La cérémonie

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Elle déglutit quand un déclic se fit entendre et que la double porte s’ouvrit lentement avec un grincement retentissant. La lumière qui s’en échappait l’éblouit tout d’abord, puis ses yeux s’y habituèrent juste à temps pour qu’elle voie Héranel lui faire signe de le suivre. Elle inspira un grand coup puis retint sa respiration tandis qu’elle lui emboîtait le pas. Ils entrèrent dans la salle et elle fut à nouveau éblouie. Elle en profita pour expirer doucement, faisant ralentir les battements de son cœur. Une fois ses yeux à nouveau accoutumés, elle jeta un coup d’œil autour d’elle tout en allongeant le pas pour ne pas se laisser distancer par Héranel.

Comme elle s’y attendait, la salle était immense. Les murs faits de pierres blanches et brutes étaient décorés par endroit de subtils filaments d’or entrelacés qui entouraient de grandes colonnes gravées de motifs étranges. Le plafond, très haut, formait un dôme qui devait certainement culminer au-dessus du niveau du sol. La salle était globalement de forme rectangulaire, mais le mur du fond qui leur faisait face formait un demi-cercle concave. Un tapis d’un bleu profond y menait, et ils s’y engagèrent. Plusieurs dizaines de personnes se tenaient debout de part et d’autres. Coara sentit leurs yeux se poser sur elle tandis qu’ils passaient devant eux. Des murmures s’élevaient, la mettant mal à l’aise. Elle reconnut Syan qui lui fit un sourire encourageant qu’elle ne put lui rendre ; elle avait l’étrange impression que les muscles de son visage s’étaient figés à son entrée dans la salle.

Au bout du tapis, là où le mur formait un arc de cercle, se trouvait une longue table derrière laquelle deux personnes leur faisaient face. La première, siégeant au centre entre deux chaises vides, devait sûrement être la fameuse Lyena Hogle. Sa peau hâlée et parcheminée faisait ressortir une chevelure d’un blanc lumineux, encore bien fournie et dont une partie était relevée sur le sommet de sa tête en un chignon traversée d’une longue aiguille de bois. Ses lèvres ridées qui rappelaient irrésistiblement la bouche d’une tortue étaient tirées en un sourire bienveillant, et ses paupières tombantes achevaient de lui donner un air que la jeune fille jugea sympathique.

La seconde personne qui siégeait à l’extrémité droite de la table, un rien en retrait par rapport aux trois autres chaises, était le roi. La couronne qui lui ceignait le front ne permettait aucun doute là-dessus. Coara trouva qu’il ressemblait étrangement à Héranel. Ils n’avaient pas la même forme de visage, mais ses yeux gris donnaient la même impression d’acuité, ses cheveux plus foncés que ceux d’Héranel tombaient de la même façon et il y avait quelque chose de commun dans leur façon de sourire. Se pouvait-il qu’ils aient un lien de parenté ?

Arrivés à hauteur du piédestal qui faisait face à la table, Eyra et Héranel délaissèrent la jeune fille pour aller prendre place sur les deux chaises vides de part et d’autre de la centenaire. Coara se retrouva alors seule sous le feu des regards avec l’étrange impression d’être devant un tribunal. En espérant que personne ne remarquerait le léger tremblement de ses mains, elle posa délicatement son globe de pharme sur la soucoupe qui surmontait le petit piédestal devant elle, puis elle attendit avec appréhension.

La vieille Lyena se leva, ce qui ne fit presqu’aucune différence au vu de sa petite taille, mais les murmures s’éteignirent immédiatement. Lorsqu’elle parla, ce fut d’une voix qui aurait pu être qualifiée d’aigue et chevrotante si elle n’était pas aussi empreinte d’une assurance calme et profonde :

— Merci à tous d’être venus ce soir pour accueillir parmi nous un nouveau maître du souffle.

Pour le coup, Coara eut l’impression de prendre une douche froide. Ce soir ?! Par Aumure, est-ce qu’elle avait été inconsciente toute la journée ? À moins que le test n’ait duré beaucoup plus longtemps qu’elle ne le pensait ?

