Chapitre 9-2 : Itami no toki (le temps des douleurs)

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Tsukimi

 Sa chute de reins s’articule à la manière de celle d’un invertébré. Sa souplesse me laisse perplexe jusqu’à ce qu’un choc électrique parcoure l’ensemble de mon corps. Ma concentration, déjà fragile, se brise en plusieurs éclats que je peine à rassembler. J’ai l’habitude des neuropathies mais cette décharge me paraît différente. Je l’associe à du plaisir, bien que je n’y connaisse rien. Les coups de langues de Ria, d’abord timides, s’accélèrent et s’intensifient à mesure que les secondes s’écoulent. Ma tête se vide peu à peu. Je ne parviens plus à réfléchir. Je sens mon corps se relâcher et ce simple fait, bien que positif, me terrifie. J’essaye de penser à quelque chose qui pourrait me raccrocher à la réalité mais mon esprit s’envole pour de bon. La cage de mon esprit s’entrouvre l’espace d’un instant court mais suffisant pour que je m’échappe une fraction de seconde. Je m’abandonne jusqu’à ce que des gémissements remontent le long de ma gorge.

— A…arrête ! l’imploré-je.

 Le visage de Ria sort de mon entrejambe. Son regard tremble. J’ai l’impression qu’elle réfléchit.

— Pa…Pardon. Je ne suis pas très expérimentée. C’est ma première fois…T’ai-je fait mal ? Ou offensée ?

— Non, non, pas du tout ! C’est moi…J’ai l’horrible sensation que je vais crier alors que je ne souhaite alerter personne, au contraire. Tout cela est très étrange.

— Je crois que c’est normal lorsque l’on ressent du plaisir, m’informe-t-elle sur un ton bienveillant.

— Du plaisir ?

— Oui. Le cerveau peut se retrouver surchargé et essayer d’évacuer ce trop-plein en lui. Mais ce n’est pas une mauvaise nouvelle.

— Ouf…Mais, même si ce n’est pas une mauvaise chose, je ne voudrais pas être entendue par…Tu sais, des courtisanes qui ont les oreilles et la bouche qui traînent un peu trop…

— Je vois…Tu peux peut-être essayer de te contenir. Mais, en même temps, pour notre premier rapport, j’aimerais que tu en profites à fond, que tu te détendes…Le fait de gémir ou de crier ne devrait pas être un problème…

— Hélas, je suis sûrement condamnée à vivre dans ma chambre d’enfant pour toujours…Ce n’est pas très facile lorsque l’on veut profiter de sa vie d’adulte…

— Attends, j’ai une idée…

 Elle s’empare du ruban écarlate qui retenait mon yukata fermé un peu plus tôt avant de traîner sur la molle couverture. Après quoi, Ria commence à enrouler une partie autour de son poignet tout en demandant à mes enceintes connectées de jouer l’une de mes playlists préférées, remplies de morceaux où le shamisen et d’autres instruments à cordes sont à l’honneur. Elle me susurre à l’oreille :

— Princesse…J’ai une idée mais j’ai besoin de ton accord avant de faire quoi que ce soit…Tu peux refuser mais…Et si j’utilisais ceci de sorte que ta voix soit étouffée ? Avec la musique et un morceau de tissu, on limitera peut-être un peu le danger…

— Comment cela ?

— Attends, je vais te montrer…Et je te jure que je laisse tes mains libres. Tu pourras tout arrêter en un claquement de doigts, si tu le désires…

 Comme je ne comprends toujours pas ce qu’elle veut faire de mon obi de fortune, elle change d’avis et entreprend de m'expliquer son plan de façon plus visuelle. Elle passe la bande rouge et douce sous ma nuque avant de la placer une première fois sur ma bouche. La surprise fait s’écarquiller mes yeux mais je ne bronche pas. Ma nature curieuse reprend le dessus. Je me demande ce qu’elle a prévu ensuite. Mon cœur s’affole.

— Tout va bien pour le moment ? Je peux continuer ?

 Puisque j’acquiesce, elle serre légèrement la bande de tissu autour de ma mâchoire avant de continuer à envelopper délicatement mes lèvres. Je remarque que le sourire de Ria s’étend sur son visage à chaque fois qu’elle termine un tour complet avant de recommencer. À la fin, pas moins de quatre couches pèsent sur ma bouche fermée.

