Chapitre 17 :

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Kilian tira encore une fois sur la cible. Lorsqu’il s’entraînait au tir, il faisait toujours un sans-faute. Même si cela pouvait paraître très étrange, c’était le seul domaine où il avait l’impression d’être l’un des meilleurs. Forcément, il ne l’était pas. Sauf que dans son entourage, personne ne l’égalait au tir, même pas Fred qui se débrouillait pourtant plus que bien. Il lui avait donné les raisons pour lesquels il avait déjà utilisé une arme. C’était déroutant et triste à la fois. Il était trop jeune pour avoir vécu cela. Kilian, lui, n’avait pas donné ses raisons. Le conseiller Bernard avait été transporté en Opartisk discrètement, sans se faire ébruiter. Il allait de soi que l’assembler ne pouvait pas déclarer banalement qu’un de ces membres était destitué de son statut car il se trouvait être en réalité un malade mental. Par qui allait-il être remplacé ? Kilian ne savait pas trop. Il remplaçait Victoria qui venait de se désister pour passer du temps avec ses enfants car ils se retrouvaient victimes de la maladie. Kilian ne saurait imaginer le désarroi et la douleur que Victoria ressentait en ce moment même. Jusqu’à quand la maladie allait-elle s’étendre ? Quelle tranche d’âge allait-elle frapper ? Une boule se forma dans la gorge de Kilian. Comme n’importe qui, qui n’était pas surdoué, il avait peur de se trouver malade. Il en avait trop bavé pour mourir d’une maladie, à moins qu’il finisse par se convaincre à nouveau que la mort demeurait sa seule issue possible. Il ne comprenait pas pourquoi petit à petit il réussissait à être de plus en plus heureux. Il avait l’impression de commettre un crime, comme si à chaque si fois qu’il était heureux, ce n’était pas bien. Son cerveau le relançait à chaque fois : pourquoi souris-tu, tu n’as le droit de sourire, ne soit pas heureux, on t’a élevé en te disant que tu ne méritais pas de l’être, arrête de penser à Iris mais garde ta culpabilité, détruis-toi. Il ferma les yeux. Kilian les détestait tellement. Il voulait les chasser de sa tête. Peut-être un jour réussirait-il… il rangea l’arme et se tourna vers Fred qui le regardait depuis tout ce temps, appuyer contre l’ouverture de la porte, un petit sourire aux lèvres.

— Quoi ? fit Kilian comme si un petit rire allait sortir de sa bouche.

— Je me demande bien comment tu arrives à viser et tirer aussi bien, complimenta-t-il en s’avançant et dégainant son arme, et le pointant vers la cible.

Il visait de mieux en mieux. Kilian scrutait le visage de son ami. Il était toujours fermé lorsqu’il tenait une arme, et un peu lorsqu’il observait Kilian l’utiliser. Finalement, même s’il préférait lorsque son visage était plus expressif, Kilian n’était arrivé qu’à une seule conclusion : sa beauté ne changeait jamais. Et pour Kilian, Fred était beau. Le jeune homme se sentit rougir à cette pensée et se ventila un peu avec sa main avant de triturer le bout de son arme qu’il avait rangée. Si Cassandra avait été avec eux, elle lui aurait sûrement glissé un commentaire à son oreille. Tout compte fait, même s’il plaignait Charles d’être avec Cassandra et Liam, cela lui donnait une vague de chaleur d’avoir Fred pour lui. Il fut sorti de sa torpeur par un tir, pile au milieu de la cible. Fred s’améliorait vraiment. Il se tourna vers lui.

— Cela serait ennuyant si je te disais comment je sais tirer aussi bien, insinua Kilian en regardant droit dans les yeux son interlocuteur.

— Pourquoi ? s’écria Fred d’un ton enfantin faussement indigné. Je te l’ai dit moi. Pourtant j’avais peur que ton regard change sur moi. Finalement non. Tu sais très bien que ce n’est pas moi qui tu jugerais.

— Un jour approchant je te raconterai, assura Kilian. Mais pas pour l’instant. Je ne veux pas. Puis, depuis qu’on s’est retrouvé, nos visions l’un sur l’autre ont changé.

— Oui, mais c’est parce qu’on a grandi et que l’on venait de se retrouver, remarqua Fred. Ce que je veux dire, c’est qu’après que je t’ai révélé mon passé, tu ne m’as pas jugé, tu m’as même soutenu. Cela prouve, qu’en quelque sorte, tu tiens assez à moi pour te soucier de mon bien-être et de ce que je suis et étais. Tu n’as rien changé et c’est ça qui est génial.

Trop de compliment, et cela fonctionnait tout de même. Kilian souriait comme un idiot sans possibilité de le contrôler. Ce n’était pas grave, c’était tant mieux. Il faisait réellement confiance à Fred, il demeurait la personne la plus importante de sa vie, un de ses piliers. Il l’aimait, vraiment. De jour en jour il se demandait si cela pouvait s’avérer être réciproque. Au fond, il l’espérait. Il effleura la joue de Fred avec ses doigts et s’apprêta à partir.

— Cela serait plus drôle si je ne garderais pas ce secret pendant un peu plus longtemps ! Tu ne trouves pas ?

— Prépare-toi, y a Ethan qui arrive aujourd’hui, prévint Fred en reprenant son arme, décidé à s’entraîner un peu plus que d’habitude.

S’il préparait le meurtre du fils de Baptiste, cela convenait parfaitement au jeune et nouveau conseiller qui restait près de lui. Kilian détestait Ethan avec un grand D. Le nombre de fois qu’il en avait bavé avec Charles et Liam à cause de ce petit bourgeois qui se croyait tout permis. Kilian ne laissait pas le goût d’une envie de vengeance se répandre en lui, mais ce n’était pas parce qu’ils étaient dans le même camp qu’il allait décider d’oublier tout ce qu’il avait pu faire. C’était peut-être lui qui allait prendre la place de Bertrand. Un pistonné, tout comme Kilian. Mais ce dernier avait au moins le mérite de revenir de loin : il se retrouvait dans une famille, à un âge en dessous de la majorité et à une classe sociale qui était loin de lui prédestiner un avenir de conseiller. Ethan ne restait qu’un fils à papa arrogant. Aucun des deux adolescents ne se ravissait de devoir le côtoyer encore une fois. Kilian n’appréciait encore guère l’idée de se retrouver dans l’obligation de travailler avec lui. Cela ressemblait davantage être un supplice de devenir conseiller. Sophia pénétra dans la salle, fixée rapidement par les deux garçons.

— Fred, les prochaines visites des parents auront lieu lors de notre retour. Je suppose que tu ne veux pas voir ton père, informa-t-elle.

— Tout compte fait, j’aimerais pouvoir lui parler pour régler mes comptes avec lui. Mais je crois que vous feriez mieux de nous tenir un peu à l’écart des autres au cas où cela dégénère.

Fred voulait donc affronter une fois pour toutes son père. Kilian en frissonna sans en connaître la raison exacte. Il enviait le courage qu’empruntait Fred. Il aimerait tenter de faire pareille, mais la peur ressortait toujours vainqueure. Kilian comptait suivre d’un œil attentif cette discussion qui pouvait se finir en une sorte de combat.

— Kilian… je présume que tu refuses toujours de voir tes parents, dit-elle.

Il hocha la tête et la regarda partir en ne remarquant donc pas la manière dont Fred le fixait. Bien évidemment, ce n’était un secret pour personne que Kilian n’avait jamais fait venir ses parents lors de l’unique visite, mais pas non plus à la deuxième maintenant. Et cela attisait encore plus la curiosité de Fred à son égard, sur ses secrets qu’il protégeait. Le jeune homme lui fit un geste de la main puis pivota pour sortir à son tour de la salle, souhaitant regagner sa chambre. Fred cessa de bouger jusqu’à ce qu’il quitte son champ de vision, il se reconcentra sur la cible, inspira, reprit son arme entre ses mains pour les lever bien droit devant lui, il visa, tira, toucha, continua.


Kilian se passa une main sur le visage lorsqu’il pénétra dans sa chambre. Il venait de croiser le couple royal et le jeune homme restait toujours gêné du regard du roi quand il le dévisageait. Apparemment, il était intriguant pour la couronne. Kilian ne voyait pas pourquoi, et il ne tentait même pas de comprendre. Le jeune homme ouvrit le tiroir de la table de chevet de droite et y déposa l’arme avant de refermer le tiroir assez brusquement. Il chercha un t-shirt dans le placard, il prit le premier qui lui tomba sous la main : un t-shirt noir assez lâche sans trop l’être. Il enleva son débardeur de sport et se retrouva face à son reflet dans le grand miroir tournant que le roi lui avait offert dans sa chambre.

Kilian avait toujours été réputé pour sa minceur. Le jeune homme avait un peu grossi depuis son arrivée près des membres de l’État, mais il était toujours mince. Le jeune homme portait beaucoup de t-shirt à manches longues, et il était persuadé que Fred avait remarqué ses cicatrices qui parsemaient plusieurs endroits de ses bras. Camille lui avait confié une pommade à appliquer tous les jours pour les atténuer de plus en plus. Il respectait ses consignes à la lettre, et les traces commençaient à s’effacer. Mais il ne savait pas s’il voulait vraiment les voir partir. Cela resterait une trace de son passé et de sa vie à tous jamais, et même ci cela amochait son corps, cela demeurait une trace, même si son passé restait gravé dans son esprit. Il contempla longuement son torse. Il y avait beaucoup de bleus, mais moins que la dernière fois qu’il l’avait observé. Certains s’étaient mystérieusement envolés, et certains commençaient doucement à se dissiper. Kilian n’aurait jamais cru cela possible, il savait que les bleus disparaissaient avec le temps, mais en avoir, était tellement une habitude qu’il l’avait oublié. Il avait oublié le fait d’avoir aucune blessure, bleus ou cicatrice sur lui. Si bien, qu’il ne faisait pas la différence entre bleus et cicatrices. Il en avait quelques-uns sur le torse, plus précisément près du cœur, comme si on avait essayé de le poignarder. Il tâta les endroits ornés de bleus et ne retient même pas quelques grimaces. Cela faisait toujours mal. Cette sensation aussi il l’avait souvent ressenti.


Les séquelles physiques faisaient remonter en lui les pensées noires qui tournoyaient au fin fond de sa tête. Elles tournoyaient comme des tornades et balayèrent sans aucun mal les bons moments pour lui implanter une humeur maussade à l’instant même. Pourquoi se faisait-il mal lui-même ? Ses parties de son corps racontaient l’histoire de sa vie, sa voix l’expliquait clairement avec détails, souvenirs et émotions. Sauf qu’il n’utilisait ni l’un, ni l’autre. Tout simplement car il n’avait pas envie que cela se sache. Il ne devait plus se renfermer sur lui-même, il le savait très bien, Fred le lui avait fait comprendre. Alors pourquoi il n’écoutait pas ce conseiller ? Car j’ai peur d’eux. L’évidence qui frappait dans son esprit. Il les fuyait, mais il ne pouvait pas fuir éternellement. Cela devait être un miracle qu’ils n’insistent pas pour le voir seul, sans personne autour. Kilian savourait ce répit sans vraiment l’apprécier. L’incapacité à accepter ce petit moment de bonheur provenait d’une chose qui découlait, elle, de deux autres choses : il devait mettre au clair toutes ses pensées, son esprit et se retrouver. Pourquoi ? Il fallait qu’il fasse sa mise au point.

