Chapitre 4 :

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Cette voix entre le médium et le grave. Kilian crut frissonner un moment avant de se rendre compte qu’il avait bel et bien frissonné. Puis, une chaleur se répandit doucement dans son corps. Cela faisait quelques années, qu'il n'avait pas entendu sa voix. Il ne s’adressait à lui que rarement depuis quelques années, mais avant, ils discutaient souvent. Il croisait les doigts pour que ce ne soit pas lui tout en sachant que c’était lui. Le jeune homme soupira et se retourna pour découvrir un autre garçon face à lui, les bagages posés à ses pieds. Ses cheveux entre le blond et le châtain étaient un peu plus longs que dans les souvenirs de Kilian. Ses yeux marron foncé semblaient plus compréhensifs, et possédaient toujours la même étincelle que Kilian retrouvait. Il avait toujours une lueur de défi dans son regard et étrangement, son visage inspirait le calme ce jour-là. Pendant de longues années, ce visage inspirait la haine et la rébellion, et pendant d’autres, la tendresse et la gentillesse. En espace d’une année, d’un mois, d’un jour, il changeait d’expression. C’était remarquable. Et le voir ici, ainsi, Kilian ne l’aurait jamais imaginé. Le jeune homme avait l’air de s’être calmé, et d’avoir gagné en maturité. C’était sûrement pour le meilleur. Il faisait ressentir une confiance et une sagesse nouvelle que Kilian ne lui connaissait pas. Peut-être que tout cela n’était qu’une illusion… En fin de compte, Kilian l’avait connu il y a longtemps même s’ils étaient toujours restés plus ou moins en contact. Ils se voyaient presque tous les jours, que cela ait été en Opartisk ou dans les bâtiments. Soit c’était du pur hasard qu’il soit là, soit quelques personnes souhaitaient absolument qu’ils renouent contact ou prennent des chemins similaires. Kilian n’en savait trop rien, et resta sans voix pendant un moment.

Je comprends que vous ne sautiez pas de joie de me voir ici, mais vous pourriez au moins faire semblant d’être un minimum content, commença le jeune homme.

Fred… C’est juste que, on ne s’attendait pas que ce soit toi, et… répondit difficilement Kilian en cherchant ses mots et d’une voix hésitante.

De voir Kilian aussi gêné avait l’air d’amuser Fred qui sourit bêtement et réprima un petit rire. Cassandra aussi sourit, elle n’avait pas l’habitude de voir Kilian aussi déstabilisé par quelqu’un. Elle posa une main sur l’épaule de Kilian avant de faire quelques pas. La jeune fille prit Fred par le bras pour l’entraîner vers le canapé.

Ne t’inquiète pas, je suis contente que tu sois là. On est surpris c’est tout. Aucun des conseillers ne nous a prévenus que cela allait être toi le dernier de notre groupe. On ne savait pas à qui s’attendre.

Je vois…

Ils s’assirent tous les cinq sur le canapé. Kilian fit tout pour éviter les regards des autres. Quel idiot était-il ! Il avait perdu ses moyens d’un coup face à son ancien ami. Le jeune homme se trouvait si idiot ! Pourquoi avait-il réagi ainsi ? Il observa Cassandra qui affichait un sourire éblouissant, contrairement à Iris et lui, la jeune fille n’avait pas coupé tout contact avec Fred. Loin de là, ils continuaient à parler, même si dans les bâtiments, ils se parlaient beaucoup moins. Fred leur raconta comment il avait été choisi pour intégrer leur groupe. Les conseillers voulaient quelqu’un qu’au moins un d’entre eux connaissait. Cela, c’était déjà gagné. Il lui avait fait passer un petit test physique avant de regarder où en était la maladie. Tous les examens étaient clairs : les enfants et adolescents Oprtiskains n’en étaient qu’au premier stade. Pour traduire, aucun d’entre eux n’avait encore des symptômes qui annonçaient que la maladie commençait à gagner du terrain. Il avait donc été convoqué dans le bureau du directeur et ce dernier lui avait tout raconté. S’il avait refusé, il aurait été placé sous haute-surveillance pour que les conseillers s’assurent qu’il ne révèle rien aux autres. Mais Fred avait accepté, voyant l’opportunité de sortir du désert et des bâtiments horribles sans regret. Il avait aussi beaucoup réfléchi et avait jugé, que s’il était malade, il préférait découvrir les raisons et essayer de soigner cette maladie plutôt que de laisser le temps faire et développer des symptômes, enfermé dans les bâtiments, et sans respirer l’air libre une dernière fois. Quand il eut fini son récit, Cassandra serra sa main et lui sourit.