— Bien, avec tout ça, on ne devrait plus trop t’entendre…

 Je lui voue une confiance presque aveugle mais, me retrouver ainsi, sous elle, le corps lourd, tout en étant bâillonnée, déclenche un pic de stress en moi. La phrase qu’elle vient de prononcer n’arrange rien. Ces mêmes mots auraient très bien pu être prononcés par un kidnappeur. Un frisson de peur me parcourt l’échine.

— Tout va bien, me rassure-t-elle en me caressant le haut du crâne avant de poursuivre. Me permets-tu de continuer ?

 Lorsque je hoche la tête en signe d’approbation, sa frimousse disparaît à nouveau entre mes cuisses à moitié dénudées. Je peine à reprendre mon souffle. Bien que je n’aie quasiment pas bougé, j’ai l’impression d’avoir couru sur des kilomètres. Du moins le supposé-je, puisque ma dernière course remonte à ma petite enfance.

 La lune brille différemment par rapport à tout à l’heure. Je l’observe du coin de l’œil pour me rassurer. J’aime ce moment passé avec Ria, mais celui-ci me secoue et créé d’intenses vibrations dans ma coquille déjà malmenée depuis un nombre bien trop important d’années. Chaque contracture musculaire provoquée par mon amie est suivie d’un sentiment de détente. La souffrance physique ainsi que le plaisir se mélangent comme deux couleurs qui couleraient sur la palette d’un peintre jusqu’à ce qu’en jaillisse une nouvelle. Cette teinte n’existe pas, ne porte pas de nom, et pourtant elle est bel et bien présente dans ma réalité. Toutes mes cellules bouillonnent. Je suis à la fois survoltée et épuisée.

 Ria se laisse mollement tomber à mes côtés en poussant un soupir de contentement. Elle semble à présent endormie. Malgré le fait qu’elle me montre son dos, et non son visage, je le devine à sa cage thoracique qui se gonfle et se dégonfle d’une manière très particulière. Je n’ai jamais dormi avec personne avant elle, mais j’ai regardé suffisamment de films pour reconnaître ce genre de réaction.

 Perdue, je tente de calmer les soubresauts qui me font tressaillir par moments, comme si mon corps hoquetait. J’aime cette sensation autant qu’elle ne me terrorise. J’ai comme la désagréable sensation qu’une fleur s’apprêtait à éclore en moi et que, au moment fatidique, celle-ci s’est refermée. Mon cerveau est frustré alors qu’il est celui qui a empêché cette floraison. Je suis bloquée dans ce corps inapte, prisonnière d’un hiver permanent. J’imagine mon arbre intérieur dépourvu de feuilles luxuriantes. Aucune corolle colorée n’a élu domicile sur lui. Comment pourrait-on aimer une fille si ennuyeuse, qui reste toujours enfermée dans sa chambre ? Je ne le peux pas moi-même. Ria m’apprécie, mais elle se trompe sur mon compte. Que se passera-t-il lorsqu’elle réalisera que je ne vaux rien ? Elle ne m’abandonnera peut-être pas car c’est son travail de s’occuper de moi…Mais les sentiments qui la motivent actuellement s'effaceront.

 Je fixe à nouveau mes prunelles sur la lune laiteuse et froide. Je lui demande, silencieusement, de m’apporter des réponses. Pendant un court instant, lorsque Ria faisait aller sa cavité buccale chaude sur ma peau, j’ai appris à ne plus réfléchir, à ne plus penser. Je pouvais essayer de toutes mes forces pour qu’il en soit autrement, rien n’y faisait. J’évoluais dans un monde sourd et aveugle. C’était si reposant. Malheureusement, cela n’a pas duré. La douleur est revenue, en pleine action, m’empêchant pleinement d’en profiter. J’écrase une larme au coin de mon œil d’une main, et caresse le ruban rouge d’une autre. Ria, comme si elle l’avait senti, se retourne vers moi dans un demi-sommeil.

— Princesse, tout va bien ?

— Oui, oui…

  À la vitesse de l’éclair, elle glisse sur ses genoux. J’admire sa souplesse. Je devrais également en être dotée. Nous avons l’air d’avoir le même âge. Lorsque cette pensée me traverse l’esprit, je suis surprise de constater que je ne connais même pas sa date d’anniversaire.

— Dis…Quel âge as-tu ?

— Je fêterai mes vingt-et-un ans à la fin du mois.

— Alors comme ça, tu es d’août…Je l’ignorais, alors que je te connais depuis si longtemps…

— Ce n’est rien. Mon anniversaire n’est pas important.

— Que veux-tu dire ?

— Mes parents ne me le souhaitent pas. Si même ceux qui m’ont mise au monde considèrent que la date de ma naissance n’est pas importante, alors c’est qu’elle ne l’est pas.