Il avait décidé de trahir Iris car il ne partageait pas son avis, il l’a laissée partir alors qu’il aurait pu la faire emprisonner. Il ne lui avait donc pas causé de tort. C’était déjà cela de régler. Plus de culpabilité, plus réflexions horribles sur son ancienne amitié avec la surdouée. Leur amitié demeurait passée, non présente, peut-être future. Il n’était pas indépendant d’Iris comme elle l’avait été de lui. En réalité, elle ressentait peut-être bien plus que de l’amitié, mais du côté de Kilian, il avait toujours su que c’était impossible. Il n’avait jamais aimé le sexe féminin d’une manière amoureuse. Puis ses parents… C’était autre chose, mais pour le moment, il ne voulait pas les revoir et les affronter pour pouvoir gagner assez en pertinence et être croyable. Il ne voulait pas en parler aux adultes, ne leur faisant pas assez confiance. Il pouvait en parler à Fred, mais c’était plus compliqué. Mais le blond venait de prendre conscience de quelque chose : s’il ne se bougeait pas, il ne pourrait pas tourner la page, pas aller mieux et donc pas s’accepter. Il n’était pas déterminé car cela ne faisait pas partie de son caractère, mais il semblait décidé à aller de l’avant plutôt que de se morfondre. Ses démons continueraient toujours à l’embêter où qu’il soit, avec qui il soit souhaitant le revoir descendre dans les ténèbres, encore plus profonds qu’il y a quelques semaines, encore plus profonds qu’il y a quelques années. Kilian s’était décidé à commencer une longue bataille. Ce n’était pas le fait de devenir conseiller qui l’aidait comme cela à le tirer des entrailles des ténèbres. Il avait beau posséder de nouvelles responsabilités importantes, l’adolescent en lui s’en fichait royalement même si l’adulte en lui réfléchissait déjà peu à peu à certaines décisions si le sujet se laissait aborder. Non, ce n’était pas son nouveau statut bientôt officialisé auprès des Opartiskains. Ce n’était pas non plus la rupture avec Iris, ni le départ de Cassandra. C’était Fred. Il avait été là, il était là et il resterait là jusqu’au bout.

Kilian ne savait pas exactement ce qu’il les unissait, mais il en connaissait suffisamment pour savoir que c’était fort, et qu’il comptait pour lui encore plus que n’importe qui dans sa vie. Comme une famille qu’il n’a jamais eue mais en plus intense. Fred se révélait la bonne issue. Kilian comprenait très bien qu’il était tombé amoureux de lui, et il se contrefichait que cela soit réciproque ou non, car cela lui permettait de tenir. Et, depuis la première fois depuis longtemps, une révélation qui lui paraissait surprenante au début avait agi comme un énorme séisme venue de nulle part : Kilian avait envie de vivre. Cette pensée ne lui avait jamais traversé l’esprit. Jamais. Loin de l’Opartisk, un pays qu’il maudissait plus jeune mais qu’ironiquement il s’en retrouvait à la tête, le déclic était venu. Loin de son ancien environnement, de son ancienne vie, des personnes qui avaient été importantes pour lui dans la souffrance invisible à leurs yeux, d’eux, il avait découvert le calme et l’équilibre qu’il devait trouver.

Il réalisa, qu’il avait tellement été faux avant, si bien qu’il aurait pu faire acteur. Le nombre de fois qu’il avait souri, rigolé, peut-être même filtré se calculait difficilement, surtout pour les deux premières, la plupart étaient forcés, d’autres réelles car cela se déroulait lorsqu’il était jeune et innocent et que son cerveau effaçait toute trace de ce qu’il pouvait vivre de tragique, blessant et mauvais. Kilian se rêvait de retourner à l’enfance, lorsqu’il fuyait le foyer et s’exilait quelques heures avec Iris et Fred. Le début de l’adolescence et cette période, c’est vraiment nul, se dit-il. Période traîtresse. Pour une des rares fois, il ne regretta pas son choix de ne pas avoir suivi Iris, et cette fois-ci, il ne regretterait définitivement plus. Car il n’était pas Iris, il n’avait pas le même vécu, le même ressenti, les mêmes sentiments, émotions et centres d’intérêts. Peut-être que son association se localisait proche de leur ville, et il sourit à la penser qu’il ait pu éviter cela. Maintenant, il avait un objectif tout comme la surdouée avec le sien. Elle voulait stopper la guerre, Kilian souhaitait relever l’Opartisk en un pays fort et solide ainsi que de chercher une manière d’éteindre la maladie avant d’arrêter la guerre une fois pour toutes.


Le jeune homme enfila le t-shirt noir qui pendait dans sa main. Ethan ne faisait pas le poids face à lui, il saurait dissuader les autres conseillers que le blond ne représentait pas le meilleur choix de conseiller, il saurait élire une personne plus méritante que ce snob. Il fera tout pour mener à bien ses projets et trouver des accords avec les autres conseillers. Il se trouvait fin prêt. Il se fixa dans le miroir et ne reconnut même pas son regard qui avait comme quelque chose de bouleversé. Une nuance s’ajoutait à une certaine fragilité interpréter par Fred. Kilian assumait son statut de conseiller et comptait montrer qu’il le méritait, qu’il l’avait comme gagner même si c’était faux, qu’il essayerait de tout arranger, mais montrer surtout que les autres conseillers ne s’étaient pas trompés sur lui, et que malgré le fait qu’il était banal, qu’il pouvait aussi accomplir de grand-chose. Il se regarda une dernière fois dans le miroir avec un sourire timide. Il voulait vivre désormais.

Il reprit pourtant un air maussade. Il existait une différence entre se décider d’être heureux et l’accomplir, et Kilian ne désirait pas révéler son choix pour le moment, comme si cela devait rester un secret. Il retrouva vite Fred qui revenait de ses entraînements de tir et se mordilla tellement la lèvre qu’il se maudit de l’avoir fait. Fred n’avait pas dû beaucoup s’entraîner car Kilian remarqua à sa chevelure où s’égouttait de l’eau qui mouillait son t-shirt que le jeune homme avait pris une douche. Il réalisait que Fred mesurait environ cinq centimètres de plus que lui, pas grand-chose. Fred reposait contre un mur, en face d’une porte, le regard sombre transperçant presque de haine. Kilian examina la porte et renonça à comprendre pourquoi une lueur si colérique dans le regard de Fred. La porte ne détenait rien de très spéciale, tout le contraire même, c’était une porte banale.

— Tout va bien ? On dirait que tu as vu ton père.

Kilian était cache avec Fred. Ce dernier lui avait dit de ne pas le ménager, le blond ne faisait donc pas d’effort de rallonger le mot père par « la personne que tu détestes le plus au monde ». Puis Kilian devait économiser un peu sa salive. Fred grogna avant de se radoucir en regardant son ami.

— Non, je n’ai pas vu aussi mauvaise que lui depuis bien longtemps. C’est juste que je voue une haine profonde pour Ethan car c’est un pauvre con.

— Quelle élégance.

— Je t’en prie, pas de commentaire, tu aurais été encore plus vulgaire que moi si tu te retrouvais à ma place sans être conseiller et ayant obligation de le respecter un minimum.

— Oh mais ne t’inquiète pas, ma position n’a pas changé là-dessus. Je ne l’aime pas et je ne compte en aucun cas le respecter, ne serait-ce qu’un minimum.

— Tu comptes mettre en péril ton nouveau statue en sabotant déjà tes liens avec Baptistes ?

— Tu sais pourquoi Ethan est là.

— Pour devenir le nouveau conseiller qui remplace Bertrand, je suppose. C’est même plutôt évident.

— Il est stupide, arrogant, pense que tout lui est acquis et qu’il ne lui suffit que de claquer les doigts pour se faire entendre et tout ordonner.

— Sauf que c’est le cas, Kilian.

— Eh bien cela ne le sera plus. Je refuse qu’il devienne conseiller et mes arguments sont logiques et je ne reculerai devant aucun contre-argument. Il a déjà assez profité de sa position, et faire de lui, un conseiller, c’est renforcer l’idée qu’à l’association et le peuple envers les conseillers : qu’ils sont stupides. Ils ne le sont pas tous, mais ils le sont en voulant perpétuer le fait que seul les riches puissent accéder au pouvoir, et qui plus est de prendre un gamin irresponsable et pas assez mature. Je tenterai de leur faire comprendre cela, cela sera comme cela que je lui montrerai que rien à changer à notre égard.

— Notre ?

— Je suis pratiquement certain à quatre-vingt-dix-neuf virgule quatre-vingt-dix-neuf pourcents que tu en ressortiras satisfait si j’arrive à les convaincre de ne pas le prendre.

— Oui, mais il faudrait d’abord que tu réussisses. Pas que je remette en doute des talents d’orateur même si j’avoue que je ne suis pas complètement persuadé par cette grande qualité que tu aurais, mais Ethan est un manipulateur très fort dans son genre.

— Je ne suis pas un manipulateur hors pair mais je suis franc, et j’ai des alliés. Je pense… que même si je n’obtiens pas ce que je souhaite au départ, je peux surprendre dans ce milieu fourbe, enfin, je crois.

Moment de doute. Kilian était-il vraiment capable de faire cela ? D’être crédible et extrêmement convaincant ? Il n’en était plus si serein, mais il ne s’inquiétait pas. S’il ne réussissait pas, il trouverait un autre moyen d’éjecter Ethan qui ne méritait aucune place chez les conseillers même si son père l’était. Kilian s’apprêta à toquer à la porte mais il se ravisa lorsqu’il vit que Fred commençait à partir.

— Tu ne rentres pas, déclara Kilian.

— C’est une réunion de conseillers, je n’en suis pas un, je serais sûrement refusé.

— Tu vas rester tout seul, je ne pense pas que Sophia osera te laisser tout seul si je lui demande gentiment. Puis, tu pourras assouvir toute ta haine en mitraillant Ethan de ton regard.

Fred laissa échapper un rire alors qu’il revenait. Kilian n’eut même pas besoin de toquer à la porte, lorsque son poing allait à la rencontre de la matière dure la composant, elle s’ouvrit devant Sophia. Encore plus majestueuse qu’à son habitude. Elle offrit un petit sourire qui se voulait chaleureux mais qui reflétait son inquiétude du moment. Elle les laissa entrer et referma la porte. Jean-François II avait eu l’amabilité de leur permettre l’accès à une salle de réunion sobre qui détonnait par rapport au couloir et au reste du palais coloré. Le mur gris comme du métal, les tables formant un U semblait tout aussi moderne. Il n’y avait que quatre chaises disponibles, Bertrand n’étant pas convié à ce débat, à plus aucun à présent.

