– 8 – Premier sang

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Sur le coup, personne ne voulut franchir le seuil à cause de toute cette richesse qui les subjuguait. Ixion osa faire le premier pas avant d’être retenu par Régis.

— Attends ! On ne sait pas s’il y a des pièges, prévient-il.

— S’il y en avait vraiment, tu ne crois pas qu’ils se seraient déjà déclenchés ?

— Peut-être… mais il faut faire attention aux lieux anciens comme celui-ci. Fais-moi confiance, j’ai l’habitude de ce genre de situation. Bon, j’exagère un peu, mais mon instinct de gamer me dit de me méfier !

— De… gamer ?

Ah oui, c’est vrai : il ne sait pas ce que c’est. Ça veut dire aussi qu’il n’y a pas de jeux vidéo dans ce monde…, se lamenta-t-il.

— C’est comme… une simulation d’aventure… Je t’en apprendrai plus quand on sera sorti d’ici, surtout que tu n’as pas fini ta leçon d’histoire.

D’un regard, Régis fit comprendre à Aloy de passer devant en éclaireur, puis il s’y avança à son tour avec prudence, suivit d’Ixion. Aucun piège ne s’activa durant leur courte progression, relâchant la tension qui planait sur eux.

La taille disproportionnée de la pièce, dont l’immense tas de richesses accentuait cette impression de grandeur, les émerveilla plus qu’ils ne voulaient l’admettre ; surtout Régis qui n’avait jamais rien vu d’aussi semblable, excepté dans les films. Cependant, il ne pouvait s’empêcher d’avoir un horrible pressentiment.

Quand il y a un trésor, il y a forcément un gardien. J’espère que ce n’est pas un dragon !

Par précaution, ils ne se séparèrent pas et malgré cette crainte persistante, il continua d’avancer avec ses compagnons sur le chemin entre les monticules d’or. Il se résigna à constater qu’il n’y en avait pas, à sa grande satisfaction, même s’il aurait voulu voir cette créature fantastique. Il aurait été facile de se perdre au milieu de tout ça, accaparé par tout ce pactole qui repose en ces lieux, mais le sentier semblait être prédéfini pour se rejoindre à un seul endroit.

— Ce sont les anciennes devises de notre monnaie, expliqua Ixion après avoir observé une des innombrables pièces. Elles viennent des Gaëens, qui nous les ont laissés après quitter leur cité, puis elles ont été refaites après le schisme.

— Comment une civilisation tout entière peut-elle abandonner une fortune pareille sans rien demander en retour ?

— Personne ne le sait vraiment, mais on dit qu’ils voulaient revenir à leur source. Et tout ça, ce n’était pas vital pour eux, supposa-t-il. On doit sûrement être dans une des dernières réserves de…

— C’est un tombeau, affirma Aloy en s’arrêtant subitement, le visage grave.

Ils dirigèrent leur regard sur l’objet en question et virent d’énormes cristaux translucides en demi-cercle face à un autel en pierre sombre. À l’intérieur se trouvaient des personnes à l’apparence similaire à la Gaëenne avec quelques différences : leur peau était marron, comme la terre, et leurs cheveux étaient aussi verts que les feuilles. Aloy se prosterna devant eux, parlant une autre langue semblable à une prière.

— C’est quoi ces trucs ?

— Des crystanima, des sépultures en diamant pour ceux qui ont fait un acte héroïque reconnu dans les royaumes. Ils doivent être les compagnons des champions que l’on a vus plus tôt, hypothésa-t-il.

— Ouais, c’est pas faux !

L’attention de Régis se porta sur ce qui se trouvait sur la table funéraire : diverses armes, des pierres précieuses de différentes couleurs qui luisaient et une manica, une protection de bras, fait d’un bronze doré identique aux statues. Il s’intéressa de plus près aux premières, dénotant leur aspect étrange commune, tandis qu’Ixion essaya l’équipement, trop grand pour lui. La partie métallique, comme la tête ou la lame, était d’un blanc poli presque surnaturel et contrastait par leur manche noir cristallin sculpté avec détail. Cependant, elles étaient abîmées.

Il allait se saisir d’une hache, mais le cri de panique de l’adolescent le fit sursauter. En se retournant vers lui, il vit que l’armure s’était attachée à lui, s’ajustant à la taille et la morphologie du membre.

— Je suis désolé, ça m’a surpris. Je ne savais pas que les Gaëens avaient du Flexium. C’est un métal qui s’adapte à son porteur, expliqua-t-il au regard interrogateur de Régis.

— Tu veux dire que les pièces se modifient selon la personne ?

— Plus ou moins… il est très léger, mais il est moins résistant que les matériaux classiques. Les forgerons l’utilisent pour en faire un alliage qui sert à fabriquer l’armature des boucliers d’énergies : il est compact lorsqu’il est détendu et se rigidifie quand il est étiré. Ce que j’ai mis doit être un autre type, plus lourd et plus résilient… Papy Michel sera content de voir ça.

— Vous avez des boucliers d’énergies ? réagit-il impressionner.