— Mais toi, tu connais bien la mienne…Et nous faisons toujours la fête ensemble dans ma chambre, ou au Palais quand je peux sortir du lit.

— Ce n’est pas la même chose.

— Pourquoi ?

Face à son silence, je déglutis péniblement.

— Laisse-moi deviner…Parce que je suis la Princesse ? Si je n’étais pas la fille de l’Empereur et de l’Impératrice, réagirais-tu de la même manière avec moi ?

— Princesse…Bien sûr que non. Nous nous sommes rencontrées justement grâce à ton statut. Ma mère travaille au Palais comme bonne depuis ma plus tendre enfance. Il m’a paru naturelle d’en faire de même.

— Que veux-tu insinuer ? Que nous ne sommes pas destinées l’une à l’autre ?

— Ce n’est pas contre toi, tu sais. En fait, je ne crois pas au destin…tout simplement. En plus, le destin aurait un sacré sens de l’humour s’il existait vraiment.

— Co…Comment ça ? Trouves-tu cela drôle de batifoler avec une princesse infirme ?

— Non, bien sûr que non. Ce n’est pas du tout ce que je voulais dire…S’il te plaît, Princesse, ne prends pas tout cela tellement à cœur.

 Je fouille à tâtons les plis des draps blancs. La soie finit par caresser la pulpe de mes doigts. Je me tortille vers le bas tout en limitant le mouvement de mon bassin douloureux. Je me saisis du obi rouge à l’autre bout du lit et le plie afin d’en réduire la largeur avant de l’enrouler tant bien que mal autour de mon petit doigtet du sien.

— Tu sais à quoi cela fait-il référence ?

— Non, Princesse…J’avoue ne pas comprendre.

— Est-ce que l’expression akai ito te dit quelque chose ?

— Non, pas du tout. Tu m’en vois navrée.

— En japonais, soit en ancien shin-nihonnien si tu préfères le voir ainsi, akai désignait une chose rouge. C’est toujours le cas aujourd’hui. Ito signifiait la ficelle.

— Je vois, donc il s’agissait d’une ficelle rouge, je présume.

— Oui. Au Japon, c’était une légende voire, pour beaucoup, une vérité. Selon les Japonais, un fil rouge, mais paradoxalement invisible, liait deux âmes sœurs par le petit doigt. Peu importait la distance qui les séparait, leurs problèmes, s’ils s’étaient déjà rencontrés ou non…

— Ils étaient faits l’un pour l’autre…

— Exactement !

— Et c’est cela que tu ressens pour moi ?

— Et toi, que ressens-tu pour moi ?

— J’éprouve beaucoup d’affection envers toi.

— Mais… ? Mais c’est tout, n’est-ce-pas ?

— Une Princesse ne peut pas être avec une servante, tout comme deux personnes du même genre n’ont pas le droit de se fréquenter. Si on le faisait, on bafouerait déjà tant de règles…

— Mmmh…Et du coup, pourquoi as-tu fait cela…Pour me faire du bien ?

— Oui.

— Parce que je te faisais pitié ? Ce n’était pas un acte d’amour mais simplement de compassion ou de servitude, ou bien même les deux à la fois ?

— Non non…Enfin, je ne sais pas. Pourquoi devoir toujours tout définir ? J'ai partagé ce moment avec toi parce que nous en avions toutes les deux très envie, j’ai lu la chose dans un vieil ouvrage érotique acheté à la sauvette… Quand j’ai parcouru ces pages, je t'ai imaginée. Je nous ai imaginées…

 Je déroule délicatement le ruban afin de libérer nos auriculaires. Mes muscles se contractent et me lancent des éclairs à cause desquels ils se crispent davantage.

— Tout va bien, Princesse ?

— Oui ! réponds-je. La sécheresse de ma voix résonne instantanément dans mes oreilles.

— Très bien…

— Tu peux disposer, Ria.

— En es-tu sûre ? J’ai apporté un jeu de cartes, comme tu aimes tant. Cela ne pourrait-il pas te distraire de tes douleurs ?

— Non, je te remercie mais je suis fatiguée.

— Bien, comme tu voudras. Je reste à ta disposition.