Ethan laissait paraître sa fatigue peut-être pour amadouer les autres conseillers, mais il avait pris le temps de se vêtir élégamment, accompagné d’une coiffure élaborée avec du gel. Sa tête donnait toujours autant envie de lui administrer des baffes. Kilian ne s’en serait pas gêné, Fred encore moins. Ils se rappelèrent de l’époque des bâtiments dans le désert. Des souvenirs parmi tant d’autres pour les deux jeunes hommes, pas pour les adolescents aux vécus non conséquents. À partir du moment où les surdoués avaient pénétré dans leur bâtiment, les règles avaient considérablement changé en leur faveur et ils avaient été coachés pour que rien ne fuite de la première phase de ce bâtiment. Les punitions avaient vite été modifiées, auparavant, elles avaient été aussi dur que celle qu’Iris avait vécu chez les surdoués. Kilian en avait connu toute une panoplie, Fred un peu moins, et elles ne s’envolaient pas de leur mémoire. La plupart, causée par Ethan, ne faisaient que renforcer leur haine auprès de lui. Les deux adolescents restèrent debout et regardèrent Sophia allumer des écrans munis de webcams sophistiquées et autonomes sur lesquelles Camille, Baptiste et Christian apparurent. Pour une raison qui échappait à Kilian, Ethan sourit.

— Les garçons, ne restez pas planter là ! Prenez une place de libre ! conseilla Sophia.

Ils cherchèrent des places opposées ou à côté du regard avant de se rendre compte qu’il y avait deux places de libre juste en face des trois écrans, et une place en face d’Ethan. Lorsque Sophia s’assit en face des autres conseillers, Kilian comprit que sa place se situait à ses côtés, et celle de Fred tout seul, à assassiner le fils du conseiller Baptiste du regard, même si cela ne servait à rien. Kilian ne se sentait pas vraiment à l’aise contrairement à Ethan qui affichait un sourire arrogant. Sa confiance paraissait encore plus puissante et son ego encore plus surdimensionné qu’avant. Kilian se mordit la lèvre en ne laissant pas son regard dérivé vers l’autre blond. Sophia fut la dernière à s’installer et observa chaque personne avant de prendre la parole :

— Bien, nous voilà tous installer pour commencer un conseille de la plus haute importance ! Pour débuter tout cela, est-ce que la rétrospective des événements tiens à cœur à quelqu’un ?

Ce n’était pas Kilian qui se serait proposé. Peut-être aurait-il pris cette initiative s’il ne faisait pas partie du contenu. Il savait qu’il faisait partie de ses événements, et il savait aussi qu’il avait horreur de parler de lui à la troisième personne, comme beaucoup de personnes de sa partie d’Opartisk. Contrairement à la partie des riches possédant la richesse mais aussi le pouvoir, il restait humble. Les riches ayant le pouvoir se vantaient, c’était la classe la plus haute de la richesse qui se fragmentait en trois classes rapprochées mais un peu différentes.

— Je t’en prie Sophia, dis non, avança Christian.

Christian avait l’air de s’être remis de l’assommage dont il avait été victime lorsque les surdoués avaient fui le bâtiment et le désert. Même si de faible cernes soulignaient ses yeux, il se présentait comme vraiment rétabli. En vérité, Kilian s’en fichait pas mal. Le jeune homme n’avait pas vraiment beaucoup parlé à Christian le temps où ils se trouvaient dans les mêmes bâtiments. Sauf qu’il ne le détestait pas comme Baptiste sans même le connaître.

— Bien… Il y a quelque temps maintenant, Victoria nous avait fait part de son envie de se reculer de notre monde politique pour pouvoir profiter, de sûrement ce qui demeure ses derniers moments avec ses enfants atteints de la maladie. Nous avons longuement discuté tous ensemble, et notre conclusion sur le nouveau conseiller s’est acheminée sur Kilian. Cette conclusion ne bougera pas.

Les trois autres conseillers expérimentés hochèrent la tête, les adolescents écoutèrent attentivement leur moindre parole pour ne pas se retrouver vite perdue dans un mélange de choix, d’argument, de dispute ou autres.

— Malheureusement, après un événement navrant ces derniers jours, nous sommes dans l’obligation de radier Bertrand de notre assemblée. Sa santé mentale indiscutablement défaillante a l’air de prendre sérieusement raison de lui. Nous sommes donc réunis dans le but de choisir un nouveau conseiller, déjà ici présent, Ethan Clay. Nous en avions déjà débattue avec certains d’entre vous. Avez-vous des choses importantes à rajouter ou ajouter ? Ou même à nous faire part de votre avis pour qu’on puisse s’éclairer mieux pour l’avenir.

La dernière phrase visait très clairement Kilian et il décida de garder le silence pour le moment dans l’optique d’intervenir plus tard si le temps le lui permettait. Il relevait le regard vers Fred qui le regardait tout en faisant pianoter ses doigts d’une manière étrangement inaudible sur la table.

— Mon fils, est, je le répète, tout à fait apte à devenir conseiller. Nos enfants sont la relève. Mon fils en fait parti et je persiste à dire que mon fils à sa place dans cette assemblée, qui, je suis certain, l’accueillera chaleureusement.

Sauf que Baptiste Clay avait tort.

— Je suis contre, s’opposa Camille. La plupart des conseillers passent tous par ce fameux test, et, ce jeune homme ici présent ne l’a pas passé. Je trouve cela scandaleux qu’il soit dispensé de le passer contrairement à l’ensemble d’entre nous, c’est un favoritisme qui n’a pas lieu d’être. Nous ne savons même pas si ses résultats seraient positifs. S’ils avaient été négatifs, nous ne l’aurions pas laissé au pouvoir. Nous pouvons laisser une chance à ce gamin, mais à partir du moment où il respecte les critères les plus importants, que je ne suis pas certaine de percevoir chez lui.

Christian hocha la tête en marmonnant quelques mots pour renforcer l’avis de Camille tout en lançant des brides d’excuses pour ne pas soutenir son cher ami Baptiste, qui, au pressentiment de Kilian, n’allait pas tarder à s’énerver peu à peu.

— Mon fils est comme je viens de le dire mon fils. Il a du sang noble et vient de notre partie commune. Je ne vois pas quel est le problème ! Il possède les qualités requises pour devenir un bon conseiller.

— Nous ne le savons pas puisque l’on n’a pas eu le temps d’observer et de remarquer ses facultés, riposta directement Camille ne laissant aucune faille à son argumentation.

— Je suis né pour être conseiller, affirma Ethan d’une voix à la texture beaucoup trop confiante. Kilian vient de la partie sud de l’Opartisk, des pauvres et de la classe sociale faible. Comment se fait-il que cet incapable se retrouve comme nouveau conseiller ?

— Il a passé le test et pour d’autres raisons qui lui sont inconnus, reconnut Sophia.

Elle écrivit sur un bout de papier en voyant le regard lourd et interrogateur de Kilian qui la fixait et ne s’arrêterait pas si elle ne prenait pas la peine de lui fournir, ne serait-ce qu’un minimum d’un rangement de réponse. Ta famille. Cela n’aidait pas vraiment Kilian à comprendre, mais il s’en fichait.

— Je rejoins l’avis de Camille, prononça-t-il.

— Son avis ne vaut rien il me déteste ! le coupa Ethan sous le regard lourd de reproche de son père excédé.

— C’est vrai je l’admets sans problème, je ne te hais, mais toi aussi tu ne m’aimes pas. Outre ce fait-là, je pense qu’Ethan n’est pas apte d’être conseiller car ce n’est qu’un gamin pourri gâter qui ne se rend pas encore compte qu’il est dans la réalité et que ses actes et ses choix ont des conséquences réelles, et au stade des conseillers, des impacts immenses que ce soit au niveau du pays ou du monde. Il n’est pas assez mature pour qu’on lui donne autant de responsabilité.

— Et serais-tu capable de prouver ce que tu dis ? insista Baptiste.

— Ma parole ne vaut pas grand-chose, et sur ce moment, seul mon honnêteté et votre confiance en moi pourrait prouver mes dires. Néanmoins, Fred et d’autres élèves des bâtiments pourraient le confirmer. Vous savez tous très bien que dans les bâtiments, les enfants de la classe que vous considérez comme supérieurs possèdent des avantages, et notamment Ethan, ayant un statut de conseiller et usait du pouvoir qu’il détenait pour pouvoir faire punir injustement à sa place ou non.

— Du vécu ? approfondit Christian perplexe.

— Oui.

— Fred ? creusa Sophia.

— Je confirme ce que vient dire Kilian. Certaines personnes abusent trop de ce qu’il pense avoir, et qui, finalement, ont injustement.

— Bien ! Nous allons devoir surveiller un peu plus près les fonctionnements et les lois des bâtiments car il me semble que certains avertissements n’ont pas été pris en vigueur et qu’il ne respecte pas toutes les règles que nous avons voulu imposer, soupira Sophia en tapant son poing sur la table.

Fred s’étouffa de surprise au moment où un petit sourire se dessina sur les lèvres de Kilian. Finalement, ce n’était pas totalement de la faute des conseillers si certaine personne était mieux traitée que d’autre, voir que certaine se faisait maltraiter. Le jeune homme observa le conseiller Baptiste pâlir a contrario de son fils qui prenait un teint cramoisi à l’excès, rouge de colère.

— Bien… J’ai suffisamment d’éléments en notre possession pour en déduire que nous ne pouvons aboutir à ce que notre prochain conseiller soit Ethan Clay. Une objection ?

Baptiste ne prit même pas la peine de contester même si c’était à contrecœur. Camille et Christian hochèrent la tête pour faire comprendre à Sophia qu’ils étaient d’accord. La vieille conseillère passa ses mains moites sur son visage en lâchant un soupir de fatigue, un peu las de la situation dans laquelle les conseillers se trouvaient actuellement. Cela devait faire très longtemps qu’ils n’avaient pas eu autant de choses importantes à s’occuper en même temps. Pendant des années, les conseillers Opartiskains avaient vécu à l’abri et sans trop de charges sur les épaules puisque la guerre ne touchait pas le pays. Le prochain objectif de Kilian serait de comprendre les motivations de ses collègues à être rentré dans la guerre.

— Bien… Puisque la proposition est refusée, le même problème s’interpose à nous. Qui pouvons-nous élire comme nouveau conseiller ?

— J’ai bien envie d’entendre l’avis de Kilian sur ce sujet, déclara Camille souriante.

Camille venait de pousser Kilian à parler, et cela l’encourageait. Le jeune homme avait son idée sur la question, et il était satisfait de pouvoir l’exposer. Malgré tout, il rougit vivement, n’étant pas habitué à une telle attention à son égard. Il ne représentait rien avant, et il se considérait toujours comme rien, sauf qu’il ne l’était plus.