— C’est grâce à la Stella violette, qui peut créer une sorte de champs de force, si je me souviens bien de ce que m’a appris mon grand-père. Mais comme toutes les autres, elle était trop instable dans son état naturel et il y avait beaucoup de blessés lorsqu’on l’utilisait jusqu’à ce que l’on découvre le Flexium.

— Je suis assez perdu là… Enfin, j’ai saisi le principe de ce métal, mais pour ces cristaux…

— Je comprends, mais c’est en réalité très simple. Les Stellas sont des fragments de météorites issues de la comète de lumière. Elles portent ce nom parce qu’elles brillent tout le temps, jour et nuit, comme une étoile. Il y a plusieurs couleurs, et chacune d’entre elles possède un pouvoir particulier qui s’active par volonté ou un choc.

— Comme la violette.

— C’est ça. Et regarde sur l’autel, il y en a plusieurs. Tu peux voir la verte, celle que j’ai utilisée sur toi la première fois, qui permet de soigner les blessures physiques. Il y a une bleue, qui produit de l’électricité ; et une orange, qui est employée comme source de lumière et d’allume-feu. Il y en a d’autres, mais elles ne sont pas présentes ici.

— Ça fait déjà beaucoup à retenir… mais je te remercie. Regarde à l’intérieur de ton avant-bras : il y a un orifice.

— Ah oui, c’est vrai ! À quoi cela peut servir d’après toi ?

— J’en sais rien, c’est toi qui viens de ce monde ! Et pour ces armes ? présenta-t-il en prenant la hache. Tu en as déjà vu ?

— Laisse-moi réfléchir… Oui, je m’en souviens : elles sont faites en Larmes de Gaea, un métal rarissime d’excellente qualité, et difficile à travailler. Il y en a peu, mais elles sont exposées dans un musée. Je crois que c’est à cause de leur particularité : elles sont extrêmement lourdes.

Et vu leur état, leurs proprios ont dû affronter quelque chose de terrible !

Régis la mania quelques secondes, ne ressentant aucune différence, et la remit sur la table de pierre.

— C’est sympa, mais ce n’est pas ce qui me convient le mieux… Tu veux l’essayer ?

Ixion refusa, préférant se concentrer sur la mystérieuse cavité de son armure. Régis observa les autres objets et son regard se porta sur une épée qui était posée sur le côté de l’autel. À la vue de sa longueur, d’au moins un mètre, Régis conclut qu’il s’agissait d’une claymore. Ce qui l’interpella lorsqu’il la saisit, c’était l’absence de la poignée, ainsi que la garde qui semblait rétracter sur le fourreau en bois, finement sculpté, pour en faire un verrou.

— C’était l’ancienne méthode pour éviter les vols, avant la gravure de liaison, commenta Ixion. Il faut le manche pour la desceller.

— Je l’avais deviné, mais pourquoi faire ça ?

— C’est comme si tu me demandais « pourquoi est-ce que tu fermes un coffre rempli de bijoux ? »

Régis farfouilla parmi les babioles et trouva le fameux objet, mais sa joie fut de brève durée, car il était dans un état déplorable : brisé sur la plus grande partie, il était trop court pour être manié convenablement.

Néanmoins, c’était suffisant pour la prendre en main.

Il installa la poignée dans le mécanisme et après un demi-tour pour la bloquer, il enclencha le dispositif : la garde se déploya en un « V », terminée par des crochets, et libéra l’épée. Tout comme les autres armes, la lame était d’un blanc surnaturel et était abîmée à plusieurs endroits. Il songea à remplacer le manche défectueux, mais il doutait de la compatibilité entre elles. Réfléchissant à une solution, il se souvient des capacités d’Aloy sur la malléabilité de la terre.

Si elle a pu modifier le fer de sa lance en pointe de diamant, elle peut m’arranger ce petit problème.

Au moment où Régis leva la main pour la solliciter, un projectile toucha le membre, dont l’impact l’emporta à un demi-mètre. Il perdit sa nouvelle acquisition et sentit quelque chose lui pomper son énergie. Il remarqua la présence d’un bracelet métallique et comprit que cela venait de cette chose. Derrière lui, Ixion eut moins de chance : l’entrave s’était accrochée à son cou et le choc l’avait fait cogner contre l’autel.

Il reconnut alors ce qu’ils portaient : des Annihilateurs.

À quelques mètres d’eux, un groupe de quatre personnes les observaient, dont l’un trimballait une sorte de lanceur. Si trois d’entre eux étaient humains, dont le tireur, le plus en avant était un être reptilien aux écailles épaisses et saillantes.

— Vous n’avez vraiment pas de chance, déclara l’homme-lézard. Si proche de la fortune et pourtant si éloignée

Oh non… pas la tirade philosophique…

— Mais je sais être magnanime : si vous restez calmes tous les deux, il n’y aura aucun problème et vous serez vendus sans être abîmés.

Régis se releva avec lourdeur, devinant qu’ils n’avaient pas vu Aloy. D’un rapide coup d’œil, il constata qu’elle l’avait saisi aussi et qu’elle avait déjà commencé à les contourner en rampant, loin des torches.

