Il faut faire un procès

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Une petite voix au milieu des enfants. On entend mais on ne voit pas la bouche qui la porte. Mouvement entre les épaules, les bras, les torses, les enfants s’écartent pour laisser un plus d’espace à une fille ou un garçon, d’ici je ne vois pas bien et mes lunettes sont sales. Ah, il ou elle avance. Ses yeux sont si bleus qu’on les confond avec le ciel. Heureusement les cheveux sont aussi noirs que ceux de Lou. Ils descendent en de belles boucles sur les épaules. Pas de doute une fille. Comment s’appelle-t-elle ?

— Je suis Élise et mon papa est en bas, je le vois.

Un chœur de voix :

— Où ça ?

— Eh ben là !

Je sais, Élise, ça te paraît évident. Tu connais bien ton papa mais pas nous.

Et le chœur des voix :

— Oui, de quel « là » tu parles.

Elise montre du doigt un homme au milieu d’autres parents.É C’est mieux car plus précis mais c’est encore insuffisant. En bas quelqu’un lève un bras.

— C’est lui, c’est lui !

Un homme jeune fait des signes désespérés. Il porte des lunettes de vue. Il est grand ton papa, il dépasse tout le monde d’une bonne tête. Ce doit être un basketteur. Un international au moins.

Sa fille dément.

— Non, il est kiné à Montpellier.

Son visage s’éclaire d’un sourire de fin d’orage. Puis soudain le noir des cumulus réapparaît brutalement.

— Mon papa est gentil, c’est Mon Papa il n’a rien fait de mal. Il me lit une histoire tous les soirs pour m’endormir. Pourquoi vous voulez le juger?!

Et la chorale des enfants chante à l’unisson

nos parents sont nos parents il sont tous mignons les papas comme les mamans pourquoi nous les jugerions.

Une autre voix avec dans la gorge la marée montante de futurs sanglots. Ils vont naître bientôt sur les lèvres blêmes d’un garçon de CM2. Avril est son prénom. Comment je le sais ? C’est moi qui fais la liste des élèves de CM2 à la rentrée. Je sais de quoi je parle. Et puis je n’aime pas qu’on me contredise. Je suis le patron des mots ici. J’écris, je décide.

Lou :

— Avril c’est pas un prénom, c’est un mois. T’es bête Jo !

— Puisque t’es si maline comment tu crois que j’aurais dû l’appeler, hein ?

— Euh… tu me prends de court. Je sais pas. ÉTIENNE, tac j’ai trouvé

— D’accord va pour Étienne. Hep… oui toi, Avril… Tu t’appelleras Étienne dorénavant.

— Dorénavant mais c’est pas mon nom de famille moi c’est Désormais .

Et tous les enfants :

— Étienne Désormais.

Qu’as-tu à nous confier jeune homme. Il me dévisage d’un air désapprobateur. Je crois deviner. Jeune homme, il n’aime pas.

— Pardon Étienne

Et pour noyer le poisson j’enchaîne avec :

– tu voulais nous dire quoi avant qu’on t’interrompe ?

Étienne devient très grave. Je le vois à ses lèvres tombantes, ses yeux gonflés d’une pluie qui ne vient pas d’un nuage à moins qu’il ne passe dans son cœur. Il murmure dans un sanglot une phrase qui s’échappe rouge de honte et de tristesse aussi. Peux-tu répéter. Un nuage est passé au-dessus de nous et on n’a pas entendu.

— J’ai que mon papa, ma maman s’est endormie comme celle de Sam mais sans la mer autour. C’était à l’hôpital Lapeyronie. Depuis elle dort toujours. On l’a couchée sous une belle pierre de marbre blanc. Papa m’a dit qu’elle se transformerait en étoile bientôt. Il pleurait beaucoup dans l’allée et les cyprès autour auraient voulu le toucher du bout de leur pinceau s’ils n’avaient pas été trop grands pour le caresser. Moi je ne comprenais pas pourquoi il pleurait tant. Ça doit être grave de se transformer en étoile. Je le lui ai demandé. Il m’a regardé méchamment et m’a répondu c’est ta faute ! Moi je n’ai rien compris à son histoire. Un seul sale mot siérait dans mon cerveau. Faute, ta faute ! Puis un autre mot s’est ajouté au premier : maman, avec une image qui lui donnait la main. Les yeux de papa méchants et pleins de colère contre moi. Tout cela s’est assemblé comme un film. On l’appelle mixage au cinéma, je crois. Ça a donné le sort qui me harcèle depuis c’est ta faute si maman a été transformée en étoile. Maman j’ai fait quoi ?

Maxim est très en colère. Monsieur son papa ou que tu sois, même si je ne te vois pas, même si tu ne m’entends pas, tu es un méchant ! Nous les enfants on n’a jamais fait mal à une étoile ! Il faut le juger ! Il faut le juger ! Alors autour de lui une masse de voix a scandé, il faut le juger il faut le juger, il faut le condamner.

Lou a crié :

– stop il a droit à un procès équitable.

Qui a compris ce que ça veut dire équitable ?… Personne ? Je vais vous le dire. Équitable signifie que le procès doit être… qu’il doit être… équitable voilà ! Je suis bien ennuyé pour expliquer. Soudain mes doigts se sont souvenus. UN PROCÈS JUSTE avec quelqu’un pour le défendre, un avocat. Je n’ai pas eu le temps d’expliquer plus avant, la voix d’Étienne essayait de dominer le brouhaha coléreux. Chut ! fis-je en levant mon index pour désigner la voix et l’enfant qui la portait.

Étienne :

— Mon papa n’est pas méchant ; Il m’a secoué plusieurs fois, il m’a laissé tout seul à la maison, j’ai eu peur, je me suis senti abandonné, je l’ai appelé il est venu. Pas tout le temps. Pas souvent. Parce qu’il est malheureux depuis que maman est une étoile. Il est malheureux vous m’entendez, malheureux mais pas méchant ! Je l’aime mon papa. Qu’est-ce que je deviendrais sans lui !

Silence dans le tunnel. Même le soleil s’est fait discret.

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