— Eh bien, je ne pense pas que vous allez être de mon envie, et encore moins que vous l’acceptiez… Mais je pense que les nouveaux conseillers arrivants soient de ma classe sociale pour avoir une parité entre les deux parties de notre peuple qui se haïssent mutuellement. Je pense que cela pourrait déjà apaiser quelques tensions.

— Qu’est-ce que tu racontes espèce d’idiot ! Ne va pas ramener toute ta classe pour dominer les plus riches. Vermine ! s’écria aussitôt Ethan.

— Pourrais-tu développer s’il-te-plaît ? J’aimerais bien comprendre, insista poliment Baptiste.

— Ethan, je te prierais de te taire s’il-te-plait. Tu ne fais pas partie de notre assemblée donc si tu veux réagir, tu demandes gentiment l’autorisation à Sophia qui est notre nouvelle secrétaire du débat. Après, si tu veux te proposer en tant que nouveau secrétaire pour assister aux réunions, tu peux remplir une demande que l’on examinera.

— Plutôt mourir, c’est un job totalement ridicule, grinça-t-il entre ses dents d’un air dégoûté.

— Pauvre chochotte capricieuse, railla Fred, soit plus mature. Je me proposerai bien de remplir ce formulaire.

Sophia hocha la tête pendant que Christian faisait un peu la morale à Ethan qui lançait des regards noirs à son père, encore consterné par sa défaite. Le blond fusilla les deux amis du regard mais le reporta plus particulièrement sur Kilian. Par sa faute, il allait devoir rester dans les bâtiments, et par sa faute encore, il n’aurait plus aucun privilège. Ethan fulminait. Kilian l’ignorait car il se fichait du fils du conseiller. Ce n’était qu’un bon à rien. Il ne méritait pas son attention. Il regarda Fred en souriant à cause de la réponse tac au tac qu’il avait sorti. Fred n’avait l’air d’être jamais d’humeur à entreprendre une discussion agréable ou simple avec Ethan, et la réciproque de l’autre côté ne laissait aucun doute non plus. Cela refaisait penser à Kilian sa haine envers Greg. Il se reprit. Il était en train de faire attendre tout le monde !

— Je ne vois pas pourquoi il n’y aurait que des riches conseillers. Cela ne fait qu’accentuer l’hostilité du peuple. Il devrait y avoir la parité. Nous avons six conseillers, trois hommes et trois femmes avant, plus maintenant,. Mais à mon avis, cela serait bien si aussi trois venaient de la partie nord, et trois de celle sud. Une parité de classe pourrait rendre la compréhension et calmer le peuple. Avoir une personne de chaque milieu sociale pour les représenter. Vous vous catastrophez que le peuple s’énerve de tout ce qu’il passe et vous lamentez une guerre civile, sauf que vous n’avez jamais vécu dans la partie sud. Vous ne pouvez pas comprendre ce qu’ils vivent, ce qu’ils ressentent et ce qu’ils ont vécu.

— Je suis assez d’accord. Sauf que vous êtes deux dans ce conseil à venir de la partie sud de notre pays.

Kilian fronça les sourcils et scruta les visages de chaque autre conseiller autre que Sophia. Il ne trouva pas la réponse avant que l’on la lui révèle.

— Je ne suis pas une vraie fille de riches, informa Camille timidement, presque honteuse avec une nuance de pudeur. Mes parents, ceux qui m’ont élevée, m’ont adoptée, j’ai vécu les premières années de ma vie dans un orphelinat dans la partie pauvre de l’Opartisk vers la capitale de notre pays. Jusqu’à mes six ans précisément, j’ai eu le temps de voir tout ce que pouvait vivre certaine personne dans le sud. On était enfermé dans la bâtisse pour étudier aussi mais certains, comme moi réussissait à posséder l’autorisation de sortir. Mes parents étaient sûrement des personnes pauvres qui redoutaient de devoir élever un enfant dans des conditions aussi précaires, et ils pensaient sûrement qu’en plus de ne pas payer l’orphelinat, j’aurais une meilleure vie que leur condition peut-être précaire. Je ne les ai jamais connus, jamais vus, on m’a déposée à l’orphelinat dès ma naissance, la directrice n’a pas noté leur nom, juste fait une photo que je n’ai jamais eu le droit d’obtenir même depuis que je suis conseillère.

Kilian et Fred en restèrent muets alors qu’Ethan réprima un cri d’indignation. La famille Clay semblait être assez snobe et discriminante, que ce soit le père ou le fils. Le reste de la famille résonnait-il comme cela ? Sûrement, les idées se laissaient souvent influencer par les parents, donc la famille. Kilian ne crachait pas sur les familles de riches qui pensaient ainsi car même s’ils demeuraient idiots, le jeune homme ne pouvait pas nier que sa famille était parfaite, loin de là. Le jeune homme n’avait plus rien à dire, il avait assez parlé et argumenté à son goût. Il fixa Camille et l’imaginait petite, aux habits fabriqués en tissu basique, au vêtement tout aussi simple et non parsemé d’ornements élaborés qui semblaient rendre le coût plus cher. C’était évidemment compliqué de l’imaginer dans une telle simplicité que les riches ne connaissaient pas. Il faillit en rire. Camille ? Ressemblant à une pauvre ? Ressemblant à eux ? Cela paraissait si absurde à ses yeux, mais c’était le cas.

— Bien… Camille, c’est ce que tu proposes depuis des années, commença Sophia. Nous voulons bien vous laisser cette chance, mais si jamais cela ne résout pas l’insurrection du peuple, le conseiller sera radié. Avez-vous au moins une petite idée de nomination derrière la tête ?

— Pas la moindre, je m’en excuse, souffla l’ancienne plus jeune conseillère.

— Pourquoi pas quelqu’un comme Fred qui est proche de vous ? proposa Kilian en haussant les épaules.

— Oui, cela me plaît bien te prendre une personne en qui nous avons déjà confiance. Puis, Kilian, ne nous appelle plus vous, tu es un conseiller désormais. Ton avis et tes choix comptent et dominent.

— Il est hors de question que je sois un conseiller ! hurla Fred faisant sursauter tout le monde. Secrétaire je veux bien, mais je refuse de vous rejoindre. C’est trop !

Kilian éclata de rire en regardant son ami, qui finit par sourire en voyant la petite étincelle malicieuse dans son regard. Voir qu’il pouvait rendre un peu de joie à Kilian ne faisait que nourrir le bonheur de Fred bien qu’il ait toujours l’optique de régler une bonne dernière fois ses comptes avec son père.

— Je verrais bien Liam. Il est timide, mais il a de bonnes idées et il est très autonome, il a toujours vécu dans un orphelinat. Après vous pouvez aussi en discuter avec Charles.

Kilian remarquait bien les regards inquiets des conseillers après sa phrase et il finit par adopter une expression sobre alors que son regard se faisait sombre et suspicieux. Ce n’était pas tant les noms qu’il avait sortis qui les inquiétait. C’était autre chose, mais il n’aurait su deviner quoi. Soudain, Sophia abattit lourdement ses poings sur la table en secouant la tête et se leva par la même occasion.

— Bien… Vous trois, tâchez de ne pas dégrader vos relations encore plus, car vous partez en mission tout les trois ensemble. Donc garder dans la tête que vous allez devoir collaborer même si vous vous détestez.


Fred grogna et se leva. Kilian, lui, leva le regard au plafond avant de le rejoindre. Sophia se mit à éteindre les écrans avec un système particulier qui servait sûrement à assurer la confidentialité de l’entretien alors que les deux amis sortirent de la salle, de retour dans les couloirs colorés du palais. Cela faisait du bien un peu de couleur. Ils n’avaient plus qu’à prier pour que la mission se déroule correctement, sans dérapage trop conséquent. Sans se concerter, ils prirent le chemin pour aller dans la chambre de Kilian.

— Hey oh ! Attendez-moi !

Kilian soupira d’une fausse exaspération alors que Fred fit directement volte-face, les poings fermés. Si Ethan commençait à l’énerver encore plus qu’il le devait, cela risquait de finir en bagarre. Sauf que Kilian ne souhaitait pas voir Fred et Ethan avec un œil au beurre noir, même s’il n’appréciait guère le fils de Baptiste.

— Tu veux quoi ?

— Vous parlez, il faut bien que l’on s’habitue à se communiquer un minimum même si j’en ai autant envie que vous.

— On n’a rien à se dire et on ne veut pas se parler donc on ne se parlera que lors de la mission sans la mettre à mal. Je ne vois pas où est le problème là-dedans. Tu ne veux pas nous voir, et on ne veut pas avoir ton visage de riche et snobe arrogant devant nous.

— Vous jugez ?

— Dit celui qui est le stéréotypé du fils de riche arrogant qui n’a conscience de rien.

— J’ai conscience de plein de choses.

— Non. Et tu uses d’un pouvoir que tu ne devrais pas avoir.

— Je le mérite amplement.

— Parce que tu es riche ? Ce n’est pas cela pauvre débile.

— La richesse fait partie du monde, et les riches ont raison de rester entre eux et de profiter de ce qu’ils ont et méritent d’avoir.

— Car une pauvre femme à la rue et malade n’a pas le mérite de recevoir des soins car elle n’a pas d’argent ? Ou un enfant des rues n’a pas le droit d’aller à l’école ? Alors que lorsqu’un riche est malade cela résonne comme une injustice alors que c’est juste la vie et qu’il n’a pas eu de chance car la vie est impitoyable avec la plupart des gens. Elle est profondément injuste aussi mais elle ne t’a pas foudroyé de malheurs donc tu ne peux pas comprendre. L’égalité devrait exister dans notre pays et ne l’a malheureusement pas et c’est bien triste. On juge tous avant de connaître, mais on se comporte spécifiquement lorsque l’on connaît vraiment une personne, rétorqua Kilian reportant l’attention des deux autres sur lui. C’est ce que les riches ne font pas, ils jugent et prennent directement pour une réalité et rare sont ceux à essayer de creuser. Nous, on juge mais on apprend à voir comment est l’autre avant de le mépriser. Les riches méprisent pour un rien car ils considèrent les plus pauvres indignes d’eux, et c’est un comportement déplorable.

— J’ai été élevé comme cela ! se défendit Ethan les joues rosies.

— Eh bien nous, nous ne sommes pas nés avec une cuillère en or dans la bouche, nous avons eu des obstacles dans la vie et nous connaissons la valeur de suffisamment de choses. Cesse de geindre et apprend de tes erreurs et des autres. Si un jour tu souhaites devenir conseiller, il faut que tu grandisses et deviennes plus mature.