Je dois gagner du temps.

— Les gars… je suis désolé de briser vos ambitions, mais je suis pas du genre à me laisser faire et puis, ça va être difficile de nous vendre, surtout avec une tête pareille.

— Régis ! prévint l’adolescent.

— Typique des Humains : juger sur les apparences. Mais j’ai eu pire comme insulte. Et si tu crois t’en sortir parce que tu es un Deuscien, sache que ton Don est bloqué par ce que tu portes. Mais par précaution…

L’humanoïde fit un signe au tireur, qui chargea son arme en direction de son cou. Au même instant, il poussa un râle d’agonie avant de s’écrouler sur le ventre, sous le regard ahuri des autres bandits : une lance était plantée dans son dos. Profitant de leur inattention, la Gaënne s’était jetée sur eux. Régis fit de même en dégainant son épée et se rua contre leur chef. Sans broncher, celui-ci se laissa faire, au grand désarroi du jeune homme qui ne pouvait pas stopper son attaque. À l’impact, la lame d’acier se brisa comme un morceau de bois contre un rocher.

L’homme-lézards répliqua par un puissant uppercut qui le mit à genoux, suivi d’un crochet qui érafla sa joue.

— Bien joué, dit-il en sortant une massue, mais ce n’est pas suffisant contre mon armure naturelle.

Il aurait bien voulu de l’aide, mais Ixion peinait à se lever et Aloy était aux mains avec les deux autres, sans armes. Il prit son couteau, bien s’il savait que ça ne servirait à rien, et réfléchit à la seule option disponible pour récupérer la claymore : la provocation.

— Peuh ! Tu parles ! Tu frappes comme une fillette ! Pas étonnant avec une gueule pareille !

Il dut toucher un point sensible, car l’humanoïde s’emporta en essayant de le rosser avec colère, mais Régis réussit à esquiver en roulant sur le côté et se précipita vers l’épée. Malheureusement, il reçut quelque chose dans sa courte course qui le fit trébucher : c’était la massue.

À peine à quelques pas, c’est du foutage de gueule !

Le chef des bandits le retourna sur le dos, le poing levé et prêt à s’abattre. Régis eut l’impression que les écailles étaient en train de s’agrandir.

— D’habitude, je n’abîme pas la marchandise, mais dans ton cas, je vais faire une exception !

Dans un acte désespéré, Régis tendit le bras vers la claymore alors qu’il tenait toujours son couteau. Une chaîne éthérée partit soudainement du manche, stoppant le geste de l’homme-lézard pendant quelques secondes, pour se relier à la poignée brisée.

Presque au même instant, un projectile lumineux transperça l’épaule de ce dernier. Il se retourna en titubant, s’écartant suffisamment pour permettre à Régis d’apercevoir Ixion avec la manique : deux tiges s’étaient déployées sur le poignet, comme une arbalète, et une Stella bleue était encastrée dans le mystérieux orifice.

Voilà donc à quoi ça servait…

L’adolescent en profita aussi pour envoyer une salve sur les adversaires d’Aloy, qui s’écroulèrent sur le coup. Le chef des bandits tenta de relever, mais le projectile s’était dissipé et un courant électrique visible à l’œil nu parcourait son corps, le paralysant sur place.

De son côté, Régis avait enfin réussi à s’emparer de l’épée en la tirant jusqu’à lui, grâce à la chaîne, qui s’attacha à son couteau. Dès qu’il l’eut en main, il l’asséna sur son adversaire, croyant que cela le repousserait.

Ce fut avec horreur qu’il trancha le bras et une partie du torse, au niveau du cœur.

L’homme-lézard, encore sous l’effet anesthésiant de l’éclair en lui, ne se rendit pas compte de ce qui venait de se passer ni de la douleur. Il tomba en arrière, s’écroulant lourdement sur le sol.

Sous le choc, Régis ne remarqua pas l’aide de ses compagnons pour le mettre debout. Ils s’approchèrent de l’humanoïde qui, contre toute attente, était toujours en vie.

— Premier sang… ? ria-t-il avant de tousser. Ça se voyait…

— Mais comment… ?

— Nous, les Reptiliens, avons deux cœurs… Ça peut servir… mais pas… dans… dans cette situation… Ne me laisse pas… pas dans le froid.

Même s’il avait du mal à rester éveillé, il montra de son membre valide une zone de son torse et indiqua avec sa griffe un endroit précis. Comprenant la signification de ses paroles et de son geste, Régis plaça la pointe de la claymore au-dessus du deuxième organe, mais ses mains se mirent à trembler. Aloy et Ixion posèrent la leur sur celles du jeune homme et appuyèrent ensemble. Le chef des bandits rendit son dernier souffle en souriant de soulagement.

Régis lâcha l’arme et s’écroula sur les genoux, ébranlé par ce qu’il venait de faire.

— Régis…

— Tais-toi… parvint-il à articuler la gorge serrée. Juste… Tais-toi…

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