Elle jeta un coup d’œil horrifié à Héranel, mais celui-ci lui rendit un regard impassible. Elle en conclu que ce n’était pas le moment de paniquer et tenta de se reprendre afin de ne pas rater ce que disait la vieille sage qui poursuivait :

— Beaucoup d’entre vous ont dû être surpris par l’annonce de cette soudaine cérémonie, et je suis heureuse que vous soyez aussi nombreux à avoir pu interrompre vos activités pour répondre présent. J’ai moi-même délaissé une magnifique pièce de tricot que je me réjouis de reprendre à mon retour. Il s’agit d’un adorable petit veston pour mon arrière-arrière-petit-fils qui...

Héranel toussota discrètement, et adressa un petit sourire contrit à Lyena lorsque celle-ci se tourna vers lui. Pas troublée le moins du monde, la vieille femme hocha la tête avec bonne humeur et reprit :

— Enfin, ceux que mon tricot intéresse auront tout le loisir de venir en discuter chez moi autour d’une tasse de thé.

Elle se tourna vers la jeune fille :

— Coara Lore.

L’intéressée tressaillit en entendant son nom prononcé avec tant d’intensité, et son regard croisa celui, à la fois sagace et enjoué, de la vieille sage.

— Tu es sans nul doute un cas spécial. Tu es la première originaire d’Hiyancar à maîtriser le souffle depuis bien longtemps, et ce n’est pas une chose à considérer à la légère au vu des circonstances actuelles. Il n’est pas simple de prédire toutes les conséquences que cet événement pourrait avoir sur l’avenir. Quelques aménagements seront nécessaires pour que nous puissions t’enseigner notre art et ce ne sera peut-être pas toujours facile, mais nous avons décidé de t’accorder notre confiance et de t’accueillir parmi nous.

Tout le monde dans la salle applaudit. Gênée, Coara aurait souhaité disparaître sous terre, et pourtant il y avait peu de choses qui lui faisaient autant horreur que les souterrains. La centenaire leva la main et le silence retomba, à son grand soulagement.

— Il est temps maintenant de nous révéler si tu es intraversée ou extraversée. Approche.

Coara contourna le piédestal et s’avança vers leur table d’une démarche rendue mal assurée par tous les regards qu’elle sentait peser sur elle.

— Prend ceci et ouvre-le, lui enjoignit Lyena en lui désignant un petit paquet de soie repliée qui reposait sur la table entre elles.

Coara obtempéra et découvrit, cachée dans les replis du tissu, une large feuille d’arbre en forme d’étoile. Lorsqu’elle la prit entre ses doigts, un étrange phénomène se produisit. Elle sentit comme un courant se créer entre la feuille et elle, comme si celle-ci lui transmettait son énergie et que la jeune fille lui donnait un peu de la sienne en retour. Pendant une infime seconde, la feuille sembla se flétrir, puis elle retrouva son aspect vert et éclatant.

Coara se demanda brièvement ce que ça voulait dire, avant de se rendre compte qu’un silence de mort s’était abattu sur l’assemblée. Lorsqu’elle releva la tête et constata que tout le monde l’observait avec un mélange de stupéfaction ravie et de gravité perplexe, elle se surprit à souhaiter pour la deuxième fois en moins de dix minutes retourner sous terre.

— Et bien Lygrec, murmura Lyena Hogle d’un ton amusé, tu as bien réussi à cacher ton jeu en nous dissimulant une nouvelle aussi surprenante.

Héranel lui répondit en s’inclinant avec bonhomie. Quelques murmures commençaient à s’élever mais la vieille sage les fit taire d’un geste et déclara :

— Coara est donc un double maître, à la fois intra et extraversée. Elle suivra par conséquent les deux enseignements, ainsi que quelques cours en particulier dont je pense me charger personnellement en temps voulu.

La jeune fille en resta coite. Héranel ne lui avait-il pas affirmé un peu plus tôt qu’il était très rare que quelqu’un parvienne à utiliser les deux sortes de maîtrises car celles-ci étaient fort opposées ? Comment elle, une hiyancarienne qui n’y connaissait rien, pouvait-elle en être capable ? Elle haussa mentalement les épaules ; elle était fatiguée de se poser tout le temps des questions et les explications viendraient tôt ou tard, Héranel le lui avait promis. Pour l’heure, elle savoura simplement la joie intense que lui procurait la découverte de ce don et la perspective de revenir en Alayésa pour le développer.

Lyena, qui l’observait, lui adressa un sourire radieux. Puis elle se redressa et proclama haut et fort :

— Voici donc qui clôture cette cérémonie. Bienvenue parmi nous, Coara Lore, et puisse la vie à jamais souffler en toi.

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