Une nouvelle vie

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Il faisait nuit, et le vent, dans la forêt, claquait les branches des arbres avec violence. Sébastien, un sac sur le dos, s’aidait de la lueur de la lune pour avancer. Il devait atteindre son objectif, même si cela devait lui en coûter la vie. De vie, de toute façon, il n’en avait plus. Ou n’en voulait plus. Elle devait changer, être façonnée par ses mains et non dictée par une société qu’il n’acceptait plus. C’était sa volonté, et elle devait s’appliquer.

Assis sur le tronc d’un arbre malchanceux, il sortit de son sac quelques biscuits récupérés à la station-service qu’il avait croisée en chemin. Croquant dans le premier, il arrêta son regard sur une clairière devant lui. La lune caressait l’herbe de ses rayons blancs, et le vent l’accompagnait en faisant danser les brins verts. Quelques chouettes rythmaient cette volupté, et l’ensemble fit couler une larme sur la joue de Sébastien. Que c’est beau… Comment ai-je pu me passer de cela ? Je me sens tellement serein. Cela faisait tellement longtemps que cela ne m’était pas arrivé…

Sébastien plongea dans ses souvenirs, et se remémora la dernière fois qu’il était venu dans ces bois. Il avait alors 20 ans. Avec son frère et ses parents, ils avaient l’habitude d’y venir pour se ressourcer. Ses parents avaient une petite maison, non loin d’ici, où ils venaient réaliser leurs « retraites spirituelles », comme ils aimaient les appeler. Mais ses parents étaient décédés quelques temps plus tard, et il n’y était jamais retourné depuis. Difficile de retrouver le chemin de cette maison, dans la nuit, et surtout, 15 ans plus tard.

Il se remit néanmoins en marche, et entendit subitement le son d’une voiture au loin. La route ! Mais oui ! Si je retrouve cette route, je saurai où aller ! Courant jusqu’à perdre haleine, Sébastien se dirigea vers le son mécanique qu’il entendait de plus en plus nettement. En haut d’un grand talus, il la vit. La route était à quelques centaines de mètres de lui en contrebas. Et la voiture, guide imprévu, roulait à toute allure pleins phares allumés. Sébastien se glissa derrière un arbre, espérant que sa présence n’ait pas été remarquée. Il savait que si quelqu’un le voyait, alors sa retraite spirituelle serait fâcheusement compromise. Il était venu ici et ne répondait plus aux obligations de la société à laquelle il appartenait, et si on le trouvait, il devrait se résoudre à réintégrer cette vie qu’il fuyait.        

La voiture s’éloigna sans s’arrêter, et Sébastien décida de dormir là. Demain, la route le mènerait à destination.

***

Assis sur un rocher qui surplombait une falaise, Sébastien admirait le paysage qui s’offrait à lui. Des arbres à perte de vue, inondés de soleil, habillaient des collines d’un manteau vert. Les oiseaux chantaient et virevoltaient dans le bleu du ciel, que les nuages osaient timidement masquer. Quelques lacs, par-ci par-là, révélaient leurs présences par leurs miroitements subtils. Je ne veux plus vivre qu’ici…

Sébastien se retourna, et regarda en direction d’une maison. Il l’avait trouvée, mais n’y était pas encore rentré. Il voulait prendre son temps, comme pour ne pas violer un tombeau refermé depuis des millénaires. Ecrin d’une vie espérée, il devait être respecté. Les murs de pierre étaient encore en bon état, malgré le lierre qui s’y accrochait. La toiture, en ardoise noire, n’était que peu visible, tant la végétation l’avait conquise. Les fenêtres, en bois grisé par le temps, semblaient en grande partie intactes, même si un examen plus précis révélera plus tard que plusieurs vitres étaient brisées. La plupart n’étaient que de petites fenêtres qui transperçaient l’épais mur de pierre, mais celle qui donnait vers Sébastien et la falaise était très grande, pour que la maison puisse accueillir en son sein la majestuosité de la nature.