Kilian ne partit pas comme une furie, pourtant, cela le tentait bien, mais montrer un comportement enfantin devant un enfant sournois qui n’attendait qu’une seule erreur. Il ne pouvait pas se réduire à faire cela, encore moins pour le simple plaisir d’Ethan, surtout pas pour lui. Les trois adolescents restèrent planter là à se défier du regard, telles des statues de cire. Ethan finit par céder et tourna les talons pour partir du sens opposé, lui contraignant donc tout un détour pour atteindre sa chambre alors que cela aurait été plus rapide dans la direction que Kilian et Fred avaient entrepris de marcher. La mission risquait d’être tendue et Kilian savait que même si les autres conseillers ne leur mettaient pas officiellement la pression, s’ils rataient, cela se passerait mal pour eux. Kilian se demandait pourquoi les conseillers faisaient-ils des efforts pour une cause où ils n’avaient jamais insisté ? Comment se faisait-il, que lui, Kilian Mallow, seize ans bientôt dix-sept, puisse posséder une telle influence. Le jeune homme ne comprenait pas vraiment, tout était nouveau pour lui.


La mission se passait le matin car le roi faisait visiter le laboratoire au conseiller, le matin. Kilian était habitué à se lever de plus en plus tôt ses derniers temps, de toute manière, habituellement, il ne dormait pas beaucoup. Même si Kilian restait concentré, il ouvrirait l’œil lorsqu’il sortirait du palais : il allait voir un minuscule bout d’un pays étranger. Il n’aurait jamais cru que cela aurait été possible, encore moins lui. Il appréhendait aussi, l’adolescent savait aussi que la Siar était un des pays les plus hostiles. Fred passa en coup de vent dans sa chambre pour prendre une veste et ils rejoignirent le roi parlant à la conseillère Sophia dans le grand hall du palais. Le hall du palais demeurait immense et tout aussi minutieusement décoré que le restant du gigantesque bâtiment. Les lumières collées au plafond recouvraient l’intégralité de ce dernier mais elle ne s’allumait pas toute en même temps puisque plusieurs interrupteurs se situaient juste à côté de l’entrée du couloir est. Un grand escalier se séparait en deux mais continuait aussi tout droit et le hall reprenait les mêmes couleurs et les mêmes motifs que le reste des couloirs du palais. Kilian et Fred n’avaient jamais vu un hall aussi grand. Le roi Jean-François II fixa un moment les deux adolescents et plus particulièrement Kilian. Ils le saluèrent d’un mouvement discret de la tête, et le roi reporta son attention sur Sophia même s’il gardait les deux adolescents à l’œil. Kilian trouvait vraiment cela étrange et cela le rendait mal à l’aise. La femme du roi, accueillit chaleureusement Ethan avec qui elle commença à faire connaissance alors que le jeune noble lançait comme des regards de détresse à Fred et Kilian. Ce dernier l’ignora, alors que l’aîné se réjouissait intérieurement. Il se pencha légèrement, dérivant son regard sur le sol et appuya sa main sur l’épaule de son ami d’enfance.

— Je me demande ce qu’à lui roi à te fixer. Il est assez flippant, affirma-t-il à voix basse.

— Pour tout te dire, il me fixe depuis que je suis dans son palais. Sauf qu’il nous fixe maintenant, rectifia Kilian en tripotant le bout de sa veste, légèrement angoisser par le roi. En tout cas, il y a intérêt que les conseillers ne nous refourguent pas encore le fils de Baptiste, sinon je risque de m’énerver.

— Et moi de lui décocher un poing dans sa face. De toute manière cela ne changera pas grand-chose, il ne perdra pas en beauté.

Kilian esquissa un sourire. Fred ne perdait pas une seule occasion pour tacler un peu le blond insupportable qui leur servait de coéquipier. Le jeune conseiller n’aurait jamais eu l’idée de le dire à voir haute, sauf à l’époque des bâtiments, où il cherchait à faire son rebelle car il ne voulait pas donner la satisfaction à Ethan que c’était de sa faute s’il se retrouvait aux punitions avec Liam et Charles. La plupart du temps, c’était bien la faute d’Ethan, mais Kilian ne restait pas innocent non plus dans tous les cas. Il s’arrangeait pour. Le rire cristallin de la reine résonna dans le hall pendant que son interlocuteur se força à sourire. Le roi se renfrogna et il se crispa de sérieux en une seconde alors qu’il abordait une expression faciale étendue. Kilian admirait la capacité de certaines personnes à recouvrir très vite une apparence adéquate à une situation bien précise. Ils ne sortaient pas du palais pour se détendre, pour aller danser à un bal ou pour faire une visite guider de la capitale représentant une des richesses du pays. Ils n’étaient pas ici pour cela, et le roi ne s’apprêtait pas à leur exposer un endroit joyeux. Kilian passa une main sur son sourcil droit avant de rejoindre le groupe qui s’était formé, alors qu’un garde ouvrit la porte.


Le petit cortège sortit donc du palais. Une troupe de garde encadrait leur sortie et dès que l’espace se faisait conséquent, les gardes les plus proches de la porte se décalaient pour les suivre. Un sentiment de mal aise envahit Kilian, il trouvait cela bizarre, il n’était pas habitué à être surprotégé. Les gardes finirent par s’éparpiller dans la foule lorsqu’ils rentrèrent au début de la ville. Le roi signala brièvement que c’était le marché, ce qui expliquait tant de monde. Kilian observait donc la Siar. Il se retourna et vit des collines se dresser encore plus haute que le palais comme si elle dominait la vallée entière. Le transport se faisait en calèche, sûrement pour les plus aisés alors que la plupart marchaient, on entendait les sabots des cheveux des kilomètres à la ronde sur les pavés de la place. Les maisons semblaient construites dans de la pierre et quelques rudiments de bois foncés. Le peuple Siar ressemblait à une population plus pauvre qu’autre chose. Les marchands ne prenaient même plus la peine de crier leur article et leur domaine. Et pour cause, une scène mémorable et extrêmement violente se produisait. Le roi Jean-François II prit plaisir à regarder cela. Kilian se contracta et s’immobilisa directement, n’arrivant pas à détacher son regard de là. Une sorte de bûcher en bois se tenait au milieu de la place. Communément, une fontaine se situait au centre d’une grande place d’une ville. Pas en Siar. Des rondeaux en T avec une menotte accrochée reposaient à plate-forme en bois, situé en hauteur. Deux hommes y pendaient d’un seul bras accroché à une menotte. Les deux hommes se regardaient avec tristesse et réussirent à se prendre la main une deuxième fois. Un homme, au sourire sadique, les contempla avec dégoût avant de se poster derrière la plate-forme. Le feu partit très vite, nourri par le bois le faisant grandir encore et toujours. Le premier homme touché hurla de douleurs sous le regard apeuré de l’autre homme qui ne le lâchait pourtant pas. Le feu mit du temps à gagner du terrain, et l’autre homme eut le temps de se faire décrocher mais il tenait toujours celui qui brûlait, et il se laissa brûler avec lui, sous le regard mauvais mais satisfait de la majorité de la foule assistant à cette scène.

— Vous finirez assassiné ! hurla celui qui était encore en vie au roi qui ricanait légèrement.

Kilian en eut le sang glacé et fut pris d’un tremblement qu’il tentait aussi bien que mal de dissimuler. Le jeune homme était désarçonné et déboussolé. Ces deux hommes ne paraissaient pourtant pas être de dangereux criminels. Un criminel n’avait pas le regard qu’ils avaient eu. Et les gens qui ne faisaient rien comme si c’était une chose normale… lui aussi il n’avait rien fait. Il se sentit terriblement coupable au moment où il fut pris d’une douleur dans l’estomac. Fred et Ethan n’étaient pas plus rassurés que lui, et Sophia gardait une expression faciale neutre. Elle avait sûrement déjà été en Siar auparavant pour ne pas être étonnée, choquée et abasourdie de la sorte. Kilian se sentait faible et démuni face à tout cela. Le roi et la reine fixaient le bûcher d’un œil cruellement amusé du sort des deux malheureux. Kilian se plia un moment comme s’il allait vomir. Il était vrai que son repas était remonté quelques instants avant de retomber.

— Qu’ont-ils fait ? s’assura Ethan qui lançait un regard inquiet aux deux autres.

Cette scène venait de mettre fin à leur mésentente pour le moment, toutefois, pas pour longtemps.

— Ils s’aiment. Ce sont des homosexuels, commenta le roi d’une voix banale en expédiant le sujet d’un geste de la main.

— Et quel est le problème ? Parce que moi je n’en vois aucun, déclara Fred d’un ton beaucoup trop cassant.

Sophia serra la mâchoire de peur des représailles qui pourraient tomber sur l’adolescent. Le roi ne prit même pas la peine de se retourner vers le jeune homme. Comme s’il ne valait rien. Tous les nobles étaient donc bien des snobes. Cela le confirmait à Fred et Kilian. Le comportement de couple royal était abject et pitoyable. Ils reprirent leur chemin comme si de rien n’était, salué par tous les habitants. Kilian se tourna vers Ethan qui montrait une pâleur inquiétante. Il faillit même lui demander s’il avait besoin de s’arrêter, la nouvelle avait l’air de le chambouler. En vérité, cela les chavirait tous les trois. Il y eut un espace de blanc où personne ne parla et Kilian crut que le roi ignorait la question de Fred qui défiait le roi sans peur. Lorsque le roi reprit, il saisit que l’homme cherchait ses mots avant d’énoncer quoi que ce soit :

— En Opartisk, vous êtes sûrement plus ouvert d’esprit que nous…

— Oui nous le sommes le mariage homosexuel est pratiquement validé, en Dheas il est déjà accepté, le coupa Sophia.

Le ton de la jeune femme se faisait indescriptible mais elle se renfrogna juste après, livide. Kilian savait que Sophia n’avait pas de famille, ni de mari. Il ne voulait pas laisser son cerveau lui jouer des tours mais peut-être que… il ne continua pas ses réflexions mal placées plus loin.

— Pour ma part, les lois passent pour moi et j’estime que ce type de relation et d’attirance son contre nature. Je refuse qu’il y ait de cela dans mon pays !

Sauf qu’il y en aura toujours. Fred serra les poings en voulant répliquer une insulte et une protestation mais il se réprima. S’il faisait cela, il recevrait une sanction assez grave et ne reverrait peut-être jamais l’Opartisk. Il n’était pas en capacité de défier le roi et de démontrer que ses valeurs et ses lois étaient répugnantes. Il finit par se relâcher après un bout de trajet et lança un regard à la dérober vers Kilian. Ce dernier se remettait aussi difficilement qu’Ethan qui avait repris de sa couleur depuis le temps. Fred jeta un regard mauvais au roi, même s’il ne le voyait pas car il était dans son dos, il s’en fichait. Il écarta son bras pour chercher la main de Kilian et entrelaça ses doigts en la serrant. Son ami ne le regarda pas, mais Fred savait que son sourire reflétait sa réponse. Lui aussi se mit à sourire, mais d’un sourire idiot comme un enfant qui venait de recevoir une sucette depuis longtemps. Ils poursuivirent le chemin et le roi se remit à parler.

