ne m'a procuré autant de plaisir et de force que ce simple baiser. Et, lorsqu'il s'éloigne, je ne ressens rien de plus qu'une sensation de satiété. Aucun plaisir, rien. Juste l'énergie qui enfle en moi. Même si elle est bien meilleure et bien plus puissante que celle d'un humain.

― Ne t'y habitue pas, catin, me prévient-il.

Je le fusille du regard, avant de jouer avec ses nerfs :

― Je pensais pas que, vous les anges, vous saviez prendre du plaisir par moment.

Je sens le poids du regard colérique de Réyiel sur moi avant que ce dernier ne reprenne la parole :

― Je n'ai pris aucun plaisir à devoir toucher une créature dans ton genre ! Je l'ai fait car je veux quitter ce monde impur au plus vite !

― Pas la peine de me mentir, l'angelot. J'ai sentis tous tes fantasmes les plus sales durant ce baiser.

J'avoue ne pas avoir senti grand-chose. À part son énergie, je ne me suis pas attardée sur ses fantasmes ou autre. Mais le plus important, c'est que maintenant je peux entrer en contact avec Balam. Alors je ne me fais pas prier et me remets au boulot.

Je sens l'énergie si forte et si particulière m'envahir. Le sang est l'une des plus puissantes sources de pouvoir. Je me concentre sur la barrière entre notre monde et celui des esprits. Je sens cette fragile toile dans laquelle je dois m'immiscer. Enfin, une ouverture se crée. Maintenant, je dois inviter Balam à y répondre. Je me concentre alors sur l'énergie du démon, sur sa force. Et enfin, je sens sa présence dans mon esprit.

Lila ? Il y a un problème ?

Le paradis est une mauvaise nouvelle Balam ?

Ça dépend de ce qu'ils veulent.

Elemiah, un ange est venu pour lui. Du nom de Réyiel. Il vient de la part du Paradis.

On vérifie les sécurités de ton appartement. Rejoins-nous chez toi.

Je vous ramène l'emplumé.

Fais attention à toi Lila.

― Toujours Balam.

Je me concentre alors pour sortir Balam de mon esprit avant de reprendre pieds dans la réalité. Le monde des non-vivants se referme alors que je ressens encore l'énergie de l'ange se répandre dans mon corps.

― Alors ? me demande l'ange, une fois de retour.

― Ils nous attendent quelque part, expliqué-je, je t'y emmène. Sauf si tu veux qu'on s'amuse un peu avant.

Réyiel se rapproche de moi avant de me dire tout bas :

― Jamais je ne m'abaisserai à ton niveau, fille de catin.

― Vous retirez le balai que vous avez dans le derrière ne vous ferais pas de mal, rigolé-je, si tu veux je peux t'aider à l'enlever.

Je fais glisser ma main sur son torse. Il la retire très vite. Je rigole de sa réaction et lui murmure :

― Jamais je ne m'abaisserai à coucher avec un ange, j'ai une fierté aussi.

Sur ses mots je m'éloigne, d'un pas assuré et certain, en me demandant ce qu'il me passe par la tête. Défier ouvertement un ange comme je l'ai fait, soit le surplus d'énergie me fait tourner la tête, soit je deviens suicidaire. Je préfère pencher pour la première.

C'est donc dans un silence de plomb digne de cette nuit tranquille, que nous nous rendons à mon immeuble où nous attendent Balam et Elemiah. Je n'adresse pas un mot à Réyiel dont je sens la présence angélique derrière moi. Lorsque enfin, on arrive devant mon vieil immeuble, l'ange me dépasse.

― Elemiah est là ?

― Etages 3, appartement 4b, l'informé-je.

L'ange s'avance alors d'un pas, puis me sourit :

― Au passage, Lila, les emplumés lisent dans les pensées, fille de catin.

Oups...

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