Sébastien se dit alors qu’il pourrait s’y installer plus facilement qu’il n’y croyait. Des travaux seraient certainement à faire, mais il avait le temps. Il pourrait créer un jardin, poser des pièges pour le petit gibier – il savait que la forêt regorgeait de lièvres et de lapins – et pêcher dans une rivière qu’il connaissait bien. Le puits était encore à sa place, et si l’eau y coulait encore, il aurait tout ce qui lui fallait. Pour ce qu’il ne pourrait pas produire, il trouverait bien un moyen. Au pire, quelques maisons ou fermes occupaient les alentours, et personne n’était insensible à un troc avec un bon lièvre.

Non, Sébastien en était convaincu : sa vie démarrait à nouveau. Et il en avait rêvé pendant longtemps. L’espoir de voir son utopie se briser et devenir réalité l’avait maintenu en vie jusqu’ici. Il avait tant à vivre au contact de la nature, et la maison contenait une bibliothèque que ses parents avaient bien fournie. La plupart des livres devaient être encore en bon état, et il aurait donc de quoi lire pendant un bon moment. Pour compagnie, il pourrait trouver un chien. Rien de tel pour arpenter la forêt !

Les yeux de Sébastien brillaient devant de telles images. Il était heureux. Aussi simplement qu’un homme puisse l’être. Il reprenait goût à la vie, car tout autour de lui avait gagné une saveur incomparable. Le futur lui paraissait bien meilleur, et le présent, tellement délectable.

Sébastien se décida enfin à descendre de son observatoire, et marcha vers la maison dans la perspective d’en redécouvrir les moindres recoins. Une voiture se fit alors entendre. Comme elle gravissait le chemin qui la mènerait à l’édifice, cela laissa assez de temps à Sébastien pour qu’il se cache derrière un buisson. La voiture se gara, un homme en sortit, s’approcha de la maison, et frappa à la porte. « Sébastien ! Tu es là ? cria-t-il. C’est Laurent ! Ton frère ! ». Laurent passa la tête par une fenêtre, examina l’intérieur, puis s’adressa à la forêt. « Tout le monde te cherche ! Tu peux avoir confiance en moi ! Je sais ce que tu as enduré. Tu peux me parler ! ». Il attendit quelques minutes, observant les arbres qui l’entouraient, puis fit le tour de la bâtisse. « Sébastien ! reprit-il. Je veux t’aider. Peut-être n’es-tu pas là, peut-être que je parle dans le vide, mais sache que je ne reviendrai pas ici ! Si tu décides d’y rester, alors restes-y ! Sinon, tu sais où je suis ! ». Il retourna près de l’entrée, sortit un papier et un crayon de son manteau, y griffonna quelques mots, et l’accrocha au chambranle de la porte. Il continua jusqu’à sa voiture, puis repartit par où il était arrivé.

Sébastien attendit quelques instants que le calme paisible de la forêt revienne, que le bruit assourdissant de la voiture ne se fasse plus entendre, et se dirigea vers la porte. Le mot ne faisait que répéter ce que Laurent avait crié. Mon cul, oui… Te faire confiance, moi ? Tu as perdu ma confiance et le droit d’être mon frère il y a 10 ans. On ne s’est pas parlé depuis, et tu crois que je viendrais te voir dans un moment pareil ? J’espère juste que tu n’auras jamais l’idée de revenir ici ! Sébastien ferma les yeux, inspira profondément, et clama à la forêt : « Je serai un passager de tes jours et de tes nuits, jusqu’à ce que mon dernier jour et ma dernière nuit ne viennent. Tu étais mon utopie, tu deviens ma réalité. Tu étais mon espoir, tu deviens ma nouvelle vie. »

 ***

6 mois plus tard, dans une petite maison d’un village des alentours, sur la chaîne d’information de la télévision :

« Point Sébastien Gontier. Même si la Police espère toujours le retrouver, il a été décidé aujourd’hui que les recherches seraient stoppées. Toutes les pistes étudiées n’ont rien révélé. Pour rappel, Sébastien Gontier s’est évadé il y a 6 mois du centre pénitentiaire de Lannemezan, dans les Hautes-Pyrénées, où il avait été incarcéré il y a 10 ans pour le viol et le meurtre de sa nièce de 9 ans, Charlotte. Il avait alors écopé d’une peine de sûreté de 25 ans, même s’il avait clamé son innocence pendant toute la durée du procès. »

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