Je suis contente que tu ais fait ce choix ! C’était le bon choix, affirma-t-elle.

Fred lui sourit puis hocha la tête pour confirmer ce qu’elle venait de dire. Charles retourna à l’ordinateur, l’adolescent essayait de trouver des informations sur les autres peuples. Leur première mission n’allait sûrement pas tarder, et les conseillers les avaient prévenus que les missions se passeraient rarement en Opartisk mais plutôt dans les autres clans. Les cinq adolescents se devaient de ne pas arriver trop surpris dans un milieu inconnu. Ils devraient passer inaperçu. Liam resta dans le canapé et Cassandra posa sa tête sur son épaule. Kilian ouvrit la porte sur le balcon et la referma derrière lui. Il s’appuya contre les rambardes et contempla le parc entouré par quatre autres bâtiments en plus du leur. C’était magnifique ici, un lieu qui n’était pas encore ravagé, et qui ne le serait sans doute pas. La porte s’ouvrit puis se referma. Kilian ne se retourna pas.

C’est beau ici. On a une chance inouïe tu sais.

Kilian cligna des yeux puis se retourna pour contempler Fred. Ce dernier soupira et se passa une main dans les cheveux.

Pitié Kilian, je t’en prie, ne rends pas les choses encore plus difficiles qu’elles ne le sont déjà. Tu n’arranges pas le malaise et la gêne entre nous, loin de là, tu l’intensifies. Et je n’ai pas envie de cela.

Je… Désoler. Je ne t’ai pas parlé depuis longtemps. Je repensais à l’époque. Celle où on était amis.

Fred détourna le regard comme si cela lui faisait mal, ou lui rappelait de mauvais souvenirs. Il s’avança et regard le parc sans regarder Kilian un peu plus longtemps. Ce dernier fut chagriné de le voir comme cela, Fred venait tout juste d’arriver. Il était peut-être un peu trop dur avec lui. Le jeune homme avait l’air d’avoir changé, d’avoir grandi, d’avoir mûri. Le vent souffla légèrement et Fred retourna sa tête vers Kilian.

J’aimais bien cette époque. Elle était bien. Puis… Quand vous vous êtes éloignés Iris et toi, j’ai compris, mais c’était dur, cela faisait mal. Et heureusement que Cassandra est restée. Je ne comprends toujours pas pourquoi tu suis Iris tout le temps.

Tu prenais le mauvais côté, et on arrivait pas à te rendre compte de ta bêtise, puis Iris était ma meilleure amie. Ce n’était pas n’importe qui.

Parce que je suis n’importe qui ?

Non ! Non. Absolument pas. Ce que je veux dire, c’est que j’ai suivi Iris par habitude et parce que je remarquais que tu devenais mauvais et que je ne savais pas quoi faire. Mais, maintenant je regrette, je n’aurais pas dû te laisser tomber. Puis, à l’heure d’aujourd’hui, je ne suis plus Iris. Je suis ici, et elle est autre part en Opartisk.

Et c’est bien la première fois hormis le désert. Et… Personnellement, je préfère quand Cassandra et toi étiez sans elle.

Kilian haussa les sourcils et Fred soupira avant de lui lancer un regard.