L’homme était un vrai bavard, Kilian n’avait jamais connu un bavard de cette envergure. Il arrivait à détourner des sujets extrêmement ennuyants pour captiver ses interlocuteurs. Enfin, pratiquement tous puisque les adolescents n’écoutaient pas. La scène qui venait de voir les avait vraiment refroidis. Les conseillers les avaient prévenus que les coutumes et idées de Siar pouvaient leur paraître cruelles. Ce n’était même pas une illusion, c’était réel. C’était si horrible. Kilian souhaitait de plus retourner au sein des villes pour le moment. La situation marquait déjà sa mémoire, et cette vision, il ne l’oublierait jamais.


Le cortège arriva devant une bâtisse qui se montrait délabrée, mais qui d’après les dires de Jean-François II, demeurait en faites très technologique et sophistiquée une fois à l’intérieur. Fred et Kilian se lâchèrent la main, anticipant le geste du roi qui pivota vers eux. Les adolescents attisaient l’intention du roi qui essayait de découvrir leur utilité auprès d’une conseillère. Il ignorait la nomination devant de plus en plus officielle de Kilian en tant que conseiller, pourtant, ce dernier était celui qui attisait encore plus sa curiosité. Le roi sentait que le jeune homme avait des secrets, et il essayait de les découvrir. Bien évidemment que Kilian possédait un secret, peut-être même plusieurs, mais à l’époque, il n’en avait jamais parlé à Iris, maintenant, il n’en avait jamais discuté, ni avec Cassandra, ni avec Fred. C’était peine perdu pour le roi de Siar, il ne pourrait pas espérer deviner, et Kilian ne comptait pas parler à cet homme qui le dégoûtait de plus en plus.

Les trois adultes firent face aux trois adolescents. Sophia avait la tête baissée puis releva son regard, une lueur sombre et électrique l’éclairait. La vieille dame ne devait pas apprécier les coutumes de Siar. Kilian le lisait dans ses yeux. Il pensait donc que ce qu’il imaginait était sans doute vrai : la conseillère Sophia partageait peut-être sa vie avec une femme. Kilian n’oserait même pas la questionner à ce sujet, c’était vraiment déplacé de sa part même s’il était déjà énormément convaincu par cette hypothèse. La reine de Siar se tenait en retrait, mais la tête haute, elle fixait vraisemblablement un garde derrière les trois jeunes hommes. La reine semblait discrète et distante avec beaucoup de personnes. Kilian n’observait aucun geste tendre, d’affection entre le mari et la femme. Le couple royal semblait figé et impassible comme des statues. Il remarqua tout de même la reine se crisper légèrement lorsque le roi colla sa main dans son dos et lorsque son regard se changea en gêne et qu’elle se mordit la lèvre, il en déduit que Jean-François II l’avait fait glisser jusqu’à son postérieur. Néanmoins, aucun scandale en public ne devait faire surface, et pour cause : l’apparence avant tout. Était-ce vraiment un mariage d’amour ? Kilian en doutait car la Siar représentait parfaitement le Moyen-Âge. Par exemple, la reine avait des limites même dans le palais et des devoirs à respecter comme offrir beaucoup d’enfants à son mari, profitant de sa fertilité au maximum. C’était un des rôles principaux de la femme du roi d’après la règle d’or : le couple royal est prié de s’accoupler jusqu’à avoir le nombre satisfaisant d’enfant que le roi souhaitait. Le roi dégoûtait de plus en plus les adolescents. Le couple n’était pas heureux, la reine n’était pas heureuse.

— Elle le trompe avec un garde, murmura Fred profitant de l’attention des adultes détournés.

Kilian dissimulait sa surprise et réprima un hoquet de à cette émotion. Il n’en attendait pas autant de la reine. Le jeune homme était content pour elle, mais si le roi le découvrait, sa sanction risquait d’être terrible, autant pour elle que son amant. Le roi, quant à lui, abordait un sourire fier et un regard cruel à en glacer le sang comme s’il n’était pas rassasié de ce qu’il venait de voir. Kilian comprit que Jean-François II prenait un malin plaisir à regarder des personnes innocentes souffrir jusqu’à la mort. Les rumeurs devaient être vraies : il avait assassiné son père pour le pouvoir.

— Êtes-vous certain de vouloir venir ? Certaines vues ne sont pas des plus agréables, enfin, ce ne sont pas ses vues qui me dérangeraient, mais vous êtes jeunes, et si la scène sur la place vous a choquée, je ne vous conseillerai pas de rentrer dans ce laboratoire, affirma le roi.

— On s’en remet vite, ne vous inquiétez pas, déclara poliment Kilian d’un ton assez sec.

Jean-François II le jaugea du regard et tourna les talons pour ordonner aux gardes postées devant la porte de leur ouvrir et leur laisser le passage. Les soldats, c’étaient des robots mais humains. Ils obéissaient aux ordres, sans rechigner, sans avoir leur mot à dire. Kilian s’interrogea même. Certaines personnes se retrouvaient-elles obligées de faire partir de l’armée de la Siar ? Cela ne l’aurait pas étonné, le roi obtenait tout ce qu’il voulait, et personne n’avait le courage de se révolter contre son autorité. Les portes s’ouvrirent et ils pénétrèrent dans le bâtiment. Kilian se mordilla la lèvre. Comment allaient-ils s’extraire du cortège sans se faire voir par les gardes ? C’était juste impossible. Dans ce bâtiment, il faisait froid, mais la technologie moderne contrastait avec la vie à l’extérieur. Kilian retenue un frisson alors qu’Ethan, qui se trouvait en t-shirt, grelottait en se frottant les bras. Fred grogna et retira sa veste pour la lui passer. Ce dernier ne craignait pas le froid. Ethan le remercia d’un signe de tête, Fred ne s’en émeut pas et continua à faire comme s’il n’existait pas. Le fils du conseiller Baptiste s’en fichait éperdument. Aucun lien ne se formerait avec Ethan pour Fred et Kilian, même avec du temps. L’optique de s’entendre bien avec Ethan et de partager une réelle discussion avec lui leur hérissait les poils. Sophia s mise à discuter de plus en plus avec le roi, une discussion qui commençait vraiment à être animée.

— Je viens de me demander… Une personne homosexuelle qui n’est qu’un touriste subit quel traitement ? s’enquit-elle.

— Il est emprisonné et soit tué, soit interdit de revenir dans notre pays. Tout dépend de sa chance.

Fred cligna des yeux alors que Kilian serrait les poings. Il avait bien compris que cette question était en réalité un signal pour qu’ils partent discrètement et trouvent les informations qu’ils veulent. Mais comment faire alors qu’ils étaient sous une surveillance permanente ? C’était impossible ! Il communiqua du regard avec Fred. Ce dernier ne voyait pas de solution non plus. Et Sophia en était consciente, la conseillère jouait avec ses doigts, inquiète : ils n’avaient qu’une seule et unique occasion de rentrer dans ce bâtiment. Ils passèrent devant un ranger de lit avec des enfants mourants qui retournèrent l’estomac des adolescents. Vais-je finir comme eux ? Kilian en prit vraiment peur tout en se posant cette question. Il ne souhaitait pas vraiment finir sa vie dans des conditions telles que ses enfants vivaient. Ils passèrent vite et la reine s’arrête, le regard pétillant cette fois-ci.

— Mon cher mari ! Je te propose de nous séparer en deux groupes : restes avec notre chère amie Sophia, et j’accompagne ses enfants dans des lieux moins terribles par lesquelles nous sommes passés.

La femme cherchait à fuir son mari, c’était détectable très facilement, en tout cas, pour Kilian. Jean-François II parut réfléchir un instant et finit par s’aider. La reine prétexta que les gardes devaient sans doute, impressionné énormément les enfants pour que son mari accepte de les laisser sans un groupe réduit de garde. Il ne refusa pas. Sophia remua discrètement les lèvres à l’adresse des trois adolescentes mais aucun d’eux ne réussit à lire sur. Temps, c’est tout ce que Kilian retenu. Les adolescents et la reine s’extirpaient du groupe pour s’éloigner hors de la vision des autres et des gardes. Les adolescents n’osèrent même pas poser de questions et la reine ne leur adressa pas un mot. Kilian la soupçonnait de vouloir s’éloigner le plus possible de son mari, pour une fois qu’elle n’était pas dans l’obligation des se retrouver avec lui. Ils se retrouvèrent dans un couloir où il fallait tourner l’attitude de la reine commençait à intriguer poussivement Kilian. Alors qu’il allait lui poser une question la reine se retourna et l’agrippa pour le plaquer contre le mur, dégainant un couteau qu’elle cala contre la gorge du jeune homme. Kilian pointait déjà son arme vers le visage de la reine et Fred, qui avait réagi immédiatement colla la sienne dans le dos. Ethan hurla mais Fred lui donna un coup de pied dans le tibia pour le faire taire. La reine n’enlevait pas pour autant son couteau.

— Vous savez vous montrer surprenante, votre majesté, souffla Kilian d’une voix étouffée.

Elle afficha un sourire vainqueur mais le relâcha et il se laissa glisser au sol. Fred levait toujours son arme sur la reine et se détourna pour s’agenouiller au côté de Kilian et l’aida à se relever. Ethan était strictement inutile. La reine leva les bras de bonne foi, mais cela ne persuadait pas les adolescents de baisser leur arme : elle avait toujours la sienne. Kilian scruta son visage mais n’arrivait, ni à lire ses traits d’expressions, ni analyser son regard de marbre. La reine était plus forte qu’elle ne semblait l’être.

— Vous êtes ici pour une raison bien précise, constata-t-elle. Sinon, Sophia ne vous aurait pas emmené. J’exige de connaître la raison de votre présence, immédiatement. Cela pourrait mal se passer.

— Nous avons les armes les plus dangereuses et meurtrières en main, rappela Ethan.

— Pas toi alors recule près de nous, ordonna sèchement Fred.

Ethan le fusilla du regard mais l’obéie à contrecœur car il avait raison. La reine ne laissait pas tomber son couteau mais se radoucit gardant toujours une expression sérieuse.

— Si vous me tuez, vous fichez votre vie en l’air. Mon mari, au mieux vous enfermera à vie, au pire il vous fera exécuter. Dites-moi plutôt ce que vous comptiez faire, et tout se passera bien. Je n’en parlerais pas à mon mari.

— Pourquoi vous ferions-nous confiance ? rétorqua Kilian.

— Peut-être que je peux vous aider.

Kilian prit le temps de réfléchir un court instant avant d’échanger un regard entendu avec Fred. Il hocha sèchement la tête vers le bas et reporta son attention sur la reine qui les observait sans émettre de commentaires ou une réplique les visant à les persuader à lui faire confiance. Ils ne lui faisaient pas confiance, mais si elle les trahissait, ils étaient plus forte qu’elle. Les deux adolescents baissèrent leurs armes et le couteau tomba bruyamment au sol.

— Nous cherchons ce que vous avez trouvé par rapport à la maladie, marmonna Kilian.