 Je retiens mes pleurs jusqu’à ce qu’elle parte, à m’en faire mal à la gorge. Je croyais que j’allais exploser une fois seule, mais ce n’est finalement pas le cas. Mon œil gauche est sec, tandis que le droit expulse deux larmes menues. Je déteste cette sensation collante entre mes cuisses. Je pense que je déteste encore plus le vide auquel elle me ramène. Je voudrais aller me laver, mais je ne réussis pas à me lever. Le matelas semble m’avoir avalée. Mon corps pèse une tonne. Finalement, je demeure perdue dans mes pensées, à contempler le ciel parsemé de nuages fins. Les étoiles qui le ponctuent disparaissent une par une. Chaque minute, sa toile sombre s'éclaircit avant de se diviser en bande colorées. Le soleil émerge derrière le lac. L’onde crépite sous son feu incandescent et hypnotisant. La plupart des habitants de ce vaste empire ne vont pas tarder à atterrir dans ce monde, après avoir quitté leurs rêves, tandis que je franchirai à peine les barrières du sommeil. Je me laisse glisser dans cet univers parallèle. J’y suis toujours seule, mais la solitude y est plus douce.

 Une subtile odeur de riz chaud et de thé vert s’infiltre dans mes narines, jusqu’à descendre vers mon estomac. Ce dernier se met bien sûr à gargouiller. J’ouvre petit à petit les yeux, m’étire, encore allongée, et me redresse non sans difficulté. Je parviens à caler le gros oreiller contre mes lombaires sans aide extérieure et la chose me réjouit. Les articulations de mon plancher pelvien sont rouillées mais je considère déjà le fait d’avoir pu me redresser comme une victoire. Ma vision se perd un instant et vogue d’un plat en porcelaine à un autre. Je me saisis d'un bol, destiné pour le thé chinois ainsi que le matcha, et le contemple en le faisant jouer entre mes doigts. La simplicité de ce chawan amplifie sa beauté. Une fissure dorée indique qu’il a été cassé avant d’être réparé. L’art du kintsugi a laissé son empreinte magique dans cette poterie beige. Il s’agit de ma préférée.

 Je sors peu à peu de la brume de mes rêveries et m’empare d’une petite planche en bois calée contre mon lit. Je la place sur mes genoux et dispose chaque élément que je souhaite dans l’ordre que je désire. Je tente d’insuffler de la concentration dans chacun de mes mouvements, afin de diminuer sa présence dans mon corps.

 Après une bouchée de tofu, je me saisis du journal du jour qui m’a été apporté en même temps que mon petit-déjeuner par des serviteurs partis aussi rapidement qu’ils ne sont venus. Lorsque je l’ouvre, les caractères semblent jaillir devant moi. Les kanjis ainsi que les kanas dansent pour former une nouvelle à laquelle je ne m’attendais pas du tout. Je commence à lire l'article à haute voix pour me convaincre de son existence.

« Mori Saneyuki : première conférence de presse depuis la mise en place du Dôme

 Les chercheurs sont formels : l’entreprise Mori, à l’origine du Dôme, s’est montrée très optimiste quant à la question de la vie éternelle. Celle-ci sera à la portée des plus riches dans quelques années. D’ici cent ans, même la classe populaire pourrait y avoir accès. Mori Saneyuki a annoncé que son travail le plus compliqué, au-delà du Dôme, s'achèverait avant 2130. Les détails demeurent encore inconnus, mais Mori Saneyuki a tout de même mentionné la base de ses recherches : le transfert d’âme. Ou plutôt, le transfert de souvenirs et de personnalité. Selon plusieurs articles scientifiques mondiaux, le principe s’avère plutôt simple : un individu A achètera un androïde, dépourvu de tout processeur. Le robot jouera ainsi le rôle d’une coquille vide. Ensuite, l’individu A pourrait même choisir l’apparence de celui-ci, jusque dans les moindres détails, et transférer vers la machine l’ensemble de ses souvenirs, ainsi que sa personnalité.

 Certains y voient une sorte de réincarnation, tandis que d’autres s’inquiètent et ne craignent une énième manière de se jouer de la nature. Une multitude de questions éthiques et eugéniques se posent. Masuda Koji, éminant psychologue, n’a pas caché sa préoccupation : « Comment peut-on faire décemment son deuil si un semblant de l’être cher qui nous a quittés demeure à nos côtés ? Le principe d’âme ne serait-il pas bafoué ? » a-t-il demandé. Mori Saneyuki a répondu : « L’âme est un concept. Je ne crois qu’en une seule chose : la science. Celle-ci nous a prouvé que nous n’étions qu’un amas de cellules. Malheureusement, dans le même corps humain, vingt milliards de cellules meurent chaque jour, jusqu’à ce qu’elles ne se renouvellent plus. Grâce aux progrès technologique de l’Empire, nous pourrions sauver tellement de vies…»

 L’un de nos confrères sur place a également eu la chance de l'interroger : « Comment résoudre le problème de la surpopulation si tout le monde reste en vie ? ». Mori Saneyuki a pris un temps pour réfléchir et a fini par objecter : « Les êtres humains détruisent beaucoup de choses, mais sont également capables de tout reconstruire. De ce fait, si la, planète se meurt par notre faute, elle se régénère aussi grâce à nous. Nous trouverons une solution pour la maintenir éternellement en vie et lui rendre hommage comme il se doit. Mais, pour ce faire, nous devons d’abord nous charger de notre propre vie éternelle. ».