Écoute… Iris était une chouette personne, je ne dis pas le contraire, mais il n’y avait pas autant d’affinité qu’avec Cassandra et toi. C’est sûrement pour cela que c’était facile de ne plus lui parler. En revanche toi… Ne me regarde pas comme cela Liane. Je pense que tu sais tout aussi bien que moi, que je n’étais pas celui qui appréciait le plus Iris. Tu vois, j’avais toujours l’impression qu’elle voulait vous faire de l’ombre à toi et Cassandra.

Kilian ferma les yeux puis laissa apparaître un léger demi-sourire sur son visage qui s'estompa presque aussitôt. Pour tout dire, il était vrai que Fred lui avait manqué. Le surnom que le jeune homme lui donnait aussi, mais Kilian savait aussi que l’autre garçon avait été dans un groupe loin d’être fréquentable, et qu’il ne regrettait pas d’être resté avec Iris. Néanmoins, il s’en voulait d’avoir laissé Fred comme cela, sans aucune explication. Kilian posa ses bras sur la rambarde avant de tourner sa tête vers son ancien ami.

Mais… J’aimerais comprendre. Pourquoi t’es-tu éloigné ? Et pourquoi tu as rejoint ce groupe dissident ?

Kilian vit Fred réprimer une expression sur son visage, comme si ce qu’il allait dire lui rappelait de très mauvais souvenirs. Si c’était le cas, ils étaient deux dans le même cas. Lui et Kilian. L’autre jeune homme hésitait manifestement à lui en parler, cela n’échappait pas à Kilian. Ce dernier n’arrivait pas à lui en vouloir. Pouvaient-ils se faire confiance ? Ils verraient bien au fil du temps, mais immédiatement, ils ne pouvaient pas, c’était au-dessus de leur force.

Je n’étais pas dans une très bonne période. En fait… Je n’allais pas bien du tout.

Je… Je n’avais pas remarqué, lâcha Kilian, honteux.

Fred esquissa un sourire et secoua la tête.

Ce n’est rien. Cela veut dire que je suis assez bon acteur même si je ne vais pas bien. Je ne voulais pas que vous le remarquiez, surtout pas toi et Cassandra, je ne voulais pas vous inquiéter. Puis, toi aussi pendant toutes ses années tu ne voulais pas parler de ce qui se passait avec ta famille. Et encore maintenant, Charles, Cass’ et Liam n’ont pas l’air de savoir. Peut-être qu’Iris…

Iris ne sait rien, coupa Kilian d’un ton sec. Personne ne sait rien, et il n’y a rien à dire dessus. Tout était normal.

Fred ne s’offusqua pas et comprit que d’évoquer Iris irritait particulièrement Kilian. Ce n’était vraiment pas les sujets à aborder pour le moment. Que ce soit avec Fred ou quelqu’un d’autre. Kilian ne voulait pas en parler.

Bref. Mes parents se sont séparés et mon père est parti comme un lâche, du jour au lendemain. Sans prévenir, sans dire au revoir. Sans rien. Ce n’était pas une situation très facile. Ni pour moi, ni pour ma mère. Surtout pour ma mère. Quand mon père est parti, cela ne s’est pas ébruité dans l’immeuble. Aucune remarque, aucune rumeur. Même la propriétaire ne s’en occupait pas. Et… Tu vois, au début, je trouvais ça bien. Car je n’avais pas envie d’en parler. Mais très vite cela s’est très mal passé et je regrette que personne n’ait essayé d'en savoir plus, même pas Mme. Keys. Ma mère s’est mise à travailler plus car sans mon père, elle ne pouvait pas payer le loyer. La proprio n’a fait aucune faveur à ma mère. Elle travaillait jour et nuit et essayait de s’occuper de moi le mieux possible. Elle y arrivait plutôt bien. Sauf qu’elle n’avait plus de temps pour elle, et cela la tuait à petit feu. Je le remarquais, mais je ne savais absolument pas quoi faire. J’étais jeune, j’étais paumé. Je la voyais sombrer chaque jour. Elle enchaînait crise de nerfs et déprime avant de vraiment tomber en dépression. Et… Est-ce que quelqu’un a cherché à avoir de ses nouvelles ? Non. Personne. Même pas Mme. Keys qui était pourtant la personne la plus proche de nous. Alors… Je lui en veux même si ce n’est pas vraiment de sa faute. Peut-être que si elle avait essayé de me contacter, de contacter ma mère, peut-être que ma chère mère ne serait pas tombée en dépression à dépérir dans son lit sans soigner sa pauvre âme brisée. Et je n’ai rien pu faire pour la sauver. Rien. Ma mère a fait un dernier effort en m’emmenant à la gare, mais je ne sais pas ce qu’elle devient. J’ai peur qu’elle ait pu…