La reine sourit, satisfaite. Sous la surprise des trois adolescents, elle fit volte-face et leur ordonna de la suivre. Ils n’avaient pas confiance en la reine, mais ils la suivirent tout de même. Ils ne comptaient pas la laisser partir comme cela. Les jeunes hommes risquaient gros. Ils retracèrent son chemin, ne la quittant pas du regard. Kilian cessa de compter le nombre de couloir qu’ils empruntaient au bout du dixième. La reine consulta sa montre et décida d’augmenter son rythme de marche. La visite ne devait durée qu’une heure pas plus. Après être passé de couloirs en couloirs elle ouvrit une porte et pénétra dans une petite pièce faiblement éclairée dans laquelle se retrouvaient entreposées plusieurs gros dossiers sur une table. Ethan et Fred déglutirent. La reine était-elle vraiment prête à trahir son mari pour aider l’Opartisk qui n’était même pas un allié ? Kilian avança et la reine fouilla dans les dossiers pour en extirper quelques feuilles qu’elle lui remit.

— Bon… Vous ne croyez tout de même pas que je n’allais rien vous demander en retour ! Si vous parlez à mon mari, je ferais en sorte que vous soyez mort. Du coup, je vous demande juste de répondre à une de mes questions, déclara-t-elle d’une voix pleine de confiance.

— Eh bien votre Majesté… Vous savez vous montrer collaboratrice mais menaçante… toutefois, je comprends aussi ce que vous voulez faire, et c’est tout à fait normal. Un marché, c’est donnant-donnant.

La reine hocha la tête pour affirmer les dire de Fred. Elle vérifia un détail qu’elle voulait savoir dans un dossier puis prit une feuille dans le but de noter certaines choses. Malheureusement pour elle, il y avait des inscriptions importantes et cruciales que certains œils experts ne ratèrent pas. Ils devaient absolument prévenir les conseillers des attaques programmer par la Siar. Fred mémorisa tout ce qu’il venait de brièvement lire. La reine se posta devant Kilian qui ne lisait qu’en diagonale les papiers fautes de temps. Il finit par les plier en quatre et les mit dans la poche fermée de sa veste. Si on remarquait qu’il possédait des feuilles à sa sortie, il serait arrêté sur le champ. Les prisons de Siar ne lui donnaient vraiment pas envie, le roi pouvait se montrer très cruel comme lors de la scène du matin. Aucun des adolescents souhaitent être sa nouvelle victime.

— Qui es-tu pour les conseillers ? Et pourquoi le conseiller Bernard c’est étrangement volatilisé avec un motif qui me paraît tout aussi étrange, insista-t-elle.

Cette question ne l’étonna pas des moindres. Tout était logique. Kilian était tenté de lui mentir, mais il en conclut que cela ne servait pas à grand-chose puisqu’elle finirait par tout savoir. Un jour, tout sera public.

— Je suis le nouveau conseiller, et Bertrand est radié de ses fonctions après que nous nous sommes rendu compte qu’il n’allait pas vraiment bien dans sa tête, annonça avec honnêteté Kilian.

Cette réponse suffit largement à la reine qui ne réclama pas de plus de détails. Cela tombait bien, Kilian n’avait pas très envie de parler avec tout ce qui s’était passé. La reine savait se montrer forte quelques fois même si en présence de son mari, elle paraissait plus soumise qu’autre chose.

— Vous et le roi… C’était un mariage arrangé, n’est-ce pas ? se renseigna Ethan, curieux alors que Fred lui lançait un regard meurtrier, pensant que cela rappellerait des souvenirs assez douloureux de la reine.

Oui, les souvenirs pouvaient être douloureux, mais il fallait s’y confronter pour les effacer avec le temps. La reine faisait preuve de sagesse, et elle savait tout cela. Son esprit vif et logique étonnait beaucoup Kilian qui imaginait la famille royale comme une caricature des riches qui n’en avaient rien à faire des pauvres. Si certaines l’étaient, la reine réfutait cette représentation.

— Oui, en quelque sorte. J’étais une fille d’un des comtes, et j’allais à l’école, dans la classe du roi. Vous savez, la plupart des nobles arrivent à obtenir tout ce qu’ils veulent avec leur caprice. Le caprice de Jean-François, c’était moi. Je ne l’aimais au début, et après la naissance de notre fils, j’ai fini par me rendre compte du pot aux roses. Tout était un leurre, j’avais l’impression d’être un trophée qui servait à continuer la ligne noble du roi. Je me suis éloignée quand il a tué son père pour devenir roi, mais je ne peux pas m’échapper.

— Mais vous le tromper avec garde, souffla Fred.

— Vous êtes perspicaces, pas un mot dessus je vous pris.

Elle n’avait pas peur pour elle, mais pour son amant, Kilian trouvait cela admirable. Ils rejoignirent le reste du cortège et purent examiner les enfants mourants, des cadavres, des machines aux bruits qui comblaient le silence entre les personnes et certains médecins qui firent des saluts à la conseillère et qui s’agenouillèrent devant le roi en repartant vaquer à leur occupation du moment. Ils n’étaient pas autorisés à délivrer des informations devant des invités où tout autre personne que le roi et sa femme. Kilian trouvait cela normal : ils prenaient des mesures de sécurité pour que rien ne soit ébruité dans le peuple. La maladie restait une chose sérieuse sur laquelle personne ne pouvait se permettre d’étendre des rumeurs fausses et blagueuses dessus. La dure réalité, c’était que la maladie était planétaire, et que chaque personne au courant se voyait en proie à la peur à se découvrir des symptômes correspondants. Ils refirent le trajet inverse et le regard de Kilian ne put s’empêcher de se poser sur le bûcher. Les personnes déambulaient autour ou dessus, sans se soucier que des actes atroces avaient été commis contre de pauvres personnes innocentes qui restaient juste eux-mêmes. Ils auraient du mal à fermer l’œil ce soir. Cela le hanterait sûrement jusqu’à son départ pour regagner l’Opartisk, et même pour plus longtemps.


Le dîner avait eu lieu, et Kilian s’était précipité pour le terminer. Il voulait qu’on le laisse un peu tranquille, après cette journée. Le roi n’avait pas totalement tort, quelques images désagréables défilaient dans son esprit en boucle et le laissant réfléchir. Il venait de prendre une douche, et l’eau dégoulinait toujours de ses cheveux, mouillants dans son dos le t-shirt à manches longues qu’il venait d’enfiler. Kilian se tenait à la rambarde. Il fixait l’horizon au loin à travers la baie vitrée. Le regard vague et perdu. Le jeune homme pensait rester tranquille en Siar, il pensait qu’il serait moins torturé qu’en présence de l’ensemble des conseillers. C’était une erreur. Malgré le fait qu’il soit loin de tout, la scène qu’il avait vue le matin l’avait vraiment perturbé et avait remis en question son envie de se relever. Il s’en voulait aussi car il venait de comprendre ce qu’il avait commis : il avait laissé les sentiments prendre place, grossir, augmenter dans son cœur. Le pire, c’était qu’il ne s’en était même pas rendu compte, et cela le frustrait encore plus. Sauf que le déclic était venu : l’exécution des deux hommes sur le bûcher de la place. Ce qu’il avait automatiquement refoulé était ressorti malgré lui. Kilian venait de comprendre que les sentiments étaient présents depuis qu’il l’avait revu. Il se concentra sur les gouttes d’eau, désormais froide, qui dévalaient, rapidement pour certaines, lentement pour d’autres, dans son dos.

— J’imagine, que si je te propose de parler, tu penseras encore aux choses que tu veux me cacher. Et donc… Tu ne voudras pas discuter, déclara une voix derrière lui.

Fred ferma la porte, et Kilian se retourna, le regardant dans les yeux. Il était conscient qu’il n’était pas le seul à avoir été désarçonné par cette scène. Son ami et Ethan aussi l’étaient. Kilian le lisait dans ses yeux. Son expression du visage laissait retranscrire l’inquiétude qui l’animait un peu même si Fred avait la capacité de la réprimer pour ne pas la montrer aux personnes qu’il ne voulait pas qu’il remarque. Il ne faisait pas cela avec Kilian. Le jeune homme savait que ce dernier n’avait pas de problème à remarquer quand il n’allait pas bien. C’était réciproque. Kilian vint s’asseoir sur le lit et Fred l’imita.

— Tu as raison, mais un détail a changé. Je veux te parler.

— Génial… Alors, je vais enfin connaître ce que cache le grand Kilian Mallow ?

Le concerné se retourna vers Fred, et il sentit que ce n’était pas le moment de rire ou de tenter de détendre l’atmosphère. Un frisson lui parcourut l’échine. Tout à coup, il redoutait ce que Kilian voulait lui confier même s’il était ravi que ce soit lui et pas une autre personne. Cela le rassurait en quelque sorte.

— Il y a presque dix-sept ans…

— Tu es né. Tu auras bientôt dix-sept ans.

— Certes… mais c’est depuis ma naissance. Ce que je veux dire, c’est que je ne suis pas né dans une famille géniale. Loin de là. Mes parents…

Kilian s’arrêta, la voix tremblante, sans trop savoir comment formuler les phrases qui devaient suivre. Fred l’interrogea et l’encouragea d’un regard. Il serra les poings, s’enfonça les ongles dans la pomme, laissant des traces en forme de croissants.

— Disons que… Ils ont… balbutia-t-il. Tu te souviens de mon chien ?

— Euh… Oui, vaguement. Mais il est mort à tes six ans, non ? s’assura Fred qui fronçait les sourcils, ne voyant pas le rapport avec son secret, car la mort de son chien restait une chose banale de la vie.

— Ils l’ont tué sous mes yeux. Juste dans le but de m’anéantir et de me détruire, avoua Kilian d’une voix si sèche qu’il toussota un peu. Je… je ne sais pas qu’est-ce qu’ils sont exactement. En tout cas, la seule chose que je sais, c’est que dans leur tête ils ont des problèmes, ils ne sont pas normaux. Ils n’ont aucune humanité.

— Cela s’appelle être psychopathe, marmonna Fred se remémorant les cours de psychologie qu’il avait pris comme option facultative.

Il dévia sa tête vers Kilian, et ce dernier sentit sa main chaude dans son dos, puis remonta pour presser son épaule en signe de soutien. Il faillit esquisser un sourire, mais il n’y arriva pas. Kilian souleva ses manches, révélant toutes ses cicatrices sur son bras. Certaines longues, d’autres petites. Fines ou épaisses, recouvrants une bonne partie de ses bras. Peut-être même qu’il en avait sur d’autre partie de son corps. Qui pouvait savoir ? L’autre adolescent se décomposa littéralement à la vue de ses cicatrices.

— À une époque, j’étais si au fond du gouffre que je me mutilais. Cela paraît idiot parce que cela fait encore plus mal, mais c’était comme si je m’échappais de ce que je vivais. Malheureusement, la plupart de ces cicatrices sont leurs fautes. Et, j’ai encore des bleus sur mon torse, ils ne sont pas prêts de s’en aller, mais tant que je ne les revois pas, cela n’empira pas. Je ne sens même plus la douleur.