 Quelques applaudissements ont émergé de la salle. Mori Saneyuki s’est néanmoins fait huer. Les agitateurs, dont un petit groupe de scientifiques venant de plusieurs petites entreprises, ont été escortés jusqu’à la sortie.

 L’Empereur et l’Impératrice étaient également présents. Ils ne se sont pas exprimés. Une rumeur circule cependant concernant leur implication financière et politique dans cet étrange projet. Leur fille unique, la Princesse Tsukimi, âgée de dix-neuf ans, est atteinte d’une rare et douloureuse affliction. Elle ne serait pas mortelle, mais l’empêcherait de se mouvoir correctement. Il s’agirait de la fibromyalgie, bien qu’il n’y ait jamais eu d’annonce officielle à ce propos. Malgré les problématiques citées plus hauts, le fait de pouvoir quitter son corps et d’en posséder un nouveau ne serait-il pas bénéfique pour tous les malades ? »

 Je serre les doigts contre le papier, jusqu’à le froisser. Un flot d’émotions contraires me traversent. Mes parents ne m’ont jamais parlé de cette histoire. Ils ne me rendent que très peu visite. Mais je sais pertinemment que ma mère se ronge les sangs par ma faute. Elle fait se déplacer un bon nombre de spécialistes des quatre coins du globe de façon régulière, afin de me guérir. Elle essaye tout, du prodige d’une certaine université, au meilleur diagnosticien de Shinedo jusqu’à des chamans un peu louches. Le fait qu’ils suivent ce dessein me paraît plausible. J’aurais aimé qu’elle m’en parle, mais ma colère se retrouve très vite évacuée par l’espoir.

 Je pose le journal et trempe mes lèvres dans le sencha. Elles se noient presque dans le liquide tant j’en oublie de prendre une gorgée avant d’éloigner la tasse de ma bouche. Mon esprit vagabonde un instant à l’extérieur de mon corps. Je le laisse faire, imaginer toutes les folies dont je serais capable si jamais j’étais amenée à posséder une telle technologie. Je pourrais peut-être choisir une enveloppe charnelle plus jeune et ainsi me rendre au lycée pour rattraper une scolarité doublement perdue des suites de mon rang et de ma maladie, avec un visage différent pour prétendre que je ne suis pas la Princesse. Je quitterais ma prison de peau et d’os, ainsi que celle de pierres blanches et vertes de la Résidence impériale. Je ferais ainsi d’une pierre deux oiseaux. Ensuite, j’y reviendrais pour succéder à mon père.

 Mes bras tremblent mais ne flanchent pas, tout comme mes jambes qui font de leur mieux pour soutenir mon propre poids. Animée par une énergie peu familière, je me dirige vers la bibliothèque de ma chambre à petits pas. Je caresse la couverture vieillie du premier volume de la série « La Politique japonaise et shin-nihonnienne » concernant l'Ère Edo avant de m’encombrer du deuxième, très logiquement intitulé : « La Politique japonaise et shin-nihonienne : Ère Meiji (1868-1912) ». Je les pose sur mon lit en pliant les jambes afin de me baisser plus aisément. Après quoi, je refais le même chemin pour transporter les tomes suivants. Je suis découragée par leur nombre, à porter et à lire. Mais je dois apprendre leur contenu. Je ne suis même pas certaine que mon père soit très au fait de l’Histoire de la politique de son propre pays. Comme il fait office de symbole, il pense peut-être que son rôle se trouve ailleurs. Sa naissance l’a amené à remplir cette fonction, tout comme moi. À choisir, j’aurais préféré devenir Première Ministre.

 Je souris à cette pensée. En fait, elle n’est peut-être pas si bête qu’il n’y paraît de prime abord. Il y a des chances que je m'assoupisse toutes les cinq minutes durant ma lecture mais je suis prête à relever ce défi. J'accepterai le temps que cela prendra.

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