Les mystères d'Alayésa

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Ebry tourna vers elle des yeux bleus étonnés.

— Pourquoi tu ne me l’as pas dit plus tôt ?

Coara attrapa une feuille morte qui venait d’atterrir sur sa jambe et entreprit de la déchiqueter méthodiquement pour éviter son regard inquiet :

— J’avais peur que tu paniques et tentes de me faire changer d’avis si tu te rendais compte que je comptais vraiment essayer de le faire. J’attendais de trouver un nouveau signe encourageant que ces guérisseurs existent pour te dire que j’étais décidée, expliqua-t-elle en désignant le manuscrit.

Elle jeta un coup d’œil en biais au jeune garçon et le vit pâlir légèrement.

— Même si tout ça me donne de l’espoir, je ne suis pas sûr de vouloir que tu prennes autant de risques pour moi, souffla-t-il.

Coara l’observa. Il avait quinze ans, soit un an seulement de moins qu’elle, mais son visage encadré de boucles blondes conservait encore quelques rondeurs de l’enfance qui lui donnait l’air plus jeune, surtout quand il riait. Il lui manquait une dent, ce qui rappelait immanquablement le sourire édenté des plus petits. Mais à ce moment précis, il ne riait pas. Un pli soucieux lui barrait le front.

— Je ne fais pas ça que pour toi, le démentit-elle. Tu sais bien que je rêve depuis longtemps de découvrir l’Alayésa.

Ebry resta silencieux quelques instants, comme s’il évaluait la véracité de ces paroles. Finalement, il hocha lentement la tête :

— Tu as raison, concéda-t-il, tu me rabattais déjà les oreilles avec ton envie d’aller là-bas bien avant qu’on trouve ces livres.

Il rit discrètement devant l’air faussement offusqué de son amie avant de poursuivre :

— Et, te connaissant, je suppose que c’est déjà trop tard pour essayer de te faire changer d’avis... Mais tu me promets que tu seras prudente ?

— Evidemment ! Je suis curieuse, pas suicidaire.

Ebry sourit, rasséréné, et leur conversation dériva inévitablement sur les royaumes d’Alayésa et leurs mystères. Ils s’amusèrent un long moment à imaginer à quoi ils pouvaient ressembler. C’était un de leur passe-temps préféré ; énoncer des rumeurs sur ce qui pouvait y être différent d’ici et en tirer des extrapolations parfois farfelues, mais qui leur permettait de s’évader le temps d’une discussion.

— Il paraît que là-bas, il chassent et mange le cerf, affirma Coara.

— Quelle horreur !

— C’est parce que comme ils ne croient pas à Aumure, pour eux les cerfs n’ont rien de sacré.

— Mais, quand-même… je ne pourrais jamais, murmura le garçon, troublé par l’image de gigot qui s’était imposée à son esprit.

Il frissonna. Coara se rendit compte qu’il ne faisait plus très chaud ; le soleil rasait l’horizon et ne tarderait pas à disparaître, emportant son agréable tiédeur avec lui.

— La nuit tombe déjà, fit-elle remarquer.

Il n’était pas tard mais, à cette période de l’année, les jours commençaient à raccourcir fortement. Ebry releva la tête pour observer le ciel qui s’était paré d’un resplendissant rose saumon sur lequel se découpait le contour doré des nuages. Il resta quelques instants immobile, perdu dans la contemplation des rais de lumière qui s’échappaient de l’astre incandescent. Puis il hocha la tête avec regret :

— Je suppose qu’il va être temps de rentrer.

Il se tourna pour ouvrir son sac à côté de lui et en sortit un cahier qu’il tendit à la jeune fille :

— Avant d’oublier, je te rends ton cours, j’ai tout lu. Merci.

Coara sourit et le récupéra. Il s’agissait de ses notes du cours d’Histoire, une des matières qui intéressaient le plus le garçon. Il n’avait pas accès à la scolarité réservée aux plus aisés, mais il avait une soif d’apprentissage débordante. Et comme son état de santé le forçait à avoir plein de temps libre puisqu’il ne pouvait plus aider sa famille dans les champs, il avait mis celui-ci à profit pour apprendre à lire et écrire avec les manuscrits que lui prêtait son amie.

— J’ai aussi ébauché ça en t’attendant, ajouta-t-il en lui tendant le petit carnet qui le suivait partout.

La jeune fille l’ouvrit à la page qui était marquée par un signet et découvrit un de ces courts poèmes qu’Ebry aimait composer :

Feuilles d'automne chatoyantes

Qui dansent, libres dans le vent

Eclat d’une joie éphémère

Au parfum de mélancolie

Elle prit le temps de l’apprécier. Ebry avait l’art de capturer l’émotion d’un instant en seulement quatre lignes de huit syllabes, une forme de poésie très répandue dans le royaume. Elle était heureuse qu’il lui fasse assez confiance pour les partager avec elle.

— C’est beau, formula-t-elle enfin en lui rendant le carnet.

Elle se sentit frustrée de ne pas savoir quoi dire de plus alors que ce poème la touchait. Mais elle savait qu’Ebry savait, ils n’avaient plus besoin de mots pour ce genre de choses. Le garçon lui sourit comme pour confirmer sa pensée.

— Tu m’aides à me lever ? lui demanda-t-il en lui tendant les bras lorsqu’elle fut debout.

Elle attrapa ses mains et bloqua ses pieds sous les siens, puis elle tira d’un coup sec pour le hisser vers le haut. Ebry chancela un instant avant de retrouver son équilibre, après quoi Coara lui tendit les deux béquilles de bois qui l’accompagnaient partout. Les petits grigris de perles et de plumes qu’ils avaient confectionnés ensemble jadis pour les décorer oscillèrent légèrement sous la brise.

— Ça ira pour rentrer seul ? demanda la jeune fille en réajustant sa sacoche sur son épaule.

Le garçon leva un pouce :

— Sans problème, j’ai eu des jours plus durs mais aujourd’hui ça va bien. On se retrouve demain après tes cours ?

Elle acquiesça :

— Je t’amènerai mes notes du jour. Heureusement que tu es là pour les lire, ça me force à être attentive même pour les matières qui m’intéressent moins.

— C’est toujours un plaisir de t’être utile, s’amusa Ebry en exécutant une parodie de révérence. À demain alors.

Il s’apprêta à se mettre en route mais se ravisa :

— En fait j’aimerais juste savoir… quand est-ce que tu penses que tu seras prête à essayer de partir ?

La jeune fille comprit tout de suite ce à quoi il faisait allusion. Devant la mine anxieuse du garçon, elle fit un effort pour ne pas trop montrer son entrain lorsqu’elle répondit :

— Dans deux semaines, peut-être trois. Tout dépendra de la météo.

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