Fred dû se forcer à fermer la mâchoire qui se décrochait au fil de ses mots alignés ensemble. Il n’en revenait pas. Comment avait-il pu laisser faire cela ? Il toucha timidement les cicatrices du bras le plus proche mais Kilian lui prit doucement le poignet pour enfoncer un peu plus ses doigts contre sa peau, pour lui faire comprendre que cela ne lui faisait pas mal, et qu’il pouvait appuyer plus fort. Malgré tout, Fred les traçait précautionneusement. C’était pour cela qu’il portait la plupart du temps des vêtements à manches longues. Pour ne pas les faire voir. Une boule de regret se forma dans la gorge de Fred. D’un doigt, il effleura doucement la joue de Kilian avant de se lever face à lui. Il essuya ses mains moites sur son jean et releva les yeux vers Kilian qui ne le lâchait pas du regard. Il fut comme pris de cours alors qu’il n’avait pas à être celui qui se sentait le plus mal.

— Je suis désolé, commença Fred la voix embrouillée. À l’époque, je n’avais jamais remarqué tous tes problèmes, tout ça.

— Oh, ne t’inquiète pas. Personne ne les a vus, et c’est leur but. Ceux des fous, ils sont intelligemment malveillants.

Fred hocha la tête sans grande conviction et lui tourna le dos un instant pour passer ses mains sous ses yeux, craignant qu’il ait lâché quelques larmes. Ce n’était pas à lui de pleurer. C’était Kilian qui aurait dû, mais après tout ce que le jeune conseiller pensait, Fred savait une chose sur lui : il était fort. Kilian se leva à son tour et posa une main sur l’épaule de Fred, le faisant tressaillir par la même opportunité. Il essaya de souffler discrètement. Raté.

— Tu n’as pas à te sentir mal. Tu ne fais même pas partie de ce problème-là, d’aucun autre d’ailleurs, dit Kilian.

Fred sourit et se retourna vers lui. Il le regarda dans les yeux et ne put s’empêcher de suivre des doigts quelques cicatrices faisaient presque la longueur de son bras. Cela n’avait pas l’air de le déranger tant que cela finalement. Kilian ferma les yeux, il n’avait pas mal. Il imaginait une scène bien précise dans sa tête. Il laissa ses bras contre ses côtes.

— Enlève ton t-shirt, ordonna Fred.

— Quoi !

— Enlève ton t-shirt, l’implora-t-il une nouvelle fois, avec un regard perçant.

Kilian ne sut quoi dire pour protester et décida à retirer son t-shirt même si cette idée ne lui plaisait pas vraiment. Il n’émit aucune protestation à cause du ton employé par Fred. Puis, c’était Fred, ce n’était pas n’importe qui. C’était la personne la plus importante pour lui. Il se détourna pour l’enlever et le jeta par terre en se retournant. Il remarqua bien le regard de Fred. Le jeune observait un bleu après l’autre et les effleurait mais arrêta vite en voyant Kilian se crisper. Il s’excusa et se recula pour observer d’un peu plus loin. Il se stoppa en relevant le regard puisqu’il remarqua que Kilian, au teint écrevisse, était très gêné par cette situation. Il sourit, un sourire triste.

— Tu es fort Kilian. C’est la vérité.

— Faut que je t’avoue quelque chose, avertit Kilian.

Avant de parler, essayant de rassembler du courage, il se baissa pour rattraper son t-shirt mais il ne fut pas assez rapide. Fred le surprit en empoignant doucement ses bras pour l’attirer vers lui, le forçant à se relever. Fred resserra ses mains sur les bras de Kilian alors que celui-ci entrelaçait ses doigts dans le dos de Fred, ne sachant pas quoi faire. Ils se regardèrent bêtement et Kilian ramena en arrière une mèche de cheveux qui tombait devant les yeux de Fred. Ce dernier plaqua ses lèvres sur celle de l’autre garçon, et Kilian resserra son étreinte comme lorsqu’un sentiment d’urgence envahissait son corps. Ils se sentaient fiévreux. Ils furent à bout de souffle lorsqu’ils se lâchèrent. Kilian cligna des yeux, ne réalisant pas vraiment ce qu’il venait de se passer. Fred se mordilla la lèvre et l’embrassa à nouveau.

— Je devrais me confier à toi plus souvent, ironisa Kilian avec un sourire.

— Et c’était quoi le truc que tu voulais me dire ? n’oublia pas Fred.

— Je voulais dire que je t’aime, mais tu m’as devancé.

— On dirait bien.

Quelqu’un toqua lourdement à la porte et se fuit à ce moment où Kilian gagna le record de la vitesse où une personne remettait le plus rapidement un t-shirt. Fred pouffa de rire alors qu’il se dirigeait vers la porte pour l’ouvrir. Kilian s’appuya contre le rebord de son lit, tête mi-baissée, le regard levé vers Fred. Il se sentait tellement chanceux. Jusqu’alors, il ne croyait pas en sa capacité de tomber sur une personne qu’il aimait réciproquement. Mais Fred était là, et semblait toujours être là dans les meilleurs moments comme dans les pires. L’ouverture de la porte marqua la brève apparition de Sophia qui tendit, sans rien dire, un téléphone portable à Kilian. Le jeune homme s’en empara avant de la regarder partir. Elle n’avait rien dit. Peut-être était-elle aussi désarçonnée qu’eux face aux dures coutumes. Ils n’eurent même pas le temps de lui demander comment elle allait, elle passa comme une ombre qui se dissipait grâce à la lumière qui gagnait de l’espace. Fred ferma la porte pendant que Kilian porta l’appareil à son oreille.

— Kilian !

— Ah Cassandra ! Comment vas-tu ? Et Liam ? Tu me passeras Charles !

Kilian ressentit comme une gêne du côté de Cassandra et ne comprit pas pourquoi. Il ne la releva pas auprès de sa meilleure amie. Il passa sa main dans son coup et lança un regard un Fred qui choisit de s’asseoir sur son lit, et jetait ses chaussures, prêts à se mettre à l’aise.

— Nous allons bien ! C’est le printemps à Kuyinto, il fait doux et c’est un bol d’air frai. Nous sommes avec la conseillère Camille, elle est super sympa.

— Bien sûr que Camille est super sympa. Ce n’est que maintenant que tu t’en rends compte ? Non, mais je rêve Cassandra ! Bien… C’est cool que vous vous portez bien… Et ta relation avec Liam ? Le bonheur absolu ?

— Oui, oui ! Aucun orage à l’horizon ! Et avec Fred ? Cela avance ?

— Quoi ?

— On n’est pas aveugle Kilian, on voyait bien quand vous étiez tous les deux.

— Bon… Je pense que je peux te le dire… C’est officiel.

— C’est chouette ! Je te l’ai dit qu’un jour quelqu’un te verra à ta juste valeur. Depuis quand ?

— C’est vraiment très récent. Tu me passes Charles ?

Cassandra ne parla pas un petit moment, comme si elle cherchait ses mots. Kilian s’assit contre le lit, comprenant petit à petit et croisant tout de même les doigts pour que ses doutes ne soient pas autant fondés.

— Charles est mort de la maladie. Il s’est suicidé.

— Oh…

Ce fut tout ce que Kilian réussit à dire. Il réussit juste à émettre un faible oui lorsque Cassandra lui annonça qu’elle allait raccrocher. Il ne voulait pas plus en savoir sur la mort de son ami, il était mort, et c’était tout ce qu’il restait. Il laissa le téléphone sur le lit et il glissa par terre, mais il ne s’en soucia pas. Fred se leva pour se pointer en face de lui, les sourcils froncés. Il n’avait pas suivi correctement la conversation.

— Charles est mort.

Kilian releva les yeux et savait que Fred allait aller mieux que lui, mais mal quand même. Ce dernier le serra dans ses bras avant de prendre son visage entre ses mains.

— Je voulais rester, mais si t’a besoin de rester seul, je comprends, t’inquiète.

— Non, j’ai besoin d’être avec toi.

Fred l’embrassa et ils s’installèrent sur le lit du jeune homme, prêts à s’endormir plus proches et soudés que jamais. Les deux restèrent en caleçon, même si Kilian se sentait mal à l’aise avec son torse couvert de bleus et de cicatrices. Pourtant, lorsqu’il remarqua que Fred ne s’en souciait pas, et ne le fixait pas constamment, il se perdit de se détendre. Kilian éteignit la lumière de sa chambre et elle ne fut éclairée que par la lumière de la lune. Il sentait le corps de Fred tout proche du sien et une certaine tension dans ses muscles. Autre chose coulait dans ses veines sans qu’il ne puisse savoir quoi. Les deux amoureux restèrent un moment à se regarder dans les yeux avant que Kilian se rapproche pour l’embrasser alors que Fred le serrait encore plus proche, encore plus fort contre lui.

— Je suis content que tu te sois confié à moi, murmura Fred à l’oreille.

— Et moi, je suis heureux de savoir que les sentiments sont réciproques, souffla le conseiller alors que son nez toucha celui de Fred qui laissait échapper un rire léger.

— Qu’est-ce que tu imaginais ? Comment ne pas t’aimer Kilian ? C’est impossible, en tout cas pour moi.

— Je ne pensais pas être aussi attirant, s’étonna sincèrement le blond.

— Parce que tu ne t’en rends pas compte. Tu as été élevé dans une situation où on te disait que tu ne deviendrais rien. Mais c’est faux. Tu es intelligent, futé, gentil, mignon, et j’en passe. J’te jure, que personne ne m’avait fait autant d’effets que toi, maintenant.

— Parce que tu as eu des amourettes ? questionna Kilian.

— Tu es jaloux ?

— Un peu…

Fred rigola et posa sa main dans le dos de Kilian.

— Tu n’as aucune raison. Non, je n’ai jamais eu d’amourettes comme tu dis. Juste des attirances passagères et non réciproque, c’était d’ailleurs la cause du pourquoi. Puis, je ne voulais pas risquer de m’attacher à quelqu’un.

— Et j’en vaux le coup ?

— Bien évidemment, sinon je ne serais pas dans ton lit actuellement.

Kilian se sentit rougir alors que Fred l’embrassa avant de continuer :

— Et toi ? Tu as déjà été en couple ?

— Presque la même que toi, avoua Kilian. Je n’ai jamais été en couple, mais je savais que je n’étais pas attiré par les femmes. Je traînai avec Iris et Cassandra, et des filles s’intéressaient de loin à moi mais je n’ai jamais ressenti l’envie de les connaître, de les embrasser, de les aimer.

— T’es mignon, soupira Fred comme si c’était trop dangereux pour lui.

Kilian posa sa tête sur le torse de Fred alors que ce dernier trifouillait la chevelure de son copain. Kilian sourit contre la peau nue de Fred et y déposa un baiser avant de fermer les yeux. Ce soir, il dormirait en bonne compagnie, mais sans un sommeil agité.

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