Partir là-bas

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« Un jour viendra, je partirai, je partirai sans aucun regret.
Vivre sur terre, loin de la mer
Partir là-bas. »

Une douleur que je n’ai jamais connue me fauche comme une vague impétueuse. Je l’ignore, préfère fermer les yeux un instant, me laisser porter. J’en suis convaincue : j’abandonne derrière moi un royaume de candeur, d’insouciance. Une cage dorée d’où je n’ai eu de cesse de vouloir m’échapper. Trop d’interdits, de mystères que j’ai envie de résoudre. Être libre, explorer le monde du dessus. Le retrouver, lui.

Je vois le soleil, son ventre jaune se froisser, onduler sous la main de l’eau. Il me semble encore si loin, hors de ma portée. Mes doigts s’avancent pour tenter de le toucher. Je veux sentir ses rayons chauds me caresser la peau. Mon rêve est fragile, je le sais, pourtant, je n’ai jamais été aussi proche du but.

Entre deux mondes, j’ai l’impression de renaître. Non, je suis rejetée par l’un d’eux.

Mes pieds s’agitent, mes lèvres s’entrouvrent pour laisser échapper quelques bulles. Le doute lui, s’insinue en moi, fait surgir un sentiment qui balaye définitivement ma naïveté. Soudain frappée par cette nouvelle réalité fantasmée, je tente de lutter contre cette ombre qui se penche sur moi pour m’étreindre.

Ô soleil, pourquoi me refuses-tu tes bras ?

« Ariel ! »

Je m’éveille, secouée par une quinte de toux, crache un mélange de sel et de bile qui met ma gorge en supplice. En voulant me redresser, je vacille. Je suis faible et mon corps est si lourd. Ce poids nouveau me surprend autant qu’il m’effraie. Mon regard se pose sur une autre étrangeté, achetée, ardemment désirée. Des jambes pour marcher, elles font de moi une femme humaine. Je souris, chasse les tristes pensées qui naissent à l’orée de mon esprit.

Perdue dans ma contemplation, je finis par entendre des sons curieux, comme des appels répétés. Assise au milieu du sable immaculé, l’écume vient me chatouiller. Un éclat rouge m’intrigue. Entre mes mains en coupe, je le capture, découvre un petit galet. Alors que je l’étudie, il se déploie, s’anime. Sébastien ! Je m’attends à des remontrances que j’écouterai d’une oreille distraite avant de les balayer d’un sourire. Il n’est pas difficile pour moi d’émouvoir le conseiller de mon père le Roi.

Le crustacé continue sa danse frénétique, libérant des sons que je n’interprète pas. Après un moment, je le vois faire volte-face, lever les pinces vers le ciel. Un mouvement non loin attire mon attention. Je reconnais sans mal mon meilleur ami Polochon tenter de se faufiler jusqu’à moi, quitte à s’échouer sur la plage. Deviner sa détresse me fait réagir. Je tente de l’en empêcher, bascule vers l’avant. Lui hurle d’arrêter. Seulement, j’en suis incapable, enchaînée à un pacte qui me lie à la sorcière des mers.

Ma voix fut le prix à payer, le tribut que j’ai versé pour des jambes et trois jours sur terre.

Je mêle mes larmes à l’écume. Mes yeux crient à mes compagnons toute la peine que je ressens. Je ne les comprends plus. Cette vérité me frappe tout aussi durement que la douleur de ma transformation.

Celle de mon exil. Non, de ma propre fuite.

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