Fred fixait tristement un arbre pendant que sa voix qui devenait de plus en plus tremblante se cassait à la fin de son explication. Il n’arriva pas à finir sa phrase, c’était trop dur d’imaginer cette possibilité. Une explication que Kilian avait toujours voulue, toujours souhaitée, toujours redoutée. Ce dernier était choqué, outré et profondément triste pour Fred, il ne méritait pas cela. Il n’avait jamais cessé d’être bon, et cela, Kilian l’avait toujours espéré au plus profond de lui, mais Fred s’était juste perdu. Il avait été trop tourmenté par tout cela. Un peu comme Kilian en ce moment. Rectification : un peu comme Kilian depuis sa naissance.

Des fois… Je me demande, si, le plus dur, c’était de la voir dépérir jour après jour sans rien pouvoir faire, ou d’espérer qu’un miracle se produise et que quelqu’un vienne nous aider ou encore qu’elle retrouve subitement goût à la vie. Cela fait tellement mal à l’intérieur. Puis… Un beau jour, j’ai commencé à en vouloir à tout le monde. Du jour au lendemain, tout le monde était fautif, tout le monde m’avait fait du mal. Je ne sais pas pourquoi… Peut-être le surplus de tout. Mais je me souviens, que je me suis toujours étonné de ne pas m'être mis en colère contre deux personnes : ma mère logiquement, et plus étrangement, toi.

Même Cassandra tu l’as détestée ?

Oui. Je ne comprends pas pourquoi j’ai été aussi idiot. Je crois… Que j’étais juste perdu, vraiment perdu, et au fond du gouffre. Je me sens tellement bête, d’autant plus que je ne regrette pas. Je n’ai pas fait des choses cool, c’est vrai, mais j’ai le sentiment que j’avais besoin de passer par là.

Fred regardait toujours l’arbre qu’il fixait auparavant. Kilian, lui, fixait le visage de son camarade. Une larme restait accrochée le long de la joue de l’autre blond. Kilian ressentit un certain malaise puis une pointe de culpabilité. Il n’avait pas vraiment forcé Fred à lui dire ce qui s’était passé, mais il avait quand même demandé. Et il se sentait mal pour Fred. Ce dernier se retourna vers lui, le regard durcit mais pas haineux. Kilian lui fit un sourire triste, fit disparaître rapidement la larme de la joue du jeune homme avant de mettre sa main sur l’épaule de ce dernier.

Écoute… Je ne saurais pas quoi te dire exactement, et, je sais qu’aucune phrase, qu’aucun mot, qu’aucune syllabe ne pourra vraiment t’aider, et je suis bien placé pour le savoir… Je n’ai jamais essayé de parler, et je n’y suis pas encore prêt. Mais en revanche, je sais écouter. Alors, si parfois tu as besoin d’une oreille. Je serai toujours là pour toi.

Fred prit la main de Kilian puis la serra tout en la descendant de son épaule. Il releva la tête et regarda Kilian dans les yeux puis il lui répondit par un sourire triste.

Je n’y manquerai pas. Toi aussi tu peux me parler. Toujours.

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