VI

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Il avait accroché sa blouse avec des mains tremblantes.

Il ouvrit une armoire, s'empara à pleines mains du contenu de certaines étagères, qu'il jeta dans sa sacoche posée sur une chaise. Il s'interrompit une seconde pour revenir vers l'ordinateur ouvert sur son bureau. Sans s'asseoir, il corrigea une phrase, supprima un mot, puis se retourna vers l'armoire. Il se désintéressa des traités de biologie, des dossiers administratifs, des classeurs de présence. Il considéra une rangée de boîtes en plastique transparent contenant des os, souvent humains, posés sur des tissus qui avaient jauni, en dessous de bocaux où trempaient depuis des décennies, des organes d'animaux et quelques batraciens sinistres, et enfin des piles de transparents rayés recouverts de schémas, de coupes transversales, radiales, des écorchés aux couleurs fades. Les sciences de la vie s'enrichissent souvent de la mort.

Il estima que rien de tout cela ne lui serait utile là où il comptait aller.

Il referma les portes de l'armoire lentement et en contempla les pans, comme s'il tentait de se remémorer ce qu'elle contenait. Il resta immobile plusieurs secondes, prenant conscience que la peinture grise administrative qui recouvrait le métal était passée elle aussi. Il sentit la peur l'envahir par les pieds.

Il secoua la tête et revint vers son bureau pour en ouvrir les tiroirs l'un après l'autre. Il savait pourtant qu'ils ne contenaient qu'un amoncellement désordonné de fournitures de bureau qui s’entrechoquèrent lorsqu'il les referma. Il fallait pourtant qu'il vérifiât qu'il n'y avait pas dissimulé un objet important. Il avait un jour mêlé une lettre de rupture qui lui avait brisé le cœur au milieu d'anciens relevés de banque d'un compte qu'il ne possédait plus. C’était sa manière de se cacher des choses à lui-même.

Il souleva sa sacoche, la secoua afin que tout ce qu'il y avait jeté trouvât une place et qu'il puisse la fermer. Il s'assit, la posa au sol à côté de la chaise et parcourut à nouveau sur l'écran la courte lettre qu'il avait composée dans une précipitation terrifiée. Il maintint son doigt une seconde au-dessus de la touche de validation. Appuya soudain et bondit pour venir se placer devant une table disposée contre le mur sur laquelle se trouvait l'imprimante. Il guetta les cliquetis que la machine produisait avant d'imprimer. Il nota la rainure dans le mur creusée par les incessantes poussées que ses cuisses imprimaient á la table chaque fois qu'il attendait une impression. La peinture avait disparu sur toute la longueur et laissait apparaître du plâtre qui s’effritait. Il était sûr que, s'il se penchait et examinait sous la table, il trouverait une fine couche de poussière blanche au-dessus de la plinthe. La machine avala une feuille et l'éjecta après le rapide balayage feutré des têtes d'impression. Il posa la feuille à plat sur son bureau, la relut rapidement, la signa avant de la plier en trois. Il rouvrit presque avec rage ses tiroirs à la recherche d'une enveloppe qu'il aurait dû sortir dès la première fois. Il s'en voulut. Il en voulut à la terre entière. Il en voulait à cette stupide étudiante journaliste qui l'avait mis dans cette situation. Une terreur féroce le crucifiait. Les enveloppes étaient sous une ramette de feuilles blanches. Courbé, il se tint au bureau d'une main et de l'autre s'empara du lourd paquet. Il amorça un geste pour le soulever, se releva dans un râle, mais le plastique d'emballage se déchira et le paquet explosa dans une conflagration de feuilles immaculées qui s'éparpillèrent dans un chaos affligeant.

Accablé, il resta un moment avec le reste de plastique dans la main ; une frustration avait grandi en lui de n'avoir même pas provoqué volontairement cette catastrophe. Sa colère restait intacte.

Il glissa d'une main électrisée sa lettre dans une enveloppe, griffonna un nom et une adresse, et se leva. Il s'empara de sa sacoche et de son manteau gris, arriva à la porte, hésita. Il savait que le spectacle de son bureau dévasté le hanterait jusqu'au soir et lui reviendrait en mémoire à intervalles réguliers comme une odeur d'une substance pourrissante qu'on ne parvient pas à localiser. Il sentait qu'il devait se presser, qu'au regards des enjeux il était pleinement conscient qu'un statut de professeur d'université ne le protègerait pas.

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